Bulletin 28

Bulletin 28

Le général Gardy

  • Biographie
  • Mémento personnel sur les événements d’avril 1961 (1ère partie)

 

association «les amis de raoul salan»

24, rue alain chartier – 75015 Paris – www.salan.asso.fr – info@salan.asso.fr

Le général Paul Gardy

Biographie

Né à Paris le 18 août 1901, Saint-Cyrien de la 108ème promotion (« du Souvenir »), le sous-lieutenant Gardy, sorti de Saint-Cyr en 1923, passe un an d’application à Saumur puis rejoint le 8ème régiment de hussards. Promu lieutenant, il est désigné pour le Levant en septembre 1925 et affecté, sur sa demande, au 4ème  escadron du 1er  REC avec lequel il prend part aux colonnes de l’Hermon. Il s’y distingue notamment lors de la défense de la citadelle de Rachaya. Deux fois blessé et cité à l’ordre de l’armée, il est évacué. Affecté un temps au 12ème régiment de Cuirassiers, il revient en octobre 1926 au 1er escadron du 1er  REC, dans la région de l’Euphrate.  

Avec son unité, il est envoyé à Bou Denib au Maroc en 1927, puis à Sousse en Tunisie en août 1928. En juin 1929, le lieutenant Gardy passe au 3ème  escadron avec lequel il repart au Maroc, cercle de Rich. Il est ensuite détaché au 37ème régiment d’aviation, à l’escadrille de Ouarzazate, avec laquelle il opère dans l’Atlas Central, le Sagho et les confins du Draa. Il y obtient deux citations et il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.

En 1931, il est affecté au 1er régiment de Chasseurs d’Afrique, puis au 3ème Hussards.  En 1932-33, il suit le cours de lieutenant instructeur à Saumur, puis rejoint le 1er  REC à Sousse en octobre 1933, où il prend le commandement du 1er escadron. Capitaine en octobre 1934, il quitte le 1er  REC en 1938 pour rejoindre l’école de guerre après un court passage au 2ème bataillon de Dragons Portés. 

Il fait la campagne de 1939-40 à l’état-major de la 20ème  D.I., où il gagne une citation en juin 1940. Il rejoint rapidement l’Afrique du Nord où il est affecté au 4ème régiment de Spahis Tunisiens. Chef d’escadrons en juin 1941, il commande le 2ème  groupe d’escadrons de ce régiment et prend part à la campagne de Tunisie où il est cité à l’ordre de l’armée. Il est désigné ensuite comme chef du 3ème  bureau de la 1ère  D.B. à partir de juillet 1943. Nommé commandant en second du 2ème  régiment de chasseurs d’Afrique en avril 1944, il participe avec ce régiment à la campagne de France où il se distingue lors de l’offensive en Haute Alsace. Blessé à deux reprises, il est cité à l’ordre de l’armée et promu officier de la Légion d’honneur. 

Lieutenant-colonel en janvier 1945, il est désigné comme instructeur à l’école d’état-major, puis attaché au cabinet militaire du général Kœnig à Baden-Baden. À partir de mars 1946, il commande le 1er régiment de Cuirassiers à Neustadt. Colonel le 1er octobre 1947, il prend en juin 1948, les fonctions de chef d’état-major de la 1ère  .D.B, qu’il conserve jusqu’en février 1951. Il est alors nommé commandant de la subdivision de Tours. Il reçoit la cravate de commandeur de la Légion d’honneur.  Désigné d’abord comme commandant en second du GALE (Groupement Autonome de la Légion Etrangère) à Sidi-Bel-Abbès le 15 septembre 1951, il en prend le commandement le 1er octobre. En 1955, il rejoint l’Allemagne comme adjoint au général commandant la 1ère D.B.. Promu général de brigade en 1957,  il est nommé inspecteur de la Légion étrangère le 31 juillet 1958. Il participe à la préparation et à la réalisation du coup d’Alger des 21au 25 avril 1961 puis rejoint le général Salan au sein de l’OAS et prend en charge la région d’Alger puis gagne Oran où il reste jusqu’à la fin de juin 1962. Le 11 juillet 1961, le Haut Tribunal Militaire l’avait été condamné à mort par contumace.

Grand officier de la Légion d’honneur, il décède accidentellement en Argentine où il s’était exilé. 

LES AMIS DE RAOUL SALAN

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Mémento personnel sur les événements d’avril  (1ère partie)

Le choix a été fait de présenter ce document sans commentaire ni note explicative de façon à lui laisser toute sa force.  Dans le prochain bulletin, en fin de seconde partie, nous fournirons quelques explications complémentaires et de contexte pouvant être utiles à certains des lecteurs du bulletin.

Le document se présente sous la forme de 26 feuillets dactylographiés précédés d’une quinzaine de lignes de présentation.  Dans le texte, le général Gardy désigne les acteurs des événements par des lettres uniques ou double (de A à Z et de AA à CO), soit en tout 88 noms.  Précaution prise par un homme dans la clandestinité à un moment où la répression contre les participants au coup d’Alger bat son plein. (Voir, infra, copie d’une page du texte original et d’une page des tableaux de correspondance lettres ↔ noms)

 Pour faciliter la lecture, dans le texte présenté, les lettres ont été remplacées par les noms.     

Mémento personnel sur les événements d’avril

———————–

Je rédige ces notes pour conserver, à toutes fins utiles, un souvenir aussi précis que possible des événements auxquels j’ai été directement mêlé du 20 au 24 avril. N’ayant pu conserver aucun document lors de la fin du mouvement et de mon passage dans la clandestinité, j’ai écrit ces pages entièrement de mémoire. Je n’en puis donc garantir l’entière exactitude quant aux détails concernant notamment des heures précises, l’ordre dans lequel se sont déroulés tels incidents à peu près simultanés ; je puis affirmer que l’ensemble est conforme à la vérité :

  • de façon absolue pour ce dont j’ai été témoin oculaire ou auditif,
  • d’aussi près que possible pour ce qui m’a été rapporté par mon entourage ou d’autres personnes que j’indique au cours du récit.

Quant au jugement ou opinions que je puis émettre çà ou là, j’ai cherché sincèrement à les exprimer aussi objectivement que possible. J’ai par ailleurs intentionnellement voulu ne pas aborder les événements qui se sont déroulés en dehors de ma sphère d’action, sauf lorsque c’était indispensable pour l’intelligence du contexte ou s’ils ont directement influé sur ma conduite ou sur ce qui s’est passé autour de moi.

Alger, 3 au 8 juin 1961

Mardi 18 avril

Paris 17 heures. Réunion au bureau du colonel Lacheroy où doivent être mis au point les derniers détails – ou avant-derniers – et la décision confirmée. Sont présents, notamment : (Lacheroy étant parti pour Alger depuis plusieurs jours déjà pour préparer l’affaire sur place) le général Faure qui préside, le colonel Godard, le colonel Vaudrey, le colonel Bernard, le colonel de Blignières, le colonel Callet, le commandant Casati, le capitaine Sergent et quelques autres. Le général Faure confirme que l’insurrection doit être déclenchée à Alger dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 avril. On compte, pour le premier temps, uniquement sur le commandant Robin avec trois ou quatre de ses compagnies, quelques commandos de l’Air et sur le 1er R.E.P. Mais pour ce dernier, aucune liaison n’a été prise, le chef de corps n’a pas été sondé ; quelques officiers et  éléments arrivés à Alger, qui sont décidés depuis longtemps, l’ont été par le lieutenant Degueldre. On compte pour entraîner le chef de corps (dont on ignore qu’il est en permission) et l’ensemble du régiment sur la personnalité des chefs du mouvement, d’une part, et sur les officiers mutés en métropole depuis un an, qui vont se rendre là-bas pour l’action. 

En dehors de ces quelques unités, les seules sur lesquelles on puisse compter pour déclencher le mouvement à Alger, on pense avoir l’appui des unités suivantes dont les chefs ont pris des engagements et se disent sûrs de leurs troupes : – 27ème  Dragons, à Bouira, colonel Puga

  • 1er R.E.C. , à Kenchela, colonel de la Chapelle
  • 18ème R.C.P. , Constantinois, colonel Masselot
  • 14ème R.C.P. , Constantinois, colonel Lecomte
  • 2ème R.E.C. , Djelfa, colonel de Coatgoureden 

Le colonel Argoud est chargé de se rendre initialement dans le Constantinois pour informer directement et personnellement celles des unités qui s’y trouvent et leur donner des instructions.

Par ailleurs, un officier envoyé par le colonel Brothier (commandant le 1er R.E.) est venu en liaison à Paris il y a un ou deux jours seulement apportant l’adhésion de son patron, les conditions déjà posées par celui-ci étant satisfaites (direction du mouvement par le général Challe).  Garantie est donnée par les colonels Argoud et Broizat que, tout ceci étant, on peut raisonnablement compter que les régiments de Légion marcheront, une fois l’affaire déclenchée, sauf les 3ème R.E.I. (colonel Langlois), 13ème D.B.L.E. (colonel Vaillant) et 2ème R.E.P. (colonel Darmuzai), dont les chefs sont inconditionnels. 

Le plus gros obstacle est constitué par l’ensemble du commandement tel qu’il s’est trouvé progressivement mis en place par le Régime, depuis le commandant en chef jusqu’aux chefs de secteurs, en passant par les commandants de Corps d’Armée et de divisions (zones). Sauf rares exceptions, il s’agit ou d’inconditionnels et absolument opposés par avance à toute réaction contre la politique algérienne du Régime, ou, et c’est la plupart, de lâches qui attendront de savoir où ira le succès mais, en attendant, serviront la « légalité ». 

Challe est sûr cependant du général Bigot (commandant la Ve Région aérienne), ce qui est très important. Zeller croit pouvoir compter sur le général Gouraud (commandant le corps d’armée de  Constantine). On estime d’autre part que le général de Pouilly (commandant le corps d’armée d’Oran) ne marchera pas mais ne fera pas de résistance et que son adjoint, le général Lhermitte, prendra le commandement à sa place et entraînera le reste des troupes (or Lhermitte est déjà muté et remplacé).

En dehors de ces cas, on dit que le général Arfouilloux (commandant la zone Sud-Algérois et la 20ème D.I. à Médéa) marchera, d’après l’attitude qu’il a eue antérieurement, ainsi que le général de Maison Rouge (commandant la zone Ouest Sahara et Colomb-Béchar) et le colonel de Saint-Julien (commandant le 4ème Hussards dans le Constantinois).

Autres graves inquiétudes concernant l’attitude du contingent, en dehors des paras. On espère cependant qu’il obéira initialement aux officiers et qu’en prenant certaines mesures d’ordre psychologique (réduction du temps de service, remplacement par une mobilisation des Algériens) on arrivera à maintenir l’ensemble.  

Les départs sont prévus ainsi : le colonel Godard, le lieutenant-colonel Gardes, le colonel Argoud, le colonel Broizat, le colonel Jacquin et moi-même devront partir clandestinement par avion régulier d’Air Algérie dans la journée du 20, les ex-officiers du R.E.P., qui sont cinq, en principe par un avion militaire au départ d’Istres, à défaut par un avion Air Algérie supplémentaire si possible. Les généraux Challe et Zeller ont, paraît-il, un avion militaire assuré au départ de la région parisienne le 20 après-midi. Tout cela est bien court comme délai. Par ailleurs, déficience grave, le général Gracieux n’a pas voulu adhérer à l’affaire. C’est très regrettable, sa participation aurait été déterminante pour certaines unités hésitantes. On n’a pas voulu faire appel au général de Crèvecoeur considéré comme brouillon : regrettable aussi, on ne sera pas trop nombreux pour remplacer certains chefs. 

Le général Faure, le colonel Vaudrey, le colonel Bernard, le colonel de Blignières, le colonel Callet, le colonel Argoud doivent rester en métropole pour déclencher les mouvements, bien faibles et incertains, qui sont prévus. On compte aussi sur l’intervention du général Vanuxem avec des éléments importants dont l’action serait capitale. Le général Faure, en tout cas, ne me cache pas son anxiété pour la métropole. Il me charge de faire tout le possible pour décider le général Challe et les autres à envoyer au plus tôt des unités en métropole. Il m’engage également à mettre de l’huile dans les rouages entre les patrons qui vont sûrement se disputer ; on sait déjà que le général Challe et Gérard Guarrigues ne sympathisent guère et que leurs vues, une fois l’affaire déclenchée, ne coïncideront probablement pas. Comme on le verra, je ne serai pas en mesure, faute d’être avec eux à Alger à partir du 22 d’influencer sur ces deux points. 

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’abord de régler les départs par avion Air Algérie, qui doivent se faire de Marseille sur Alger et Bône, seules lignes où nous ayons des intelligences sûres. Il faut pour cela que quelqu’un soit à Marseille demain matin 15 au plus tard. Personne n’est prêt à partir ce soir. Je m’offre donc. Je mets au point avec le commandant Casati, un code téléphonique où il est question, notamment, d’une certaine Arlette et de ses enfants, pour indiquer les heures, nombres de places, destinations, etc. Le commandant Casati doit se trouver demain matin au bureau de Gérard Garrigues où je téléphonerai après avoir reçu indications des possibilités par M. Lavest chef Air Algérie à Marseille que je dois aller voir dès mon arrivée à Marseille.

Je demande enfin au général Faure, qui continue à discuter avec les autres sur d’autres questions, mes consignes à mon arrivée à Alger, car j’ignore à peu près tout. Seule indication : aller directement à telle adresse, monter au cinquième étage deuxième porte à gauche, où je dois trouver le colonel Lacheroy et le lieutenant Degueldre qui me mettront au courant pour la suite. C’est tout (pas assez comme la suite le prouvera…).

Sur ce, brefs adieux et souhaits réciproques. Je téléphone à Gérard Garrigues de venir me chercher à un bistrot voisin avec sa femme. Je passe avec eux chez Mme… où j’ai ma planque, prend ma valise déjà prête à toutes fins utiles, et nous allons dîner près de la gare de Lyon. Je mets Gérard Garrigues au courant du code prévu pour la liaison de dimanche matin et lui indique où porter le message au cas où le colonel Argoud ne se serait pas présenté à son bureau, il faut tout prévoir. Je conviens aussi d’un message personnel codé que Nicole (Gardy-Bésineau) lui transmettra d’Alger par téléphone ou télégramme à mon arrivée : Tout va très bien ou Ça va mais il y a quelques difficultés ou L’affaire est ajournée.

Je prends le train et trouve difficilement une place ; voyage peu plaisant, c’est un détail. Si l’inconfort, et non les nerfs, car je suis fort calme, m’empêche à peu près de dormir, le moral est bon, ayant bon espoir que l’action va enfin s’engager. Quels que soient les aléas et les insuffisances, j’ai une certaine confiance sinon dans une réussite totale, du moins dans un bouleversement suffisant pour amener la chute du régime ; à partir de là, l’exploitation de l’affaire sera du domaine politique plus que militaire et insurrectionnel. En tout cas, je n’imagine pas une seconde qu’une fois le mouvement déclenché, on puisse s’arrêter sans avoir lutté jusqu’au bout…

Mercredi 19 avril

Au matin, le train s’arrête deux heures à Avignon, puis se traîne de gare en gare. Grève inopinée. Je suis inquiet, n’ayant qu’un délai très court pour régler les choses avec Air Algérie et aviser Paris. Les camarades doivent en effet partir ce soir au plus tard pour Marseille, avec les consignes nécessaires pour la suite de leur voyage. Arrivé tout de même à Marseille vers 10h30, je me précipite à Air Algérie et j’ai la chance d’y trouver M. Lavest qui ne sait encore rien sur ce que je vais lui demander. Il peut, au maximum, assurer trois places à destination de Constantine le 20 en fin de matinée, trois autres sur Alger le 20 après-midi. Impossible d’avoir d’avion supplémentaire, ni d’autres places pour les ex-officiers du R.E.P.. Je téléphone aussitôt ces résultats en code à Gérard Garrigues auprès duquel se trouve le commandant Casati. 

Je n’ai plus qu’à attendre. Je prendrai bien entendu l’avion du 20 après-midi sur Alger. Je sais que le colonel Argoud prendra celui du matin pour Constantine étant donné sa mission initiale. Je vois aussi le colonel de Saint Julien, commandant le 4ème Hussards, qui prend un avion ce matin pour Bône et qui doit faire une liaison auprès du colonel Buchoud, commandant le secteur de La Calle, justement au sujet de la mission du colonel Argoud. La chose a été entendue à la réunion d’hier où j’avais eu la surprise de rencontrer le colonel de Saint Julien. J’ignorais qu’il était dans le coup. 

Je me loge à L’Arbois sous un faux nom. L’après-midi et la soirée s’écoulent lentement, j’évite d’aller dans le centre pour ne pas rencontrer de camarades ou autres militaires de connaissance, satisfait quand même des passages assurés pour demain, inquiet pour ceux des officiers du R.E.P.. J’espère qu’ils auront d’autres solutions.

Jeudi 20 avril

Je me pointe au bureau de M. Lavest à Air Algérie vers 9 heures et y trouve le lieutenantcolonel Gardes qui vient d’arriver, très gonflé et assez optimiste. Le colonel Argoud est arrivé avec lui, mais est sorti pour une course. Ils vont donc partir tous les deux pour Bône tout à l’heure. La troisième place ne sera pas occupée. Cela vaut d’ailleurs mieux, il est assez délicat d’embarquer deux clandestins. Trois auraient été un maximum, pas très prudent.

Je trouve par ailleurs le commandant de Coategoureden, ex 1er R.E.P., qui m’apprend que lui et ses camarades, le capitaine Sergent, le lieutenant de La Bigne, le lieutenant Labriffe, le capitaine Ponsolle, ont pu être prévus pour partir sur un avion militaire dans la journée. Je respire car je considère leur présence indispensable.  

Je vois enfin le colonel Godard qui doit partir avec moi cet après-midi. Nous ne serons que tous deux. En effet, le colonel Broizat s’embarque avec les généraux Challe et Zeller. Quant au colonel Jacquin, il a été impossible de le prévenir. C’est très regrettable. 

M. Lavest, de retour de Marignane, m’apprend que les deux passagers de ce matin sont partis sans encombre sinon sans émotions. Puis, je m’en vais flâner et déjeuner vaguement en attendant 14h30, heure à laquelle je retrouve le colonel Godard et le colonel Argoud qui nous emmène dans sa voiture à l’aérodrome.

On nous parque dans une petite pièce en attendant l’heure de l’embarquement. Un fonctionnaire de la Compagnie vient nous y chercher au moment où les passagers sont appelés à l’avion et nous prenons place dans une camionnette qui doit nous y amener sans être passés par les contrôles. Grave ennui, un gendarme, chose tout à fait inhabituelle est posté sur l’itinéraire menant à l’avion, sans doute pour arrêter les voitures qui voudraient passer par là. M. Lavest a vu le danger et va faire un brin de causette au pandore tandis que la camionnette attend. Il arrive à lui faire tourner le dos et à s’intéresser vivement à des évolutions d’avions opportunément surgis dans le ciel. Le chauffeur embraye et nous passons, moteur extrême ralenti, sans que le cogne y fasse attention. Nous descendons et nous mêlons, mine de rien, aux passagers. Les deux hôtesses, l’une d’entre elles est Melle Fossey-François, nous installent près de la sortie ; elles ont planqué les valises de façon à ce que nous les prenions nousmêmes à l’arrivée. 

Bref voyage sans histoire (Caravelle). Je survole cette terre d’Algérie et sa capitale que je craignais de ne plus revoir, avec émotion, nous demandant si nous réussirons à l’arracher au sombre destin qui l’attend au cas où nous échouerions, heureux en tout cas d’être là, avec la perspective d’agir et de combattre, dans quelques heures, pour notre cause. 

Atterrissage à Maison Blanche. Les hôtesses nous font sortir les premiers avec nos valises et nous montons immédiatement dans une voiture qui nous attend avec un fonctionnaire de l’aéroport sans trop attirer l’attention tandis que les passagers se dirigent vers la sortie normale et les contrôles. La voiture sort des limites de l’aérodrome sans incident et nous voici sur la route. Ne restent que les contrôles routiers, s’il y en a. Un peu plus loin, les deux hôtesses nous rejoignent avec leur voiture où a pris place M. Lavest qui est venu à Alger, sous prétexte de service, dans le même avion.

Nous arrivons à l’adresse que m’a indiquée le général Faure. Le colonel Godard, pour une raison dont je ne me souviens pas, s’attarde en bas pendant que je grimpe les cinq étages, avec ma valise, assez lourde. Je frappe à la 2ème porte à gauche d’un palier assez sordide. Pas de réponse ; je frappe à nouveau deux fois, trois fois, quatre fois, pas de réponse… J’appelle. Une bobonne peu avenante ouvre la porte voisine et demande ce que je veux. Assez embarrassé, je lui réponds que je viens voir monsieur Untel. Elle ne connaît pas, bien entendu, et, à mes questions, dit qu’en effet il y avait là « des gens », il y a deux ou trois jours, mais qu’il n’y a plus personne… Bien embêté, je descend, l’air pas très fin, croise Godard dans l’escalier et le met au courant. Nous n’avons aucune adresse de secours, ce qui aurait dû être prévu. Je ne vois qu’une solution, essayer de téléphoner à Nicole qui doit savoir où se trouve le lieutenant Degueldre. Heureusement, les deux hôtesses sont encore là avec leur vieux cabriolet deux places ; l’autre voiture est partie. Elles nous proposent de nous emmener chez Mme X, chef-hôtesse d’Air Algérie, d’où nous verrons pour téléphoner à Nicole, ce qui est fait.

Arrivés là, M. X m’emmène dans un bistrot où j’arrive difficilement à avoir la communication avec Nicole à qui je demande de venir d’urgence me retrouver chez les X. Elle ne reconnaît pas ma voix. Après quelques phrases permettant de m’identifier, elle comprend et répond qu’elle arrive, le temps de faire la route. Tout ceci, par téléphone et avec les centraux intermédiaires, n’est pas sain. Mais quoi faire ?

Retour chez les X, nouvelle catastrophe. Godard s’est aperçu qu’il a oublié dans le couloir de l’immeuble de tout à l’heure, dans la confusion de notre embarquement dans la voiture des hôtesses, son imperméable et surtout sa serviette, ou ses papiers d’identité, à son nom! Angoisse, dans un moment, toutes les autorités d’Alger peuvent apprendre qu’il est ici et en tirer les conclusions, en conséquence donner l’alerte partout ! On renvoie les hôtesses là-bas essayer de retrouver la serviette, sans trop d’espoir. Elles reviennent une demi-heure plus tard, brandissant le fatal objet. Arrivées juste à temps : un certain nombre de personnes contemplaient imperméable et serviette abandonnés, se demandant s’il ne s’agissait pas de bombe ou de plastic…L’une d’elles se disposait à prévenir le commissariat…Soupir de soulagement.

Nicole arrive enfin au carrefour où je lui ai donné rendez-vous, avec le capitaine Bésineau et Anne Le Biar, dans la voiture de celle-ci. Nous revenons ensemble chez Mme X. Dès mes premiers mots, stupéfaction de Bésineau et des deux femmes. Il ne sait rien, personne ne sait rien, parmi ses camarades, d’un mouvement imminent. Ni matériellement, ni surtout psychologiquement, rien n’est prêt pour y participer, surtout comme premier élément. Il est absolument impossible de l’exécuter cette nuit. Or il est déjà 20 heures à peu près. Par ailleurs, le colonel Guiraud est tranquillement en permission en France. C’est le commandant de SaintMarc qui commande. Des dispositions étant prises a priori, il est douteux qu’il marche dans ces conditions. Il y a des mois qu’on ne parle plus de ces perspectives dans le milieu; personne n’y croit plus. Demain matin, le général Saint-Hillier doit venir au camp en vue d’une prochaine prise d’armes où doivent assister Pierre Messmer, ministre des Armées et le général Morel, inspecteur de la Légion étrangère (pour le 30 avril).

Sommes déconcertés et inquiets. La préparation, quelles que soient les nécessités du secret, a été bien incomplète. Qu’a pu donc faire le colonel Lacheroy, précurseur à Alger depuis près d’une semaine ? La seule chose à faire est de le retrouver par l’intermédiaire de Roger Degueldre que Nicole croit avoir des chances de pêcher en ville. 

Départ de Nicole ; nouvelle attente, dans une grande inquiétude. Enfin, vers 21h ou 22h, retour de Nicole et de ses compagnons flanqués de Roger Degueldre. Soupir de soulagement. L’affaire est ajournée de 24 heures, décision prise par Lacheroy en accord avec le général Challe, la raison majeure étant qu’elle ne pouvait être mise au point sans la présence de celuici au moins une journée d’avance, ce qui est d’ailleurs exact[1].

Soulagement. Degueldre est plus optimiste que Bésineau en ce qui concerne l’esprit de cette formation et dit qu’en une journée on décidera tout le monde. 

Lacheroy n’a pas estimé nécessaire de nous voir ce soir pour nous mettre au courant, ce qui est curieux et pas très correct. Par ailleurs Degueldre avait informé Paris que la carrée où je devais aller était « grillée » et indiqué un autre rendez-vous. Pour une raison non éclaircie, la commission n’a pas été faite. Nous aurions pu être harponnés par la poulaille dès notre arrivée…

Godard et moi partons avec Degueldre pour passer la nuit chez M. Moraud. Pas de nouvelles de l’avion des généraux Challe et Zeller et du colonel Broizat, non plus que de celui du capitaine Sergent et de ses camarades. 

Sur ce, passons une nuit sans nouveaux incidents.

Vendredi 21 avril

Réveil, etc…Arrivée du colonel Lacheroy vers 8 heures qui nous confirme ce que nous savions déjà par Degueldre depuis la veille. Je me demande ce que Lacheroy a bien pu faire depuis six jours car rien ne paraît préparé pour l’exécution de la première phase, c’est-à-dire la main mise sur Alger : désignation des objectifs à occuper, des unités qui en seront chargées, étude de ces objectifs et de leurs défenses, etc..

J’ai l’impression qu’il s’est contenté de laisser faire. Et encore avec qui ?

Pour l’instant, nous sommes suspendus à l’arrivée de Challe et de ses compagnons, condition absolue du déclenchement. Commençons à croire qu’ils ne viendront pas ou qu’ils ont été empêchés. Lacheroy se répand en récriminations violentes et en récriminations diverses, ce qui n’arrange rien. 

Enfin, vers 9 ou 10 heures,  apprenons que nos personnages ont tous atterri hier soir à Blida et sont arrivés tout à l’heure à la villa du quartier des Tagarins (tout proche de la caserne des gardes mobiles !) où est établi pour la journée le P.C. provisoire. Nous nous y rendons aussitôt.

Challe et Zeller sont là, en effet, ainsi que le général Jouhaud. Les seuls exécutants prévus pour l’instant sont le commandant Robin et le lieutenant Degueldre que viennent rejoindre un peu plus tard le capitaine Sergent et ses camarades, bien arrivés eux aussi[2]. J’oubliais le colonel Broizat venu avec ses patrons. Tout le monde est bien décidé et assez optimiste. Challe me met sommairement au courant de sa conception de l’affaire, qu’il va développer dans la journée et sur laquelle je reviendrai. Pour l’instant, la réussite du premier temps dépend essentiellement de l’acceptation de Saint-Marc d’y participer avec toutes ses unités, puis d’une préparation hâtive mais sérieuse et détaillée de l’exécution. On a donc fait convoquer discrètement Saint-Marc qui viendra (s’il accepte d’abord cette démarche) dès que le général Saint-Hillier aura terminé la visite qu’il est en train d’effectuer dans son camp.  Vers midi environ donc, arrivée de Saint-Marc accompagné de Bésineau. Je ne l’ai pas vu depuis l’été 1959. D’emblée, je le mets succinctement au courant du projet et de la mission essentielle qu’on compte lui confier. Soucieux, on le serait à moins, il me fait sommairement quelques objections ou réflexions, accepte d’être conduit auprès de Challe et, tout en réservant sa réponse définitive, s’engage spontanément à ne rien dire ou faire pour entraver l’opération s’il n’y participait pas. Je l’introduis donc dans la pièce où est Challe, seul, et me retire, assez anxieux du résultat. 

Il en sort environ vingt minutes après, convaincu et décidé. Il se montrera tel qu’il est, un grand Monsieur.

Reste à établir, de bout en bout et dans le détail, le plan des opérations pour la nuit prochaine. C’est essentiellement Godard et Sergent qui vont mener ce travail remarquablement et très vite et orienter, verbalement ou par écrit, tous les exécutants. En fin de journée, tous les ordres sont donnés, les itinéraires fixés, l’abordage des objectifs indiqué de façon détaillée selon la disposition des lieux et des effectifs qui les gardent. Tous les points capitaux d’Alger aux points de vue militaire, administratif, transmissions, police, sont ainsi visés, en particulier la Délégation Générale, les P.C. de l’Etat-Major Interarmées (commandant-en-chef), du Corps d’armée d’Alger, de la Zone Nord-Algérois et des deux secteurs, la Radio, les centres de transmission, le Palais d’Eté, les domiciles des principaux hauts fonctionnaires et chefs militaires, les aérodromes, le commissariat central, etc…

Le départ des unités de leur cantonnement est fixé de manière à ce que les objectifs soient atteints aussi simultanément que possible le 22 à 2 heures du matin[3].   

Tout cela a été fait de justesse : arrivée des principaux conjurés vingt-quatre heures avant, préparation menée en une seule journée. L’avantage est que le secret a été remarquablement conservé. Les indices qu’auront les autorités d’un mouvement quelconque seront faibles, confus et surtout très tardifs. En fait, le premier temps de l’affaire sera une réussite totale. L’échec ultérieur, et si rapide hélas, aura d’autres raisons.

A diverses reprises au cours de cette journée, Challe et, dans une moindre mesure, Zeller me mettent au courant de leurs conceptions et intentions générales. 

En fait, il ne s’agit pas d’un coup d’état fasciste. A plusieurs reprises, Challe affirmera avec force : « Je suis un démocrate », ce que, d’ailleurs, chacun sait. Mais il s’agit bien d’un coup d’état et la chute du régime est bien escomptée. C’est d’ailleurs indispensable si on veut sauver l’Algérie. Il est indispensable et Challe aurait été un imbécile s’il avait pensé, après les expériences antérieures, croire, comme il a été dit par la suite, qu’il comptait mener à bien l’achèvement de la pacification, le retour à la fraternité franco-musulmane, pour offrir à M. De Gaulle, sur un plateau d’argent, l’Algérie Française réalisée. Il sait bien que M. De Gaulle n’en voudrait pas, même sur un plat d’or.

En fait, je crois, sans qu’il ne l’ai dit expressément, qu’il compte en effet, se faisant une sorte de proconsul en Algérie, reprendre et achever jusqu’au succès complet la lutte contre le F.L.N., en ajoutant, ce qui n’a jamais pu être fait, l’action politique sur les masses musulmanes à l’action militaire, en affirmant nettement et définitivement l’Algérie Française dans la fraternité et la promotion musulmane. Les complices de l’ennemi seront frappés et traqués, mais seront éliminés aussi les Européens trop étroitement attachés à leurs seules autorités. Je pense donc que, parallèlement à cette action politico-militaire en Algérie, sera menée en métropole une action politico-subversive pour amener la chute d’un régime déconsidéré par cette réussite en Algérie et par ses échecs sur tous les plans, mal camouflés sous les laïus grandiloquents du Chef de l’Etat et de sa maffia. Certes, les possibilités des « activistes » métropolitains sont faibles dans l’immédiat mais il y a le fameux « Directoire » dont Challe nous avait parlé il y a quelques semaines alors qu’il ne voulait pas envisager une action immédiate.

C’est, en gros, je pense, sa conception. Il admet la possibilité d’une coupure temporaire avec la métropole. Pourra-t-on tenir quelques semaines, voire plus longtemps ? Guère de données précises sur les stocks pour les civils et pour les militaires (vivres, essence, munitions, rechanges, articles de consommation courante, etc…) ni sur les fonds disponibles. Zeller est particulièrement chargé de cette partie de l’affaire. Il aura, dit-on, de grosses désillusions sur ce qu’il escomptait.

Reste la question des appuis extérieurs, politiques et économiques. Rien de précis je crois, mais peut-être certaines personnalités ont-elles plus ou moins promis des concours. Le tout réside dans un succès net et ample qui annoncera aux puissances en question la chute prochaine du régime et son remplacement par les amis. Ceci non plus n’est pas dit nettement mais ressort de l’entretien.    

Si les intentions générales sont un peu brumeuses, les méthodes et la tactique sont nettes : tout faire pour éviter une effusion de sang. Ne pas faire appel à l’insurrection armée des civils, réduire au minimum les manifestations, rallier les hésitants par la persuasion ou l’intimidation.

Là, il y a eu chez le général Challe une énorme part d’illusion. Il ne s’est pas rendu compte à quel point le Commandement était contaminé par le gaullisme et, surtout, lâche devant les risques ; à quel point aussi le contingent était pourri par la propagande, les journaux, la radio, par une grande partie de ses jeunes officiers ou aspirants de réserve adhérents de l’U.N.E.F.  A quel point aussi la réaction certaine de Mr De G et ses premiers laïus à attendre à la TV produiraient, comme en janvier 1960, des effets désastreux. 

Par ailleurs, la persuasion et l’intimidation sur les généraux et les hauts fonctionnaires ne pourront avoir d’effet quand on verra l’indulgence avec laquelle vont être traités ceux d’Alger, selon les ordres formels de Challe.

Dans ce qui précède sont les causes essentielles de l’échec rapide du mouvement, après un splendide succès initial.

Ceci étant dit, il va sans dire que Challe et Zeller se montrent des plus réticents lorsque, conformément à la promesse faite au général Faure à mon départ, je leur parle de la nécessité absolue d’envoyer dès que possible des unités para en métropole pour appuyer l’action de nos amis. « On verra, mais il est impossible de le prévoir pour le moment…ce serait très grave…enfin on en reparlera dans quelques jours… » C’est à peu près tout ce que je recueillis comme réponse. Je compte y revenir et insister auprès du général Salan quand celui-ci sera arrivé.

Là-dessus Challe fait enregistrer sa proclamation au magnétophone, qui doit être émise sur les ondes dès l’aube. Un autre document, annonçant et motivant l’état de siège, doit être enregistré. On cherche un speaker qui n’a pas été prévu. Je me propose et, après essai, l’enregistrement est effectué. 

Autre difficulté. Dans sa proclamation, Challe ne fait aucunement allusion à Salan. Je lui suggère que cela va faire un drame lorsque celui-ci arrivera et que ce sera fâcheusement débuter leur collaboration nécessaire. Après hésitation, il consent à ajouter, après les trois autres noms, les mots : …en liaison avec le général Salan. De même, il admet que le nom de celui-ci figure à la suite du texte sur l’état de siège, avec les trois autres. 

A ce propos, Salan doit quitter sa résidence actuelle par un avion tenu prêt, lorsqu’il recevra le message « La chambre de bonne a été cambriolée ». Il l’a attendu en vain toute la nuit du 20 au 21 et n’a pas été prévenu, je le saurai plus tard, du décalage de vingt-quatre heures. . Croyant à un ajournement à une date ultérieure, il n’écoutera pas la radio dans la nuit du 21 au 22 et ne sera prévenu, comme tout le monde, que par les informations du 22 dans la matinée. D’où retard et risque, les autorités étant alertées, de ne pouvoir partir. Il n’y arrivera que dans des conditions acrobatiques….

La journée tire à sa fin. Je n’en aurais pas dépeint l’atmosphère dans cette villa-PC des Tagarins, si je ne disais pas que tout le travail et les conciliabules se sont déroulés dans le plus grand calme. Nous sommes tous anxieux certes, impatients, plus ou moins optimistes selon les tempéraments, mais tranquilles. Les dés sont jetés, il n’y a plus qu’à attendre. 

Vers 22 ou 23 heures, un renseignement arrive concernant le C.A. d’Alger. En fin de journée, Vézinet a réuni ses principaux officiers d’E.M., annonçant qu’il a appris de source sérieuse que « plusieurs activistes » venus de Métropole se disposent à tenter un coup, sans autre précision. Il est prescrit de doubler les postes de garde et de recommander une vigilance accrue. Un officier ayant posé la question : « Et pour le R.E.P. ? » , Vézinet se borne à répondre : « Comme prévu ». Nous n’en savons pas plus et nous creusons la tête pour deviner quelle mesure, déjà prévue, peut être prise pour surveiller le R.E.P. ou s’opposer à ses  mouvements sur Alger[4]

Samedi 22 avril

Minuit. C’est l’heure où les unités participant à l’affaire se préparent à faire mouvement. 1h, 1h 30, elles doivent être en route, s’approcher d’Alger, commencer à entrer en ville. Par les fenêtres, nous essayons d’écouter des bruits possibles. Silence complet, tout dort ou paraît dormir. Les généraux et les officiers demeurés jusqu’alors en civil endossent les tenues qu’ils ont apportées. J’ai laissé chez M. Moraud à Alger les quelques effets militaires emportés de France, ne sachant pas que je n’aurai pas le temps d’y retourner dans la journée et ne pourrai les prendre qu’au matin. 

2 heures – Quelques bruits de moteur qui s’accentuent peu à peu, venant de directions diverses. L’affaire est en cours. Certains croient entendre de courtes rafales d’armes automatiques ; anxiété. On apprend bientôt qu’il s’agit d bruits de vaisselle au sous-sol…

Les premiers renseignements commencent à arriver, se confirment, se complètent peu à peu : tel objectif occupé sans coup férir, aucune résistance des éléments de garde qui se sont rendus sans résistance. De tous les points arrive le même compte rendu. Qu’il s’agisse de CRS, policiers, gendarmes ou éléments militaires, tous se rendent sans réaction, se laissent désarmer et relever par les unités chargées de s’emparer des objectifs. (On n’apprendra que par la suite qu’un s/officier a été tué dans des conditions que j’ignore encore, lors de l’occupation de la radio). Même succès, sans effusion de sang, pour s’emparer de la personne des diverses autorités. Seul Vézinet, demeuré à son bureau du C.A. d’Alger, aura une réaction éphémère sans conséquence. Certains réussissent cependant à s’échapper (Querville, notamment, et quelques hauts fonctionnaires), prévenus au dernier moment par Morin. On a lu le récit de ces faits, plus ou moins exactement rapportés, dans les journaux et dans les comptes-rendus du procès Challe-Zeller. Gambiez, en particulier, s’est donné le beau rôle ; en fait il s’est couvert de ridicule. Il a omis de dire par exemple, qu’ayant interpellé un officier du 1er R.E .P.  : « De mon temps, les lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ». Il s’est attiré cette réponse : « De votre temps, les généraux ne vendaient pas l’Algérie…» 

Intermède : vers trois heures, arrivée inopinée de Saint-Hillier, fort en colère, escorté notamment par le capitaine Bésineau et quelques légionnaires qui ne parviennent pas à l’empêcher de s’introduire dans l’espèce de living-room où nous nous trouvons pour la plupart. On ne sait par quelle erreur ce groupe se trouve là, les personnalités arrêtées devant être conduites directement à Fort-Lempereur. Quoiqu’il en soit, Saint-Hillier fait une entrée remarquée, disant : « Je ne sais pas pourquoi on m’a arrêté, tout le monde sait que je suis « Algérie française » ». Ce qui provoque des sourires sceptiques. Il se plaint amèrement d’avoir été appréhendé par des légionnaires appartenant à sa propre Division, proteste contre la manière dont Gambiez serait actuellement traité devant la Délégation Générale, etc. Il se calme d’ailleurs et a ce mot : « Pour l’exécution technique de l’affaire, .. chapeau. » Puis il demande à retourner prendre le commandement de la 10ème D.P. , actuellement dans le 

Constantinois. Challe, qu’il demande instamment à voir, le reçoit quelques minutes, après quoi, Saint-Hillier se laisse emmener sans plus protester pour rejoindre ses collègues.  Vers 3h 30, nous savons que le succès est total. Alger est entre nos mains. La ville ne sait rien encore, mais les premières nouvelles de l’affaire commencent à courir sur les fils téléphoniques, vers l’extérieur et la Métropole…

Dans cette deuxième partie de la nuit arrivent quelques tuyaux de Sidi-Bel-Abbès, où l’on a dû apprendre aussi le succès initial du mouvement. Le correspondant (j’ignore qui, sans doute le capitaine Bertany, chef d’E.M. du 1er R.E.) informe que le colonel de Baulny (Cdt en second du 1er R.E.) sera à Oran vers 6 heures du matin avec quatre compagnies et essaiera de convaincre Pouilly d’adhérer à l’insurrection ; il doute fort du résultat et ajoute selon ses propres termes : « Seul général valable en Oranie : général de Maison Rouge[5] (commandant la zone Ouest Sahara/Colomb Béchar). »  Enfin, il fait connaître que le 1er R.E. pourra envoyer au maximum sur Oran, au total, six compagnies.

Challe m’appelle ; ces renseignements l’inquiètent, d’autant plus qu’il vient d’apprendre que le général Lhermitte sur lequel il pensait pouvoir compter n’est plus à Oran depuis plusieurs semaines et que son remplaçant, le général Hublot[6], n’est pas sympathisant. Il annonce qu’il va me déléguer en Oranie avec consignes de faire pression sur Pouilly et, s’il ne marche pas, d’imposer à Oran la nouvelle autorité en attendant un nouveau Cdt de C.A. qu’il va rechercher. Un avion de liaison est demandé à la 5ème Région aérienne pour moi, au départ de Boufarik, pour le lever du jour à destination de Bel-Abbès. Je fais envoyer un message au 1er R.E. demandant une garde au terrain pour couvrir mon arrivée, l’A.L.A.T.[7] de Bel-Abbès étant, on le sait, hostile.  

Je ne suis pas enchanté. J’aurais préféré, pour ces premières journées, demeurer à Alger pour veiller au grain dans la mesure de mes possibilités. Mais je n’ai qu’à exécuter.

Je me fais donc conduire chez M. Moraud par celui-ci, pour me mettre en tenue militaire (assez sommaire, un pantalon et une chemise kaki, une paire de pattes d’épaule, plus un béret vert prêté par Bésineau). Avant de partir, j’ai demandé à Degueldre de me faire désigner un s/officier du 1er R.E.P. que j’emmènerai comme garde du corps personnel (on ne sait jamais) et de me procurer une tenue de combat et un pistolet. Degueldre fera bien le nécessaire, mais, pour une raison que j’ignore, ni le s/officier ni ces objets ne seront là au moment de mon départ pour Bel-Abbès.

Je traverse Alger à peu près désert ; la population ne sait encore rien. En passant devant le GG, un poste du R.E.P. arrête ma voiture. Le s/officier me reconnaît, bien que je sois en civil et me salue avec un large sourire… Au GG, la garde est assurée par les légionnaires. Tout est calme. Aux abords des bâtiments, les CRS désarmés déambulent en bavardant tranquillement… Habillé rapidement, sans prendre le temps de faire nulle toilette, je reviens aussitôt au PC pour prendre les dernières nouvelles et consignes avant de m’en aller.

Challe me prend à part et me tend un papier de trois lignes :

« Le général Gardy prendra le 22 avril, dès son arrivée à Oran ; le Cdt par intérim du C.A. et de la zone territoriale. » 

Je suis plutôt ennuyé ; je préfèrerai de beaucoup qu’un général plus élevé en grade et d’active prenne ces fonctions et me consacrer à rallier la Légion. Je le dis à Challe qui me répond : « Vous aurez certes à faire à des divisionnaires mais vous avez votre ancienneté et vos services. Par ailleurs, vous n’aurez à faire usage de cette désignation que s’il vous est absolument impossible de convaincre Pouilly d’adhérer à notre mouvement ; gardez-la secrète jusque là. Son adhésion serait de beaucoup la solution la plus souhaitable, comme pour Gouraud, Cdt le C.A. de Constantine, dont on vient de m’annoncer le ralliement[8]. »  Puis Challe s’anime tout à coup, se lève et d’une voix forte, devant les camarades, me dit : « Et si les gens ne marchent pas, s’ils nous font obstacle, balayez-moi toute l’Oranie avec la Légion, sans hésiter. Gardy, si nous échouons, nous sommes foutus, mais surtout l’Algérie est foutue, la France est foutue. C’est la dernière chance. Allez, j’ai confiance en vous. A bientôt ». Je salue et je m’en vais.

A ce moment, je suis certes un peu anxieux de la responsabilité qui va m’incomber, mais confiant dans la suite. Comme me l’a dit Challe, si mes efforts auprès de Pouilly n’aboutissent pas, je compte que l’action du 1er R.E. et, si besoin est, de fractions disponibles du 2ème et du 5ème suffiront à imposer en Oranie la nouvelle Autorité. Je n’imagine pas une seconde que le colonel Brothier, après les engagements pris et les confirmations données 2 refuserait d’appuyer le mouvement, surtout entouré et secondé par des officiers décidés et convaincus. Je me rends comme convenu à l’E.M. de la 5ème Région Aérienne où m’attend un capitaine qui doit m’emmener à Boufarik en voiture et me piloter de là à Bel-Abbès. Trajet, décollage et voyage sans aucun incident sur un avion léger. En arrivant au-dessus du terrain de BelAbbès, première déconvenue. Aucune troupe visible sur le terrain et aux abords, pas même un piquet d’honneur. Je dis au pilote de survoler la ville et le Quartier[9] qui paraît sans aucune animation. J’imagine naïvement que le départ de quatre compagnies pour Oran ne laisse pas grand monde au Quartier. Quoi qu’il en soit, je décide de me poser. Lorsque l’avion arrive aux hangars, je trouve Brothier seul, en discussion avec un officier de l’A.L.A.T. . « Comment ça va ici ? – Mais très bien. – Je m’attendais à trouver au terrain la garde que j’avais demandée et hésitais à me poser. – Ce n’était pas la peine, mon général, il n’y avait aucun risque.» Je demande à l’officier de l’A.L.A.T. comment sa formation réagit. « Il n’y a pas de problème, mon général.» Ce qui ne veut rien dire. Je me contente pour le moment de cette réponse, ayant autre chose à faire.

Sidi-Bel-Abbès paraît très peu animé. J’ai l’impression que les gens ne savent encore rien. J’imaginais, à vrai dire, une toute autre atmosphère… Arrivée au Quartier. Le poste de police semble un peu étonné de me voir. Allons aussitôt au bureau du chef de corps, mon ancien bureau. Là et dans les pièces voisines, pas mal d’officiers de connaissance, paraissant tous heureux des nouvelles et désireux de marcher à fond. Des quelques mots échangés avec eux, il apparaît d’emblée qu’ils n’ont pas le moindre doute sur la participation active du 1er R.E. à l’affaire. Il y a là le colonel de Baulny, le capitaine Bertany, le capitaine Glasser[10] et plusieurs autres que Des Rieux et Pompidou rejoindront dans quelques heures à leur retour d’Alger.

Je m’étonne de voir là de Baulny que je croyais à Oran. Je demande à Brothier qui donc commande les compagnies envoyées là-bas depuis le matin, selon le renseignement reçu à Alger. « Mais, me répond Brothier, il n’y a pas de compagnies à Oran. De Baulny y a été seul pour essayer d’influencer le général de Pouilly en faveur du mouvement mais il n’est pas question d’y envoyer d’unités. » Il m’expose alors son point de vue et ses arguments :

« Il y a toutes chances qu’après réflexion Pouilly se rallie et il entraînera la plus grande partie sinon la totalité des Cdts de zone du C.A. et l’ensemble des troupes.

« Non seulement il n’est pas nécessaire d’envoyer d’unités de la Légion à Oran pour faire pression sur Pouilly mais cela ne ferait que l’indisposer et l’incliner à refuser de se joindre au mouvement.

« De toute façon, il serait très contre-indiqué de faire marcher la Légion « en pointe » dans l’affaire, sur le plan de l’opinion tant française qu’internationale.

« Il y aurait danger d’intervention de l’aviation, qui est en grande partie hostile, à La Sénia et pourrait aller jusqu’à attaquer les colonnes sur les routes…

Tout ceci dit avec des nuances, fort adroitement. Si j’en retiens que Brothier refuse d’engager ses unités dans l’action immédiate, je n’ai alors aucun soupçon qu’il réserve son adhésion au mouvement et son obéissance aux ordres de Challe.

Ceci ne me vient pas même à l’esprit. Je ne comprendrai que plus tard qu’il est un virtuose du double jeu.

Ceci étant, j’annonce à Brothier que, conformément aux ordres de Challe, je compte me rendre au plus tôt à Oran pour essayer de déterminer Pouilly, ce en quoi il m’approuve entièrement, répétant qu’il est persuadé de ce ralliement prochain. Je lui indique que je veux, avant de partir prendre un contact rapide avec le général Perrotat (commandant la zone Centre-Oranais et la 29ème Division à Sidi-Bel-Abbés) et, pour marquer que je ne veux pas faire acte de déférence envers celui-ci, que je n’estime pas, vais lui demander, pour gagner du temps, de venir me voir ici, au bureau de Brothier. Ce que je fais aussitôt par téléphone. Perrotat hésite visiblement puis accepte et arrive quelques instants après. Réticent et fort embarrassé, il ne répond à mes questions sur son ralliement éventuel à Challe que par des phrases vagues, d’où il ressort finalement qu’il suivra purement et simplement la conduite de Pouilly. Brothier suggère que Perrotat vienne avec moi à Oran. Je n’en suis pas ravi, mais Perrotat ayant accepté, je ne puis faire autrement. Perrotat dira au procès Challe-Zeller qu’il m’a trouvé très énervé, agité. C’est absolument inexact, j’étais fort calme, simplement pressé de mener à bien ma mission et ne cachant pas ma passion ^pour notre cause ; je n’ignorais évidemment pas son point de vue essentiel : s’en tirer personnellement sans trop d’ennui et ne pas prendre le moindre risque. 

J’emmène Glasser que Brothier me donne comme aide de camp provisoire. Je lui demande d’autre part une escorte, ne fut-ce que deux ou trois jeeps, pour éviter d’être arrêté bêtement par n’importe quel élément hostile. Brothier élude la question en disant que c’est absolument inutile, qu’il n’y a aucun risque. En fait, j’apprendrai dans la journée que Pouilly avait bien donné l’ordre de m’intercepter, soit à l’arrivée au terrain de Bel-Abbès, soit à Oran, mais qu’il l’a annulé après une conversation téléphonique avec Challe où il s’est engagé à ne pas le faire, pour l’instant. 

Juste avant de partir, j’apprends qu’Argoud a été désigné par Challe pour me rejoindre comme second et qu’il arrivera d’ici deux ou trois heures au terrain de Bel-Abbés. Un officier a intercepté un renseignement disant que l’A.L.A.T. se dispose à l’arrêter à son arrivée. Cette fois, j’exige de Brothier qu’il envoie une garde au terrain. Il cherche à éluder encore, mais j’insiste vigoureusement et il m’assure que ce sera fait. Je confirme à De Baulny de s’en occuper personnellement sans faute.

Conversation avec Perrotat durant le trajet. Il m’est pénible de parler avec cet homme que je méprise cordialement. Je n’en ai retenu qu’un échange de phrases -« Qu’est devenu Gambiez, me demande-t-il ? – Il est arrêté, bien entendu. – C’est cependant un bien chic type ! – je ne considère pas comme un chic type un chef qui ne fait que mentir ». Perrotat n’insiste pas… Le reste du temps, j’expose autant que possible les buts et conceptions de Challe tels que celui-ci me les a indiqués et ses souhaits que Pouilly accepte de se rallier.

Arrivée au Château-Neuf. Les officiers du cabinet font une gueule empoisonnée ; attitude correcte, mais aussi peu accueillante que possible. Pouilly m’introduit dans son bureau et demande à Perrotat d’entrer également. Je connais Pouilly depuis 1943, où il m’a succédé à l’E.M. de la 1ère D.B., alors que je prenais sa place au 2ème Chasseurs d’Afrique. 

C’est le type du militaire honnête, scrupuleux, timoré. Il me paraît épaissi, très vieilli. Je lui expose, en essayant de me faire aussi persuasif que possible, la nécessité et les buts du mouvement que nous menons pour nous opposer à l’abandon certain de l’Algérie. Il n’en disconvient pas, mais répond :

  • que notre échec est certain, très vite ou à terme, en raison de la faiblesse de nos moyens devant les énormes possibilités du pouvoir et de l’opposition violente de l’opinion métropolitaine presque unanime,
  • que le seul résultat de notre action, au cas où le régime s’effondrerait serait d’amener le communisme au pouvoir en France.

La discussion, qui reste courtoise, demeure sans résultat.

Je suggère à Pouilly d’appeler Challe au téléphone, ce qu’il fait ; je devine les phrases de Challe et entend celles de Pouilly, répétant ce qu’il vient de me dire et concluant qu’il ne peut se rallier. Je prends ensuite l’appareil et Challe me dit d’agir pour le mieux selon les circonstances dans le sens des instructions qu’il m’a données, me disant qu’il espère encore que l’attitude de Pouilly n’est pas définitive. Pouilly me demande ensuite si Gouraud, commandant le C.A. de Constantine, s’est rallié comme on l’a dit à Alger. Je réponds affirmativement de bonne foi. « Eh bien, me dit Pouilly, c’est inexact. Je lui ai téléphoné tout à l’heure et il m’a déclaré rester fidèle au gouvernement ».  

Il faut conclure l’entretien. Pouilly me dit que personnellement son parti est pris mais, qu’avant de donner une réponse irrévocable, il veut réunir ses généraux commandants de zone et recueillir leurs avis… Il me fera donc connaître sa position définitive après cette réunion, c’est-à-dire, vers 15 heures. (Pouilly dira u procès de Challe que cet atermoiement n’avait pour but que de gagner du temps, sachant que Joxe et Olié devaient atterrir à Lartigue vers 12h30, venant de France, et voulait attendre leurs instructions. J’ignorais naturellement à ce moment la venue de ces émissaires et que Pouilly les attendait). Je réponds donc que j’attendrai cette réponse avant d’agir comme j’estimerai nécessaire devoir le faire au service de la cause à laquelle je me suis voué et selon les ordres de Challe. 

Restant courtois et modéré, je m’efforce de faire comprendre à Pouilly qu’il s’agit bien de mener une action en vue de faire passer l’ensemble de l’Oranie, à commencer par Oran, dans le camp de Challe. 

Sur ce, je prends congé, et, en serrant la main, Pouilly me dit qu’il me conserve tout son estime. Je réponds bien entendu, moi aussi… Perrotat n’a pas pipé mot et demeure avec Pouilly après mon départ. L’entourage, à ma sortie du PC, fait une tête encore plus fermée qu’à mon arrivée.  

Je regagne donc Bel-Abbès avec Glasser, dans l’intention de préparer un mouvement sur Oran avec le 1er R.E. en fin d’après-midi, si la réponse définitive de Pouilly est, comme je m’y attends, négative.

En arrivant au Quartier Viénot, j’apprends (il peut être 13h00 environ) : 

  • qu’Argoud est arrivé, tandis que j’étais à Oran, venant d’Alger avec des renseignements nouveaux. (Il s’agit sans doute de la perspective de l’envoi sur l’Oranie pour le lendemain soir des 14ème et 18ème R.C.P.).
  • que Brothier et Argoud sont partis aussitôt pour Oran en vue de faire une nouvelle démarche auprès de Pouilly que Brothier se dit toujours convaincu de le persuader finalement.

Tous deux me font dire d’attendre à SBA le résultat de leur tentative. Ils m’en aviseront par téléphone dès que possible.

Je prescris à De Baulny de prendre toutes dispositions pour pouvoir envoyer sur Oran, si cela devient nécessaire, comme il est probable, les éléments disponibles. Il s’agit d’un EMT à trois compagnies sous les ordres du commandant Fournier, plus la compagnie du capitaine Bonnel.  Je vais déjeuner chez Glasser, où je retrouve le lieutenant Gardy, fais une courte sieste (je n’ai dormi que quelques heures depuis mon départ de Marseille) et un peu de toilette. On m’a procuré un battle-dress. 

L’après-midi est réconfortante. Ce sera la dernière période heureuse de ces événements. L’ambiance du PC du 1er R.E. est excellente, tous les officiers de l’Etat-Major et ceux qui y viennent sont confiants et contents. Des Rieux et Pompidou sont rentrés d’Alger et les nouvelles directes qu’ils apportent du succès initial ont réjoui tout le monde. Personne ne doute que le 1er R.E. ne soit totalement au service de notre cause désormais. 

D’autre part, on reçoit de nombreux messages de corps donnant leur adhésion au mouvement. J’en ai retenu, pour la Légion, le colonel Pfirmann et son régiment, le 5ème R.E.I., le commandant Gendron qui rend compte avoir pris le commandement de son régiment, la 13ème D.B.L.E., (à la place du colonel Vaillant, inconditionnel) et se met à ma disposition et demande des ordres. Je lui fais répondre, car il n’est pas en Oranie, de réclamer des ordres à Challe, ce qu’il fera. Adhèrent également le 2ème R.E.I. à Aïn Sefra, la plupart des C.S.P.L.[11] . J’apprendrai plus tard que le commandant Cabiro a pris le commandement de son régiment, le 2ème R.E.P., et éliminé Darmuzai qui avait manifesté d’emblée une opposition violente et active.

En dehors de la Légion, pour l’Oranie, je reçois notamment des messages d’adhésion de la Demi-Brigade de Fusiliers-Marins de Nemours, du 1er Cuirassiers et du 6ème R.C.A de la région de Mostaganem, et d’autres. Malheureusement, ces unités ont des missions locales et on en peut les retirer, au moins sans étude préalable, et pas de moyen de transport. Ces bonnes volontés resteront inutiles…

Dans cette ambiance d’euphorie, le téléphone sonne. De Baulny ne répond pas, bouche le micro et annonce que c’est le général Morel, inspecteur de la Légion[12], et qu’il ne veut pas répondre lui-même. Bertany fait également des signes de dénégation et c’est finalement Des Rieux qui prend l’appareil. Le colonel Brothier ? demande Morel – réponse : pas là – De Baulny ? – même réponse – Bertany ? – de même – Alors, qui est à l’appareil ? Capitaine des Rieux, mon généralQue se passe-t-il à SBA ? – Mon général, répond Des Rieux, le 1er R.E. s’est mis aux ordres du général Challe, en totalité, ainsi que de nombreuses unités, Légion et non Légion – Morel n’insiste pas et raccroche.

Vers la fin de l’après-midi, Le colonel Brothier et le colonel Argoud appellent d’Oran pour rendre compte de leurs résultats. Il a été convenu avec Pouilly que celui-ci « se retirerait purement et simplement », qu’il quitterait son P.C. le 23 à 6 heures du matin et, que conformément aux ordres du général Challe, je prendrai le commandement provisoire du C.A. à 7 heures. Les commandants de zone ne se sont pas ralliés, mais l’impression de Brothier est qu’ils ne feront pas d’opposition et pratiquement exécuteront les ordres. Par ailleurs, Pouilly laissera à Oran tout son E.M. et les services (sauf son cabinet), les forces de maintien de l’ordre et l’ensemble des unités, qui continueront à assurer leurs missions normales et leur service. C’est en somme assez satisfaisant et compte tenu du ralliement de nombreuses unités, l’affaire paraît s’annoncer bien pour l’Oranie. Les modalités ainsi annoncées sont malheureusement loin d’être exactes et les choses ne se passeront pas ainsi, bien au contraire. 

1959 Les généraux Gardy et Challe                                                    1955   Le colonel Gardy, commandant le GALE, en inspection au 5ème R.E.I. (Annam)

                 1959 Djelfa, le général Gardy                                       Le général Gardy remet au général Challe les galons de

caporal d’honneur de la légion étrangère


[1] L’affaire a donc été ajournée de 24 heures et non avancée de 48 heures comme l’a dit la presse, fort inexactement, après l’échec.

[2] Est également présent  le commandant de Préval qui me paraît tenir un peu, pour le moment, le rôle de chef d’état-major auprès des patrons

[3] Note comique : au cours de la visite du matin, le général Saint-Hillier a invité à dîner chez lui pour ce soir, 21 avril, le ménage Saint-Marc, le ménage Bésineau et le capitaine Borel. Assez ennuyés, ils n’ont pu éluder, crainte de donner l’éveil. Drôle de soirée…

[4] On saura plus tard qu’un officier supérieur de la zone Est-Algérois, supposé acquis à notre cause et pressenti pour prendre part au mouvement a informé son chef, le général Simon à Tizi-Ouzou, qui a aussitôt prévenu les Autorités d’Alger, civiles et militaires. En fait, les mesures prévues n’auront aucune efficacité. Ce genre de renseignements a déjà circulé à maintes reprises et n’émeut guère les gens, surtout aux échelons subordonnés. On aura au procès de Challe et de Saint-Marc quelques détails sur les mesures prises. 

[5] J’ignore pourquoi Challe n’a pas fait appel à lui pour prendre le commandement du C.A. d’Oran comme il en, a eu l’intention à ce moment, ou du moins l’idée. N’a-t-il pu le toucher, ou Maison Rouge a-t-il refusé ? Je n’en sais rien. 

[6] Adjoint au général de Pouilly commandant le C.A. d’Oran. 

[7] A.L.A.T. : Aviation Légère de l’Armée de Terre (NdE)

[8] Information qui s’avèrera fausse, malheureusement, comme on le saura. Gouraud n’adhèrera, sous la pression de Zeller, que le lendemain, trop tard et trop mollement. En fait, il a changé de décision quatre ou cinq fois.  2 Je n’apprendrai que plus tard qu’en dehors des liaisons prises à Paris et des engagements donnés alors, exposés à Challe, Brothier a envoyé la veille du 21 à Zéralda, deux officiers, les capitaines Des Rieux et Pompidou, pour suivre le déclenchement de l’affaire. Ils repartent en voiture le 22 à l’aube, après avoir confirmé leur confiance totale dans Brothier pour participer au mouvement. Je ne saurai que plus tard que Brothier s’est prudemment mis en permission à Mostaganem le 21… 

Qartier Viénot à Sidi-Bel-Abbés

Gendre du général Gardy

Compagnie Saharienne Portée de la Légion

Il a succédé à ce poste au général Gardy, NdE

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