BULLETIN 41 – 2EME SEMESTRE 2015

BULLETIN 41 – 2EME SEMESTRE 2015

SOMMAIRE :

  • Le mot du Président
  • Hommages : René Mayer et à Marcel Ronda
  • Sur les pas de Raoul Salan au Laos
  • Salan à l’époque de Na San
  • Dossier de défense du général Salan
  • La Table Ronde : une Maison d’édition en quête de vérité

Hommages

René Mayer

Nous déplorons le décès de René Mayer, membre de notre association, survenu le 20 octobre 2015. Ses obsèques ont été célébrées à l’église Saint Clodoald de Saint-Cloud.

René Lucien Robert Mayer est né le 7 février 1925 à Tunis. Son père y était agent de la compagnie des chemins de fer tunisiens. Il fait ses études au lycée Carnot de Tunis au Lycée Bugeaud d’Alger et au Lycée Louis-le-Grand de Paris. En 1944-45, il est à la 1ère Armée française de de Lattre. Il entre à Polytechnique en 1947. Il est de la promotion de Claude Perdriel, le directeur du Nouvel Observateur qui a fait fortune dans les sani-broyeurs, et de Jean Bastien-Thiry, fusillé le 11 mars 1963. Bien classé à la sortie, il choisit le corps  des Ponts et,  en sortie d’école d’application,  de –

mande à être nommé à Constantine, à l’étonnement de ses camarades qui se demandent ce qu’il va faire dans ce pays perdu. Jeune ingénieur, une de ses premières tâches est la consolidation du viaduc de Sidi Rached au-dessus des Gorges du Rhummel qui présentait un risque important d’effondrement. René Mayer trouve une solution technique originale, élégante et économique, à la surprise des professionnels du secteur.

A Constantine, où il reste de 1952 à 1957, il est chargé des routes, des aéroports, de l’hydraulique urbaine et agricole. De 1957 à 1962, il est au Gouvernement Général puis à la Délégation Générale à Alger, d’abord chef du service de l’habitat, puis secrétaire général de l’aménagement du territoire dont le rôle est crucial dans le cadre du Plan de Constantine.

Le 24 septembre 1961, il est à bord du baliseur des Ponts et Chaussées, lors de la noyade accidentelle de Salah Bouakouir dans la rade du Club des Pins (voir le bulletin n°39, page 13). Après l’indépendance de l’Algérie, il occupe de nombreuses fonctions de haute responsabilité, parmi lesquelles : directeur général de l’Institut Géographique National (IGN), directeur du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), président de la compagnie Boussac-Saint-Frères.

Après sa retraite, il se consacre à son histoire familiale, retracée en 1999 dans « Algérie, Mémoire déracinée« .

Il réalise par la suite un travail de bénédictin destiné à faire connaître la richesse en hommes originaires de l’Afrique du nord française, exilés en métropole après l’abandon de celle-ci par la France, travail rassemblé dans l’ouvrage intitulé : « Français d’Afrique du Nord – ce qu’ils sont devenus. Dictionnaire biographique« , avec une préface de Claude Cohen-Tannoudji, Prix Nobel de physique. (voir le bulletin n°26, page 7).

Marcel Ronda

Notre ami, Marcel Ronda, nous a quittés le 15 septembre 2015. Fidèle adhérent de l’association, il ne manquait pas, chaque fois qu’il le pouvait, de venir à la cérémonie d’hommage au général Salan se tenant chaque année à Toulon, au carrefour honorant le libérateur de Toulon.

La courte biographie figurant ci-après avait été rédigée avec lui avant d’être mise en ligne sur le site Internet de notre association www.salan.asso.fr.

Marcel Ronda est né en mars 1922 à Alger dans une famille d’origine espagnole favorable au général Franco dans les années 1930 et au maréchal Pétain dans les années 1940. Son père avait créé, en association avec son propre frère, un patrimoine familial important qu’il mettait en valeur (une manufacture de chaussures: espadrilles et tennis, deux immeubles d’habitation dont le 6 boulevard Maréchal Foch sur le Forum à Alger, une briqueterie ainsi que deux villas: Pointe Pescade et La Madrague). Destiné à lui succéder, Marcel Ronda fait ses études au lycée Bugeaud quand éclate la deuxième guerre mondiale. En l’absence de service militaire en 1941, il fait son temps de six mois aux chantiers de jeunesse  puis est mobilisé lors du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord du 8 novembre 1942. Il fait ses classes au 9ème R.T.A., se marie (il aura trois enfants), puis entre à l’école militaire de Cherchell dont il sort aspirant (promotion Libération). Il est affecté au 1er R.T.A. qui part en Italie puis à Marseille. Il participe dans les rangs de la 1ère Armée à la campagne de France dans les Vosges et en Alsace durant l’hiver 1944-1945. Après avoir combattu en Allemagne au cours du printemps 1945, il termine la guerre en Autriche en mai 1945, titulaire de la croix de guerre.

De retour à Alger le 15 septembre 1945, il se consacre à sa famille et à l’entreprise familiale. Il est lieutenant de réserve, puis capitaine en décembre 1955. En juillet 1956, il commande une compagnie d’Unités Territoriales utilisée à la garde de points sensibles et à des patrouilles dans Alger en proie au terrorisme du FLN. Ces unités sont renforcées au moment de l’arrivée du général Salan en tant que commandant en chef en Algérie, à la fin de 1956. Tout en menant de front ses activités professionnelles et ses activités civiques dans les Unités Territoriales, Marcel Ronda se rapproche du mouvement poujadiste et de son responsable à Alger, Joseph Ortiz.

Le 13 mai 1958, il participe avec ses troupes à la prise du Gouvernement Général à Alger et y assure l’ordre au profit du Comité de Salut Public qui s’est mis en place sous la présidence du général Massu. Il assiste avec son unité au discours de De Gaulle du 4 juin 1958 mais est très rapidement sceptique sur sa politique algérienne. Dès fin 1958, il participe à la montée en régime du Front National Français dirigé par Joseph Ortiz en y apportant le poids de la Fédération des Amicales des Unités Territoriales dont il est devenu le secrétaire général aux côtés du commandant Sapin-Lignières, président.

Il est l’un des principaux artisans avec Joseph Ortiz et Pierre Lagaillarde de la « Semaine des Barricades » déclenchée le 24 janvier 1960 par le rappel à Paris du général Massu. Ses unités de choc ripostent au tir des gendarmes mobiles du colonel Debrosse venus briser la manifestation algéroise. Après la dissolution des Unités Territoriales et un passage d’un mois au commando Alcazar qui se bat avec le 1er et le 2ème REP dans la région de Collo, il est inculpé et incarcéré à la prison de la Santé. Le procès des « Barricades » s’ouvre le 3 novembre 1960 devant le Tribunal Permanent des Forces Armées. Mis en liberté provisoire durant le procès, il part pour l’Espagne, en compagnie de Pierre Lagaillarde, de Jean-Maurice Demarquet  et de Jean-Jacques Susini au tout début de décembre 1960 sans attendre le verdict du 3 mars 1961 qui le condamne à 3 ans de prison et le prive de son grade (premier « exofficier » dans l’ordre chronologique).

A Madrid, tous retrouvent le général Salan exilé volontairement en Espagne depuis octobre

1960 et Marcel Ronda s’intègre dans son entourage. Le 30 décembre 1960, avec le général Salan, Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, il signe une déclaration, principalement destinée aux Français d’Algérie, qui est l’acte de naissance de la résistance ultime de l’Algérie Française.

Au moment du coup d’Alger du 22 avril 1961, tandis que le général Salan, le capitaine Ferrandi et Jean-Jacques Susini réussissent à rejoindre Alger à bord d’un avion léger, Marcel Ronda est, contre son gré, dans l’incapacité de se rendre à Alger. Jusqu’en novembre 1961, en liaison avec le général Salan qui a pris la tête de l’OAS en Algérie, il tente de rallier la branche madrilène de l’OAS qui a des vues différentes de celle d’Algérie sur la stratégie à mettre en œuvre.

Il rejoint finalement Alger le 30 novembre 1961 sur un petit voilier depuis Palma et vit dans la clandestinité dans l’entourage proche du général Salan. Il échappe à l’arrestation quand celuici est pris le 20 avril 1962. Il reste à son poste dans le grand Alger et ne quittera l’Algérie pour l’Espagne qu’après l’indépendance, le 8 juillet 1962. Il y retrouve Jean Ferré qui, après avoir été incarcéré au camp de Saint Maurice l’Ardoise pour ses convictions en faveur de l’Algérie Française, a créé une société d’import-export et qui l’embauche sous un faux nom. Par la suite, toujours en Espagne, il devient secrétaire général d’une société de Travaux Publics appartenant à un holding. En juin 1969, amnistié de plein droit, il revient en France et participe à la phase finale de la construction et de l’installation de la clinique Saint Georges créée à Nice par un groupe de médecins « pieds noirs ». Il en sera l’économe jusqu’à sa retraite, en 1985.

Par la suite, Marcel Ronda a continué de témoigner de ce que fut son engagement en faveur de la France et de l’Algérie Française au cours de colloques ou lors d’entretiens avec des historiens (voir en particulier l’ouvrage de Vincent Quivy, « Les Soldats Perdus », publié en mars 2003 aux éditions du Seuil). Membre de l’ADIMAD, il était administrateur du Cercle Algérianiste de Nice et président d’honneur des associations « Mémorial de Notre Dame d’Afrique » et « Souvenir du 26 mars 1962 ».

Roger Sudry, membre de l’association des Amis de Raoul Salan, qui habite Nice, a rendu hommage à  Marcel Ronda. Il nous a autorisé à en publier le texte. Nous l’en remercions vivement, ainsi que de la transmission de la photographie figurant à la page précédente.

Un ardent défenseur de l’Algérie française vient de nous quitter

En ce vendredi 18 septembre 2015 viennent d’être célébrées les obsèques religieuses de notre grand ami, Marcel Ronda, au monastère de Cimiez à Nice, en présence de ses proches, des représentants du monde associatif (ADIMAD, Notre Dame d’Afrique, Souvenir du 26 mars 1962…) et de ses nombreux amis, dont les membres du conseil d’administration du Cercle Algérianiste de Nice et de ses adhérents groupés autour de leur présidente, Michèle Soler. Comme notre ami et président d’honneur du Cercle Algérianiste le rappelait lors de sa conférence du 5 septembre 1997, après qu’il eût traversé le début des événements d’Algérie se partageant entre sa vie de famille, son activité professionnelle, son commandement au sein des U.T. du centre d’Alger, devant la gravité de la situation, il décidait de participer plus activement au combat pour le maintien de l’Algérie française.

Après les événements de mai-juin 1958 et sa participation au Comité de Salut Public de la ville d’Alger puis son adhésion au comité directeur du Front National Français créé par son ami, Joseph Ortiz, ce sera la Semaine des Barricades aux côtés de ce dernier, du docteur Jean-Claude Perez, de Pierre Lagaillarde, puis le passage dans les rangs du commando Alcazar, son incarcération à la prison de la Santé, son départ pour l’Espagne en compagnie des protagonistes des Barricades.

Le 30 décembre 1961, en liaison avec le général Salan, Jean-Jacques Susini, Pierre Lagaillarde, il renouvelait avec eux, par écrit, le serment du 13 mai 1958 et s’engageait à lutter pour le maintien de l’Algérie française en menant la bataille sous toutes ses formes. On pouvait en cette circonstance y voir la préfiguration de l’Organisation Armée Secrète. Revenu à Alger après le putsch, il ne quittera plus le général Salan jusqu’à son arrestation le 20 avril 1962 et sera chargé de mission par ce dernier auprès de la population d’Alger au sein de la structure clandestine de l’Organisation des Masses.

Cette fonction lui épargnera d’être arrêté avec le général Salan et le maintiendra à Alger jusqu’à l’indépendance où il vivra douloureusement les derniers jours de l’Algérie française : les funestes conséquences des iniques accords d’Evian, le blocus de Bab El Oued, la fusillade de la rue d’Isly, la répression et la capture de nombreux patriotes et du lieutenant Roger

Degueldre, les négociations avortées Susini-Farès-Mostefaï…

Il quittera sa terre natale le 8 juillet 1962 pour Alicante avec, soulignait-il, le même goût de cendre qu’à sa sortie des Barricades le 1er juin 1960.

Honneur à toi, cher Marcel

En décembre 1960, dans la perspective d’une action en Algérie, plusieurs des inculpés à la suite de l’affaire des Barricades (Pierre Lagaillarde, Jean-Jacques Susini, Jean-Maurice Demarquet, Marcel Ronda et Fernand Féral), mis en liberté provisoire, choisissent de quitter clandestinement Paris où se tient le procès, pour l’Espagne, sur la route de l’Algérie et dont les autorités sont supposées avoir une certaine sympathie pour la cause de l’Algérie française. Sans compter la présence du général Salan et de Jean Ferrandi.

De gauche à droite : Jean-Jacques Susini, Marcel Ronda, Jean-Maurice Demarquet (capture d’écran)

Peu après leur arrivée, Jean Maurice Demarquet, interviewé par la télévision française (interview non diffusée) explique les conditions de leur arrivée en Espagne :

«  Eh bien, nous sommes arrivés en Espagne très exactement dans la nuit d’avant-hier à hier, c’est-àdire dans la nuit de jeudi à vendredi (du 1er au 2 décembre 1960 – NdR). Je dis « nous » car nous étions trois – nous sommes trois ici : Jean-Jacques Susini qui est le président des étudiants d’Alger, Marcel Ronda – le capitaine Ronda – qui est le secrétaire général de la fédération des Unités Territoriales, et moi-même, Jean-Maurice Demarquet. Notre premier souci en arrivant en Espagne a été de nous mettre en relation immédiate avec les autorités espagnoles locales, dans un premier temps, et ceci dans le but de régulariser notre situation vis-à-vis d’elles. En effet, nous avons passé clandestinement la frontière franco-espagnole, du côté français clandestinement, mais nous voulions sans attendre nous mettre en règle du côté espagnol. Ceci s’est fait de la manière la plus simple qu’il soit, avec une rapidité qui nous a étonnés et fait plaisir. Nous avons été pris en charge par un poste de la garde civile qui nous a transmis à la comandancia dont il dépendait et, là, un coup de fil à Madrid a rendu compte de notre arrivée sur le territoire espagnol. Et la réponse de Madrid a été la suivante : Vous êtes des citoyens parfaitement libres sur la totalité du territoire espagnol, sous la seule réserve que vous ne vous livriez à aucune activité politique pendant la durée de votre séjour. Cette condition unique a été acceptée, et d’autant plus facilement de notre part que nous sommes en Espagne uniquement pour y résider à titre privé et naturellement pas pour nous y livrer à une activité politique et je dirai même publique. »

Après la publication en 1974 du tome IV de ses mémoires, qui s’arrête le 9 juin 1960, lors de son passage en 2ème section, le général Salan commence à rassembler de la documentation pour le tome V. Il écrit à plusieurs acteurs de la résistance française en Algérie des années 1961 et 1962 pour leur demander des précisions sur tels ou tels épisodes dont il était peu informé. C’est ainsi que Marcel Ronda, à la demande du général Salan, dans une lettre de cinq pages de 1975, résume l’année 1961 en Espagne. Le tome V, non terminé, ne sera pas publié.

Nice, le 3 février 1975

Mon général,

            je réponds un peu tardivement à votre lettre du 16 janvier et vous prie de m’en excuser. Mon travail me laisse très peu de temps libre et j’ai tenu, avant de vous écrire, à me replonger au cœur de l’épisode madrilène. J’ai relu mes archives de l’époque (des copies de toutes les correspondances échangées), le recueil « OAS parle » de la collection « Archives » de chez Julliard sorti le 14/9/1964, qui groupe une très étonnante documentation authentique (lettres, directives, vos instructions n° 7, n°20, n°29, interrogatoire de Gingembre, lettre de Broizat à

Argoud du 8/9/61, etc. etc…)

J’ai repris également l’excellent bouquin d’Argoud[1], malheureusement terni d’un crapaud comme le serait un beau diamant : la reprise – page 305 – de son accusation que, cette fois, vous partagez avec De Gaulle[2]. L’alternative du choix qu’il laisse au lecteur est en retrait par rapport à sa déclaration du 26/10/61[3], mais le parallèle reste fort désobligeant pour vous et m’a outré.

J’ai toujours déploré que la vive intelligence d’Argoud ne soit assortie d’un peu plus de chaleur humaine qui aurait tempéré des jugements abrupts, aventurés même. La connaissance des hommes lui manquait. Il a beaucoup souffert depuis et je souhaite sincèrement que ses dons remarquables se soient enrichis de cette perception intuitive qui rapproche les âmes et corrige les constructions de la seule froide raison, toujours à la merci de quelque fausse prémisse. Je crois que son livre, dont j’épouse les thèses et dont la conclusion est magistrale, a un impact très considérable sur l’opinion à un moment où le mythe gaulliste est en voie de désagrégation. Comme je serais heureux qu’Argoud se rapproche de vous en rétractant publiquement son accusation injuste, comme il se grandirait en réparant l’atteinte portée à l’honneur de votre entreprise. Somme toute, il suffirait qu’il persévère dans le sens de la lettre qu’il vous écrivait le 6 mars 1962 après son évasion des Canaries et qu’il publie dans la rubrique « Documents » à la fin de son livre.

Je me suis abstenu de le rencontrer à Nice, il y a quelques semaines, où il était venu signer son ouvrage et présider un dîner-débat, car une rencontre entre nous ne pouvait s’envisager sans un règlement de ce contentieux dans des conditions de temps et de cadre appropriées. Je suis tout disposé à le tenter, si vous le souhaitez, à la prochaine occasion.

Ceci dit, je conçois que vous vous défendiez dans votre tome V et suis à vos côtés sans réserve et sans appréhender de gêne d’aucune sorte.

Pour répondre à ce que vous me demandez, je pense que le mieux est que je vous fasse parvenir copie d’une partie de la correspondance échangée entre Alger et Madrid de juillet à septembre 1961 ainsi que certains de mes rapports à vous-même. Vous aurez ainsi un reflet direct pris sur le vif. Cela vous parviendra par porteur dans quelques jours.

J’ai donc revécu par la pensée cette année 1961 – quinze ans déjà – passée à Madrid, et voici en quelques lignes la synthèse que j’en fais et les quelques réflexions qui me viennent à l’esprit et que je vous livre.

Nos volontés mariées aux circonstances ont donc fait que nous sommes rassemblés à Madrid courant décembre 1960. Cette conjonction se trouve matérialisée par l’appel que nous signons tous quatre4 le 30 décembre 1960.

Janvier est la phase de gestation. Les émissaires, des réunions, des discussions se succèdent. Ortiz est à Madrid pour l’anniversaire du 24 janvier. Son manque de réalisme et ses prétentions m’excèdent. Je romps avec lui. Il repart à Palma sans vouloir participer aux efforts d’unification qui donneront naissance à l’OAS quelque temps après, courant février je crois. Mais déjà se trouvent en germe les divergences et dissidences futures. Pierre Lagaillarde, toujours friand de positions personnelles et prépondérantes s’intègre difficilement; les colonels, en métropole, s’attachent à la recherche laborieuse et décevante d’un patron militaire (dernière entrevue et rupture Argoud-Broizat avec Massu le 9 mars 1961), alors que ce patron est tout désigné à Madrid. Challe, contacté, finit par se décider le 30 mars. Déjà l’entretien est marqué du sceau de l’improvisation.

Puis, lors du déclenchement, des impondérables, et peut-être des exigences de Challe, font que le général Salan arrive tardivement à Alger et que P. Lagaillarde n’est pas du voyage. Et en conçoit une amertume et une rancœur que 40 jours de clandestinité mal supportée (notamment dans un couvent) ancrent profondément dans son cœur.

Le 21 mai, au cours de l’unique sortie de cette quarantaine, chez Serrano Suner en montagne, nous nous rencontrons et confrontons nos points de vue. Aidé de nos amis, j’essaie de le raisonner. Rien n’y fait. La rupture m’apparaît irréversible.

Nous sortons de nos cachettes le 4 juin, avec de sévères recommandations de discrétion. Je suis seul et dans l’expectative. Il m’est facile de vivre discrètement. Pierre, qui ne peut évoluer sans un contexte, est vite entouré : X (illisible), Sultana, Andros, Vignau, Castille, etc. Les familles aussi sont là. C’est déjà une colonie…et un pôle d’attraction. Lefèvre apparaît avec des projets de directoire suprême, qui ne peuvent que séduire Pierre. Puis c’est Argoud qui arrive à Madrid le 11 juillet et noue des contacts avec Pierre et son groupe dans lequel le père Grasset évolue en directeur de conscience, mais aussi en Père Joseph.

Il a vu en Pierre un envoyé de la Providence. Il l’accapare et le détourne de toutes perspectives autres que celles issues de ses méditations mystiques.

J’avais senti le danger de cette attitude excessive dès ma reprise de contact avec le Père vers le 10 juin et nous étions vite entrés en désaccord. Je cessais de le voir fin juin. J’estime qu’il a une part importante de responsabilité dans la genèse de la dissidence madrilène.

Fin juillet, les contacts s’établissent entre Alger et Madrid. Ils s’étaleront jusqu’à fin septembre sans qu’il n’y ait jamais de réelle chance de succès d’un accord. Entre temps, le groupe s’étoffe par l’arrivée de Lacheroy (fin août) qui s’intègre aussitôt et par l’introduction progressive de Lefèvre qui, commencée début août, est complète vers le 10 septembre. Les tâches sont distribuées: Argoud et Lagaillarde commandent, l’un dans le domaine militaire, l’autre dans le domaine civil. Lacheroy est chargé de l’action psychologique (disons 5e bureau), Lefèvre définit la doctrine et rédige l’Appel aux Français. Les autres jouent les utilités au fil des nécessités.

Des bureaux sont installés dans un immeuble qui longe le stade Bernabeu. Sur le trottoir, une cafeteria « Le Parsifal » fait office d' »Otomatic« . Les allées et venues s’effectuent sans précautions sérieuses. C’est presque le « G.P.R.A. » à Genève.  Des émissaires font la navette Métropole-Madrid et c’est l’affaire Gingembre, arrêté le 7 septembre dans l’avion Paris-Alger. Il avait effectué un séjour à Madrid du 18 au 21 août durant lequel il avait remis ou promis des subsides au groupe, l’affermissant ainsi dans ses illusions de puissance. Il ressort de son interrogatoire qu’il s’était ensuite rendu à Alger du 26 au 31 août puis était rentré à Paris, du 1er au 7 septembre, où du courrier pour Alger lui avait été apporté de Madrid.

Cette affaire, aux très graves répercussions, tend mes rapports à l’extrême entre Alger et Madrid et les ponts finissent par être coupés fin septembre. Le groupe madrilène s’enferme dans la conception commode, mais illusoire, d’une action sur l’Algérie et la Métropole commandée et dirigée depuis Madrid, accompagnée d’un regain d’audience internationale et d’une complaisance accrue des pays donnant asile. Conception valable pour le G.P.R.A. agissant dans « le sens de l’histoire ». Mais dangereuse vue de l’esprit, sans aucun réalisme, pour des gens qui essayaient d’aller contre ce fameux vent. Pour notre cause, l’audience internationale ne pouvait s’acquérir que par des succès sur le terrain modifiant les conditions initiales du problème. En un mot par des positions de force acquises localement par des étatsmajors œuvrant sur place.

Que serait devenu Israël si ses dirigeants s’étaient contentés de mener la lutte depuis NewYork ? Et plus simplement encore, quelle troupe lutte et obéit à des chefs qui ne s’exposent pas ?

Quant aux conditions des arrestations et de l’éloignement aux Canaries, j’affirme qu’à ma connaissance Alger n’a exercé aucune pression sur le gouvernement espagnol.

Par contre, je sais que les autorités espagnoles étaient lasses des activités trop voyantes, et gênantes pour elles, du groupe madrilène. Un geste d’Ortiz déposant, devant les photographes de presse, une gerbe sur la tombe de José Antonio au Valle de los Caidos les avait fortement indisposées. Souvenez-vous des pressantes recommandations de discrétion qui nous avaient été faites et combien nos anges gardiens veillaient à ce que nous les respections.

Et puis le vieux fond de fierté et de noblesse qui habite le cœur de tout espagnol drainait la sympathie sur ceux qui, au danger, combattaient sur le terrain. Les sphères initiées admettaient mal les imprudences et la dissidence du groupe, que l’affaire Gingembre faisait apparaître au grand jour.

Toutes ces raisons suffisent à expliquer le geste d’humeur du gouvernement espagnol. Ces considérations sont exprimées dans ma lettre du 28/10/61 à Salan dont je vous ai remis copie en 1968, écrite avant mon départ pour l’Algérie.

Voilà donc la réalité des événements et des hommes durant cette année 1961, telle qu’elle m’est apparue et telle que je la vois encore. Que faut-il en dévoiler devant l’opinion, devant l’Histoire ? Les hommes et leurs constructions présentent d’inévitables faiblesses. Chaque fois que c’est possible, je crois qu’il faut laisser à l’adversaire le soin de les souligner. Il ne s’en prive pas. Mais il est des contre-vérités, des accusations injustes, des erreurs, qui, par leur caractère de gravité, doivent être redressées quoiqu’il en coûte dans l’immédiat. Le principe supérieur de la cause que l’on sert y gagnera à long terme et notre conception chrétienne de la morale nous y oblige.

Plein du souvenir de ces heures espagnoles, permettez, mon général, que je vous donne un fuerte abrazo. Marcel

Peu après l’échec du « putsch », Antoine Argoud pense que la place du général Salan est en Espagne. Il expose son point de vue dans une lettre qu’il lui écrit le 18 mai 1961 (cf. infra). Raoul Salan pense au contraire qu’il doit rester en Algérie pour mener sur place le combat et demande à Argoud de rejoindre l’Algérie. Cette divergence de points de vue s’envenime au point que, après l’assignation en résidence au Canaries du colonel Argoud par le gouvernement espagnol (8 octobre – arrestation à Madrid ; 26 octobre – transfert aux Canaries), ce dernier accuse le général Salan d’en avoir été à l’origine.

Faut-il en parler ? Réponse : Oui. Il s’agit de faits historiques et l’histoire a toujours à gagner de la vérité.

A la fin de février 1962, le colonel Argoud a réussi à quitter les Canaries où il était en résidence surveillée depuis la fin d’octobre 1961.  Auparavant, à la fin de janvier 1962, trois des exilés aux Canaries, Pierre Lagaillarde, Joseph Ortiz et Antoine Argoud avaient publié un communiqué dans lequel ils faisaient état de leurs divergences avec le général Salan mais ils annonçaient qu’ils se remettaient sous ses ordres.

Une fois libre, le colonel Argoud écrit la lettre ci-dessus au général Salan.

Marcel Ronda, quant à lui, discret, n’a pas été arrêté par la police espagnole en octobre 1961.

Il parvient à rejoindre l’Algérie en novembre 1961, à bord d’un voilier depuis Palma de Majorque. Dans une directive datée de fin 1961 ou début 1962, le général Salan, chef de l’OAS, s’adresse aux anciens des Unités Territoriales, dissoutes après l’affaire des Barricades. Ayant décrété la mobilisation en octobre 1961, il leur confirme qu’ils sont de nouveau sous les drapeaux et cite le cas de Marcel Ronda qui vient de rejoindre l’OAS à Alger.

Sur les pas de Raoul Salan au Laos

Hervé Pignel-Dupont

Vice-président des Amis de Raoul Salan

Présent au Laos chaque année depuis six ans, à travers différentes actions humanitaires (reconnaissance des droits d’anciens combattants des bataillons Thaï, construction d’écoles primaires, initiation à la langue française), je m’étais promis de retrouver les traces de la présence, entre les deux guerres, du lieutenant – puis capitaine – Raoul Salan dans ce pays.

Ceci s’est réalisé en décembre 2014, en me rendant dans la zone de ses affectations successives, Muang Sing et Houeisai. Près du fameux Triangle d’Or, cette zone est à l’extrême nord-ouest du Laos, jouxtant les frontières avec la Chine et la Birmanie.

La zone est peu visitée car nécessitant une approche de plusieurs jours en véhicule 4×4, et ceci malgré sa richesse en villages peuplés de plus de dix ethnies différentes (Hmong, Thaï Dam, Akha, Lolo, etc.)

Premier séjour laotien de Raoul Salan, à Muong Sing (aujourd’hui Muang Sing)

Le 12 décembre 1924, le lieutenant Salan quitte son poste de Nguyen Binh, dans la région de Cao Bang, au Tonkin. Quatre mois plus tard, le 15 avril 1925, il atteint Muong Sing. Il passe par Louang Prabang et découvre cette merveilleuse ville royale.

A Muong Sing, il a pour objectif de construire la route rejoignant Houei Sai (chef-lieu de la province, à 100 kilomètres au sud). Il y reste trois ans et y réalisera le tiers de la dite route (tronçon Houe Sai à Vien Pou Kha). Il y apprend le laotien.

Deuxième séjour laotien, à Houei Sai

Départ de Tourane (centre Vietnam) le 1er septembre 1928

Raoul Salan peut enfin faire le trajet de Ventiane à Houei Sai en à peine six jours, au lieu de soixante… Les pirogues sont, désormais, équipées de moteurs.

A Houei Sai, il remplace le commissaire du gouvernement Lapeyronie, chef de la province du Haut-Mékong, parti en congé.

Le 10 février 1930 se produit la mutinerie du 2e bataillon du 4ème régiment de tirailleurs tonkinois de la garnison de Yen Bay, au Tonkin. Elle échoue par manque de soutien des autres bataillons du régiment et de la population civile. Le lieutenant Salan (il sera capitaine le mois suivant), bien renseigné et non inquiet de l’état d’esprit de ses troupes, prend discrètement quelques  mesures complémentaires de sécurité.

Au retour de M. Lapeyronie, en mai 1931, il repart pour Muong Sing. 

Le Mékong vu du fortin de Houei Sai

Nouveau séjour laotien à Muong Sing

De mai 1931 à fin avril 1933.

Durant ce séjour, Raoul Salan rédige le fameux manuel en langue Lu et Youne avec traduction en langue laotienne.

Sao Tip devient son épouse selon le rite bouddhiste. Elle est la fille d’un notable de Muong Sing et la nièce d’un important religieux de la région. Cette union donne naissance à Victor, le 23 mars 1932.

Restes d’un bâtiment administratif de la Délégation de Muong Sing

 Séjour au Tonkin

Après un séjour en France, le capitaine Salan revient au Tonkin.

De septembre 1934 à avril 1937, au poste de Dinh Lap, à 150 kilomètres au nord-est d’Hanoï.

Puis c’est le retour en France avec Victor, alors âgé de cinq ans. Sur le bateau, il rencontre Lucienne Bouguin…qui deviendra sa femme en 1939.

Ce long séjour au Tonkin et surtout au Laos, pendant dix ans, va profondément marquer la vie du général Salan.

Les suites de ma visite

  • Le fortin de Houei Sai fait l’objet d’un programme de restauration par l’Etat laotien. L’association des Amis de Raoul Salan pourrait s’y associer en participant au financement. Je compte m’en occuper lors de mon prochain déplacement au Laos en prenant contact avec les autorités régionales. Une action concertée avec un cabinet français d’architecture de Vientiane (Les Ateliers de la Péninsule, François Greck) se poursuivra en novembre 2015.
  • Une recherche sur la famille de Sao Tip à Muong Sing a été lancée; plusieurs contacts ont eulieu avec le responsable de l’office de tourisme de Muong Sing. A ce jour, malheureusement, il n’y a eu aucun retour positif.

Extrait du « Rapport sur la situation au Haut Laos durant la période 1932-33 »

Extrait de L’Eveil économique de l’Indochine n°577 du 8 juillet 1928

Annuaire administratif de l’Indochine, 1931

Raoul Salan est commissaire du Gouvernement en l’absence de Pierre Lapeyronie

Salan à l’époque de Na San

Les archives du général Salan recèlent un ensemble de documents révélateurs de l’activité du commandant-en-chef durant la période  mi-octobre 1952 – mi-janvier 1953. Il a déplacé son PC à Hanoï pour être plus près des combats qui se déroulent à 200 kilomètres à l’ouest.

Son cabinet tient, sur une page, un relevé quotidien de son emploi du temps. Impressionnant. En voici des extraits relatifs aux journées des 30 novembre, 1er et 2 décembre 1952, en pleine bataille de Na San

  • J. Roy est Jules Roy, encore officier, mais qui va quitter l’armée en février 1953
  • Deo Van Long est président de la fédération Thaï et apporte son soutien à la France
  • Le général Koenig est alors député RPF et président de la Commission de Défense Nationale
  • Le général de Linares commande les troupes au Tonkin
  • Le général Allard est le chef de l’état-major du général Salan après avoir été celui de de Lattre
  • Larry Allen, de l’agence Associated Press
  • Le Direach, de l’agence France-Presse
  • Georges Ras, de La Voix du Nord, ultérieurement dans l’OAS comme adjoint de Jean-Jacques Susini à

  Action  Psychologique et Politique (APP)

  • Jean Letourneau, ministre des Etats Associés et Haut-Commissaire de France au Vietnam
  • Général Henry de Berchoux (1894-1985), adjoint au général de Linarès au Tonkin
  • Lanessan, Hôpital à Hanoï, d’une capacité de 1500 lits

Dossier de défense du général Salan

Maître Olivier Sers, qui a déjà fait un apport très précieux à notre association en lui donnant le manuscrit de la déclaration du général Salan à son procès, vient de le compléter en lui confiant deux cartons de documents issus du dossier de défense du général Salan. An nom de tous les adhérents, nous lui exprimons notre profonde gratitude.

On est frappé à l’examen de ces documents de l’intelligence et de la rapidité avec laquelle le quatuor d’avocats (Georges Goutermanoff, Bernard Le Coroller, Pierre Menuet, Jean-Louis Tixier-Vignancour) a construit la défense de Raoul Salan. Que ce soit sur les témoins à faire comparaître et les questions à leur poser, sur les événements et documents-clés à utiliser pour la défense, leur travail suscite l’admiration. Le résultat a été à la hauteur de leur labeur

Un premier document pour illustrer cette cession : il s’agit d’une lettre écrite en décembre 1957 par Michel Debré, sénateur, à Alain de Sérigny, directeur de L’Echo d’Alger, pour lui demander de faire paraître dans son quotidien un article sur le thème : Le combat pour l’Algérie française est le combat légal (!)

Article paru dans L’Echo d’Alger du 6 décembre 1957, auquel certains des  jurés du Haut Tribunal Militaire n’ont pas dû rester insensibles.

        Une Maison d’édition en quête de la vérité :   Les Editions de la Table Ronde

Les éditions de la Table Ronde ont été fondées par Roland Laudenbach après la seconde guerre mondiale. Elles ont publié, entre autres, des ouvrages d’Antoine Blondin, de Michel Déon, de Jacques Laurent et de Roger Nimier et, au moment et à la suite des événements d’Algérie, les écrits de nombre de ses acteurs.

Les quelques ouvrages dont les couvertures apparaissent cicontre, et d’autres, ont marqué la génération de ceux qui se sont battus pour l’Algérie française.

Y figurent deux des plus beaux textes écrits sur ce que furent la réalité de l’Algérie et la réalité du combat pour la France, autant spirituel que temporel, mené au sud de la Méditerranée : Cette Haine qui Ressemble à l’Amour et Au Lieutenant des Taglaïts.

La somme des ouvrages publiés sur cette période par les Editions de la Table Ronde constitue un ensemble irremplaçable pour qui souhaite saisir la complexité des situations et la diversité des motivations des acteurs du drame que fut la fin de l’Algérie française.  A noter que la répression s’abattit sur La Table Ronde : saisie d’ouvrages, procès et condamnations pécuniaires accompagnées  de destruction des ouvrages incriminés

Extrait du livre de Bertrand de Castelbajac  L’Officier Perdu

Il s’agit du passage où le narrateur et héros du « roman », se trouvant au dépôt du Palais de Justice de Paris, apprend que le général Salan, dont le procès est en cours, est également au dépôt. Le « nous » apparaissant dans le texte s’applique à l’auteur, Bertrand de Castelbajac et à Nicolas Kayanakis, son compagnon de détention.


Antoine Argoud, La décadence, l’imposture et la tragédie,  Fayard, 1974

Antoine Argoud écrit : » Deux personnes étaient intéressées à notre neutralisation, Salan à Alger et de Gaulle à Paris »

Communiqué du 26 octobre 1961 :    » Malgré les traitements indignes qui nous ont été infligés par le gouvernement espagnol, et qui avaient été conseillés, nous le savons, par le général Salan, nous avons décidé de continuer la lutte jusqu’à la victoire et nous avons réalisé l’unité d’action sur la base de l' »appel aux Français » 4 Général Raoul Salan, Pierre Lagaillarde, Marcel Ronda, Jean-Jacques Susini.

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