BULLETIN 33 – 2EME TRIMESTRE 2012

BULLETIN 33 – 2EME TRIMESTRE 2012

 

SOMMAIRE :

Disparition de Michel Bésineau

Général Challe : entretien en 1972 avec Jean-Michel Meurice

Recension d’ouvrages récents

  • Jean-Jacques Susini : Confessions du numéro 2 de l’OAS
  • Guillaume Zeller : Oran 5 juillet 1962, un massacre oublié          
  • Jean-Noël Pancrazi : La Montagne, récit

Lettre du maréchal Juin au général Raoul Salan, chef de l’OAS

Directive du général Raoul Salan, chef de l’OAS

Manuscrit de la déclaration du général Raoul Salan à son procès

Disparition

Le capitaine Michel Besineau nous a quittés vendredi 27 mars 2012, en Argentine où il avait rejoint son épouse, Nicole, et son beau-père, le général Gardy après la fin de l’Algérie française.

Les administrateurs de l’association des Amis de Raoul Salan présentent leurs condoléances les plus sincères à Nicole Besineau. Michel Besineau était membre de l’association depuis ses origines. 

Nous remercions le capitaine Bonelli de nous autoriser à publier l’hommage qu’il a rendu à son compagnon du 1er Régiment Etranger de Parachutistes. Avec lui, il avait pris part au coup d’Alger du 22 avril 1961, ce qui leur avait valu, à tous deux et à dix autres cadres du régiment de comparaître les 6, 7 et 8 juillet 1961 devant un tribunal d’exception, le Tribunal militaire (dit « petit tribunal », pour le distinguer du Haut Tribunal militaire)  institué sur décision du général de Gaulle du 3 mai 1961. Ils furent condamnés à deux ans de prison avec sursis et exclus de l’armée.  

Hommage rendu par le Capitaine Bonelli à Michel Bésineau :

Michel Besineau, fils d’officier de marine, prépare à « Ginette » le concours de l’ESMIA où il est admis en 1946, promotion Général Leclerc, et choisit l’infanterie.

A la sortie de l’Ecole d’Application, breveté Para en juin 49, il rejoint la Légion Etrangère et le 1er Régiment Etranger à Bel Abbes : une aventure qui va durer 12 ans.

En avril 50, il part pour l’Indochine et est affecté au 3/5 REI, bataillon entièrement jauni avec les NUNGS. Ce bataillon,  après une période opérationnelle dans la région d’Haï Phong, participe à toutes les opérations de 1951 autour de Thaï Binh puis aux combats de la Rivière Noire. Il y sera blessé, trois fois cité et reçoit la Légion d’honneur.

De retour à Bel Abbes, il encadre au 1er Etranger un peloton d’élèves sous-officiers, puis, repart en Indochine en 1954.

Avec le 5ème REI, il participe aux derniers combats et assure le repli de Hanoï. Nommé aide de camp du Général Cogny, il quitte l’Indochine avec lui en mai 1955.

Il regagne alors le 1er Etranger et épouse Nicole Gardy, fille du général Paul Gardy et obtient son affectation au 1er REP.

Participe à la tête de la compagnie portée aux diverses opérations, débarque à Suez où le combat tourne court, il est alors affecté au peloton ALAT de la 10ème DP et rejoint, à nouveau, le 1er REP jusqu’au putsch des Généraux.

Bilan : Officier de la légion d’Honneur, titulaire de 7 citations, auxquelles s’ajoutent in fine la cassation du grade et la radiation de la légion d’Honneur.

Désormais, ce sera l’exil : les haines gouvernementales ne désarment pas. Il faut quitter l’Espagne. L’Argentine offrira au final un asile sûr et le départ pour une nouvelle existence.

C’est là que le Capitaine Michel Besineau, rétabli dans son grade et dans son honneur, va s’éteindre le 29 avril 2012.

Un saint homme nous a quittés, avec Honneur et Fidélité. 

Dominique Bonelli

A Na San, le général Salan décore le fanion de la 10ème Compagnie du 3ème Bataillon du 5ème R.E.I.

Arnaud de Gorostarzu  qui l’a bien connu – son frère Bertand s’est également exilé en Argentine – a bien voulu partager quelques souvenirs avec les lecteurs du bulletin.  Arnaud et Bertrand, dans leur enfance, ont fréquenté la même institution scolaire que Michel Besineau, le collège des jésuites de Tivoli à Bordeaux. 

Arnaud se souvient que, lors de la cérémonie officielle du 11 novembre 1961 à Saint Vincent de Tyrosse, son frère Bertrand et Michel Besineau ont déposé une gerbe tricolore au monument aux morts à la mémoire des morts pour la Défense de l’Algérie. 

Ultérieurement, Arnaud de Gorostarzu, accompagné de son épouse Elizabeth, a conduit Michel Besineau, surveillé par la police, à l’aéroport de Madrid d’où il s’est envolé pour rejoindre son épouse et son beau-père en Argentine.                                         

Quelques éléments biographiques supplémentaires complètent cette évocation d’un officier qui a observé toute sa vie la devise de la légion étrangère : Honneur et Fidélité. 

Michel Besineau est né  le 8 décembre 1927 à Toulon, il est le sixième enfant de Gaston Besineau et de son épouse née Jeanne-Marie Pinsolle. Il a trois frères plus âgés et trois soeurs dont l’une est sa cadette. L’un de ses frères, Jacques, sera jésuite, grand spécialiste du Japon. 

Son père est officier de marine. Né en 1889, il fait une guerre brillante, après l’Ecole Navale, qui lui vaut la Légion d’honneur et une citation à l’ordre de l’Armée en février 1918 pour la conduite d’opérations de dragage extrêmement dangereuses. Très bien noté, en particulier par l’amiral Castex, le capitaine de vaisseau Besineau prend le commandement du croiseur Duquesne sur décret du président de la République du 11 octobre 1939. Le Duquesne fait partie de la force X qui se trouve bloquée à Alexandrie de juillet 1940 à juillet 1943. Dégagé des cadres à compter du 20 mai 1944, Gaston Besineau rejoint Bordeaux où, à la sortie de la guerre, il appartient à la section Industrie de la délégation départementale du Ministère de la Reconstruction. Il meurt le 31 juillet 1971 à Arcachon.

Cet environnement familial conduit Michel Besineau à présenter l’Ecole spéciale militaire interarmes qu’il intègre en 1946. Sa promotion, Général Leclerc, comptera 70 morts pour la France. Il y a pour camarade Lucien Catelotte qui participera également au coup d’Alger et sera condamné avec lui. La  Légion pour Michel Besineau, ce sera, outre Bel-Abbès, le 3ème bataillon du 5ème R.E.I. en Indochine et le 1er R.E.P. en Algérie. 

Lors des journées d’avril 1961, Michel Besineau joue un rôle capital : c’est lui que le général Challe, arrivé clandestinement à Alger, envoie dans l’après-midi du 21 avril demander au commandant de Saint-Marc de venir le voir. Accompagné de Michel Besineau, Hélie de SaintMarc vient à Alger où il va donner son accord au général Challe (voir le numéro 28 du bulletin). Le soir même, Saint-Marc et Besineau et leurs épouses dînent avec le général Saint-Hillier à Zéralda.

Lors de son procès, le capitaine Besineau dira que ce fut une épreuve particulièrement pénible sachant qu’il lui faudrait peut-être procéder à l’arrestation du général le lendemain.  Après le verdict, Michel Besineau et neuf de ses compagnons, dont le capitaine Rubin de Servens, présentent une requête au Conseil d’Etat tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du Président de la République créant le tribunal militaire en vertu des pouvoirs donnés à celui-ci par l’article 16 de la Constitution. 

Venue dans le Constantinois  au début de 1958 de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense Nationale. Michel Besineau est au centre de la photographie, le premier sur la gauche des officiers du 1er R.E.P.  Derrière lui, à gauche, le lieutenant Roger Degueldre. On reconnaît également le général Vanuxem.

Cette requête est rejetée par l’arrêt rendu le 2 mars 1962 (arrêt connu sous le nom d’arrêt Rubin de  Servens). Le Conseil d’Etat considère en effet que la décision du Président de la République est du domaine législatif et se déclare donc incompétent. Ce qui se discute, d’autant plus que quelques mois plus tard, le 19 octobre 1962, le Conseil d’Etat annule (par l’arrêt « Canal ») l’ordonnance créant la Cour Militaire de Justice. 

Fiche extraite du Répertoire des activistes à arrêter ou à surveiller

Michel Besineau, surveillé en permanence par la police française, rejoint son beau-père en Argentine; il y est établi à Misión Tacaaglé au sein d’une population en majorité d’indiens guaranis, dans la province de Formosa (à l’époque « îlot de calme et de paix dans une Amérique du sud en fermentation« , dixit le général Gardy dans une lettre de 1971 au général Salan), no loin de la frontière avec le Paraguay. Ultérieurement, Michel et Nicole Besineau s’établissent dans les environs de Buenos-Aires. Michel Besineau était titulaire de sept citations. 

Le général Challe

Le général Challe a été parfois critiqué par des partisans et des acteurs de la résistance française en Algérie pour avoir décidé de stopper le coup d’Alger d’avril 1961 au bout de quatre jours. Pour comprendre cette décision, il faut lire son livre « Notre Révolte« . Un autre document est apparu au grand jour cette année. Il s’agit d’un court extrait d’un long entretien filmé avec le général Challe réalisé en 1972 par Jean-Michel Meurice. Qui est Jean-Michel Meurice ? C’est un peintre, un réalisateur de documentaires et un homme de télévision ; il a été dans les « inventeurs » de la chaîne de télévision Arte. En 1960-62, il fait son service militaire comme sous-lieutenant à Alger. Il est témoin du coup d’Alger et du massacre de la rue d’Isly. Sur le moment, comme beaucoup de militaires du contingent, il est opposé aux « généraux d’Alger ». En 1972, il réalise l’entretien cité qui est interdit de diffusion à la télévision (Pierre Desgraupes, opposant à cette censure fut licencié de l’O.R.T.F.). Son point de vue sur la révolte des généraux évolue progressivement. En 2012, il réalise un documentaire pour Arte (avec Benjamin Stora comme paravent) intitulé « Algérie, notre histoire« . Y figurent des entretiens avec le commandant de Saint-Marc, le général Challe et le lieutenant Durand-Ruel, ancien du 1er R.E.P. qui est devenu un ami proche.  

Quelques citations extraites des commentaires de Jean-Michel Meurice :

  • A propos de sa position d’avril 1961 sur le coup d’Alger : « Je saurai plus tard le danger des jugements trop rapides« 
  • « Ce qui est légal n’est pas toujours légitime« 
  • « Malheur aux vaincus. C’est toujours les vainqueurs qui écrivent l’Histoire« 
  • A propos des généraux d’Alger : « Je mesurais mieux combien ils avaient fait un choix difficile« 
  • A propos du général Challe : « Il n’était ni ambitieux ni fanatique (allusion aux propos du général de Gaulle lors de son discours du  avril 1961) mais tout simplement intègre et convaincu« 

Voilà comment un homme honnête, intelligent et sensible en vient à comprendre et à admirer les hommes qui, pour ne pas renier leur parole, se sont révoltés et l’ont payé au prix fort.

Entretien de Jean-Michel Meurice avec le général Challe (transcription de l’enregistrement)

Le général Challe répond d’une voix sourde aux questions de Jean-Michel Meurice ; il est déjà atteint du cancer de la gorge qui l’emportera.

« Je ne suis pas un révolutionnaire professionnel. J’ai peut-être tort mais c’est ainsi. Il a fallu beaucoup de choses pour me pousser à la révolte.« 

Mais pourtant, en avril 1961, on vous retrouve à la tête du complot.

« Parce qu’entre temps, on est encore venu me trouver un certain nombre de fois et qu’on m’a dit que l’armée d’Algérie me suivrait si je faisais quelque chose. Et puis que l’on parlait des préliminaires d’Evian.

J’ai pensé qu’avant ce que je considérais comme devant être une catastrophe et qui, à mon sens, a été et demeure une catastrophe pour tous les algériens quels qu’ils soient, il fallait que je fasse quelque chose. Il fallait que je tienne la parole que j’avais donnée – parce que le gouvernement m’en avait prié – cette parole que j’avais donnée  à des milliers et des milliers  de pieds noirs et de musulmans. Et c’est pour tenir cette parole que je suis revenu à Alger en révolte contre le gouvernement qui, entre temps, avait changé de politique alors qu’on ne change pas de politique dans cette guerre révolutionnaire. Ce n’est pas possible.« 

Aviez-vous préparé le putsch ?                                                                       

« Non« 

Quelles étaient vos chances de succès ?

« Je ne le savais pas en partant. Si le sang avait coulé, j’aurais probablement gagné. Peut-être ai-je eu tort, le premier jour, de ne pas faire procéder à des exécutions sommaires. J’ai pensé que ce n’était pas nécessaire. C’est tout. Nous n’avons pas gagné. Je n’ai pas gagné. C’est tout.   

Je le regrette d’ailleurs pour l’Algérie et pour la France et pour l’Europe. Enfin, c’est ainsi. « 

Vous aviez l’impression que vous auriez pu changer le cours de l’histoire ? 

« On peut toujours – peut-être – changer le cours de l’histoire.« 

Lorsque vous vous êtes rendu et que vous avez regagné Paris, quels étaient vos sentiments ?

« Là aussi, on m’a donné beaucoup de conseils après coup. Mes sentiments ? C’est que nous avions perdu et que je ne pouvais pas laisser payer tout seuls ceux qui s’étaient révoltés sous mon nom. Il est normal – ce n’est pas un acte d’héroïsme –  c’est normal chez un officier moyen.

J’ai donc pris la décision de me livrer. Si j’avais pensé qu’il y eut encore une chance, la moindre chance, je ne me serais pas livré. Puis j’ai pensé que puisqu’il n’y avait plus de chance, il fallait que je le fasse. 

Et puis, j’avais une petite arrière-pensée. Je me suis dit : Si de Gaulle ne me fait pas fusiller tout de suite, ou s’il y a  une ombre de tribunal, j’aurai encore quelque chose à dire, dans mes derniers moments, devant ce tribunal. Peut-être que le peuple français comprendra. Et vraiment, j’ai été jugé ; je n’ai pas été fusillé. J’ai été jugé. J’ai dit ce que je croyais devoir dire et on ne m’a pas compris. Je le regrette.« 

La totalité de l’entretien n’est actuellement pas accessible. Il faut souhaiter qu’elle le devienne pour servir à l’histoire de ce temps.

Livres publiés récemment

  • Confessions du N°2 de l’O.A.S : Bertrand Legendre    Entretiens avec Jean-Jacques Susini Les Arènes  185 p. Février 2012   17€50

Ce sont les entretiens de Jean-Jacques Susini avec un journaliste, ancien du Monde, Bernard le Gendre. Ils ont duré vingt heures Jean Jacques Susini n’en  pas été   très satisfait.  Pour     lui,  son interlocuteur « n’a pas compris le sens du combat de l’OAS ».  Mais au moins cela lui a permis de s’exprimer. Alors que depuis 1962, il n’a pas cessé d’être mis en accusation, y compris dans son propre   camp.

On a droit d’abord à sa biographie. Corse, né à Alger en 1933 dans une famille modeste,  il a été très tôt plongé dans la politique. Jeune RPF en 1951, activiste en métropole au moment du 13mai, de retour à Alger, organisateur avec Ortiz d’un mouvement Algérie Française. Ensuite, arrêté après les barricades, il fut condamné à deux ans de prison avec sursis mais prit le chemin de l’Espagne pour rejoindre le Général Salan qu’il suit en Algérie au moment du putsch. Il passe dans la clandestinité et devient  l’un des hauts responsables de l’OAS. Après des péripéties, il  quitte  l’Algérie clandestinement en juillet 1962.

Sur l’O.A.S., Susini est d’une brutale franchise. Il parle avec sympathie des colonels et notamment du colonel Broizat (peu connu) mais estime que  les militaires ont accaparé le pouvoir alors qu’ils n’étaient pas formés pour un combat souterrain. Et par exemple  un homme comme Degueldre n’a pas eu l’importance qu’il méritait dans la hiérarchie de l’Organisation. Quant au général Salan, dont Susini a été très proche, il le  traite avec respect mais estime qu’il a été quelque dépassé (notamment en métropole) et qu’il a vécu douloureusement les derniers épisodes d’un combat  désespéré.  

Ceci  n’a pas empêché l’O.A.S. de se développer et de connaitre, fin 1961, des succès en pratiquant l’intoxication, l’agit prop et  la violence comme levier. Sur ce point, Susini ne regrette rien.  Ni les exécutions des policiers (voir Gavoury) et des militaires anti-OAS, ni la purge  qui frappa Leroy et Villard accusés de préparer un putsch interne. Sur ce point, il aurait pu se référer  aux souvenirs de Jean Morin, délégué général du gouvernement, qui confirme que les deux hommes avaient engagé des contacts imprudents avec  le pouvoir officiel les poussant à une partition (chimérique) de l’Algérie. Sur d’autres épisodes, le 26 mars, le siège de Bab  El Oued, l’échec des maquis, les arrestations au sommet, Susini  est prudent. Comme le souligne son interlocuteur… Reste le gros morceau, les accords à la fin de la guerre d’Algérie avec certains représentants du F.L.N. pour que des Européens puissent rester dans l’Algérie indépendante.et  même partagent le nouveau pouvoir. Ce fut un échec. Aux causes multiples. Le gouvernement français ne le soutient pas. Farés (l’un des négociateurs) est un personnage falot. L’exode massif des Européens privait l’OAS d’une base solide et il ne lui restait que peu d’hommes pour tenir tête aux forces massives du F.L.N.. Cependant là aussi les mémoires de Reda Malek (le plus remarquable  des négociateurs d’Evian)  démontrent que le F.L.N. fut très ébranlé par ces accords qui accentuèrent les luttes entre G.P.R.A. et C.N.R.A. (mais du côté C.N.R.A., il y avait les forces militaires de Boumedienne). Il faut donc replacer  les choses dans leur contexte. Susini a eu le mérite d’arrêter une escalade de plus en plus  meurtrière et inutile  Son entreprise était risquée, voire impossible. Mais il a été très facile d’en faire un bouc émissaire. Ceux qui ont vécu sur place (nous insistons) les derniers jours de l’Algérie Française sont plus modérés dans leur jugement. Il y eut ensuite l’exil en Italie, le dernier attentat sérieux (le mont Faron), la trouble affaire Gorel, un court engagement au Front National. Jean-Jacques Susini a été mêlé à ces épisodes. Il lui reste sans doute encore à dire… Dans l’ensemble, ce fut un personnage clé, étonnant, sorti d’un roman de Raymond Abellio. 

Jean Paul Angelelli

  • Oran 5 juillet 1962   Un massacre oublié Guillaume Zeller  Tallandier   223 p.  Mars 2012   16,90€

En jugeant ce livre comme la meilleure synthèse écrite sur cette journée sinistre, que l’on ne nous accuse pas de complaisance pour le petit-fils du général André Zeller. C’est aussi le jugement de son préfacier Philippe Labro (étonnant quand on se souvient de « Les Feux mal éteints » de 1962) évoquant « un massacre oublié » (sous-titre du livre). On doit ajouter : pas par tout le monde. Car, avant Guillaume Zeller, plusieurs auteurs comme Jean Monneret, Geneviève de Ternant, le père de Laparre, Madame Ducos-Ader, Serge Lentz en avaient parlé et avaient ouvert des brèches dans le barrage officiel. Guillaume Zeller les a lus, les cite, les confronte…D’abord, il évoque le passé de cette ville, la plus vivante d’Algérie, parfois un peu caricaturée (Oran et les Oranais disaient, imitant leur accent, les Algérois jaloux), ville qui était aussi la plus européenne numériquement de toutes les grandes villes d’Algérie. Un peu en retrait sur Alger jusqu’en 1959-60, la ville s’embrasa en 1961-62 avec une explosion de violences réciproques évoquant – et ce n’est pas un hasard – la guerre civile espagnole qui avait marqué une partie de sa population…Terrorisme sans pitié de l’O.A.S. et du F.L.N., dure répression des forces de l’ordre. Oran la mort, Oran la maudite… Oran fut d’ailleurs la véritable capitale d’une résistance (remarquablement structurée) à la politique officielle. Début juillet 1962, début de l’Algérie indépendante, quelques jours de calme… Et, brutalement, le 5 juillet et l’horreur qui submerge la ville. Pourquoi cette populace déchaînée contre la population européenne, ces enlèvements, ces chasses à l’homme, cette boucherie ?..

Y a-t-il eu préméditation ? Guillaume Zeller utilise un ton froid pour soulever quelques hypothèses qui pour l’instant ne peuvent être prouvées. La plus controversée est celle d’une manipulation provenant des forces F.L.N. venues du Maroc, commandée par Boumedienne (rejoint par Ben Bella) occupant Tlemcen. Ils avaient intérêt à saper le pouvoir légal (le G.P.R.A.) qui s’était fixé à Alger où, notons-le, le préfet avait ordonné un couvre-feu à partir de cinq heures de l’après-midi (en plein été !).

Ce qui est le plus insupportable, c’est l’attitude du chef des troupes françaises à Oran, le général Katz, qui commanda à ses milliers d’hommes de rester l’arme au pied sous prétexte qu’il ne recevait pas d’ordres supérieurs… Katz, plus tard, essaya de s’en expliquer. Il reçut une brillante promotion mais le déshonneur le poursuivra le reste de son existence… A noter que, localement, il y eut des désobéissances héroïques comme celle du capitaine Rabah Keliff qui sauva des raflés et fut sanctionné ensuite. Il y eut aussi des musulmans qui intervinrent et sauvèrent des gens qu’ils connaissaient.

Autre sujet très discuté, combien de victimes ? Les autorités algériennes les minimisèrent : quelques dizaines. Du côté des survivants, il y eut des surenchères. Jusqu’à 3000 !… La confrontation des témoignages, des recherches, des recoupements aboutit à un bilan de 700 massacrés et disparus ; ce qui en fait la journée la plus meurtrière de toute la guerre d’Algérie. Une guerre en principe terminée le 19 mars 1962… Sait-on encore tout ? Pas sûr. Toutes les archives, surtout algériennes, sont loin d’être ouvertes… Ce qui est sûr, et le livre de Guillaume Zeller y contribue magistralement – d’autant qu’il a été très cité – c’est que, si la désinformation continue (des chiffres étonnants sur le nombre d’oranais restés sur place après le 5 juillet), le silence n’est plus possible. Ces « morts sans sépulture » sont entrés désormais dans la mémoire nationale, au-delà de notre mémoire. Ils n’en sortiront plus.

Jean-Paul Angelelli

  • La Montagne Récit Jean-Noël Pancrazi Gallimard    91 p.  Février 2012   10 €

Jean-Noël Pancrazi est né le 28 avril 1949 à Sétif. Son père est comptable, sa mère est institutrice. Venu en métropole en 1962, il fait ses études à Perpignan puis à la Sorbonne. Agrégé, il est professeur de lettres jusqu’en 1990. Il publie un premier roman à trente ans puis obtient le prix Médicis en 1990 pour Les Quartiers d’hiver, le prix Valéry Larbaud en 1994 pour Le silence des passions et le Grand Prix du Roman de l’Académie française en 2006 pour Les Dollars des sables.

Il est membre du jury du prix Renaudot. Son dernier livre serait passé inaperçu à nos yeux si Michel Déon, de l’Académie Française, n’avait attiré notre attention sur ce récit, poignant : « Craignez un serrement de cœur« .

Le narrateur a huit ans. Son père est minotier dans une petite ville des Aurès, Il ne suit pas ses camarades de classe. Le frère d’un chauffeur les a invités dans la camionnette de la minoterie à faire un tour dans la montagne, lieu chargé à leurs yeux de trésors cachés. Une telle excursion est interdite en raison des événements. Ils y sont tous égorgés. L’horreur que vivent les enfants survivants, les parents des enfants, l’auteur la dit, sans pathos. Et c’est encore plus fort.

Puis c’est l’exode, les parents des petits camarades qui regardent une dernière fois la montagne comme si elle pouvait leur rendre leurs fils, l’arrivée dans une métropole bien peu accueillante  et, dans la classe, la présence, absente mais insistante, de ses camarades disparus. Qui dure depuis cinquante ans. Ce souvenir, l’auteur a mis très très longtemps, cinquante ans, à l’affronter. Il l’écrit enfin.

Le récit, transcendant toute récupération politique, est une manifestation supplémentaire que le drame de la fin de l’Algérie française ne passe pas. Il laisse des blessures non cicatrisables.

Bernard Zeller

Maréchal Juin au général Salan

Transcription de la lettre du maréchal Juin au général Salan

Paris 7/3/62

Mon général, on m’a bien remis hier soir 6 mars votre message du 2 mars sur la façon dont le Pouvoir entend résoudre aujourd’hui le problème algérien. Vous connaissiez déjà mon opinion à ce sujet, ayant fait maintes déclarations qui toutes s’inspirent d’idées et de sentiments que nous partageons.

C’est vous dire qu’en tant que pied noir et plus encore peut-être parce que je suis français, combien je comprends votre état d’âme. Je ne l’ai jamais dissimulé ce qui m’a conduit voilà plus d’un an 1/2 à rompre avec le pouvoir.

Je resterai donc dans cette ligne aussi longtemps que ce dit pouvoir ne modifiera pas la sienne que j’estime fondée sur des idées fausses plus propres à diviser qu’à rassembler. Je demeure inquiet toutefois par les mesures que pourrait prendre le gouvernement en vue de faciliter l’introduction en Algérie de forces F.L.N., me réservant de lancer le cas échéant un appel pour éviter que la résistance que vous incarnez ne soit acculée, non à un Sedan mais à un Dien Bien Phu. Je ne pense pas que notre armée d’Algérie, bien que fortement travaillée depuis les événements d’avril dernier, accepte d’un cœur léger d’agir par la violence contre la résistance. A quelques exceptions près, elle sera plutôt neutre. Mais de grâce, gardez-vous vous-même de la violence en métropole. Elle n’a servi qu’à vous faire accuser de fascisme ce qui n’est pas vrai. 

Nous sommes nombreux qui admirons vos efforts courageux. Que Dieu vous aide et vous garde.

A. Juin

Cette lettre est, à notre connaissance, publiée pour la première fois. Le soutien du maréchal Juin à l’action du général Salan, alors chef de l’O.A.S., avec une restriction pour certaines formes de celle-ci en métropole, y apparaît explicite.

Or, lors du procès du général Salan, un peu plus de deux mois après l’envoi de cette lettre, le maréchal Juin décide de ne pas se présenter à l’audience à laquelle il est cité. Il fait parvenir une note résumant le courrier qu’il avait fait parvenir au président de la République après divulgation d’extraits de la lettre au général Salan. Cette note veut être un démenti du contenu de celle-ci. Il écrit que c’était une fin de non-recevoir aux sollicitations du général Salan, qu’il savait d’avance que son action était vouée à l’échec et que son style s’est laissé influencé par la pitié que lui inspire les désespérés

Directive du général Salan, chef de l’O.A.S

Déclaration du général Salan à son procès

Première page, de la main du général Salan, de son projet de déclaration devant le Haut tribunal militaire

Transcription du projet manuscrit de déclaration

Monsieur le Président,

Je suis devant vous pour répondre des actes qui me sont reprochés et puisque vous me demandez de m’expliquer, voici ce que j’ai à vous dire.

Je suis le chef de l’O.A.S. Etant le chef ma responsabilité est entière ; je la revendique et je n’entends pas me soustraire à la ligne de conduite qui fut la mienne pendant quarante-deux ans de commandement aux différents échelons de la hiérarchie militaire. Je l’ai du reste spécifié, M. le Président, lors du procès du général Jouhaud.

Ma jeunesse, toute ma carrière, sont marqués par cet Idéal de la France, terre d’Empire. J’ai voulu être officier colonial, je le suis devenu et je me suis battu pour garder à la Patrie ses terres extérieures, mon corps en garde les traces profondes. La France pour moi ne pouvait être l’hexagone aux contours harmonieux certes mais à la superficie petite. La France c’était tout ce qu’elle avait projeté sur les contrées lointaines, tout ce que son génie, son rayonnement, sa générosité avaient apporté à ces populations si heureuses de vivre à l’abri de notre drapeau et sous notre protection.

Texte effectivement prononcé  (Le Procès du Général Raoul Salan, p.75, Nouvelles Editions Latines, juin 1962)

Je suis le chef de l’O.A.S.. Ma responsabilité est donc entière. Je la revendique, n’entendant pas m’écarter d’une ligne de conduite qui fut la mienne pendant quarante-deux ans de commandement.

Je ne suis pas un chef de bande, mais un général français représentant l’armée victorieuse, et non l’armée vaincue.

A la différence de celui qui vous demande licence de me tuer, j’ai servi le plus souvent hors de la métropole. J’ai voulu devenir officier colonial, je le suis devenu. Je me suis battu pour garder à la patrie l’empire de Galliéni, de Lyautey et du Père de Foucauld. Mon corps a conservé les traces profondes de ce combat.

J’ai fait rayonner la France aux antipodes. J’ai commandé. J’ai secouru. J’ai distribué. J’ai sévi et, par dessus tout, j’ai aimé.

Amour de cette France souveraine et douce, forte et généreuse, qui portait au loin la protection de ses soldats et le message de ses missionnaires.

Lettre écrite le 7 avril 1962 par le général Salan chef de l’O.A.S. au président du tribunal jugeant le général Jouhaud. (Le général Salan y fait allusion dans le projet de sa déclaration à son procès.)

Alger, le 7 avril 1962

Monsieur le Président, voici que le général d’armée aérienne, Edmond Jouhaud, est en instance de comparaître devant un tribunal français ; le général Jouhaud est d’abord, pour moi, un ami, c’est ensuite le compagnon, l’officier général toujours fidèle à sa mission, et que j’ai sans cesse rencontré tout au long de sa brillante carrière, dans l’amour commun que nous portons à notre patrie. 

Plus et mieux que quiconque, le général Jouhaud connaît l’âme de cette Algérie où il est né.

Il a vécu au contact de cette population qu’il aime et qu’il défend. Il s’est trouvé à mes côtés lorsque nous avons accueilli le général de Gaulle en juin 1958. Il fut, comme moi, présent à toutes les cérémonies où s’exprimait l’enthousiasme d’une foule à l’égard du chef de l’Etat qui consacrait alors, solennellement, l’idéal et les aspirations des populations d’Algérie. C’est parce qu’il voulait rester fidèle à la France, à ses intérêts nord-africains, à sa vocation occidentale, et enfin aux engagements de la France envers l’Algérie que le général Jouhaud s’est donné à un mouvement de résistance, d’abord sous les ordres du général Challe, puis sous les miens.

Ayant pris la responsabilité pleine et entière de la résistance en Algérie, je tiens à vous faire savoir, Monsieur le Président, que le général Jouhaud n’a pas cessé, depuis le 26 avril 1961, d’obéir à toutes mes instructions. Les seules initiatives qu’il ait pu prendre dans son commandement et dans le cadre de mes directives ont certainement été inspirées par le brûlant patriotisme dans lequel nous avons trouvé une source permanente d’espoir, de certitude et de volonté.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

Signé : Salan   

Remerciement renouvelé à Maître Olivier Sers qui a fait don à l’Association de l’intégralité du manuscrit original du projet de déclaration du général Salan à son procès. 

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