Bulletin 7
In memoriam
Capitaine Michel Brandon
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La bataille d’Alger en août 1957 par Jacques Vallete Biographie / Pierre Messmer
In memoriam
Après Loulou Martin, un autre héros de Dien Bien Phu nous a quittés : le capitaine Michel Brandon, dit « Nounours » est mort. La cérémonie religieuse a été célébrée le mercredi 16 novembre 2005. L’éloge funèbre a été prononcé par le général Roux, autre ancien de Dien Bien Phu. Michel Brandon était la modestie même. Là où il est, lui dont la foi était si solide, il nous pardonnera d’évoquer ce que fut sa vie au service de la France.
Michel Brandon naît le 15 mai 1921 à Aix en Othe dans l’Aube. Il s’engage pour trois ans le 19 février 1941 au titre du 1er Régiment d’Infanterie. Caporal le 1er juin 1942, il passe dans la gendarmerie après la dissolution de l’armée de l’armistice. Le 9 août 1944, il est sous-lieutenant des F.F.I. de l’Yonne et dès le 17 août tend une embuscade à un convoi allemand qui laisse un tué, deux blessés et un prisonnier. Après diverses affectations en métropole, il débarque à Oran le 9 janvier 1947, séjourne au Dépôt commun des Régiments étrangers à Sidi Bel Abbès jusqu’en avril 1947 puis est muté à la 4ème D.B.L.E. en qualité de chef de section. Il est admis dans l’armée active avec le grade de lieutenant en juin 1947 et se porte volontaire pour l’Indochine qu’il rejoint en octobre 1947. Affecté à la 13ème D.B.L.E., il y reste jusqu’en novembre 1949 en se distinguant notamment dans la région de Duc-Hoa et à Huong-Ca-Bo. Par la suite, il rejoint le 6ème R.E.I. en Tunisie à Le Kef, puis le 3ème B.E.P. à Sétif.
Il est désigné de nouveau pour l’Indochine qu’il rejoint en septembre 1952 pour une affectation au 1er B.E.P. Le 9 novembre 1952, il est blessé au Tonkin dans la région de PhuDoam lors d’un saut opérationnel. En janvier et février 1953, commandant de la 2ème compagnie, il est l’artisan de la reprise du poste Deomang, dans la région d’Ankhe. En avril 1953, il s’empare du village de Trinh-Xa et occupe les lisières nordouest du village de Que-Son. Dans le même mois, à la tête de l’élément précurseur du bataillon, il contribue à dégager par une contre-attaque la compagnie de commandement durement accrochée près de Xon Sau. Le 21 novembre 1953, les 654 légionnaires du 1er B.E.P., dont Michel Brandon, sont parachutés sur Dien Bien Phu (opération Castor).
Il se distingue lors de la « reconnaissance offensive » vers le Nord, par la piste Pavie, en direction de Muong Pon des 11 au 15 décembre 1953 en remplissant une mission d’arrière-garde extrêmement difficile. Il est blessé à la main le 12 janvier 1954 et est évacué par voie aérienne vers l’hôpital Lanessan à Hanoï. Promu capitaine, il est de nouveau parachuté sur Dien Bien Phu, le 23 mars et se bat en se donnant au maximum, en particulier sur le point d’appui Huguette VI. Blessé au visage dans la nuit du 17 au 18 avril 1954, il continue le combat jusqu’au bout, en particulier dans la nuit du 6 au 7 mai sur Eliane IV. Il est capturé le 7 mai 1954 alors qu’il menait une contre attaque sur Eliane. Sa libération interviendra le 2 septembre 1954, après quatre mois de captivité auxquels il survécut grâce à sa forte constitution et à son moral à toute épreuve. (Le camp n°1 connut un taux de « perte » de 75%, mortalité constatée dans les camps nazis). Il est rapatrié en Afrique du Nord en octobre 1954, affecté au 3ème B.E.P. en février 1955, puis au 2ème R.E.P. en décembre 1955. Il se distingue de nouveau le 25 novembre 1957 au djebel Djebria, puis à l’Arb Estaya le 15 mars 1958. Après un bref passage à l’étatmajor de la 10ème Région Militaire, il devient adjoint au Groupement de Commandos Parachutistes où il se bat dans l’Ouest-Algérois de décembre 1960 à avril 1961 (région de Dahra, Ouarsenis, Souk El Had). Il quitte l’Algérie en juillet 1961 et est radié des contrôles en décembre 1962.
Arrêté en Allemagne le 13 avril 1962, vraisemblablement pour avoir aidé des officiers entrés dans la clandestinité, il est incarcéré à la prison de la Santé, jugé et condamné. Il effectue sa peine à la prison de Rouen dont il sort le 13 avril 1964.
Il entre le 6 août 1964 dans le groupe CreusotLoire et y fait une carrière, jusqu’en 1981, qui le conduira à des postes de direction du personnel. Interrogé par le journal CentreDimanche Le Progrès le 14 février 1993, Michel Brandon répondit à la question « Retournerez-vous au Vietnam ? », posée par le journaliste, par un « Non, pas tant que des communistes y seront au pouvoir. Je ne pourrai tendre la main à un tortionnaire ». Michel Brandon avait été décoré de la cravate de commandeur de la Légion d’honneur par le général de Biré, le 6 mai 2004, à Pau, presque 50 ans après sa promotion au grade d’officier de la Légion d’honneur. Il était titulaire de 13 citations, dont une à l’ordre de l’armée (pour Dien Bien Phu), l’une obtenue en France métropolitaine, neuf en Indochine et trois en Algérie1.
Le général de Biré remettant la cravate de la Légion d’honneur à Michel Brandon le 6 mai 2004
Le colonel Château-Jobert est mort le jeudi 29 décembre 2005 ; nous consacrerons une part importante du prochain bulletin à cette personnalité légendaire, Compagnon de la Libération, qui a rejoint l’OAS en janvier 1962.
1 Merci au capitaine Bonelli pour la communication des états de service de Michel Brandon et à Bernard et Marie-Madeleine Vallette d’Osia pour la photographie de la remise de la cravate de commandeur de la Légion d’honneur par le général de Biré.
On peut trouver le récit détaillé des épisodes rapportés ci-dessus dans « Je ne regrette rien » de Pierre Sergent et dans « Les hommes de Dien Bien Phu » de Roger Bruge
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Sixième ouvrage de Michel Alibert dont « Sacré Mozart » a été présenté dans le numéro 6 de notre bulletin, Le syndrome de Galois est, sous une apparence désinvolte, une réflexion sur des thèmes graves. Il y a un style Alibert : une petite musique qui n’est que de lui et qui entremêle passé et présent, légèreté et gravité, pureté et sensualité. Mais Michel Alibert sait très bien où il mène le lecteur tout en lui brouillant parfois les pistes. Entre Mekla (Kabylie), la place d’Italie et l’Escale Saint Denis, entre Lauranne, Emilienne et Anne-Marie, sans oublier Malika et Madame Cruchot, Michel Alibert laisse une place au génie mathématique d’Evariste Galois tué en duel à l’âge de 21 ans.
209 pages, Editions Lettres du Monde, 2000, 142 rue du fbg St Antoine, 75012 Paris, 18€
Elizabeth Cazenave, qui effectue un travail irremplaçable sur les peintres, sculpteurs et graveurs ayant œuvré en Algérie (Marius de Buzon, Maurice Bouviolle, Albert Marquet et ses amis, les lauréats de la Villa Abd-el-tif, ..), vient de publier, après un travail de plusieurs années, un ouvrage de référence sur les artistes qui ont accompagné des missions militaires, scientifiques ou civiles au Sahara entre 1850 et 1975. Au-delà de l’aspect documentaire lié à l’objet de leur mission, les artistes, reconnus ou amateurs, offrent des visions personnelles de cet univers si particulier aussi bien dans ses paysages que dans ses habitants. Des œuvres et des documents totalement inédits illustrent généreusement cet ouvrage pionnier.
160 pages, Editions Ibis Press-Association Abd-el-tif, 2005, 16 rue de la bienfaisance 75008 Paris, 40€ +6€ de frais de port
Pierre Chassin, fils du général d’armée aérienne Lionel Chassin qui fut un des proches collaborateurs du général Salan en Indochine, a 18 ans en 1961. Partisan corps et âme de l’Algérie française, il participe en région parisienne à des actions de l’OAS. La perte de l’Algérie le déchire : il quitte la France et s’engage comme mercenaire pour combattre les rebelles marxistes et leur reprendre la province orientale du Congo, dans une guerre dont les horreurs finissent par le conduire en Afrique du Sud. Là, il construira un voilier de 7 mètres et traversera seul l’Atlantique Sud pour rejoindre le Brésil. Ayant purgé les désespoirs de ses vingt ans, mais sans avoir rien oublié, il pourra, après trois années, regagner et retrouver la France.
361 pages, Editions Jean Picollec, 2000,
47 rue Auguste Lançon, 75013 Paris, 25€
Ouvrage d’intérêt :Voyage au cœur de l’O.A.S. d’Olivier
Dard, par Jean-Paul Angelelli
Le temps est-il venu d’une étude historique de cette entreprise à la fois héroïque et tragique qui essaya de bloquer le processus inexorable vers l’abandon de l’Algérie Française ?
C’est en tout cas ce qu’Olivier Dard, spécialiste d’histoire contemporaine, professeur à l’université de Metz, a tenté avec succès, non sans les difficultés inhérentes à l’analyse d’une organisation clandestine. Qui dans un temps relativement court n’hésita pas à recourir à certaines méthodes qu’il est trop facile de stigmatiser maintenant comme « terroristes ».
Olivier Dard ne s’est pas embarqué « sans biscuits », comme aurait dit le général Salan, dans ce voyage au bout de la nuit algérienne ; il a notamment bénéficié de précieuses archives de Jean-Jacques Susini qui l’a laissé entièrement libre de son travail et de ses conclusions.
Il le fait en se tenant à égale distance des mensonges officiels et des légendes pieuses. Voilà l’O.A.S. réelle, sa direction (non exempte de tensions et de rivalités), son financement (difficile), son agit-prop (souvent correspondant mal à la réalité), ses moyens de lutte, etc.
Si elle a échoué, c’est qu’elle ne pouvait combattre « à armes égales » avec l’appareil d’état, son administration, ses forces policières et secrètes, aidé en 1962 sur place par le F.L.N., sans oublier une métropole conditionnée (par De Gaulle et la gauche) ou hostile.
Ce n’est pas le livre définitif sur l’O.A.S., tant que les archives officielles ne sont pas ouvertes. Mais ces trois cents pages, complétées par des notes (copieuses), une bibliographie, un index et une volonté modérée de ton, font de cet ouvrage un ensemble que nous pouvons lire sans colère ni indignation. Ici, les faits sont replacés dans leur sinistre contexte. Le général Salan en ressort comme un homme essayant d’organiser et de canaliser une nébuleuse complexe. A qui le temps a manqué pour empêcher l’irrémédiable : il n’en est que plus grand.
423 pages, 22,50 €, Editions Perrin
Dans le riche appareil de notes accompagnant cet ouvrage, on peut relever celle-ci :
La bataille d’Alger en août 1957 par Jacques Valette
La bataille d’Alger, commencée en janvier 1957, a continué jusqu’à l’automne de cette année-là, ce qui est généralement négligé des historiens.
Un rapport du colonel Bigeard, commandant le 3ème R.P.C., conservé dans les archives du général Salan, éclaire un moment important de cette affaire. Ce régiment venait de passer quatre mois dans les djebels. Envoyé, à nouveau, à Alger par le général Massu, il n’y reste que deux mois : arrivé le 19 juillet, il repart le 3 septembre 1957, relevé par le 1er R.E.P.. Son action n’est pas négligeable : il met fin aux attentats à la bombe et permet la capture de quelques chefs importants. Bref, il déstabilise l’organisation terroriste et prépare sa liquidation complète.
1) La zone d’Alger du FLN
En juin, des attentats spectaculaires avaient prouvé la survivance de la Zone : bombes dans les lampadaires, le 4 juin 1957, faisant 10 morts et 92 blessés, bombe au casino de la Corniche, le 9 juin 1957, causant 8 morts et 81 blessés ; tout cela avait conduit le ministre, Lacoste, à donner de pleins pouvoirs au général Massu, qui s’était empressé de faire revenir des régiments parachutistes. En juillet, le tour du 3ème R.P.C. était arrivé.
Division de la Zone d’Alger
Région 1 Région 2 Région 3
Casbah Faubourgs Ouest Faubourgs Sud
Nombreuses arrestations Nombreuses arrestations En réorganisation
Bigeard découvre tout de suite, sans doute à partir des fichiers de la D.S.T., que « l’appareil subversif adverse ne présente plus aujourd’hui un danger comparable à celui que nous avions connu en janvier », parce qu’il, est « beaucoup plus désorganisé que nous ne le pensions ». – La Zone est organisée comme les autres wilayas : une direction politique et militaire, confiée à Yacef Saadi (dit Reda), et à deux adjoints, Cherif Dehib (dit Mourad) pour la branche politique et Hadj Athman (dit Ramel) pour la branche militaire.
- Ces hommes ne dirigent qu’un « champ en ruines », leur « potentiel d’action » est « à un niveau extrêmement bas ». Les anciens cadres ont quitté Alger ou sont en sommeil ; les nouveaux manquent « de compétence politique ou technique ». Quant au nombre de militants de base, il a fondu, passant de plusieurs milliers en janvier à environ 1500 en août. Les collectes ne donnent plus que 4,5 millions de francs (anciens) contre 14 millions en janvier. Les responsables ont perdu « cette confiance en l’impunité qui les animait en janvier », et beaucoup n’acceptent plus le risque.
- Les groupes armés réunissent une cinquantaine d’hommes, répartis en une dizaine de groupes ; beaucoup sont dépourvus d’armes et privés de liaison.
Bigeard estime que Yacef Saadi est réduit à la défensive et que sa division de la Zone, conformément à la Soummam est faible :
Autre facteur d’affaiblissement : « …s’il subsiste quelques pans organisés, ils sont sans liaisons régulières et sûres à l’échelon zonal ». Les liaisons sont effectuées par des femmes et des enfants, qui échapperaient facilement aux contrôles. Ces filières sont cloisonnées classiquement par des boîtes aux lettres. Cela n’empêchera pas de remonter jusqu’au refuge de Ramel, un chef de région.
2) Le terrorisme
Yacef Saadi et son adjoint militaire, Hadj Athman dit Ramel, relancent la seule forme de terrorisme encore à leur disposition, les attentats à la bombe. Ils disposent encore de 20 à 25 bombes de plusieurs kilogrammes d’explosif chacune et de 37 grenades récentes. Pour les utiliser, il suffit « d’une poignée d’hommes éprouvés ». Les effets en sont toujours spectaculaires, par le nombre de victimes et le retentissement international. Cette opération est l’œuvre d’un réseau indépendant des autres, bien cloisonné, dont la destruction ne causera pas la capture de Yacef Saadi.
Attentats à la bombe en Juillet
-18 juillet 1957 : 10 bombes sont posées
3 dans la région 1 – un poseur sur deux arrêté
- dans la région 2 – deux poseurs sur trois arrêtés
- dans la région 3 – trois poseurs arrêtés sur les trois
– 27 juillet 1957 : 11 bombes
4 dans la région 1 – trois poseurs arrêtés, un tué sur les six 4 dans la région 2 – trois explosent au moment du réglage,
une est récupérée avant son explosion – les poseurs sont
tous arrêtés
3 dans la région 3 – deux poseurs sur les trois sont arrêtés
Bilan attribué au 3ème R.P.C.
24 bombes sur 28 neutralisées
4 poseurs de bombes en liberté
8 poseurs de bombes arrêtés
Le 1er août 1957, un terroriste en scooter tente un attentat devant la commissariat central. Il est arrêté.
Entre le 1er et le 25 août, des groupes armés font des attentats individuels, des mitraillages au pistolet-mitrailleur, ou à la grenade incendiaire. Mais, observe Bigeard, 90% des auteurs furent arrêtés, « aucun attentat individuel n’a plus eu lieu et Alger n’a jamais été aussi calme ».
En août, la branche militaire fut détruite. Ramel n’avait pu installer dans chacune des trois régions de la zone une section de 35 terroristes, faute de cadres compétents. En région 2, le chef, Hacène Gandriche, dit Zerrouk, était privé de personnel et de matériel. En région 3, le groupe militaire de Hani dit Lyes, puis de Berekia dit Fodil rassembla « la dotation théorique prévue », et tenta de réaliser « le programme d’action préonusien », sans grand effet. Quant à la région 1, elle ne reçut jamais de chef valable, les anciens bien rôdés, Ben Cherif Omar et Ahmed Chicga, avaient dû partir au maquis ; leur remplaçant, Saïd Bakel, manquait d’envergure.
Les armes manquaient, malgré les efforts de Yacef Saadi pour en importer, difficilement d’ailleurs. Bigeard estime même que « l’affaire des bombes » fut un palliatif spectaculaire au manque d’armes d’autant plus qu’il était simple à réaliser…»
La zone souffrait alors du manque de cadres. Mourad, un proche de Yacef Saadi, dirigeait les Régions 1et 2, et Mohamed Hattab (dit Semd) la Région 3, mais les cellules de la Région 1 et de la Région 3 n’avaient pu être rattachées à « l’échelon supérieur ». Seule la Région 1, dans la Casbah, répondait au schéma théorique.
Tout n’était pas négatif. Les groupes de choc levaient toujours les cotisations et effrayaient toujours les récalcitrants. Un réseau, parallèle à celui de la zone, taxait les commerçants. Mais l’autorité de Yacef Saadi n’avait pas empêché un « réseau kabyle » d’alimenter en argent les maquis de Kabylie, contre ses rappels à l’ordre. En général, il lui était plus facile de recruter des « percepteurs » que des tueurs, car les peines encourues étaient légères.
Bigeard, dans son rapport, reconnaît que « la branche liaison-renseignement » restait mal connue, en dépit de l’arrestation de son responsable zonal, Areski Haffat dit Houd. Les filières étaient bien cloisonnées en B.P. (Boîtes Postales). La zone avait conservé ses communications et avec Tunis et avec les wilayas de l’est-algérien. Quant au service de renseignement, il n’avait pas été reconstitué depuis son démantèlement en février.
Des signes auraient été recueillis de la permanence de trois comités zonaux, dont les activités étaient réduites :
- le « Comité de rédaction », d’une dizaine de membres, rédigeait les textes de propagande et tentait de pénétrer le milieu enseignant d’Alger,
- le « Comité de justice » avait été créé pour trancher les différends entre militants et tourner ainsi la justice française. Dans l’été 1957, il se vouait surtout à réunir des dossiers de propagande sur les tortures et les plaintes
- le « Comité sanitaire », avec quelques membres du corps médical, tentait de trouver médicaments et personnel pour les hôpitaux du F.L.N..
3) La lutte contre la zone d’Alger
Elle est surtout connue au travers d’événements qui furent largement médiatisés.
Le 6 août 1957, est arrêté Hassan Ganriche, chef de la Région Est, recherché sous le pseudonyme de Zerrouk. Ce qui fut caché à l’époque fut son retournement par le capitaine Chabanne, officier de renseignement du 3èmeR.C.P. et sa manipulation par le capitaine Léger, des services spéciaux. Il accepta, en effet, de faire parvenir à Yacef Saadi des messages préparés par les officiers français.
Le 26 août 1957, sont tués Hadj Athman dit Ramel et Cherif Dehib dit Mourad, commissaires politiques, ainsi que le frère de Ramel. Noureddine Mourad, par ailleurs, commandait le réseau de bombes. Le 6 août, il avait échappé au bouclage d’un pâté de maisons, le renseignement ayant été donné par sa maîtresse Latifa. Ramel avait pu s’enfuir de sa maison, entourée par les paras du lieutenant Schmitt et les « bleus de chauffe » du capitaine Léger. Le 26 août, les parachutistes avaient arrêté un jeune messager porteur d’une lettre pour Ramel : son adresse fut connue. L’affaire finit tragiquement pour Ramel et ses amis, après diverses péripéties, et 18 bombes furent alors retrouvées. Ces épisodes ne traduisent qu’imparfaitement la lutte du 3ème R.P.C. : la zone d’Alger, qui renaissait, fut cassée. Les indications fournies par Bigeard, dans son rapport, le montrent bien :
Activités du 23 juillet au 31 août 1957 :
- patrouilles à pied : 120 heures en « heures creuses » et 1015 en heures de pointe
- patrouilles en véhicules : 80 en « heures creuses » et 419 en heures de pointe Contrôle des personnes :
Date | Lieu | Contrôlés | Retenus | Pourcentage |
29/07 | Place du Gouvernement Square Bresson | 2000 | 27 | 1,15% |
04/08 | Haute Casbah | 8000 | 281 | 3,51% |
10/08 | Frais Vallon | 3000 | 57 | 1,90% |
15/08 | Cité Mahieddine | 3300 | 17 | 0,51% |
17/08 | Place du Gouvernement Square Bresson | 2000 | 12 | 0,60% |
23/08 | Bd de Verdun | 2400 | 37 | 1,54% |
Les opérations dans la rue, de façon aléatoire, ont surtout contribué à gêner les déplacements des militants de la Zone d’Alger. Il est évident que d’autres sources d’information ont été à la disposition de cette unité puisque sur les 1420 assignations à résidence, 885 ont été maintenues.
D’ailleurs, Bigeard le reconnaît indirectement en dressant le bilan de la chasse aux terroristes de
son unité :
- outre un chef politique et un chef de la zone tués, ont été arrêtés :
. 3 chefs de région sur les 3
. 6 chefs de secteurs sur 7
. 11 chefs de district sur 15
. 3 chefs de groupes militaires sur 3
. 11 chefs de cellules sur 13
. 44 « soldats » dont trois avaient été tués
- l’appareil est fortement atteint, après ces arrestations :
. 126 collecteurs de fonds
. 36 propagandistes
. 6 chefs de groupe de choc
. 26 chefs de collecteurs
. 144 membres de cellules de choc
Bigeard, Godard et Salan
En quittant Alger, le 3ème R.P.C. avait sans doute fortement déstabilisé la Zone autonome. Bigeard estime que la Région 1 était détruite à 70%, la Région 2 à 60%. Seule la Région 3, en cours de réorganisation, était la moins touchée (35%). En Région 1, le personnel de commandement avait été arrêté ou abattu à 70%, en Région 2 il en était de même pour les 35 responsables. Il ne disposait d’aucun renseignement sur la Région 3 ; Des arrestations avaient frappé les Comités. Ne subsistaient de façon sûre que trois cellules de la Région 1. Quant au réseau bombes, il était démantelé :
- Mourad, spécialiste des bombes : tué le 26 août
- 26 poseurs arrêtés, 4 autres tués
Explosifs saisis : 10 kg de cheddite et de dynamite gomme, 4 grenades.
Le 9ème Zouaves trouvera de son côté 8 bombes et 10 kg d’explosifs.
Bigeard insiste, en terminant, sur le fait que son unité n’a perdu aucun homme, seuls 7 parachutistes ayant été blessés.
Ce rapport apporte donc des précisions rarement données par les auteurs de l’histoire de cette bataille. Il ne dit rien des méthodes employées, en particulier du recours à la torture ou à la coercition physique, comme l’ont raconté des survivants du F.L.N. Ces derniers se veulent accablants pour le « lieutenant Schmitt », sans doute en raison de ses anciennes fonctions à la tête de l’armée française. Le quotidien du soir « Le Monde » y a consacré deux pages, le 19 mars 2005. Cela appelle quelques observations de bon sens :
- Le témoignage « accablant » contre le général Schmitt n’est pas nouveau. On lit celui d’une jeune Algéroise arrêtée en août 1957 dans Mohamed Lebjaoui, « Bataille d’Alger ou bataille d’Algérie », Paris, NRF, 1972, p.160 et suiv.
- Le général Schmitt a raconté cette curieuse bataille d’août 1957 dans son livre, « Algerété1957 – une victoire sur le terrorisme », Paris, L’Harmattan, 2002. Il rejoint l’esprit du rapport Bigeard : la Zone d’Alger était faible, elle a été facilement démantelée. Cela n’a pas demandé de pressions exceptionnelles sur les suspects, qui parlaient facilement, par découragement autant que par prudence.
- Au départ de l’unité de Bigeard, ne sont pas encore hors du circuit terroriste Yacef Saadi et Ali La Pointe. Leur chute ne tardera pas. Mais l’objectif du terrorisme algérois était maintenant hors de la portée du F.L.N.. Rappelons cette directive du C.E.E. du F.L.N., exilé à Tunis : « Une bombe causant la mort de dix personnes et en blessant cinquante autres équivaut, sur le plan psychologique, à la perte d’un bataillon français.» (texte cité par Gilbert Meynier, Histoire intérieure du F.L.N., Paris, Fayard, 2002, p. 325)
« Dès l’automne, le nombre des attentats était devenu négligeable : un seul en octobre 1957 » (Meynier, op. cit., p.326)
On ne peut reconnaître plus clairement que la Zone d’Alger avait été démantelée pour la deuxième fois. Pourtant Bigeard n’en tire nulle gloire. « Ce travail que nous n’aimons pas devant être fait et bien fait, les unités du régiment ont réalisé un travail de fond, scientifique, souple, propre.
Pierre Messmer : biographie accompagnée de quelques vérités oubliées
Pierre Messmer, comme le rappelle le mot du président, est considéré aujourd’hui par « l’établissement » comme un parangon de courage et de vertu. L’intéressé soigne cette image en publiant ses mémoires et en ajustant son masque que ses thuriféraires (par exemple Philippe de Saint Robert) qualifient de « romain ». La réalité est évidemment toute autre. Au-delà du courage physique dont il a pu faire preuve de 1940 à 1945, qui n’a, à vrai dire, rien d’extraordinaire pour un garçon de 25 ans, il est judicieux de rappeler son attitude et ses actes au cours de années 1961 et 1962.
Biographie
Pierre Messmer est né le 20 mars 1916 à Vincennes, l’aîné de trois enfants, dans une famille alsacienne implantée dans les environs de Saverne mais ayant opté pour la France en 1871. Jusqu’à l’âge de huit ans, il est
instruit par un prêtre au domicile parisien de ses parents. Il poursuit ses études chez les Oratoriens du collège Massillon et au lycée Charlemagne à Paris. A 18 ans, en 1934, il est | reçu à l’Ecole Nationale de la France d’Outremer où il choisit l’option « Afrique ». En parallèle il obtient une licence en droit et un diplôme de l’Ecole des Langues Orientales. A partir d’octobre 1937, il effectue son service militaire comme sous-lieutenant au 12ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais. Maintenu sous les drapeaux à la déclaration de la guerre en septembre 1939, il participe à la campagne de France et rejoint Gibraltar par Marseille à bord d’un cargo, puis Londres à la fin |
de juin 1940.
Il sert alors dans la légion étrangère et participe à diverses actions à Dakar, au Gabon, en Erythrée, et en Syrie contre les forces françaises du général Dentz. En 1942 et 1943, il participe, en Libye, aux batailles de Bir Hakeim et d’El Alamein, et en Tunisie aux opérations contre l’Afrika Korps de Rommel. Il rejoint, en janvier 1944, l’état-major du général Koenig à Londres. Capitaine, il retrouve la France, par la Normandie, en août 1944 et entre à Paris le 25 août.
En janvier 1945, promu commandant, il est à Calcutta, commissaire de la république par intérim. Le 27 août 1945, il est fait prisonnier par le Viet-Minh immédiatement après son parachutage au Tonkin où il était prévu qu’il devienne commissaire de la république à Hanoï (c’est Jean Sainteny qui assumera ces fonctions). Après deux mois de captivité, il rejoint Hanoï. Rentré en France, il est secrétaire du comité interministériel de l’Indochine où il joue un rôle important lors de la conférence de Fontainebleau qui fut un échec. Il retourne en Indochine en 1947-48 en tant que directeur du cabinet du Haut Commissaire, Emile Bollaert.
Par la suite, il est administrateur en chef de la France d’Outremer en Mauritanie en 1950, puis gouverneur de Mauritanie en 1952 et gouverneur de la Côte d’Ivoire de 1954 à 1956. Cette année-là, il est directeur du cabinet de Gaston Defferre, ministre de la France d’Outremer dans le cabinet de « Front Républicain » de Guy Mollet. Il est Haut Commissaire de la France au Cameroun en 1956-58, Haut Commissaire en Afrique Equatoriale Française, puis en Afrique Occidentale Française en 195859.
Lieutenant-colonel de réserve, il est nommé, en février 1960, ministre des armées dans le gouvernement Debré où il remplace Pierre Guillaumat. Il y applique la politique de De Gaulle de dégagement de l’Algérie, épure l’armée de ses éléments opposés à l’abandon de l’Algérie, enjoint, avec Edmond Michelet, à Antonin Besson, procureur général près le Haut Tribunal Militaire, de requérir la peine de mort contre les généraux Challe et Zeller en mai 1961, demande de sanctionner les officiers qui tentent de faire passer des harkis en métropole pour les sauver d’un massacre certain. Par la suite, il conduit jusqu’en1969 la mutation vers une armée organisée autour du concept de dissuasion nucléaire. En 1968, il est élu député de la Moselle où il sera réélu jusqu’en 1988. En 1971-72, il est ministre d’Etat chargé des départements et territoires d’outremer. Georges ¨Pompidou l’appelle comme premier ministre en juillet 1972, poste qu’il occupera jusqu’à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République en mai 1974.
Membre de l’Académie des Sciences d’Outremer en 1976, de l’Académie des Sciences Morales et Politiques depuis 1988, élu Chancelier de l’Institut en 1998, il est élu à l’Académie Française en mars 1999 où il est reçu par le professeur François Jacob.
En octobre 1997, il est témoin, cité par la défense, au procès de Maurice Papon.
Grand-Croix de la Légion d’Honneur, Compagnon de la Libération, titulaire de la croix de guerre avec six citations, Pierre Messmer est l’auteur de quelques ouvrages dont :
- Après tant de batailles, Mémoires, publié en 1992 chez Albin Michel,
- Les Blancs s’en vont, publié en 1998 chez Albin Michel
Les 17, 18 et 19 mars 1948, Raoul Salan, commandant du corps expéditionnaire en Extrême-Orient, pilote le Haut commissaire, Emile Bollaert accompagné de son directeur de cabinet Pierre Messmer, lors de sa tournée au Tonkin qui les mènent par la route de Haïphong à Huaidong, Dinh Lap et Langson avec retour à Hanoï par An chau, Luc Nam et Huaidong.
Le 11 septembre 1960, Raoul Salan, qui, après son passage en 2ème section, s’est retiré à Alger avec son épouse et sa fille dans sa villa baptisée «Dominique », est convoqué à Paris par Pierre Messmer, ministre des Armées. Celui-ci lui notifie la décision du gouvernement de lui interdire de séjourner en Algérie.
Lors de l’audience du 15 mai 1962 du procès de Raoul Salan devant le Haut tribunal militaire, son défenseur, Maître Tixier-Vignancour indique au président que le ministre des Armées, Pierre Messmer, a interdit aux officiers en activité de venir témoigner à ce procès, ce qui le met en infraction avec l’article 173 du code pénal.
Le procès des généraux Challe et Zeller
L’attitude et les actes de Pierre Messmer dans ces circonstances ont été portés à la connaissance de ses lecteurs par Raymond Tournoux, dans son ouvrage Jamais dit (Plon 1971) pages 258-262. Il y rend publiques les notes que le procureur général près le Haut Tribunal Militaire, Antonin Besson, a prises, en particulier celles relatives aux pressions exercées à son égard, les jours précédant le procès des généraux Challe et Zeller en mai 1961, par plusieurs ministres du gouvernement Debré, dont Pierre Messmer. Le samedi 27 mai 1961, Antonin Besson est face à MM Frey (ministre de l’Intérieur depuis le 9 mai 1961), Michelet (ministre de la Justice) et Messmer (ministre des Armées) :
Le dimanche 28 mai 1961, Antonin Besson est de nouveau face aux trois ministres :
(exemplaire de l’ouvrage annoté par le général André Zeller)
Le procès du général Salan
Alors que le procès du général Salan se déroule dans une ambiance dramatique, chacun étant persuadé que la peine de mort sera prononcée contre lui et qu’elle sera exécutée, Pierre Messmer, ministre des Armées interdit aux officiers en activité de venir témoigner en faveur de Raoul Salan. Le scandale éclate quand l’amiral Ploix, cité par la défense, révèle que le cabinet du ministre des Armées l’a appelé pour lui interdire de venir témoigner.
Le général de Pouilly, qui commandait le corps d’armée d’Oran au moment du coup d’Alger en avril 1961, cité également comme témoin par la défense, indique qu’il a appris par la presse qu’il était cité comme témoin, qu’il n’a jamais reçu sa citation à comparaître déposée au bureau des officiers généraux et que, ayant protesté auprès du ministre des Armées, celui-ci lui a dit ne pas être au courant de cette citation. Quant au capitaine Bernard Moinet, il s’est vu interdire par le ministre de déposer.
Les harkis
Dans le premier des deux cas cités ci-dessus, Pierre Messmer, dans un premier temps est d’accord avec l’intention de réquisition du procureur général Antonin Besson à l’encontre des généraux Challe et Zeller, à savoir la réclusion criminelle à perpétuité. Dans un deuxième temps, après avoir pris ses ordres auprès du chef de l’état, il enjoint, sans état d’âme et même avec violence, à Antonin Besson de requérir la peine de mort.
Lors du procès du général Salan, son intervention n’est pas au même niveau, puisqu’un avocat général « sûr », Gavalda, a été mis en place pour demander la peine de mort. Il se « contente » d’interdire aux officiers de venir témoigner en faveur du général Salan, et l’on sait le poids qu’a pu avoir la déposition du général de Pouilly « …leur crime est peut-être moins grave que le nôtre (l’abandon)… ».
L’Aurore Mercredi 7 juin 1961
Pour les harkis, la conduite de Pierre Messmer relève carrément de l’ignoble. Là aussi, il adopte dans un premier temps une position honorable. En juin 1961, il proclame, dans une directive à l’armée que « Les Musulmans engagés à nos côtés ne seront jamais abandonnés ». Mais on sait que le 12 mai 1962, par télégramme n° 1334 MA/CAB/DIR adressé au
Genesuper (Fourquet) avec copie au Haut-Commissaire (Fouchet), il demande de sanctionner les officiers à l’origine du départ d’Algérie de groupes d’anciens harkis. Il est juste de dire que Pierre Messmer est l’un des responsables du sort abominable qu’ont connu les dizaines de milliers de harkis abandonnés par la France, le responsable suprême étant, de toute évidence, Charles de Gaulle
Pour tenter de se justifier, Pierre
Messmer rejette sur le F.L.N. la responsabilité de ces massacres en arguant du fait que ce sont des gens du F.L.N. qui ont procédé à ces massacres. Honteuse et pitoyable attitude – analogue à celle d’un Ponce-Pilate – de celui qui, à l’époque était le Ministre des Armées et avait toute possibilité de donner l’ordre à l’armée française de protéger ses supplétifs, ou de démissionner.
Le lecteur et les Immortels en tireront les conclusions sur le « courage » de Pierre Messmer.