Bulletin 19

Bulletin 19

LES AMIS DE RAOUL SALAN LE BULLETIN

Disparition / Nicolas Kayanakis

Nos adhérents ont publié

La guerre d’Algérie du Général Salan par Jacques Vallette

Missions en France en juin 1958 (1/2)  par Jean-Paul Angelelli

L’argent du FLN chez les gaullistes

Photographie / Le colonel Godard, à Mostaganem, le 6 juin 1958

Disparition

Notre ami Nicolas Kayanakis nous a quittés dans la nuit du 5 au 6 octobre 2008. Nous sommes très frappés de sa disparition tant sa personnalité intelligente et chaleureuse nous avait insufflé le goût de ne rien abandonner tout en nous tournant vers l’avenir. Fidèle du général Salan, il avait été administrateur de notre association dès sa création.

De nombreux membres de l’association étaient présents à la messe de funérailles célébrée le 10 octobre devant une très nombreuse assistance, fidèle et recueillie, en l’église Saint Germain l’Auxerrois (la seule paroisse digne d’un fidèle des rois de France). L’homélie prononcée par l’abbé Spriet  a  rapproché notre ami de l’un des douze disciples du Christ : Simon le Zélote. Peu connu, il est un « résistant » ; jamais il ne s’est soumis au pouvoir romain. Ce n’était pas un tiède – Jésus vomit les tièdes – et Nicolas Kayanakis n’était, lui non plus, de la race des tièdes.

Nous reproduisons ci-dessous la biographie rédigée par son fils Renaud, disponible, en compagnie d’autres documents de grand intérêt, sur le site Internet www.kayanakis.blogspot.com

Nicolas Kayanakis, « L’officier le plus diplômé de l’Armée Française » (sic Paris Presse), est né en 1931, à Tunis, d’une famille grecque, implantée en Tunisie avant l’intervention française. Pendant ses études à Paris (Science Po et Sorbonne-Lettres), il dirige les étudiants d’Action Française qui, de 1951 à 1954, enlèvent au Parti Communiste la maîtrise du Quartier Latin et participent à la reconquête de l’UNEF, alors syndicat étudiants unitaire. Mais en 1954, après Dien Bien Phu, Mendès abandonne l’Indochine à Genève. L’action politique de surface lui apparait bien vaine. Alors l’A.F.N. s’embrase. Il rejoint l’Armée d’Afrique, d’abord comme officier de réserve de l’Armée de l’Air puis est intégré sur titres, en 1958, dans l’Armée active. 

Officier de sécurité aérienne à l’Ecole de Chasse de Meknès, il demande l’Algérie et rejoint au printemps 1956 la Base opérationnelle de Telergma dans le Constantinois.

Détaché pour l’opération de Suez à la 3ème  Escadre de chasse de Reims, il est envoyé en mission à Brindisi (Italie), en civil, et sous l’apparence d’un officier italien du 2ème  Bureau, il assure le passage vers Chypre des troupes métropolitaines et surtout des escadres françaises de chasse et de reconnaissance, -ainsi que les vols clandestins des avions et des pilotes français prêtés à Israël. Muté sur sa demande dans l’Infanterie, il rejoint en 1959, le 14ème RCP pour y commander en second la compagnie portée. 

Dès 1959, il participe à la création des réseaux Armée-Nation. En 1960, en stage d’observateur-pilote à Dax il prend part aux préliminaires du putsch d’avril (il en fera le récit dans Derniers Châteaux en Espagne, à la Table Ronde), puis à l’action de l’OAS dans le SudOuest (sous le pseudo de Kakos). Arrêté en 1961, il s’évade trois mois après de Mont-deMarsan. En cavale à Paris, il lance et commande l’OAS-Metro-Jeunes (OMJ) dont les réseaux survivront des années à sa seconde arrestation en mai 1962. 

Condamné à dix ans de rétention criminelle, et perdant donc ses galons, il se voit alors assimilé à la promotion de Saint Cyr, Laperinne, par ses camarades de cette promotion avec lesquels il avait fait son école d’Infanterie. Nommé délégué des prisons par le CNR-OAS, son action pour la fidélité au combat mené le fera muter de prison en prison dont il fera un tour de France : Fresnes et La Santé, Toul, Les Baumettes, Ré. 

Libéré en 1966, il demeurera, auprès de Pierre Sergent (Philippe), membre du Directoire du CNR-OAS, chargé du Bureau politique sous le couvert d’une agence de presse : Méditerrannée Nord-Sud, fonctions exercées jusqu’à l’auto dissolution du Directoire en 1968. Après sa libération, il est Ingénieur en Chef à la SEMA au département « Direction Intermédiaire », puis dirigeant libre d’entreprises généralement en difficultés. Président, Directeur Général ou Gérant successivement et parfois simultanément de plusieurs sociétés

 industrielles, dans des activités aussi diverses que l’électronique, la mécanique, l’orfèvrerie, les matériaux de construction ou la verrerie (il sera ainsi administrateur de Daum). Déployant en parallèle une activité de consultant ou d’Ingénierie, il sera amené à implanter en Arménie soviétique une ligne industrielle mettant en œuvre une méthode innovante de fabrication du verre en première mondiale, marché « soufflé » aux spécialistes de Bohême. 

En 1997, il devient Docteur de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, pour une thèse sur « La doctrine française de guerre psychologique et la pacification de l’Algérie ».  Un condensé de sa thèse a été publié sous le titre « Algérie 1960, la victoire trahie, par les Editions Atlantis ».

Reprenant simultanément en 1997 du service à l’Action Française, il en a été depuis secrétaire général puis vice-président. Sa présence a contribué à accentuer la collaboration de l’Action Française, hors de toute exclusive, au mouvement souverainiste dont la jeunesse d’Action

Française est le fer de lance. En 2002, il collabore à « La Gazette », bulletin politique de

Monseigneur      le     Comte     de      Paris      puis      à      la      revue     «      Les     Epées       ».

Renaud Kayanakis

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 Michel Alibert, adhérent de notre association, a pris la parole à l’issue de la cérémonie religieuse pour rendre hommage à son ami Nicolas Kayanakis. Il a bien voulu nous autoriser à publier le texte de cet hommage. Nous l’en remercions.

C’est à toi que je m’adresse, en ce lieu sacré où nous sommes devant toi pour te faire une garde d’honneur ; oui « honneur » est le mot qui convient. Mon dessein n’est pas de te couvrir de ces lauriers qu’on décerne à un proche dont on pleure la disparition, et que l’on pare aussitôt de toutes les qualités. Faire ton panégyrique est trop facile, et celui qu’on chargerait de cette mission n’aurait que le choix. Même si, évitant les sujets qui fâchent, il voulait s’en tenir au politiquement correct, c’est encore le trop plein d’arguments qui risquerait de l’embarrasser : il évoquerait longuement ta grande culture, tes qualités humaines, ton brillant parcours professionnel, tes travaux d’historien et, par-dessus tout, l’impressionnante, la merveilleuse cohésion de la cellule familiale que vous avez bâtie, ta femme et toi.

Mais tu mérites mieux qu’un banal éloge funèbre, si fervent soit-il. Ce que je veux faire ici, Nicolas, au nom de tes proches et de tes compagnons, c’est t’envelopper de quelque chose de plus rare, et de plus précieux. Quelque chose qui a baigné ta vie entière. Quelque chose dont tu t’es nourri en même temps que tu en nourrissais les autres : ça s’appelle l’amitié. Et dans le cas de ta famille, son prolongement naturel qui est l’amour.

Quand nous nous sommes connus, le drame algérien était consommé. Dans le sang, pour beaucoup des nôtres ; dans la douleur pour tous ; dans l’indifférence ou le lâche soulagement d’une mère patrie indigne ; au mieux résignée, pour être indulgent. Le pire était advenu et, malgré sa vaillance, notre petit nombre n’avait pu s’y opposer : comme quoi il y a de nobles échecs aussi bien que de victoires honteuses.

Ni toi ni moi, Nicolas, ni aucun de nos frères d’armes de la guerre d’Algérie ne rougissions d’avoir survécu, car nous avions mis, selon l’heureuse formule de Pierre Sergent, notre peau au bout de nos idées. Quelque chose était accompli, qui nous avait dépassés, mais où chacun avait tenu son rang. Nous étions ceux qui avaient bravé plus forts qu’eux en ayant l’audace de leur dire « non ».Nous avions tout perdu, mais l’honneur était sauf. L’amitié pouvait commencer.

Par une heureuse disposition de la nature, les circonstances exceptionnelles attirent les êtres exceptionnels. Et dès lors qu’ils se sont rencontrés, ils ne s’éloignent plus les uns des autres, même s’ils ont peu d’occasion de se voir. Les âmes fortes savent se reconnaître à demi mot. Stoïques devant l’adversité, elles en assument les effets sans haine, sans emphase ou discours grandiloquents. Sans chercher d’alibis vaseux ni de boucs émissaires à leurs déconvenues. Et surtout sans récrimination perpétuelle sur ce qu’on aurait voulu qui fût, et qui n’a pas été.

Comme il était simple, avec toi, Nicolas, d’avoir cette hauteur de vue. Il suffisait de copier la tienne. D’entrer dans cette amitié discrète et en même temps si forte, qui nous persuadait qu’au bout du compte, notre malheur nous avait enrichis, puisque sans lui, nombre des amis qui t’entourent aujourd’hui n’auraient jamais croisé ta route.

Voilà pourquoi, toutes ces années, nous prenions le chemin de Saclas avec une allégresse jamais tarie, certains d’y retrouver un accueil dont nul ne peut avoir idée, à moins de l’avoir connu. Ah, Nicolas, quelle hospitalité que celles de tes proches ! Quelle entente profonde entre les membres de ta famille, à travers les particularismes de chacune, de chacun ! Et cette gestion de la table, du service et de la cuisine elle-même : quel modèle de finesse, d’équilibre et d’efficacité ! Il fallait cela, bien souvent, pour ramener l’assistance à des plaisirs gustatifs conviviaux, lorsque les hautes sphères de la pensée, et les convives à se considérer comme de purs esprits.

Nicolas, mon frère, tels sont les bienfaits dont tu nous as gratifiés, petits et grands, (mais lorsqu’on fait bien les grandes choses, on ne néglige pas les petites). Leur souvenir nous accompagnera jusqu’au terme du voyage.

Ceci n’est pas un adieu. Les quelques mots que je t’adresse, au nom de tous, ne sont pas les derniers. Tu nous observes de ton œil charmeur et malicieux. Tu souris, du haut de ton petit nuage, en nous voyant désemparés, aux prises avec nos problèmes bassement matériels, encombrés de nos enveloppes charnelles ô combien maladroites. Et tu as cet air d’indulgence – que j’ai souvent observé chez toi – de celui qui voit clair avant les autres. Et qui, à l’heure présente, comprend tout.

Car il existe un havre de bonheur et de paix où se retrouvent les hommes de bonne volonté, nul doute que tu y occupes une place de choix. Tu nous manques, Nicolas, mais pour nous tu n’es pas mort. Tu nous as seulement précédés, comme l’éclaireur précède la troupe en marche afin de lui éviter les mauvaises rencontres. Et puisque tu es arrivé le premier, nous espérons que tu intercéderas en haut lieu pour nous obtenir une petite place à tes côtés. La volonté de Dieu n’est-elle pas de réunir jusqu’aux gens qui se haïssent ? Alors ceux qui s’aiment, tu penses …

D’après Socrate, aucun mot ne saurait être donné comme le dernier. Il n’y aura donc pas, ici, de dernier mot, car celui que je vais prononcer en appelle combien d’autres, en l’éternité : au revoir, Nicolas …

Nos adhérents ont publié

L’ouvrage de Roger Biesse vient combler une lacune dans l’histoire de l’Algérie française : celle de Constantine et du Constantinois, spécialement à partir de la révolte des généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller d’avril 1961. Roger Biesse, disposant pourtant de la situation stable de contrôleur financier à Constantine, n’hésite pas à rejoindre l’O.A.S. qui le désigne  comme responsable (sous l’autorité du colonel Gardes) de l’Organisation des Masses dans la région. Avec le lieutenant Michel Alibert, puis en février 1962 avec le colonel Château-Jobert, et avec quelques autres dont Pauc et Garceau, ils seront l’OAS dans le Constantinois, travaillant en particulier au ralliement à l’OAS d’unités stationnées dans la région, ceci jusqu’à l’apocalypse finale de juin 1962. Un témoignage indispensable pour comprendre la nature de la résistance française en Algérie 

155p. ,   2008,   20€

A commander à Mme Claude Cognet-Biesse, 24 rue Henry Bordeaux, 74000 Annecy

Elizabeth Cazenave, dont on ne soulignera jamais assez le rôle qu’elle joue dans la connaissance des peintres d’Algérie et en Algérie, a été le commissaire de l’exposition sur Albert Marquet et ses amis en Algérie, réalisée par la ville de Saint Raphaël en liaison avec le conseil général du Var, le Cercle algérianiste de Fréjus/Saint Raphaël et l’association Abd-el-Tif en mars-août 2008.  Dans le très beau catalogue édité à cette occasion, Elizabeth Cazenave met en évidence les relations humaines mais aussi artistiques qui se sont instaurées entre Albert Marquet et les peintres établis ou séjournant en Algérie : Jean-Désiré Bascoulès, Maurice Bouviolle, Marius de Buzon, Pierre Deval, Jean Launois et bien d’autres.      

94p.,    2008,    15€  Association Abd-el-Tif, 

16 rue de la Bienfaisance, 75008 Paris 

Clipperton est un atoll perdu dans l’océan Pacifique, à 1300 kilomètres à l’Ouest des côtes mexicaines. Il a été revendiqué par les Français, les Américains et les Mexicains. En 1905, ces derniers ont implanté une toute petite colonie d’hommes, de femmes et d’enfants. En 1917, un navire américain, le Yorktown, découvre les survivants– uniquement des femmes et des enfants – du drame qui s’est produit sur ce site aride et sauvage. 

André Rossfelder, qui vit dans le sud de la Californie et qui, géologue, a exploré de très nombreuses îles du Pacifique, a recueilli au Mexique les témoignages des survivants de ce drame aux dimensions antiques : unité de lieu, unité d’action, plus de dix années tragiques. Il en a fait un récit haletant où la rivalité des hommes et des femmes, le goût du pouvoir, la résurgence chez les hommes des instincts les plus profondément enfouis conduisent à l’incandescence des passions et des comportements.

277p.  Albin Michel, 1976, 9€ (peut être commandé en librairie)

La guerre d’Algérie du général Salan

Après la parution, courant octobre 2008 du deuxième ouvrage de Jacques Valette sur le général Salan (il y en aura d’autres), Jean-Paul Angelelli nous donne son analyse de cet ouvrage qui apprendra beaucoup à ceux qui n’ont qu’une vue événementielle de cette période de 1957 à 1959. 

Nos amis connaissent Jacques Valette, vice-président de notre association. Mais aussi universitaire, spécialiste de la colonisation et de la décolonisation. Ils ont sans doute lu et apprécié son premier livre sur Salan et le 13 mai. Celui-ci en est la suite, appuyée comme le précédent sur les précieuses et inédites archives du général Salan. 

Jacques Valette a entrepris de nous exposer les problèmes que, nommé en décembre 1956 commandant supérieur interarmées, à la tête de la 10ème Région Militaire, l’Algérie, le général dut affronter et résoudre. Fin 1956, la situation sur place n’est pas bonne. L’A.L.N. s’est considérablement renforcée (en effectifs et armement). L’O.P.A. (Organisation Politico-Administrative du F.L.N.) a infiltré l’Algérie. Le terrorisme urbain est redoutable. Fort de son expérience indochinoise, le général a une doctrine : la guerre psychologique. C’est-à-dire la conquête voire la reconquête politique et sociale de la population. Pour isoler et vaincre la « rébellion ».

Mais il n’a pas assez d’effectifs et estime que la durée du service devrait être de 27 mois. Les autorités politiques (y compris le général de Gaulle à l’automne 1958) le lui refuseront. Pour des raisons budgétaires ou…électorales. Il a même recueilli une confidence de De Gaulle : « Les opérations militaires ne servent à rien » !

Autre sujet essentiel, traité dans le 4ème chapitre : « Le renseignement, arme prioritaire ». Salan aura à sa disposition à partir de 1957, outre les moyens classiques (2ème bureau), le système RAP (Renseignement, Action, Protection), avec le CCI (Centre de Coordination Interarmées) et les DOP (Dispositifs Opérationnels de Protection). Qui se montreront efficaces contre l’OPA et éradiqueront le FLN dans les villes (voir la bataille d’Alger). Mais seront l’objet en métropole de campagnes de diffamation. 

Sur ce sujet difficile, Jacques Valette écrit : « Cette guerre, marquée par la violence terrible de l’adversaire appelait une forme de violence non moins dure des Français » (p.82). Le général Salan défendit l’armée mais eut recours, quand il le fallait, aux sanctions nécessaires (voir le chapitre VI « Justice, exactions et moral de l’armée »). Sous la Quatrième République, c’est le pouvoir civil qui commande. Le général, en accord avec Robert Lacoste, appliqua les directives gouvernementales (comme la réforme communale) pour transformer l’Algérie. Mais, tout en comprenant les Européens d’Algérie, il s’opposa à la manifestation du 18 septembre 1957 contre la loi-cadre. Cependant, en mai 1958, son action fut décisive (voir livre précédent). Comme elle le fut dans la construction des « barrages » aux frontières tunisiennes et marocaines. Dont le coût fut élevé mais qui permirent de filtrer puis de paralyser le passage en Algérie des combattants algériens et de leur armement. Mais, revers de la médaille, elles immobilisèrent pour leur garde les meilleures troupes dont il disposait. Les opérations sur le « front saharien » (mal connu) sont précisées et expliquées dans un chapitre original.  Le général Salan pensait que, avec l’arrivée du général de Gaulle, la politique qu’il avait menée deux ans durant serait appuyée, notamment sur le plan des moyens nécessaires pour résoudre les problèmes sociaux (enseignement, médecine, formation et encadrement des jeunes), base d’une nouvelle Algérie Française. Car à son départ, fin 1958, « rien n’était fini, rien n’était gagné » (p.166). Par ses contacts, il comprend que le général de Gaulle veut avant tout en finir avec une guerre qui le gêne sur deux plans : l’Intérieur et l’International… 

Pour être complet, il faut ajouter que le successeur du général Salan, le général Challe, aux mérites incontestables, sut utiliser efficacement l’outil mis en place par son prédécesseur.

Il est possible de commander l’ouvrage à l’aide du bon de commande joint. Lors de l’assemblée générale du 28 mars 2009, Jacques Valette dédicacera ses deux livres : Le 13 mai du général Salan et La guerre d’Algérie du général Salan

Missions en France en juin 1958    Jean-Paul Angelelli

Introduction

Au mois de juin 1958, des personnes diverses, pour la plupart membres du Comité de Salut Public Algérie-Sahara (C.S.P.A.S.) furent envoyées en France dans les régions militaires avec des ordres de mission signés du général Salan. Pour comprendre cette démarche, il faut remonter à  certaines retombées du voyage du général de Gaulle en Algérie. Une fois l’enthousiasme retombé, des inquiétudes et des interrogations avaient surgi au sein du C.S.P.A.S. Ce comité constitué officiellement après le 13 mai 1958 et élargi ensuite avait ainsi voté le 3 juin (veille de l’arrivée à Alger du général de Gaulle) une motion (n°19) portant en intitulé « Mesures tendant à la disparition des partis politiques et de leurs séquelles ».  Où après avoir rappelé dans quelles conditions le général de Gaulle avait du quitter le pouvoir en 1946, elle lui demandait « instamment » de prendre des dispositions dans la nouvelle constitution pour « empêcher la résurgence de ces partis politiques ». Etait dénoncé leur « système » qui tenait toutes les structures du pays. Le comité « estimait » qu’il appartiendrait au Comité de Salut Public, « forces vives et pures de la nation », de s’étendre dans « toute la France » (nous soulignons) et de se substituer aux partis pour appuyer « un Gouvernement de Salut Public » qui poursuivrait jusqu’à son terme le mouvement commencé le 13 mai. On ignore s’il y a eu une réponse officielle à cette motion.

En tout cas nous n’avons rien trouvé de tel dans les archives du général

Salan. C’est sans doute pourquoi le même comité réuni dans l’exGouvernement Général de 10 à 12 heures, le 10 juin, sous les présidences du général Massu et du docteur Sid Cara et en présence du général Mirambeau, vota (à l’unanimité) une autre motion (n°20) beaucoup plus nette. Qui rappelait que c’était grâce à sa « pression constante et intransigeante » que le système avait du faire appel au général. Elle se réjouissait de la « promesse de l’intégration » qu’elle voulait totale par « la disparition de tous les organismes administratifs marquant un particularisme algérien (Ministère de l’Algérie, monnaie, douanes, etc.) ; elle mettait en garde contre l’organisation « dans un délai rapproché » d’élections créant « un climat indésirable », apportait son

Le docteur Sid Cara

soutien à l’armée dans sa destruction des « bandes rebelles » et la poursuite  de la  pacification ; enfin, reprenant  la  motion  du 3 juin,  elle

suggérait que si l’on voulait rassembler les Français, il fallait non seulement faire disparaître les partis politiques, mais regrouper les Français autour de « ces réalités vivantes que sont le milieu familial, la profession, la commune, la province et la patrie » ce qui permettrait la création « d’un Gouvernement de Salut Public. 

Assurant au général de Gaulle « un soutien populaire profond et solide capable de s’opposer efficacement au complot du Front Populaire ». En conclusion, les participants affirmaient qu’ils n’accepteraient « aucun compromis » (avec leurs idéaux affirmés le 22 mai 1958) et qu’ils appuieraient « la campagne de renouveau national entrepris dans la Métropole par les Comités de Salut Public ». Cette motion fit, le jour même, l’effet d’une bombe.

L’après-midi du 10 juin, Lucien Neuwirth, porte-parole du

C.S.P.A.S. rencontrait le général Salan pour savoir sa position vis-àvis de la motion. Celui-ci répondait qu’il n’avait pas à dire s’il l’approuvait ou non. Il s’était contenté de la transmettre, mais il l’estimait recevable car, pour lui, elle exprimait « très exactement la pensée des gens d’Alger » et était « une réponse à certains éditoriaux Lucien Neuwirth de journaux métropolitains ». Le lendemain, 11 juin, la presse, surtout

parisienne, faisait largement écho à la motion 1 . Dans l’ensemble, pour la critiquer. Elle était interprétée comme « une nouvelle épreuve de force entre Paris et Alger » (Paris Journal) ou « insolite » (Combat) ou « visant des élections municipales décidées par de Gaulle pour octobre » (Paris-Presse). Même le très modéré Figaro s’inquiétait de l’action de « personnages irresponsables qui se consolent mal d’être invités à rentrer dans leur silence, mais qu’il ne fallait pas dramatiser ». Même opinion dans Le Parisien. Libération (quotidien progressiste) jugeait que « De Gaulle était prisonnier de l’Armée » et que l’action des C.S.P. en métropole serait « un véritable défi à la France républicaine et mènerait à la dictature ». Quant à l’Humanité, elle mettait en cause « Massu et les ultras du Comité d’Algérie » qui « exigeaient la constitution d’un gouvernement fasciste » et s’élevait contre l’action des C.S.P. en France.

 Ici et là, il était évoqué une communication téléphonique entre De Gaulle et le général Salan. Sans trace… Le 11 juin à 11h30, le général Salan recevait du Président du Conseil des  Ministres (c’est-àdire de Gaulle) un télégramme2 (très secret – priorité absolue –personnel, numéro 2591) où le général de Gaulle parle « d’un incident fâcheux et intempestif » causé par « la motion péremptoire » du C.S.P. et rappelle que « ce comité n’a d’autre droit et d’autre rôle que d’exprimer, sous votre contrôle, « l’opinion de ses membres ». Qu’il n’était pas question que « l’autorité régulière et d’abord vousmême » ne prenne parti…et qu’il fallait faire comprendre aux personnes intéressées « que l’œuvre nationale entreprise avec mon gouvernement exigeait « le calme des esprits » et l’adhésion « de tous ceux qui veulent m’aider à sauver l’unité, l’intégrité, l’indépendance nationale ». Même signé « Bien cordialement », c’était un sévère rappel à l’ordre.

Pourtant, le 12 juin 1958, les membres des Missions en France partaient dans des conditions et pour une durée dont nous n’avons pas trouvé les modalités. Soit simple information du climat moral et politique ? Soit organisation d’un mouvement national pour demander ou soutenir un « Gouvernement de Salut Public » ? Coup d’arrêt

Or, le 14 juin, le général Lecoq, commandant la 4ème région militaire (de Bordeaux) demandait par écrit, au cabinet du général de Gaulle, une « réponse urgente ». Le même jour, il avait reçu deux envoyés d’Algérie lui demandant son aide pour « créer des C.S.P. dans la région ». Il veut savoir s’il a « la bénédiction du général » et « la forme que doit prendre son aide ». En précisant, entre parenthèses, que « le titre C.S.P. lui semble être en déphasage (sic) avec l’action actuelle ».  Réponse écrite est envoyée le même jour par De Gaulle : « En l’état des choses, il ne faut pas ajouter un concours nouveau de l’armée aux comités existants et, a fortiori, à ceux qui voudraient se créer ». Sur une feuille séparée, tapée à la machine, ces questions-réponses sont mentionnées 3 . Mais le terme « Comités » a été remplacé par « choses ». Ce qui est une nuance importante. Autres questionsréponses. Le général Lecoq demandait le même jour au général Salan « Tenez-vous au titre de C.S.P. pour la métropole ? » Message du général Salan le 14 à 18 heures : « D’accord pour le titre, mais qu’importe le contenant pourvu qu’on ait la substance ! »Le général Salan ignore-t-il le désaveu du général de Gaulle ? Le 18 juin, il reçoit du Ministère des Armées (Pierre Guillaumat) un télégramme  personnel (très secret – n°1544 – Ma – Cab – Emp/ts) faisant part de « l’étonnement » du Président du Conseil « de l’envoi en métropole », par des organisations politiques ou des Comités d’Algérie, de personnalités pour des prises de contact avec les autorités militaires4. Les noms de ces personnalités sont indiquées : Martin (du C.S.P. d’Algérie), Camus (du même comité), Schambele, maître Malhem (erreur d’orthographe : c’est maître Mallem, de Batna, qui s’était distingué par ses propos très favorables au 13 mai et à l’intégration). On ne peut savoir, par manque de documents, la réponse du général Salan. Mais ce qui est net, c’est que les missions reçurent ensuite, entre le 16 et le 20 juin, un ordre impératif de revenir à Alger.

 Voir in fine copie de la page correspondante du journal L’Aurore

  •  Voir copie in fine
  •  Voir copies des deux documents in fine
  •  Voir copie in fine

Le 21 juin, le C.S.P.A.S. publiait un communiqué[1] qui prenait ses distances avec « un certain nombre de mouvements et groupements patronnés par des personnalités politiques ou à tendance politique (qui) se réclamaient du mouvement déclenché à Alger par le salut national du 13 mai ». Or, « indissolublement uni derrière le général de Gaulle », le C.S.P.A.S. affirmait « sa mission dans un esprit apolitique total, conformément aux directives qui lui furent données par le Président du Conseil ». Conclusion : toutes les personnalités s’exprimant en leur nom ou des mouvements qu’ils représentent « ne peuvent en aucun cas se recommander du Comité de Salut Public de l’Algérie et du Sahara »..

Les 23 et 24 juin 1958, le général Salan adressait deux notes (n° 2488 et n° 2491) au président du C.S.P.A.S. où il annonçait de prochaines propositions dans « le domaine économique et social, entre autres les travailleurs agricoles » (dont les salaires étaient relevés), qui réaliseraient l’intégration. Quant aux C.S.P. , « dans le cadre de leur mission impartie par le général », ils « devaient préparer l’opinion à ces premières mesures ». Ils devaient aussi veiller au « comportement réciproque » entre les diverses communautés. Le général Salan précisait que c’était là, « une noble entreprise, une tache à la mesure de leur civisme ». Le 16 juin, le général Salan avait pris une décision  « relative à la nomination des membres des Comités de Salut Public » qui peut s’interpréter comme un contrôle plus strict de l’autorité militaire sur les Comités. En somme, les Comités étaient désormais cantonnés dans un rôle d’action psychologique pour les prochaines élections. Il n’était plus question de leur accorder un rôle politique et plus de mention d’un Gouvernement National de Salut Public. Mais il n’est pas interdit de penser que le général de Gaulle en avait tiré certaines conclusions. Qui se traduiront lorsqu’il aura les mains plus libres, après le référendum du 28 septembre 1958, de donner l’ordre aux officiers de se retirer des Comités de Salut Public désormais privés de toute légitimité. 

Les missionnaires 

Les missionnaires sont envoyés en France dans les régions militaires qui leur ont été désignées. A leur retour en Algérie, ils ont fait des rapports (signés) transmis au général Salan, conservés dans ses archives. Il y eut un certain secret sur ces entreprises puisqu’elles ne sont signalées nulle part dans les livres consacrés au 13 mai 1958 et à ses suites en métropole, sauf ce qui peut être considéré comme une critique dans le livre (présenté par Claude Mouton) « Contre Révolution en Algérie » : « C’est vers cette époque (juin 1958) que se situent les premières « ruées » des membres du C.S.P.A.S. vers la France. Les leaders « Algérie Française » ne trouvant plus à Alger pâture à leurs ambitions déçues – car en fait De Gaulle n’avait distribué ni promis aucune place à ceux d’Algérie – décidèrent de parcourir la Métropole et de visiter quelques C.S.P. qui s’y étaient créés au cours de ces journées de mai (p.319,320) ». En somme, une vaine quête électoraliste qui ne correspond pas à la réalité puisque les envoyés ont des ordres de mission signés du général Salan. A notre avis, c’est plutôt une recherche de renseignements sur le climat politique en Métropole et la possibilité d’y étendre le mouvement parti d’Algérie le 13 mai 1958.

Voici dans l’ordre les régions et leurs responsables :

  • 1ère Région Militaire.  Surtout Paris. Envoyés : Perrou et El Madhaoui. Durée : non précisée, quelques jours ; deux rapports (10 pages)
  • 4ème Région Militaire. Surtout Bordeaux et une partie de l’Aquitaine. Envoyés : Damiron et Lalanne. Durée : 8 jours ; un rapport (7 pages) 
  • 5ème Région  Militaire. Toulouse et Sud-Ouest. Envoyés : Coulondre et Lhostis. Durée : 7 jours ; un rapport (14 pages)
  • 6ème Région Militaire. Est. Envoyés : Martin et Camous. Durée : 2 jours ( ?) ; un rapport (8 pages)
  • 7ème Région Militaire. Centre. Durée : 5 jours ; un rapport (5 pages) non signé
  • 9ème Région Militaire. Sud-Est, Côte d’Azur. Envoyés : Moreau, Parachini, Crespin (ce dernier ne signant qu’un rapport sur Marseille). Durée : 8 jours ; un rapport 18 pages. Ce rapport est le plus complet et le plus intéressant, notamment en raison de manifestations pour l’Algérie Française à Marseille et à Nice à l’occasion de la commémoration du 18 juin.
  • Il n’y a aucun rapport sur la 2ème Région Militaire (Nord) et la 3ème Région Militaire (Rennes). Faute d’envoyés ?

Les noms des personnes répertoriées se retrouvent au hasard des ouvrages sur le 13 mai 1958. Mais souvent rapidement et sans précision biographique. Dans leur très grande majorité, ce sont des membres des comités du 13 mai. Ce sont des militants dévoués de l’Algérie Française. Il y a parmi elles un gaulliste historique, Lhostis (il a participé au 8 novembre 1942, le débarquement des alliés en A.F.N.). N’ont pu être identifiés Camous, Damiron, El Madhaoui. 

On  peut se demander si les missionnaires connaissent les régions où on les envoie. Ils sont donc tributaires de leurs contacts locaux. Lyon apparaît comme une plaque tournante.

 Les envoyés (pour les 6ème, 7ème et 9ème Régions Militaires) sont reçus ou bien par le général Descours qui critique la motion n°20 du C.S.P.A.S. ( il y voit une attaque contre De Gaulle), ou bien par le capitaine Marnillat (ou Margnillat, les erreurs de noms sont fréquentes dans les rapports). Celui-ci donne des conseils aux envoyés et les oriente (sans participer directement).  

A Bordeaux, les envoyés sont reçus par le général Lecoq (qui, surpris, alertera De Gaulle) et à Toulouse par le général Miquel. Ces trois généraux, on le sait, devaient jouer un rôle très actif si l’opération Résurrection avait été déclenchée en Métropole.

Ces précisions faites, il ne faut pas prendre ces rapports comme un tableau complet de l’opinion en Métropole en juin 1958. D’autant que les missions, on le sait, ont été écourtées. Plutôt une enquête d’opinion. Avec souvent des faits et des noms précis. Les Renseignements Généraux ont-ils été au courant ? Il faudrait avoir connaissance  de leurs archives. Un rapport de synthèse, non daté (fin juin 1958 ?) et non signé, envoyé au général Salan a été établi à Alger. Il tire des leçons des rapports. Et sera examiné en conclusion. Général Miquel

Nous avons commencé par celui (très engagé) du docteur Lefèvre. Une mission solitaire. Parmi les envoyés, on  ne trouve pas deux noms signalés dans le télégramme «Guillaumat » : Ali Mallem et Schambele. Celui-ci doit s’orthographier Schambill. Sont-ce eux qui sont allés en 7ème Région Militaire ?  Schambill est signalé plus tard dans d’autres combats pour l’Algérie Française.

Le rapport du docteur Lefèvre

Son séjour en Métropole (du 11 au 25 juin) se conclut par un long rapport (de onze pages) fait à Alger le 28 juin 1958. Il est particulier. Son auteur, le docteur Bernard Lefèvre est une forte personnalité ; maurassien, corporatiste, admirateur de Salazar[2]. Il semble que sa mission ne soit pas officielle.

Son compte rendu se termine par « mes chers camarades ». Il est donc adressé à des membres sympathisants du Comité de Salut Public. Dans les premières pages, il fait l’éloge du Comité  des Sept, à l’origine de la prise du Gouvernement Général le 13 mai. 

Le docteur Lefèvre est très monté contre les gaullistes (il cite Delbecque, Soustelle, Bigeard, Cogny (?)) qu’il accuse d’avoir monté un complot gaulliste que lui et ses camarades ont torpillé…Il met en garde contre « l’action de ces mêmes gaullistes utilisant le terme Salut Public » et il avertit, un peu plus tard « ses camarades du 13 mai partis en Métropole, aiguillés vers des équipes de grenouilleurs qui ne représentent qu’eux-mêmes », ce qui confirme le côté à part de son action.

La suite du rapport est consacrée au mouvement Poujade qui a tenu son congrès à Angers (date non précisée : juin 1958) où Poujade a décidé la dissolution de son groupe parlementaire (32 députés). Pour Lefèvre, c’est une garantie de son indépendance pour l’avenir. Lefèvre a aussi suivi Poujade dans une tournée de réunions à travers la France, plutôt dans des villes moyennes (comme Millau, La Réole).

A Lyon, la réunion attaquée par les communistes a du être déplacée. Il témoigne de l’exaspération du public contre les partis politiques, du scepticisme du même public pour De Gaulle quand son nom est prononcé. Il fait état d’une entrevue Poujade – Michelet – De Gaulle (mais ni la date ni le lieu ne sont précisés).

D’où il ressort que « De Gaulle est un homme incommensurablement orgueilleux et autoritaire, persuadé que tout seul il sauvera la France ». Il prépare d’ailleurs une loi électorale qui permettra d’éliminer « les oppositions extrêmes ». Ce qui se révèlera exact avec le scrutin majoritaire rétabli pour les élections législatives de novembre 1958. Il regrette que le système (des partis) n’ait pas été balayé « par l’envoi de quelques (sic) parachutistes à Paris » et « le débarquement de membres civils du 13 mai en Provence ». Ce fut « une occasion manquée » dont profitent les communistes (leur parti n’a pas été dissous) qui s’organisent « clandestinement ». 

Lefèvre pense que l’on est arrivé à « un tournant » et qu’il faut sortir de « l’attentisme », sinon, c’est la fin du 13 mai. D’ailleurs, il prévoit que « le jour n’est pas loin où les officiers qui nous ont suivis seront appelés à de nouvelles fonctions », ce qui se révèlera exact… Ces notations pessimistes aboutissent à une proposition : « la création d’un Comité de Salut Public National » en étroite liaison avec Alger pour aider « De Gaulle à lutter contre les communistes ». Si De Gaulle se solidarise avec le système, il faudra alors « faire appel au général Salan, seul homme capable de sauver la France à la fois des communistes et du système ». 

Dans ses conclusions (une page et demie) qui boucle son rapport, le docteur Lefèvre annonce une guerre civile inévitable ; « plus Docteur Lefèvre vite elle se produira, moins elle sera coûteuse »…

Lefèvre s’estime investi de la mission de mettre sur pied « un C.S.P. officieux » et avance dans une annexe une liste comportant treize noms. Pierre Poujade y est mentionné mais comme « Président national de l’U.D.C.A. ». 

Parmi les autres noms cités, nous trouvons Yves Gignac (ancien combattant de l’Union Française), le général Chassin (A.C.U.F), le professeur Louis Salleron (professeur à l’Institut Catholique de Paris), Sanguinetti (Comité d’Entente des Anciens Combattants), Faillant (de Villemarest) et d’autres personnes moins connues (trois du Rassemblement Paysan, un étudiant, un avocat…).

Lefèvre précise que la liste pourra être élargie et que les personnes citées ont donné « leur accord pour que le comité soit officialisé par Alger ».

Mais le 28 juin, dans une lettre confidentielle adressée au général Salan, Yves Gignac fera une mise au point. Ni le général Chassin, ni lui « n’ont été consultés avant d’être inscrits sur cette liste ». Et lui et Chassin « ne se seraient engagés qu’avec son accord et l’autorisation du général en raison des liens qui nous unissent à l’armée active ».

A noter que l’on trouve dans les archives un court rapport adressé à Salan d’un autre envoyé, Armand Vacher, ancien du 13 mai, qui a assisté comme « observateur » au congrès du mouvement Poujade. Poujade serait « en plein accord avec le C.S.P. du 13 mai ». Soutiendra le « général de Gaulle dans l’esprit du 13 mai » et demande à ses « délégués régionaux de participer à la formation de C.S.P. en collaboration avec tous les nationaux et avec l’accord des populations »…

Deux autres envoyés en mission, Armand Perrou, membre du C.S.P. du 13 mai, et El Madhaoui (celui-ci non identifié) ont mené une enquête, avec de nombreux contacts, dans les milieux politiques parisiens (nous y reviendrons). Les deux envoyés, dans leurs rapports (séparés et adressés au général Salan) évoquent les poujadistes. 

Armand Perrou analyse, de leur part, une opération en trois temps : d’abord, la décision de Poujade à son congrès de transformer son parti en « mouvement apolitique », ensuite, mettre au service du comité du 13 mai (à Alger) son organisation et ses représentants, Lefèvre, Ortiz, Goutallier, dans le dit comité et, enfin, proposer la création d’un comité national exclusivement métropolitain. Mais le docteur Lefèvre doit recueillir l’accord de « vous-même (général Salan), du général Massu et du comité du 13 mai ». 

El Madhaoui est plus précis. Il fait état, le 18 juin au soir, d’une réunion tenue à Paris au local du groupe paysan où le docteur Lefèvre lui-même avait présenté une « liste de personnalités » (on y retrouve les noms déjà cités). Il y était même ajouté des « représentants de toutes les provinces de France dont Jean Fraissinet (de Marseille). El Madhaoui ayant fait une remarque (critique?) sur les positions politiques de Poujade, le docteur Lefèvre déclara : « Je me fais fort de le faire accepter par le général Massu ». El Madhaoui écrit alors qu’il décida de « tout mettre en œuvre pour démolir » l’entreprise et « j’ai la prétention d’y avoir réussi » (sic). A ce qu’il affirme, il aurait le lendemain contacté Gignac et « d’autres personnalités » en leur faisant remarquer que « personne, dans l’état actuel, n’était mandaté par le C.S.P. d’Alger, par l’un des généraux d’Algérie et par le général Salan ». Les personnes contactées l’ont prises au sérieux et elles ne donneront pas suite « sans l’accord préalable d’Alger et l’envoi d’une délégation dûment mandatée »… 

Il est difficile de savoir si c’est sur la seule intervention d’El Madhaoui que le Comité National proposé par le docteur Lefèvre, sans doute de sa seule initiative et trop restreint, a échoué. Mais il n’en est plus question par la suite…

Il y aura aussi à Alger des retombées. Le 15 août, dans une lettre manuscrite au général Salan, le général Massu lui demande d’être en garde contre le docteur Lefèvre qui mène une propagande sournoise contre le général de Gaulle, le référendum, qui a de l’influence sur quelques esprits simples au C.S.P.  « C’est un tout mauvais » (souligné). Dans la même lettre, Massu fait état de l’inquiétude des populations musulmanes « sur leur avenir politique » et ajoute « le succès du référendum dépendra de la prise de position sans ambiguïté (sic) du général de Gaulle sur cette question cruciale de l’intégration »…

L’analyse des rapports rédigés par les autres « missionnaires » fera l’objet d’un prochain article de Jean-Paul Angelelli.   

L’argent du F.L.N. chez les gaullistes   Colonel Yves Godard

Le document qui suit est extrait d’un manuscrit partiellement dactylographié figurant dans les archives du colonel Godard à la Hoover Institution de Stanford University (près de San Francisco). Le colonel Godard a voulu que ses archives soient déposées dans cette institution spécialisée dans les archives relatives aux conflits et aux guerres. La grande rigueur professionnelle des dirigeants et des  employés de cette institution est le gage d’un archivage sérieux et d’une sécurité absolue pour la conservation des documents déposés. Nous avons eu le privilège de consulter ces archives et de photocopier une partie de celles-ci. L’extrait publié appartient à un ensemble rédigé par le colonel Godard sur les événements de « La semaine des barricades » de janvier 1960. On peut penser que cet ensemble constitue la base d’un deuxième ouvrage que le  colonel Godard entendait publier après son premier livre  sur la Bataille d’Alger mais qu’il n’a pu mener à bien en raison de sa disparition prématurée. Nous disposons également, en provenance du même fond d’archives, d’un document rédigé par le Colonel Godard intitulé : « Allo Carreras, ici Godard » qui est une mise au point à propos du livre de Fernand Carreras « L’accord F.LN.-O.A.S. ».

Le document se présente sous forme chronologique, jour par jour, avec des retours en arrière

Jeudi 21 janvier 1960

Delouvrier et Challe sont à Paris ainsi que la plupart des « cerveaux » civils et militaires.

La situation est parfaitement normale à Alger. Ce calme n’est pourtant qu’une façade. On se demande en effet ce qui se trame à Paris. Les transistors sont donc branchés en permanence et le téléphone avec la capitale est quelque peu embouteillé.

Un conseil interministériel se tient en début de matinée, à Matignon. Le Délégué général et le commandant en chef y assistent. Cette réunion est soi-disant consacrée à l’A.F.N. et Alger, déjà, se raidit. Pourquoi parler d’A.F.N. quand c’est de l’Algérie qu’il s’agit ? L’intégriste repenti qu’est Michel Debré a sans doute quelques jalons à planter avant la conférence du lendemain. Pourquoi chercher à noyer le poisson ?

La journée se passe sans trop de flashs mais la soirée apporte des nouvelles qui sont toutes mauvaises mais dont certaines sont de taille.

Une trentaine de journalistes étrangers se sont vu refuser l’entrée en Algérie jusqu’au 26 janvier. Ce n’est pas le fait qui intrigue mais la date. On n’a pas tellement soif ici de correspondants de presse. Mannoni et Henri de Turenne suffisent amplement ! Mais pourquoi leur épargner toute concurrence étrangère jusqu’à mardi prochain ? Certainement parce qu’il va y avoir du nouveau. Les imaginations travaillent…

Ces imaginations sont déjà bien lancées quand tombe la nouvelle d’une autre interdiction ; elle frappe le président Bidault qui est déclaré indésirable en Algérie jusqu’au 1er février. Dépêche A.F.P. d’abord, ensuite détails et commentaires, abondants et immédiats, de Lopinto au nom de l’Union Chrétienne et Musulmane…

Le maître imprimeur de « Ici la France », partagé entre le courroux et la satisfaction de se manifester se déchaîne sur l’automatique Algérois ! Nul n’ignore bientôt que le préfet Moris[3], qui assistait au conseil interministériel en qualité de Secrétaire Général aux Affaires Algériennes, est, dans un premier temps, intervenu auprès du « Président » pour que, de son propre gré, il renonce à la tournée qu’il envisageait de faire, en Algérie, fin janvier. Démarche courtoise qui s’est heurtée à la fermeté, non moins courtoise, de l’ancien responsable du C.N.R.[4]. Il a fallu alors que Delouvrier ponde un arrêté en vertu des pouvoirs spéciaux et dans l’intérêt de l’ordre public. L’oukase a été expédié à Neuilly avec, toutefois, un mot du Délégué Général pour exprimer son regret d’avoir à prendre une telle mesure. Bidault s’est incliné avec dignité. « Je ne tiens pas à me faire soustelliser » a-t-il dit à ses amis. Le trait devient ici une flèche et fait la joie des interlocuteurs de M. Lopinto : la cote de l’idole du 13 mai qui siège encore au gouvernement est, en effet, descendue en torche…

La nouvelle n’est cependant pas de nature à soulever Alger. Le Président Bidault y est, certes, très apprécié. On se souvient du meeting qu’il a tenu, en décembre, au stade de Saint Eugène, en compagnie du bachaga Boualem et aussi d’Ortiz, dont les boys, portant tenue kaki et brassard, assuraient le service d’ordre. Mais, en dehors de la personnalité de son leader, la Démocratie Chrétienne, comme l’Union Chrétienne et Musulmane, ne fait pas vibrer la masse. C’est trop proche du M.R.P., incarné par Augarde. Et puis, il fait bien le dire, ni Lopinto ni Pradine ne sont pris au sérieux…

Malheureusement, tard dans la soirée, d’autres bruits commencent à se répandre et certains sont susceptibles de peser sur le « Stimmung » du lendemain.

On commence à parler du non retour de Massu, démenti par Delouvrier – ce qui ne veut rien dire – mais présenté comme certain par des journalistes parisiens bien informés. De Gaulle, disent-ils, a, au cours de l’audience du matin, fait savoir à Challe que Massu n’assisterait pas à la conférence du lendemain.

C’est, hélas, tout dire et c’est très gros pour Alger qui, ayant encore quelques illusions, ne s’attend pas à un tel verdict avec Paris. Alors, le téléphone prend l’allure du galop depuis le G.G., Rignot, le Saint Georges, les salles de rédaction et le Corps d’Armée aussi qui, à juste titre, se demande par qui il est commandé. La coupe est déjà pleine et, comme rien ne nous est épargné ce soir-là, elle déborde avec les premiers échos de l’audience que de Gaulle a accordé, mardi dernier, à trois députés, Lauriol, Portolano et Laradji, porteurs d’une motion des municipalités de Mitidja. Pour une fois, le « sot en hauteur » – un souvenir de l’Ecole de Guerre – a été clair, ce qui est chose rare. Pas question d’intégration. C’est une invention de l’Armée qui, en toutes circonstances, n’a jamais fait que des c…. (passons sur le détail pour ne pas évoquer des souvenirs douloureux). Les musulmans, voyons, ce ne sont pas des Français, ces gens-là ! Moi, je sais ce qu’ils pensent parce qu’ils me le disent. Quand j’ai parlé à Constantine sur la place de la Brêche, « des hommes à MOI » dispersés dans la foule (des barbouzes arabophones, ô miracle !) m’ont dit que les musulmans s’attendaient à voir apparaître Ferhat Abbas à mes côtés. Ils ne seront pas prédéterminés. Ils choisiront librement. Après leur choix, il est possible que l’Algérie soit partagée. Le Constantinois indépendant, l’Algérois associé, et l’Oranie conservée….

Bachaga  Boualem   

               

Mohamed Laradji                   

Marc Lauriol                    

Pierre Portolano

Vous, Laradji, dont la famille a été décimée par les rebelles, vous souffrirez encore beaucoup ! Non Lauriol, il n’est pas question de peser pour que les musulmans optent pour la France, etc….

Après ce délire, Portolano est effondré, Laradji, qui est un brave, est ulcéré, et Lauriol raconte toute l’histoire à son colistier Marçais. Vent du bas, bien sûr, Alger est informée. Peut-être en rajoute-t-on un peu mais c’est à cause de précédents. Marçais se souvient, en effet, avoir été reçu par de Gaulle, avec Lauriol, en juin 58 à la veille du premier voyage en Algérie marqué par des mots qui engagent comme « Français à part entière », « Oranie, à jamais terre française », et même « Vive l’Algérie Française ». De Gaulle, déjà, avait refusé de s’engager pour l’intégration. « Mêlez-vous de vos oignons » avait-il dit, en gros ; « on fait appel à de Gaulle et de Gaulle fera ce qu’il y a à faire ».

Certes, pour le référendum de septembre 58, il avait sollicité le « Oui » de l’Algérie en lui donnant une signification d’option en faveur de la France. Mais, dès son pouvoir affermi, n’a-t-il pas déclaré, en décembre 58, à Alain de Sérigny, que l’Algérie serait « au mieux de l’Houpouet-Boigny et, peut-être aussi, du pur  Sekou Touré ». Sérigny n’en avait pas soufflé mot dans son canard mais s’était pourtant mordu les doigts d’avoir orienté le 13 mai en faveur du gaullisme par ses éditoriaux et par ses avances de trésorerie. Ne lui jetons pas la pierre : Soustelle n’était-il pas garant des intentions du châtelain de Colombey et qui pouvait imaginer que de Gaulle masquait le fond de sa pensée à son plus proche et plus fidèle compagnon ? C’était pourtant le cas et ce le fut encore pendant que Soustelle siégea au Gouvernement. Jusqu’au 16 septembre, les ministres ne furent consultés qu’une seule fois, en août 59, sur les solutions à apporter aux problèmes d’Algérie. Encore, de Gaulle ne fit-il que les écouter sans leur livrer aucun de ses projets. Il fallut qu’Eisenhower vienne à Paris et que la presse U.S. se fasse, dans les premiers jours de septembre, l’écho de ce voyage, pour que Soustelle et ses collègues entendent parler d’autodétermination. Un vrai travail en équipe, n’est-ce pas !

Quant aux millions des Cargos Algériens, je suis mal placé pour en faire le procès, ayant, quelques jours après, commis une gaffe du même ordre. 

La déroute des pontes de la rébellion – le C.C.E. en l’occurrence – et la déconfiture de la boutique Yacef[5] avaient, en 1957, permis la saisie de fonds relativement importants de l’ordre d’une dizaine de millions, en anciens francs bien entendu, dont une bonne partie en pièces d’or ou en lingots, le F.L.N. , pour parer au danger d’un échange de billets, ayant choisi de thésauriser en métal. Cet argent aurait, normalement, dû être versé au Trésor mais pratiquement, à la suite d’une tolérance admise par le Commandement comme par l’Administration, il ne l’était pas. A tous les échelons, et surtout aux échelons subalternes (ces prises de guerre avaient en effet quelque peine à remonter la voix hiérarchique), il constituait des caisses noires destinées au financement de la recherche du renseignement ou des entreprises d’infiltration dans les rangs de l’adversaire, en l’absence, il est bon de le souligner, de tout crédit officiel. Il fallait se débrouiller, on se débrouillait donc et, en la matière, on y arrivait pas mal au Secteur d’Alger. Démolir Yacef ou Amirouche avec le fric que Yacef envoyait à Tunis pour son complice Krim Belkacem, ou celui qu’Amirouche destinait à Yacef, constituait, à mon sens, une formule qui ménageait parfaitement les deniers de l’Etat et qui était susceptible d’apporter quelques satisfactions aux exécutants que nous étions. Il ne faut pourtant pas se méprendre. Ces fonds, dits F.L.N., faisaient l’objet d’une comptabilité, officieuse sans doute mais, en tout cas, suffisamment précise pour en justifier l’emploi. 

Pierre de Bénouville                                                                    

Roger Frey

Ceci, dit, je reviens à la décade qui a suivi le 13 mai, époque où la fatalité m’a arraché au Secteur d’Alger pour me parachuter à la Direction de la Sûreté. Claude Dumont, un poulain de Soustelle, dont les événements avaient fait mon directeur adjoint et que je ne connaissais ni d’Eve  ni d’Adam, m’a demandé de distraire quelque argent des fonds spéciaux de la Direction pour dépanner l’antenne gaulliste d’Alger qui, m’a-t-il affirmé, se trouvait totalement démunie. Je me suis alors enquis de ces fonds spéciaux dont j’ignorais tout. J’ai appris ainsi que le Directeur que j’étais devenu disposait, par année budgétaire, d’une quinzaine de millions, honorée par tranche trimestrielle et par la Direction des Finances du G.G. sans avoir à en justifier l’emploi mais avec le devoir de ne les utiliser que pour le bien du service. L’argent, ou plutôt le solde des deux premiers trimestres devait se trouver, m’a-t-on dit, dans le coffre fort de mon bureau directorial. Il y avait bien un coffre fort mais mon prédécesseur, Peccoud, de l’écurie Lacoste, en avait conservé la clef. Il s’était éclipsé discrètement du G.G. dans la nuit du 13, pour gagner Tizi Ouzou, où le préfet Vignon entendait rester fidèle à la 4ème République. Peccoud ne m’était pas inconnu. Nous nous étions croisés avant la guerre, à Thonon les Bains. Je tenais alors garnison dans la montagne voisine avec une section d’éclaireurs skieurs. Peccoud administrait l’Ecole Hôtelière où il m’arrivait parfois de prendre un repas avec mon Etat Major, c’està-dire en compagnie du médecin auxiliaire de mon détachement. Il paraît même qu’à cette époque Lacoste était le percepteur de l’arrondissement et qu’un magistrat s’y nommait Pflimlin… Je savais aussi que, pendant les années d’occupation, l’ardent S.F.I.O. qu’a toujours été Peccoud s’était très bien conduit. Je l’ai finalement retrouvé en 57, à Alger, où il était Préfet de Police. L’intendance hôtelière, la S.F.I.O., comme le béret para, mènent parfois au pire ! Nous avons alors entretenu quelques relations de service à l’occasion desquelles le chef de la Police d’Algérie n’a jamais cherché à me mettre des bâtons dans les roues, bien au contraire même. Donc, l’histoire du coffre mise à part, je n’avais aucun motif de ressentiment vis-à-vis de Peccoud, mais il m’était difficile de l’atteindre dans le réduit Kabyle. Il me fallait donc faire forcer le coffre. Un spécialiste de Fichet y parvint, non sans peine. Le coffre, hélas, était vide ! Alors, comme Dumont piaffait, j’ai eu recours aux fonds F.L.N. du Secteur que je venais de passer au colonel Crozafon, un de mes anciens de Saint-Cyr égaré dans la gendarmerie, mais gendarme de choc. Claude Dumont a donc palpé deux millions d’anciens francs, bien entendu contre reçu. Je me souviens que ce reçu a été émargé par deux « Dumont », Claude étant assisté par un de ses homonymes, prénommé René. Je ne connaissais pas ce dernier avant que Claude ne me l’amène, un matin, flanqué de deux évadés de l’ingrate Métropole, dont le yacht venait de s’amarrer dans le port d’Alger. Il s’agissait de Frey et de l’ineffable Général de Bénouville. Sans doute ai-je eu, alors, le tort de me croire en bonne compagnie ! Revenons au reçu ; il se trouvait établi en deux exemplaires ; j’en ai donc conservé un. La police s’en est emparée, en avril 61 au cours d’investigations à mon domicile parfaitement motivée par ma participation à ce qu’on a appelé le « putsch », notre langue étant vraisemblablement trop pure pour qualifier cette affreuse équipée. Je doute fort que ce document ait été mentionné dans le procès-verbal de saisie, comme d’autres relatifs à Audin, cette vilaine affaire qu’on a cherché à me faire endosser et dont, en réalité, je n’ai eu connaissance, disons en usant d’euphémisme, qu’après coup. Que ceux qui peuvent se sentir concernés ne s’inquiètent pas. Je n’en dirai pas plus pour ne pas remuer la…vase. Dormez donc en paix, messieurs.

                       Pierre de Bénouville                                                                     Roger Frey

J’en suis resté au coffre vide. Les devoirs de ma charge me faisaient comptable des crédits consentis à mes services, les uns par le budget de l’Etat, les autres par celui de l’Algérie, tous impérativement affectés à de multiples chapitres et articles. N’étant pas diplômé de l’Ecole Supérieure d’Administration, et n’ayant jamais été attiré par la gestion des masses ou la vérification des cahiers d’ordinaire, j’avoue que ma compétence, en la matière, était fort légère. Ce n’était pas une raison pour passer l’éponge, d’autant plus que Peccoud avait regagné l’hexagone sans faire le moindre geste en faveur de mon coffre. Finalement, cette peccadille n’a été réglée ni à mon échelon, ni à mon bénéfice. 

Elle l’a été au sommet par M. Brouillet, du cabinet de la Présidence du Conseil, modèle juin 58.   Ce  diplomate distingué, futur ambassadeur au Vatican, m’a avisé que les fonds en litige lui avaient été remis par leur détenteur. J’ajoute que l’Algérie n’en a jamais revu un centime. Je n’ai jamais eu le moindre doute sur la rectitude de Brouillet et comme j’espère que la Présidence n’a quand même pas besoin de caisse noire, je pense que le magot de Peccoud est allé grossir celui de la S.F.I.O.. Un tout petit geste du pouvoir, somme toute.

A force de parler de millions, l’histoire de certains autres me revient à l’esprit. Elle se situe fin février 57, alors que la première manche de la bataille d’Alger est gagnée. Une fois la nuit tombée, un abbé, un tantinet nerveux, encombré de lourdes valises, se présente, à Hydra, au P.C. de Massu et demande à parler en personne à notre général dans le plus grand secret, celui de la confession. Il demeure longtemps dans le bureau du Patron puis s’en va plus souriant et surtout plus léger, c’est-à-dire sans valise. Qu’a bien pu apporter ce furtif curé ? Des tracts, des détonateurs, des bombes ? On peut s’attendre à tout puisque, ces jours derniers, les traces des pétroleuses du F.L.N. et du P.C.A. ont mené les légionnaires de Brothier aux portes de tous les couvents de la banlieue d’Alger. Sur ce, Massu me fait appeler. Je le trouve littéralement noyé dans les liasses de billets. Il y en a partout, sur son bureau, sur les sièges, par terre même ! Massu rigole de son gros rire et moi du mien. « C’est le trésor du F.L.N. que l’abbé avait en dépôt. Je n’ai jamais vu tant de fric ».

-« Moi non plus, mon Général ». Ensuite, tous les deux nous avons fait le compte et entassé les liasses dans l’armoire destinée aux dossiers des officiers de la Division. En gros, une cinquantaine de millions de francs du moment !

Cette manne tombée du ciel, via l’archevêché, a permis à Madame Massu de mener à bien la conquête de ses sœurs musulmanes et de dépanner nombre de leurs rejetons. C’est, sans nul doute, dans une large mesure grâce à cette entreprise menée tambour battant avec beaucoup de punch, qu’en mai 58, tant de fatmas, qui, toutes, n’étaient pas des grues, ont marqué leur volonté d’avoir enfin elles aussi leur mot à dire. 

Bravo, Madame Massu ! Mais pourquoi après tant de succès et tant de réussite, comme l’OPS « machine à coudre » qui a associé les bonnes volontés métropolitaines à vos généreuses initiatives, pourquoi avoir changé de cap, après janvier 60 ? C’est là mon grand regret et aussi mon reproche. Votre tâche d’ailleurs est loin d’être finie. Il y a en France ; maintenant des milliers de fatmas que vous avez mouillées qui, avec leurs gosses ne sont que des épaves. Alors, ne les oubliez pas. Edmond Michelet, et même Germaine Tillon sont prêts à vous aider maintenant qu’il ne vous faut plus compter sur nos prises de guerre.  

Mais revenons à ce jeudi soir de janvier 60 quand Marçais raconte, à ses amis et aussi au colonel Gardes, le dernier dialogue de l’Elysée. Il y ajoute le souvenir d’un entretien qu’il a eu, en juin dernier, avec le chef de l’Etat. A lui aussi, doyen de la Faculté des lettres incité par le pouvoir à se présenter aux législatives et devenu, ainsi, un des élus qui devaient faire le reste, de Gaulle a dit : « Non, Marçais, vous qui parlez si bien leur langue, reconnaissez comme moi que vos Musulmans d’Algérie ne seront jamais des Français. » Que reste-t-il alors de « la part entière » ?

Bidault, Massu, Marçais et le film des confidences de la Présidence, c’est mauvais, très mauvais. Fort heureusement, si, entre la Madrague et Maison Carrée, on s’enflamme vite en parlant fort, on ne le fait jamais très tard dans la nuit. Alger n’est pas Oran. On y turbine dur, tôt le matin et, la nuit, on y dort. Le couvre-feu n’y a jamais gêné personne. Il n’a fait qu’épargner les frais généraux des patrons de bistrots en leur évitant de veiller dans des salles vides. L’heure du repas familial, aussi, comme en certaines maisons, celle de la sieste ne souffrent pas d’écart. A Alger, on ne dîne pas à dix heures du soir, comme à Paris. Il faut tenir compte de ces coutumes quand on a pour mission de veiller à l’ordre public.

Quand, en juin 57, Bab El Oued s’est enflammé après avoir enterré les morts de la Corniche, l’heure du casse-croûte n’a-t-elle pas apporté l’apaisement ?

Ce soir, comme tous les soirs, Alger dort. Rien à craindre dans l’immédiat, ni pour demain matin, bien que certains veillent puisque le Comité des Mouvements Nationaux tient séance et, devant les menaces, de la mésentente on arrive à l’entente. On y parle d’état d’alerte devant l’éventualité d’un « Dien Bien Phu politique ». Attention à demain si la grande conférence, ce dont je doute, n’apporte rien de vraiment substantiel.

Le colonel Godard, directeur de la sûreté en Algérie, à Mostaganem, le 6 juin 1958, quelque temps avant le discours du général de Gaulle qui se terminera par : « Vive L’Algérie Française »


Voir copie in fine

D’après Claude Mouton, « La contre-révolution en Algérie » (Diffusion de la Pensée Française, 1972), c’est le docteur Lefebvre qui a été à l’origine de la motion n° 20 du C.S.P.A.S.

Né en 1906, Roger Moris est directeur de cabinet de Maurice Couve de Murville (commissaire aux finances à Alger) en 1943, puis successivement préfet de la Corse, des Basses Pyrénées, de la Loire, de la Loire inférieure, IGAME pour les départements de la 1ère puis de la 7ème Région Militaire, avant d’être secrétaire général aux affaires algériennes de décembre 1959 à décembre 1960. 

Celui d’avant (note de Yves Godard)

Yacef Saadi

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