BULLETIN 34 – 3EME TRIMESTRE 2012

BULLETIN 34 – 3EME TRIMESTRE 2012

SOMMAIRE !

  • Hommage à Yan Hustaix
  • Nos adhérents ont publié

        Jean-Gilles Malliarakis : Pour une libération fiscale

        Michel de Crousnilhon : De Gaulle, le général-président      

        Roger Holeindre : C’était des hommes

  • L’autre visage d’Edmond Michelet, par Bernard Zeller avec une préface de Michel Déon
  • Retour à la Maison Centrale de Clairvaux
  • Le colonel Vaudrey
  • Les accords OAS-FLN vus par le colonel Godard, première partie

Hommage à Yan Hustaix 

Yan Hustaix fait partie de ces nombreux officiers – jeunes mais riches d’une expérience acquise en 1944-45, en Indochine et en Algérie – qui ont vu leur vocation brisée par les retournements et les travers de la politique des dirigeants de la France. Il est décédé en juin 2012 à Ossès dans les Pyrénées Atlantique, où il s’était retiré. Yan, de son vrai nom, Jean Charles René est né le 3 août 1925. Il passe son bac au lycée de Marrakech en 1943, son père y commandant un régiment de chasseurs d’Afrique. Il répond à l’appel du général Leclerc qui constitue la 2ème Division Blindée. Il s’entraîne en Angleterre puis, après le débarquement de la division dans le secteur d’Utah Beach, le 1er août1944, participe aux très durs combats de réduction par le sud   de la poche de Falaise, avec pour objectif Argentan et pour forces adverses la division blindée de la Waffen SS- HitlerJugend.

Yan Hustaix, à bord de son Sherman baptisé « Luxembourg », entre dans Paris le 24 août. En descendant la rue Saint-Jacques, son char est atteint par un tir qui endommage gravement le tube de son canon ce qui le laisse fort marri en cette journée historique. Il est à la porte de l’hôtel Meurice, rue de Rivoli, le même jour, quand le général Choltitz se rend et en sort pour être conduit à la gare Montparnasse devant Leclerc. 

Par la suite, Yan Hustaix est très grièvement blessé alors qu’il progresse vers Strasbourg avec la 2ème D.B. Une balle lui traverse la nuque entre le cerveau et le cervelet. Il est laissé pour mort mais est, providence, recueilli dans un hôpital de campagne américain où il est soigné. Après sa convalescence et après l’armistice, Yan, qui souhaitait faire des études de médecine, y renonce.

Le village d’El Isri et sa S.A.S.

Après un séjour en Indochine, il présente le concours de Saint-Cyr et est reçu dans la promotion 1948-1950 qui prend le nom de « Général Frère ». Cette promotion comptera 57 morts pour la France et donnera un chef d’état major de l’armée de terre, le général Forray, et un chef d’état-major des armées, le général Maurice Schmitt. Yan Hustaix choisit l’Arme Blindée Cavalerie et Saumur.

En Algérie, il est affecté tout d’abord au 1er Groupement de Commandos Parachutistes de Réserve Générale et se bat en Kabylie. 

Le capitaine Yan Hustaix dans le village d’El Isri : qu’est devenu cet homme auquel la France a remis un fusil ?

Affecté au 1er régiment d’infanterie de marine, il est volontaire pour les Sections Administratives Spécialisée et rejoint celle d’El Isri où, en 1960, il est promu au choix au grade de capitaine. Lors du coup d’Alger d’avril 1961, il se rend à Alger et en revient avec pour mission de s’assurer de la personne du général Simon, commandant la zone Est-Algérois, opposé au mouvement dirigé par le général Challe. Entretemps, celui-ci a disparu, déguisé en caporal aviateur. Arrêté, Yan Hustaix passe en jugement les 1er et 2 août 1961 devant le tribunal spécial militaire en compagnie du colonel Roca[1], du commandant Lousteau, du capitaine Ziegler et de l’aspirant Mugica[2].  Il est condamné à trois ans de prison avec sursis et, de ce fait, exclu de l’armée.

Une dizaine d’années plus tard, Yan se retrouve à SNPE (Société Nationale des Poudres et Explosifs), d’abord aux relations extérieures, puis dans sa filiale SNPE Ingénierie et enfin à sa Division Défense et Espace. Il y fait merveille dans les pays de l’Asie de l’Est, souvent en collaboration avec d’anciens officiers français qui s’y sont établis. En 1990, il prend sa retraite mais continue à travailler dans des échanges commerciaux avec des pays asiatiques. Il décède en juin 2012 dans sa quatre- vingt-septième année. Il était commandeur de la Légion d’honneur.

J’ai personnellement très bien connu Yan Hustaix et en garde le souvenir d’un homme à la fois efficace dans le travail et profondément bon, alliance rare s’il en est.              

Bernard Zeller

[1] Le colonel Roca avait pris le commandement de la ZEA à la demande du général Challe en substitution au général Simon.

[2] Après un passage dans l’OAS, devenu médecin, le docteur Mugica a été le pionnier, reconnu mondialement de la cardio-stimulation.

Nos adhérents ont publié 

Jean-Gilles Malliarakis a le don de mettre le doigt là où cela fait mal, très mal. Son ouvrage, écrit avant l’élection présidentielle, est encore plus d’actualité aujourd’hui alors qu’une majorité de Français est détenue dans une prison fiscale dont les barreaux n’ont cesse de se resserrer. Non content d’émettre un diagnostic fouillé et sûr, J.G. Malliarakis ébauche des propositions réalistes de réformes visant, en premier lieu à réduire la dépense publique et dont l’objectif est de redonner à la France la liberté d’action totalement obérée actuellement par l’énormité de la dette du pays. C’est une question de volonté, substance particulièrement rare dans la classe politique

Editions du Trident, 39 rue du Cherche Midi  Paris, 75006, 200 p., 2012.                                                  

 Michel de Crousnilhon : De Gaulle, le général-président 

Michel de Crousnilhon n’est ni « pied-noir », ni militaire. Il n’a pas combattu en Algérie, il a été cadre supérieur dans une très grande banque. Tout pour être un bon bourgeois opportuniste, donc gaulliste quand il fallait l’être. Or son livre est un réquisitoire impitoyable sous une forme policée. Son grand intérêt est de considérer globalement les actes de Charles De Gaulle, de 1914 à 1968, plutôt que de se focaliser sur une période particulière. Cela évite le « saucissonnage » permettant, à certains, de séparer artificiellement le « bon » De Gaulle de 1940 du « mauvais » De Gaulle de l’Algérie et réciproquement. C’est le même homme. Autre intérêt majeur, la riche documentation et les annexes,  chronologiques, biographiques, et pour finir  un « Et si.. » à la fois savoureux et intellectuellement stimulant.

Les Presses du Midi, 345 p. 2012, 22 €

Roger Holeindre : C’était des hommes

 Voici un livre qui nous touche à double titre, parce qu’il parle des hommes de l’Indochine et parce que sa préface est signée Yves Gignac. Elle figurera dans l’hommage au fondateur de l’association publié dans le prochain numéro de ce bulletin. Le sous-titre explicite clairement l’objet de l’ouvrage : Histoire vraie de la guerre d’Indochine. Faisant appel aux témoignages de soldats ayant combattu en Indochine, l’ouvrage mêle documents originaux et récits de guerre. La lettre du général de Lattre de Tassigny au général Salan sur les enjeux de civilisation de cette guerre, lue avec un recul de soixante années, par sa clairvoyance, fait froid dans le dos de la France. 

Editions d’Héligoland, 480 p. 2012, 29 € (36 € port inclus, à commander à EDH, B.P. 2, 27290 Pont-Authou)

Edmond Michelet

L’autre visage d’Edmond Michelet

Jean Paul Angelelli

Ce n’est pas une  simple réédition du livre de Bernard Zeller « Edmond Michelet est-il un saint ? » publié en 2009 et commenté dans le bulletin du 3e  trimestre 2009 (numéro 22).  C’est un ouvrage plus riche en notes, références (articles, livres), informations, commentaires (plusieurs dizaines de pages). Avez-vous un texte ? disait Fustel de Coulanges. Ici, ils abondent et les choix de Bernard Zeller ne sont pas unilatéraux. Les soutiens de Michelet ont aussi la parole.

Deux ajouts originaux. Une préface de Michel Déon, de l’Académie française, où il ne cite pas  son livre « Les Poneys Sauvages » qui dévoila au grand public l’affaire Si Salah mais souligne que Michelet est inséparable d’une politique qui transforma « une victoire militaire en défaite politique et civile ».  Dont nous subissons encore les conséquences. Et encore plus pénible, ce chrétien incontestable se mua en accusateur public des  opposants militaires et civils au dégagement de 1962. Autre document original : le compte rendu copieux d’un colloque sur Michelet tenu les 10 et 11 décembre 2010 au Collège des Bernardins à Paris[1].

« Colloque scientifique ou hagiographique » s’interroge Bernard Zeller. Il y eut les deux. Les communicants étaient en majorité des michelistes inconditionnels. Mais Bernard Zeller put intervenir notamment sur l’attitude de Michelet au moment du procès des généraux putschistes, …ce  qui souleva des remous.. Furent aussi évoquées (parfois en demi-teinte) les positions équivoques de Michelet pour aider au retour au pouvoir du général de Gaulle et, après 1962 le silence de Michelet, président de l’association  officielle  France –Algérie, sur les disparus et les massacres de harkis. Ces trois points (et d’autres) sont d’ailleurs largement précisés et développés  dans les treize chapitres qui composent le reste du livre. Peut-on y ajouter ceci, trouvé dans le 3ème  tome des souvenirs d’Alain Peyrefitte « C’était de Gaulle » (Fallois-Fayard.2000). Il y est question (p.64 et suivantes) de  conseils des ministres entre 1966 et 1967 traitant d’une amnistie  pour les condamnés Algérie Française. Michelet  intervient pour quelques cas de collabos libérés mais jamais amnistiés (!) et il obtiendra satisfaction. Pas un mot sur les condamnés d’avant et après 1962 encore détenus.  La charité du grand chrétien Michelet était  bien sélective. En conclusion, l’ouvrage de Bernard Zeller  illustre le court bandeau, signé Hélie de Saint Marc, barrant sa couverture : « Pour que la vérité l’emporte »  

295p.  19 euros,   2012,   Editions Via Romana, se trouve dans les bonnes librairies et sur Internet    

A envoyer à : Via Romana 5 rue du maréchal Joffre 78000 Versailles

[1] Edmond Michelet, Un chrétien en politique, Co-édition Lethielleux – Collège des Bernardins, 262p -20 €

Où en est la béatification d’Edmond Michelet ?

En mettant à part le cas du martyre pour la foi, pour être béatifié, en sus d’une réputation spontanée de sainteté, il faut avoir vécu héroïquement les vertus chrétiennes et être à l’origine d’un miracle. Les vertus chrétiennes sont au nombre de sept, trois vertus théologales – foi, espérance et charité – et quatre vertus cardinales – justice, prudence, tempérance et force.

En se fondant sur une (hypothétique) réputation de sainteté (« fama sanctitatis ») d’Edmond Michelet et après un « nihil obstat » du Vatican, l’enquête diocésaine a débuté en 2006 dans le diocèse de Tulle, Edmond Michelet étant mort en 1970 à Brive. Sur l’initiative de l’évêque de Tulle, ont été créées une commission historique et une commission médicale. Un postulateur pour la phase diocésaine, dans ce cas une postulatrice, a été nommé. Il s’agit de Lucienne Sallé qui a été longtemps au Vatican, au Conseil pontifical pour les laïcs. 

  • La commission historique doit, en respectant la plus stricte objectivité, élaborer un dossier exhaustif sur les actes, les dires et les écrits du « serviteur de Dieu », Edmond Michelet, rassemblant tous les documents historiques concernant la cause de quelque manière que ce soit.
  • La commission médicale examine ou examinera les cas supposés de miracles dus à l’intercession d’Edmond Michelet qui lui seront soumis 

Situation au 1er novembre 2012 ? 

La commission historique, présidée par Yves-Marie Hilaire, comprend, en sus, Jean-Marie Mayeur, Nicole Lemaitre, Hélène Say et sans doute quelques autres professeurs ou archivistes. Ils ont été tous choisis par l’évêque de Tulle, monseigneur Charrier. Ses travaux sont théoriquement secrets.  Nicole Lemaitre estime qu’il faut encore deux années pour achever la réalisation du dossier historique

On ne sait ce qu’a fait ou n’a pas fait la commission médicale dont les travaux sont également secrets.

La postulatrice est à l’intersection de l’ensemble. Elle seule a tous les éléments du dossier. De plus elle reçoit les témoignages écrits de particuliers qui peuvent expliquer en quoi ils estiment qu’Edmond Michelet doit être béatifié. 

Les ecclésiastiques impliqués sont l’évêque ou son délégué, le promoteur de justice, le notaire et deux censeurs théologiens. 

L’enquête diocésaine peut être close quand tous les dossiers sont complets. Après sa clôture commencera, peut-être, à la Congrégation pour la Cause des Saints, la phase romaine du processus pour laquelle un nouveau postulateur, résidant à Rome, doit être nommé. Cette phase peut durer des dizaines d’années.

 Sur le fond, sans être théologien, il apparaît que :

  • La charité d’Edmond Michelet est loin d’être « tous azimuts ». Ceux qu’il considère comme des adversaires sérieux de Charles de Gaulle n’en bénéficient pas, c’est le moins qu’on puisse dire : il a réclamé l’application de la peine de mort à certains d’entre eux après avoir signé le rétablissement de cette même peine en matière politique.
  • Il n’a rien fait, rien dit sur les disparitions d’européens en Algérie et sur le massacre des harkis alors qu’il avait des canaux directs de communication avec le F.L.N., entre autres par son ancien conseiller technique, Hervé Bourges, au cabinet de Ben Bella dès octobre 1962. 
  • Sur un plan différent, ministre en 1967, il a laissé passer la loi Neuwirth, condamnée par le Vatican, sans marquer d’opposition publique et sans abandonner son portefeuille. 

Sur la forme, plusieurs irrégularités de la phase diocésaine, répertoriées dans l’instruction « Sanctorum Mater » sont à noter. Ostension dans des églises ou des cathédrales d’affiches représentant Edmond Michelet à côté de celles représentant des saints tels que sainte Thérèse de Lisieux ou le saint curé d’Ars ; résidence permanente de la postulatrice hors de l’évêché de Tulle ; on peut aussi émettre de sérieux doutes sur l’objectivité de la commission historique dont le président est très lié à la famille Michelet. A noter également la multiplication de colloques ou d’émissions radio-télévisées sur Edmond Michelet. On peut consulter le blog « edmond-michelet.blogspot.com/ ». Il présente de nombreuses informations, occultées systématiquement par la galaxie Michelet (incluant la commission historique).

Retour à Clairvaux

Le nom de Clairvaux évoque à la fois Saint Bernard, l’ordre cistercien et la maison centrale : reclus volontaires et reclus forcés. 

Fondée en 1115, Clairvaux fut l’une des abbayes cisterciennes les plus considérables d’Occident.

Le 10 février 1792, elle est adjugée à un architecte qui la revend à un industriel verrier, lequel la revend à l’état le 27 août 1808 qui en fait, dans les années qui suivent, un dépôt de mendicité et une maison centrale pour les prisonniers, conformément à la loi du 16 juin 1808.  Aujourd’hui encore maison centrale, elle a évidemment beaucoup évolué depuis sa création.

On distingue trois phases :

  • Clairvaux I (1115-1135) est l’abbaye construite du temps de saint Bernard ; elle est située à 400 mètres à l’ouest des bâtiments actuels. Il ne subsiste rien de cette première abbaye.
  • Clairvaux II (1135 -1708), abbaye médiévale dont la construction a commencé du vivant de saint Bernard. Il en reste le bâtiment des convers, récemment restauré, et l’hostellerie des dames construite au XVIe siècle.
  • Clairvaux III (1708-1792), abbaye classique établie sur l’emplacement de l’abbaye médiévale, et bâtie autour d’un cloître, dit Grand Cloître, de proportions très impressionnantes (50 mètres de côté à l’intérieur, 80 mètres à l’extérieur), construit dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle  Le Petit cloître est, lui, construit au milieu du XVIIIe.  L’église, construite à la même époque, a été démolie par l’administration pénitentiaire dès le début du XIXe siècle. 

Conçue pour recevoir 600 criminels et 400 délinquants, la prison en accueillera jusqu’à 3000, et ce dans des conditions absolument déplorables, même en tenant compte des conditions et modes de vie du 19ème et de la première moitié du 20ème siècle.  

La prison a reçu, en sus des « droits communs », des prisonniers politiques notoires dès 1848. En 1871, plusieurs centaines de communards y sont incarcérés. Auguste Blanqui y séjourne dans des conditions effroyables de 1872 à 1875 et encore quatre ans supplémentaires. Suivent le prince Kropotkine et le duc Philippe d’Orléans (bien soigné par la République). Par la suite, des mutins de la grande guerre et André Marty, le futur « boucher d’Albacete » ; des résistants tel Pierre Daix ; des partisans de Vichy et des collaborateurs (Charles Maurras, les amiraux de Laborde et Esteva, Paul Marion, Jacques Benoist-Méchin, …) ; des membres du F.L.N. ; et …des officiers condamnés pour le coup d’Alger du 22 avril 1961. 

Pour ces derniers, ce furent, du 27 juin au 3 août 1961, les généraux  Bigot, Challe, Nicot, Petit et Zeller et les commandants de Saint Marc et Robin. Arrivèrent le 12 juillet les lieutenants colonels de La Chapelle, Lecomte et Masselot. Tous furent transférés « manu militari » à Tulle dans la nuit du 3 au 4 août. 

Laissons la plume à Bernard Zeller :

« Avant-hier, 11 juillet (2012), en rentrant d’Alsace, Edouard et moi nous sommes arrêtés à Clairvaux. Jean-François Leroux-Dhuys, président de l’association « Renaissance de l’abbaye de Clairvaux » nous attendait à l’accueil comme prévu. Le site est de très grandes dimensions; il y a de nombreux bâtiments.

Photo aérienne du site de Clairvaux

L’église a disparu au début du XIXe  siècle; l’ensemble est principalement XVIIIe  siècle avec quelques restes du XIIe  (dortoir et réfectoire immenses des frères convers, restaurés), un bâtiment du XVIIe, l’infirmerie de l’époque, déplacé au XVIIIe  lors de la construction des « nouveaux » bâtiments. Le cloître XVIIIe est un carré de 100 m de côté ! Les moines XVIIIe n’étaient pas ceux du temps de Saint Bernard ; ils priaient et méditaient en marchant dans les bâtiments bien à l’abri des intempéries. Ce bâtiment a été le cœur de la maison centrale installée sous Napoléon dans l’abbaye devenue bien national, ceci à la suite d’une loi créant la peine de détention. Avant cette époque, les condamnés étaient galériens, aux travaux forcés…

Le ministère de la culture et le ministère de la Justice se partagent le site de façon très imbriquée, à tel point que la visite ouverte au public nécessite quand même le dépôt préalable d’une pièce d’identité.

J.F. Leroux-Dhuys, qui a d’excellentes relations avec le directeur de la maison centrale, avait obtenu l’autorisation de visiter les quartiers dépendant de l’administration pénitentiaire. Nous sommes donc allés, le directeur, J.F. Leroux-Dhuys et moi dans cette enceinte extrêmement protégée, les détenus sont tous des condamnés à de très longues peines. Rappelez-vous Buffet et Bontems en 1971 qui ont pris deux otages et qui les ont égorgés dans l’infirmerie (ou petit cloître). Ils ont fini guillotinés. Le terroriste Carlos a aussi séjourné à Clairvaux.

Nous sommes arrivés dans « l’infirmerie », ce bâtiment XVIIe très élégant, qui est aujourd’hui désaffecté. Il a l’architecture d’un cloître, rectangulaire avec une cour intérieure, un premier étage et un étage mansardé. Il a été utilisé jusqu’en 2009 pour quelques détenus à peine légère. C’est là qu’ont été détenus Challe, Bigot, Nicot, Petit, Zeller, La Chapelle, Lecomte, Masselot, Robin et Saint-Marc. Nous sommes passés dans la cour intérieure et sommes montés à l’étage côté est, orienté vers l’extérieur du mur d’enceinte de la centrale. A l’étage, cinq cellules à gauche, cinq cellules à droite. C’est très vraisemblablement dans ces cellules qu’étaient les dix. Ceci est corroboré par le fait qu’André Zeller écrit dans son journal qu’il est réveillé par le soleil à cinq heures et demie du matin – on est fin juin – (orientation à l’est et absence de rideaux). 

Cellule à double exposition du petit cloître ou infirmerie  Elle a vraisemblablement abrité Charles Maurras

De plus, après la Libération, Charles Maurras, condamné, a été détenu à cet étage, dans la coursive Est, de même que les amiraux de Laborde et Esteva et d’autres. Vous imaginez l’impression ressentie à se trouver dans ces cellules d’où, en effet, comme l’écrit André Zeller : « Par ma fenêtre, j’aperçois, au-dessus des murs élevés de la prison, des prairies, des arbres et des toits rouges. C’est plus gai qu’à « la Santé » mais, en même temps, c’est la vision d’un monde interdit ».

 On peut ajouter que le paysage aperçu est beaucoup plus proche que celui aperçu depuis les cellules de Tulle. Les cellules sont en état d’abandon; certaines sont utilisées pour des exercices avec des forces de l’ordre. Il y a un lavabo, un WC et des barreaux verticaux aux fenêtres. On sait qu’en 1961, les détenus ont réclamé eau courante et rideaux. Sur cette question des rideaux, le directeur précise qu’ils étaient interdits car empêchant la vue des barreaux lors d’inspections intérieures nocturnes : si un barreau avait été scié, le gardien ne le voyait pas. Ils ont quand même eu leurs rideaux. Aujourd’hui, ceuxci ne sont plus interdits car les barreaux ont été « améliorés »; ils forment un grillage de maille de 25 cm environ en acier très dur. Pour passer par une fenêtre, un détenu devrait scier quatre barreaux ce qui n’est pas faisable dans la nuit.

La prison moderne, appelée à Clairvaux les H.L.M. car construite en 1970, est contigüe à « l’infirmerie », séparée par de hauts murs en parpaings. En passant, on entend les détenus faire du sport. Ce sont tous des D.P.S. (détenus particulièrement surveillés). Ils ont des cellules individuelles et plusieurs activités leur sont proposées, dont la fabrication de chaussures de sécurité pour lesquelles ils perçoivent un salaire. Certains ne sortiront que les pieds devant. Cette présence et la violence associée sont très prégnantes sur tout le site mais surtout quand on se rend à l’infirmerie en longeant le mur délimitant à l’intérieur de l’enceinte pénitentiaire la zone réservée aux détenus (environ 150 et autant de gardiens). Les détenus peuvent, dans certaines conditions, recevoir des visites dans des parloirs, y compris dans des studios équipés.

Du temps du séjour des officiers, les bâtiments modernes n’existaient pas et les détenus de droit commun étaient dans les bâtiments de l’immense cloître XVIIIe.

Lors d’échanges avec le directeur, celui-ci a insisté sur le fait que recevoir, en tant que directeur, comme en 1961, dix détenus politiques de première importance est la pire tuile qui puisse arriver : harcèlement permanent du ministère de la Justice et de son administration pénitentiaire pour savoir comment se comportent les détenus, ce qu’ils disent et pensent, etc., risques d’évasion avec les conséquences pour la carrière,… D’après Jean-François Leroux-Dhuys, le déménagement impromptu de Clairvaux à Tulle a été motivé par la crainte d’une évasion collective des détenus. Ceux-ci étant des officiers de haut rang, ils auraient pu être délivrés par des commandos formés de militaires expérimentés, délivrance facilitée par le fait que les dispositifs de sécurité de l’époque et du lieu n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Après cette visite exceptionnelle, nous avons suivi la visite guidée ouverte à tous. Elle vaut la peine : bâtiment des frères convers, cloître monumental du XVIIIe, lieu de détention jusqu’en 1970. Une loi, à la fin du XIXe a stipulé que les détenus devaient avoir des cellules individuelles pour la nuit. Il n’existait à Clairvaux que des dortoirs (non chauffés). Alors l’administration a conçu ce qui est dénommé « cage à poule ». Une quarantaine de cages à poule en deux rangées de vingt ont été installées dans les dortoirs; ces cages de 2m x 2m x 1,8m, faites de barreaux de métal, posées sur le sol, étaient fermées entre 19h00 et 7h00 avec un détenu dans chacune d’elles. Christian de la Mazière, qui les a pratiquées, les décrit dans son livre « Le rêveur casqué ». La chapelle, aujourd’hui désaffectée, est une vraie cathédrale. Le tout est dans un état d’abandon terrible. Il faudrait des dizaines et des dizaines de millions d’euros, si ce n’est des centaines pour restaurer ne serait-ce que le grand cloître XVIIIe… »

Le colonel Vaudrey

 Le colonel Vaudrey est né le 27 septembre 1912 à Paris. Il est mort d’une leucémie le 15 janvier 1965 en exil à Bruxelles. Dans son numéro 60 de février 1965, L’Esprit Public lui rend hommage. Voici ce qu’écrit Roland Laudenbach sous le titre : 

VAUDREY NOTRE AMI

« Je n’oublierai pas ce lundi 18 janvier ni ce déjeuner, curieusement situé rue de la Santé, où nous devions nous retrouver quelques-uns avec Bernard George, Michel de Saint-Pierre et Paul Dehème. C’est ce dernier qui m’apprit la nouvelle, parue le matin dans la Lettre Confidentielle, que j’avais, pour une fois, omis de lire. Il me tendit un carton, bordé de noir: le colonel Roland Vaudrey venait de mourir, en exil.

Nous ne sommes pas les bateleurs de nos morts, et plût au ciel qu’ils soient vivants, Degueldre, Piegts, Dovecar, le colonel Bastien-Thiry, le commandant Casati, et maintenant le colonel Vaudrey. Mais nous ne pouvons pas les laisser partir sans un mot, sans un signe d’adieu, nous ne pouvons pas ajouter le silence à la terre qui les recouvre.

Raoul Girardet, Jacques Laurent et Jean Brune avaient connu le colonel Vaudrey en Algérie, quand il y exerçait un commandement sur la presqu’île de Collo. Chassé d’Algérie avec le colonel RomainDesfossé par une décision significative et élogieuse du pouvoir gaulliste, il devait tout naturellement retrouver ceux qui, à Paris, venaient de fonder « L’Esprit Public » et que j’ai nommés[4]

Je le vis pour la première fois, un samedi matin de décembre ou de janvier, dans le bureau modeste où Henry Smadja, le directeur de « Combat », avait bien voulu abriter notre feuille anticonformiste. Nous nous préparions sans moyens, sans argent, à la bataille, à la défaite du Référendum. Vaudrey frappait par la clarté de son regard par la résolution de son caractère. Malgré une situation de famille lourde et difficile, il n’était pas de ces officiers qui mettent dans les balances de leurs devoirs des considérations de solde ou d’avancement. Je crois qu’il était sorti du rang : de toute manière, ses qualités étaient populaires, et j’emploie ce mot, sans restriction ni démagogie, dans son sens le plus fort et le plus noble.

Arrêté Avenue Kléber, au matin du Putsch, et compromis dans ce que la police a appelé le Complot de Paris, il n’était pas homme à accepter la détention. Les conditions de son évasion sont peu connues, mais elle fut spectaculaire. Il rejoignit en Algérie l’armée de l’ombre. Il évita une nouvelle arrestation et, après la victoire commune des Présidents De Gaulle et Ben Bella, prit le chemin de l’exil. Atteint d’une maladie impitoyable, on imagine quels furent ses derniers mois, loin des siens et de sa patrie.  Pourtant, ni il ne désespéra ni il n’abandonna. Sa contribution spontanée à « L’Esprit Public » (ce n’était pas nous qui étions allés le rechercher. Où et comment ? Il nous envoya son texte par la poste) prouvait qu’il n’était pas résigné, et qu’au milieu de tous ses soucis, ou plutôt au-dessus d’eux, celui de la nation asservie, trompée et malade, l’obsédait encore. L’ami qui entoure de soins une voisine très respectable et affectionnée me rapporta que dans l’église de Bruxelles où eut lieu la cérémonie religieuse due au Colonel, les orgues jouèrent la Marseillaise et que les employés des Pompes Funèbres se mirent au garde-à-vous. Seuls, ceux qui n’ont pas connu l’épreuve glaciale de l’exil ou ceux qui, ne l’ayant pas connue, manquent d’imagination, peuvent rire ou sourire de ce détail. Je le dédie aux autres. Roland Vaudrey repose maintenant dans la terre de Reims.

Il aura ainsi manqué au tableau de chasse du général Debrosse et des policiers français. Comme Jacques Isorni le proclamait à la face du substitut du Procureur de la République qui venait de requérir contre lui, je ne souhaite pas que les prisons qu’il faudra ouvrir et vider se remplissent de nouveau (une bonne douzaine de cellules suffira), mais je rêve que tout ce joli monde de généraux et de poulets soit un jour contraint – je dis contraint – de faire les pèlerinages des cimetières où dorment leurs victimes. Et qu’ils restent debout, tête découverte, de longues heures. Et que s’agenouillent ceux qui savent. Et que le rouge de la honte leur monte au front, dans le vent glacial du jour d’hiver que nous aurons choisi pour ces cérémonies expiatoires. Et qu’ils se taisent. Et qu’ils repartent, les mains moites d’une peur inutile, leurs visages de cafards enfin démasqués et décomposés, retrouver la chaleur de leur petite existence médiocre. »

Roland Laudenbach n’a pas été le seul à saluer le colonel Vaudrey. Dans le numéro de février 1965 du « Charivari », Claude Jacquemart consacre trois pages à ce combattant hors du commun.

Né le 27 septembre 1912, Roland, Scipion, Annibal Vaudrey – prénoms prédestinés pour ce soldat hors pair – est de la 120e promotion de Saint-Cyr, 1933-1935, promotion du roi Albert dont cinquante huit anciens élèves sont morts pour la France. Parmi eux, en Indochine : Raffali et de Sairigné.  

En 1961, quand il franchit la ligne de la discipline pour rester dans celle de l’honneur, il a combattu pour la France pendant la guerre de 1939-1945, en Indochine et en Algérie. Il est commandeur de la Légion d’honneur depuis 1956 et titulaire de 17 citations (autant que le général Salan), la plupart à l’ordre de l’armée.  

S’il ne fallait retenir que deux moments de sa vie – on n’ose écrire de sa carrière en parlant du colonel Vaudrey –, le Tonkin et le Laos 1950-54 et Alger 1962 s’imposent.

En 1950, à la tête du 3ème bataillon Thaï, il bloque deux régiments de la Division Viet 312 à Lai Dong. Fin 1952, début 1953, il est l’adjoint du colonel Gilles lors de la bataille  victorieuse de défense de la base aéroterrestre de Nasan. Deux jours avant Noël 1953, à la tête d’une colonne formée de légionnaires et de tabors marocains, partie de Muong Khoua au Laos, il fait la jonction à Sop Nao (à 30 km à l’est) avec la colonne du lieutenant-colonel Langlais venant de Dien Bien Phu à la tête d’un groupement formé d’éléments du 1er B.E.P. et du 8ème B.P.C. Liaison destinée à montrer la capacité de manœuvre à partir de Dien Bien Phu et qui restera sans lendemain. (Suite page 19)

Le commandant Vaudrey, à gauche, au PC souterrain de Gilles, à Nasan fin 1952,  avec le commandant Fourcade et le colonel Ducournau 

Après son évasion, le 25 septembre 1961, consécutive à sa condamnation à dix ans de détention au titre du « Complot de Paris », le colonel Vaudrey, conformément à ce qu’a demandé le général Salan, gagne l’Algérie dans la clandestinité et se voit confier, au sein de l’O.A.S., la zone d’Alger. Zone difficile sous de nombreux aspects, l’un des moindres n’étant pas le problématique amalgame entre civils, officiers subalternes et officiers supérieurs et, brochant sur le tout, la présence sur place du général Salan. Le 1er février, Roland Vaudrey (S300 ou R1491 dans la clandestinité) émet sa 5ème directive d’orientation[1] destinée aux responsables de la zone d’Alger :

« Dans la transmission que je vous ai adressée, de la Directive n°23, en date du 24 janvier 1962, du général commandant en chef,  je vous disais que le mois de février serait décisif.

Février sera, en effet, le mois de la décision en ce qui concerne les accords éventuels « Gouvernement français – G.P.R.A. », soit que la « négociation » ait abouti à un accord, soit qu’elle ait échoué.

Dans cette perspective, février doit prouver de façon indiscutable à la face du monde que rien ne pourra se faire en Algérie sans nous et, à plus forte raison, contre nous, étant entendu que nous avons, par ailleurs, récusé, une fois pour toutes, le régime et le gouvernement actuels parce qu’ils sont ceux de l’imposture et de la forfaiture. C’est donc à administrer cette preuve que nous devons nous consacrer durant le mois de février, en concentrant nos efforts sur les activités les plus susceptibles de réaliser, efficacement et au plus tôt, la paralysie et le discrédit des autorités civiles et militaires d’occupation. L’impuissance de celles-ci à s’imposer et à contrôler l’application de la politique algérienne du pouvoir, ou même à assurer seulement « la vie courante » de l’Algérie, doit se manifester de façon aveuglante et irréversible à la Métropole, à l’Algérie, au F.L.N. et au monde entier. Il est capital et indispensable qu’il soit au plus tôt démontré à chaque Français de l’un ou l’autre bord de l’opinion que de Gaulle ne peut plus être l’homme de la paix en Algérie. Seule la réalisation de cet objectif est actuellement susceptible de provoquer la chute du régime qui est notre premier objectif, puisqu’il ne sera pas possible d’apporter une solution française au problème algérien, tant que de Gaulle et ses laquais seront au pouvoir.

C’est donc en Algérie et en tout premier lieu à Alger que cet objectif peut et doit être atteint. C’st donc à nous d’y travailler par tous les moyens, avec le souci d’atteindre cet objectif à la fin du mois de février ou au début du mois de mars au plus tard. Ce but ainsi défini, comment l’atteindre ? 

(…) A titre indicatif, voici quelques suggestions d’ordre général :

  1. – L’action à mener doit être considérée comme une « offensive générale » à poursuivre sous toutes les formes  et par tous les moyens, légaux aussi bien qu’illégaux – agitation et grèves tournantes dans chaque profession – manifestations « spontanées » – désertion des membres des forces de l’ordre – vols d’armes, de munitions, matériel radio, argent liquide – enlèvement, ponctuelles, et sabotages spectaculaires – omniprésence de nos éléments sous la forme adaptée aux possibilités de chacun d’eux – utilisation des femmes et de la jeunesse – information et propagande accrues  –  fraternisation « spontanée » avec des musulmans et des forces de l’ordre, etc.

Un tract est à préparer en vue de rendre effective la mobilisation prescrite par le GENECHEF il y a un mois et de faire réellement participer la masse à cette offensive générale. D’autres tracts devront suivre pour fixer les missions particulières de chacun dans son domaine.

  1. – L’action, bien que multiforme, généralisée et spectaculaire doit cependant viser quelques résultats précis et notamment :
  2. faire échec aux autorités dans quelques domaines bien définis et soigneusement choisis
  3. paralyser et réduire à l’impuissance la « machine administrative » tout en créant un véritable climat de terreur pour les autorités civiles et militaires, ainsi que pour les adversaires de l’Algérie Française. L’échec à infliger aux autorités pourrait viser pour commencer :

-la disparition totale et définitive des polices spéciales et des organisations politiques parallèles. De spectaculaires résultats ont déjà été obtenus dans ce domaine, le 21-12-61 et le 23-1-62, il est possible, je pense, d’obtenir en février leur destruction ou leur disparition à peu près totale, grâce à un ensemble de mesures de représailles que nous mettrons au point ensemble.

-la réaction passive de la population à toute fouille de nuit comme de jour, d’immeuble ou d’îlot, ainsi qu’à tout barrage, de façon à les rendre de plus en plus difficiles ou impopulaires, pour les rendre à peu près impossibles. -le rétablissement de la circulation automobile normale entre les heures de couvre-feu permet des manifestations de masse et actions particulières dont la nature est à préciser.

-la généralisation des coups de klaxon aux « trois brèves – deux longues », au moindre incident ou embouteillage, ceux-ci peuvent être provoqués par nos soins suivant un plan à déterminer, etc.

Le but à atteindre est double : provoquer la capitulation des autorités, d’une part, et engager la masse dans l’action, d’autre part. 

La paralysie de la « machine administrative » pourrait être obtenue par :

-la grève durable de tous les fonctionnaires de toutes les administrations

-la disparition de plus en plus fréquente et importante de courrier administratif.

-des grèves tournantes dans toutes les administrations, assorties et aggravées de grèves de transports publics et de l’E.G.A. pour des mobiles « professionnels » (intégration aux administrations métropolitaines, meilleure protection contre les attentats, revendications salariales, etc.)

-l’organisation méthodique d’un climat de terreur à tous les échelons des autorités civiles et militaires responsables. Dans tous les domaines ci-dessus visés, l’extension de notre structuration horizontale (dont la récente réunion du 24 janvier a permis des progrès incontestables) et l’achèvement de la mise en place de notre structuration verticale doivent être utilisés au maximum et toujours simultanément.

III – Ces dispositions, complétées par des ponctuelles, sabotages et vols de plus en plus nombreux et spectaculaires, ainsi que par la provocation systématique à la désertion des forces de l’ordre et toute autre forme d’action que vous seriez en mesure de suggérer et de réaliser me paraissent de nature à atteindre le but fixé.  

[1] Cette directive est antérieure à l’instruction 29/OAS du général Salan du 23 février 1962, « l’irréversible est sur le point d’être commis … »considérée comme l’appel à passer à l’insurrection généralisée.

Le 26 mars, c’est l’appel à la manifestation de solidarité avec les Algérois de Bab-el-Oued, manifestation se soldant par l’assassinat par les forces de l’ordre de 62 civils sans armes. 

Après l’indépendance de l’Algérie, c’est l’exil, puis la maladie, implacable, et la mort hors de la patrie.

Les accords O.A.S – F.L.N. vus par le colonel Godard

Au premier trimestre 1967, les Editions Robert Laffont publient un ouvrage de Fernand Carréras, ancien rédacteur-en-chef du « libéral » Journal d’Alger, intitulé « L’accord F.L.N.-O.A.S. » et donnant le très beau rôle à l’ancien ministre et maire d’Alger, Jacques Chevallier.

Le colonel Yves Godard vit alors en exil en Belgique. La lecture du livre de Carréras le fait réagir et il couche par écrit l’analyse qu’il en fait et les rectifications qui lui paraissent nécessaires. En fait, on peut considérer les pages qu’il a écrites, déposées à la Hoover Institution et jamais publiées à ce jour, comme pouvant faire partie d’un projet de troisième tome de ses mémoires dont seul le premier tome a été terminé et publié (Les trois batailles d’Alger – Les paras dans la ville).  

A noter qu’un ouvrage à tonalité hagiographique, intitulé « Jacques Chevallier », écrit par José-Alain Fralon a été publié en mai 2012. Le sous-titre en est :

« L’homme qui voulait empêcher la guerre d’Algérie », rien que ça !    

Allo Carreras, ici Godard

Réflexions sur « L’accord FLN-OAS »  de Fernand Carreras Editions Robert Laffont  (1er trimestre 1967)

La tentative de Raoul Salan

Dans le chapitre premier, Carréras présente son héros. Il s’agit de Jacques Chevallier qui fut député-maire d’Alger et ministre de la Défense Nationale en 54-56 dans le gouvernement Mendès.

Cet opulent bourgeois, intelligent et séduisant, fut incontestablement une des personnalités les plus marquantes de l’Algérie d’après-guerre. Il a été pour Alger un bon maire et un grand bâtisseur. L’ambition politique l’a amené à afficher des opinions avancées qui, si elles l’ont servi en métropole, lui ont beaucoup nui dans son fief. Le développement de la rébellion a ruiné son crédit. Il a finalement été écarté de sa mairie par le 13 mai 1958. Il s’est ensuite prudemment étouffé en caressant l’espoir de rentrer dans l’arène, une fois l’orage passé. L’auteur fait un récit détaillé – il occupe plus de dix pages – d’une entrevue d’octobre 1961, entre le général Salan et Jacques Chevallier. Cette relation peut paraître hors du sujet. Elle ne l’est pas tellement. Elle constitue, en effet, pour le lecteur souvent peu averti une parfait mise en condition en faveur de celui qui sera le véritable meneur du jeu dont doit traiter l’ouvrage. Ce hors d’œuvre appelle certaines remarques. Notons, au passage, les précautions dont s’est entouré Chevallier avant de céder à la tentation alors que Joxe, ministre en exercice, estimait devoir en référer « à une plus haute instance » ! Le tout est très plausible ?

Le colonel Godard, au temps où De Gaulle avait « compris » les Algérois

Susini, ensuite, larguant déjà l’Algérie Française. Comme il faut s’attendre à tout de la part de Susini, ce n’est pas impossible, quoique, quand même, un peu prématuré.

La présence de Degueldre aux préliminaires fait bien dans le tableau mais ceux qui ont connu le chef des Deltas en douteront beaucoup.

L’intermédiaire Caruana est, par contre, authentique. Pour toucher Chevallier, rien de mieux qu’un gars du bâtiment : Caruana en était. Son entreprise avait coulé des masses de béton, pour le compte de Pouillon, à Dar el Mançoul et à Dar es Saada. Elle en avait coulé aussi pas mal au Rocher Noir …

Le général Salan, enfin, soucieux de rallier les musulmans, opposé à toute violence à leur égard et considérant De Gaulle comme l’obstacle à écarter, il n’y a là rien à reprendre. Du reste du chapitre, nous ne retiendrons que les confidences de Charles Baujard et de Farès. Elles s’adressaient, le 18 avril, à un journaliste. Elles n’étaient donc pas destinées à l’oreille d’un sourd.

Il convient de ne pas trop s’attarder sur les tuyaux de Baujard. Le ci-devant maire de Blida est, en effet, un piètre personnage. Petit-fils de maquignons, débarqués en Algérie complètement démunis mais courageux et travailleurs, il n’est, lui, qu’un maquignon sans courage. Nous l’avons vu peler littéralement de frousse en mai 1958. Trois ans après, en juin 1961, l’apparition du sigle de l’OAS  a suffi pour le faire fuir au Maroc où il avait des terres. Encore lui a-t-il fallu le secours de Bastanietto, un proche de Susini, pour gagner l’aire d’embarquement de Maison Blanche. Après Evian, il est revenu, tel le chacal, se calfeutrer au Rocher Noir, comme le dit très justement Carréras. Les bavardages d’un tel bonhomme n’ont jamais beaucoup d’écho.

Farès n’est qu’une autre fripouille mais il représente au moins cette poignée de musulmans évolués qui, pendant longtemps, fut considérée par nos Gouverneurs Généraux comme une élite promise à l’encadrement de la masse indigène. Fausse élite, certainement, parce que surtout vénale, mais, quand on veut préserver l’Islam, peut-on en changer les notables ? Farès a été l’un d’entre eux. D’une étude de notaire des environs d’Alger, il est passé à l’Assemblée Algérienne. Il a présidé ensuite cette honorable compagnie qui n’a jamais servi à rien sauf de tremplin politique. Il y a manifesté des idées libérales teintées de nationalisme mais sans jamais enfreindre la légalité. La rébellion de 1954 l’a débordé. Il a jugé prudent d’aller à Paris poursuivre, sans trop de risque, un subtil double jeu. En décembre 1961, il fut jeté en prison, la DST ayant subitement découvert en lui le grand financier du FLN ! Tout le monde a parfaitement compris que ce n’était là qu’une manœuvre visant à valoriser et à protéger un « intérimaire » possible. C’est donc paré de l’auréole des victimes de la répression que, quelques mois après, il a quitté la Santé pour présider au Rocher Noir, désigné par Paris mais accepté par le GPRA, comme le stipulaient les accords. Farès, toujours soucieux de son avenir, a alors caressé l’espoir de ne pas être qu’un bouche-trou. Le FLN, violent et avide, marxiste et islamiste, lui faisait peur, un peu pour son pays et beaucoup pour lui-même. L’illusion d’Evian, par contre, cet état indépendant associé ménageant une présence française, ouvrait à ses ambitions de bien meilleures perspectives. Il en jouera la carte en rêvant de devenir le champion des garanties aux Européens et de trouver, parmi ces affreux colons, de nombreux et puissants supporters. De potiche destinée à être reléguée, il deviendra ainsi chef d’un clan, minoritaire en nombre mais pas en influence. Même les « Historiques », qui se préparent à rentrer au bercail, devront en tenir compte. La combinaison du président de l’Exécutif est pourtant perdante dès le départ. Ceci pour deux raisons. Les Européens n’ont, à juste titre, aucune confiance en lui, même les moins activistes du genre Chevallier. Quant au FLN, il choisira à Tripoli la voie de l’extrémisme, celle de Ben Bella. Mais c’est là anticiper. Retenons seulement que, dès le début d’avril, alors que Salan était encore debout, quelques opportunistes grenouillaient déjà pour le compte de Susini, Farès et Chevallier…

Abderhamane Farès  

Jean-Jacques Susini

    Jacques Chevallier                                                                            

Où l’on voit apparaître Jean-Jacques Susini

Le chapitre, comme l’indique son titre, commente, pour la motiver, l’entrée en scène de Jean-Jacques Susini. Le tableau qu’il trace de l’ambiance du moment et l’interprétation orientée de certains événements constituent un ensemble trop confus pour éclairer valablement le lecteur qui n’a été qu’un observateur lointain de ce dernier acte du drame algérien. C’est le cas du métropolitain et aussi de l’étranger. Par contre, celui qui a été de la mêlée relève dans ces pages beaucoup de mensonges et d’erreurs.

Que prétend Carréras ? D’abord que l’OAS a perdu la confiance de son soutien populaire à la suite d’une série d’échecs subis entre le cessez-le-feu et l’arrestation du général Salan, donc entre le 19 mars et le 20 avril. Il affirme que cette « débâcle »  a été accélérée par « le massacre délibéré du Musulman dans la rue», crime que j’ai imposé tandis que d’autres, dont Susini, tentaient vainement de s’opposer à mes « initiatives démentielles ». Et d’un ! Toujours d’après l’auteur, la tactique de la terre brûlée n’a été dictée que par une poignée de furieux dont j’étais, contre la volonté de ceux qui n’y voyaient qu’un «  horrible aboutissement » et qui, derrière Susini, espéraient le salut d’une négociation avec le FLN. Et de deux ! Gardes se laissant convaincre, Murat aussi, moi-même acceptant l’idée d’une démarche, Pérez demeurant l’unique et farouche opposant. Et de trois !

Des rectifications s’imposent. Avant de les formuler, examinons, dans leur suite chronologique, les revers que nous avons subis.

-19 mars, jour J du cessez-le-feu d’Evian. Nous espérons, non pas un refus d’ensemble de la part de l’armée, mais, dans son sein, au moins des sursauts suffisants pour poser un problème. Mais elle met l’arme au pied sans broncher et en grognant à peine. C’est pour nous une amère déception.

Le colonel Godard en exil en Belgique

-le lendemain, 20 mars, quatre obus de mortier de 60 percutent sur la place du Gouvernement où flâne, comme toujours un foule de Musulmans désœuvrés. Bilan, quatre morts et une soixantaine de blessés. La troupe intervient pour parer, non sans peine, à une riposte de la casbah. Elle marque, à cette occasion, sa volonté de s’opposer aux violences mais le fait avec une modération qui tient de la neutralité. Pour nous, c’est un espoir. Cela ne veut pas dire que ce bombardement soit une initiative heureuse. C’est plutôt une erreur, celle d’un groupe d’exaspérés rêvant d’une épreuve de force, qui ne peut que tourner à notre désavantage. -vendredi 23 mars, Bab el Oued, dès l’aube, opte pour l’insurrection. Trois commandos, c’està-dire, en gros, trois sections, portant un uniforme et des armes apparentes, s’y dévoilent et entendent interdire toute incursion des forces de police et même de l’armée. Le quartier est unanime pour applaudir, soutenir et participer. Les gardes mobiles et les CRS accourent mais se contentent de boucler. La matinée est marquée par une escarmouche qui fait six victimes dans les rangs d’une patrouille militaire égarée. L’armée, qui a hésité un moment, intervient massivement pour obéir à des ordres formels. Les armes automatiques tirent sans sommation  sur tout ce qui se présente. 

Des hélicoptères lâchent des chapelets de grenades tandis que des avions balaient les terrasses à la rocket et à la mitrailleuse lourde. A 16 heures, les 150 garçons des commandos, confrontés avec 15.000 soldats subitement déchaînés, ne peuvent que décrocher. A 18 heures, Bab el Oued est truffé de blindés, hermétiquement ceinturé et, sous prétexte de fouilles, honteusement mis à sac. Le blocus ne sera levé que le jeudi suivant, 29 mars. Pendant près d’une semaine, les pires brimades vont s’abattre sur les malheureux assiégés. Ils feront certes front jusqu’au bout avec un courage admirable. Mais le bilan est lourd pour nous, dès le soir du 23 mars.

                  (Suite au numéro 35)


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