Bulletin 23

Bulletin 23

Le colonel Pierre Lecomte

Le colonel Godard en janvier 1960

Départ d’Alger du Général Salan en décembre 1958

Après Le Satiricon de Pétrone et les Satires de Juvénal, en 2002, le Roman de Catulle en 2004 et les Métamorphoses d’Apulée en 2007, notre ami Olivier Sers a mené, avec Les Métamorphoses d’Ovide un travail titanesque. Il n’a pas traduit Les Métamorphoses, il les a émendées, il les a réécrites en 11995 alexandrins, en compagnie d’Ovide qui, dans sa version originale, avait préféré les hexamètres dactyliques… 

Cette œuvre considérée comme « La Légende dorée », « Le Vatican du paganisme », « Les Mille et une nuits de l’Antiquité », « La genèse du paganisme », conduit du chaos originel au siècle d’Auguste. Tout y est démesuré. Entrez dans son labyrinthe pour vous délecter de récits épiques, de contes burlesques sans oublier un prêche philosophique.

Ovide et O. Sers, Les Métamorphoses, 782 p., Les Belles Lettres, 2009, 19 €

Lucienne-Grâce Georges fait des miracles, la poésie fait des miracles. Sur des thèmes aussi douloureux et lourds  que l’arrachement à l’Algérie terre natale, l’exil, la fusillade du 26 mars 1962 l’exécution de Jean Bastien-Thiry, les suicides de rapatriés, Lucienne-Grâce Georges écrit des poèmes qui paradoxalement, allègent la peine et les douleurs. Peut-être estce l’essence de sa poésie ?

Le recueil de 78 poèmes qu’elle a publié en 1987 est en quatre parties : Et le coq chanta, C’était notre père, L’orange amère et Comme le tournesol. Dans la première partie, un poème touchera spécialement les membres de notre association : « Salan ».  Merci à Lucienne-Grâce Georges

Lucienne-Grâce Georges, Et le coq chanta, 126p. S. Chiffoleau, 1987

 Georges Pagé, dont nous avons aimé les précédents ouvrages, en particulier sur l’Algérie, dans ce nouveau livre, mêle éléments historiques et souvenirs personnels. Il donne vie (et malheureusement mort !) aux hommes, aux femmes, aux événements qui, sans sa  discrète technique littéraire, resteraient inanimés et glacés comme lignes écrites en noir sur papier blanc. Une série de chapitres courts illustrés de situations ou de scènes inédites en dit plus que de longs développements plus ou moins – plutôt plus que moins – biaisés idéologiquement sur ce que furent l’Algérie et ses habitants que nous aimons. Beaucoup de faits qui parlent à notre génération et qui parleront aussi aux suivantes.

Georges Pagé, Algérie – Un passé si lourd à oublier, 215p.  Editions P.G. 2009, 20 €

Le colonel Lecomte

Pierre, Henri, Charles, Adrien, Désiré Lecomte est né le 20 août 1918 à Mers les Bains dans le département de la Somme. Son père, Henri Lecomte, est officier d’artillerie et terminera sa carrière au grade de colonel ; sa mère est née Rose Pollet.

Après des études secondaires à Douai, il prépare l’Ecole de Saint-Cyr de 1937 à 1939 au Prytanée national militaire de La Flèche (brution, son numéro de matricule est 2462B). Reçu à Saint-Cyr en 1939, il appartient à la 126ème promotion « Amitié francobritannique ». Cette promotion a compté pas loin de 800 officiers dont 160 sont morts pour la France. Parmi les survivants, deux futurs chefs d’état-major des armées, les généraux Guy Méry (1975-1980) et Claude Vanbremeersch (1980-1981). Pierre Lecomte, affecté au 5ème Régiment de Tirailleurs Marocains

(R.T.M.) à Bourg-en-Bresse, reçoit le 17

juin 1940 l’ordre d’arrêter, avec sa section équipée de fusils Gras modèle 1884, une colonne de blindés allemands dévalant vers la vallée du Rhône. Fait prisonnier le 19 juin, il s’évade le 14 juillet 1940 et rejoint la zone libre où, à Aix en Provence, il peut poursuivre sa formation d’officier que sa promotion n’avait eu le temps de parfaire à Saint-Cyr. A l’issue de cette période complémentaire, Pierre Lecomte choisit le 8ème R.T.M.. Il est affecté au 1er Bataillon, à Meknès, qu’il rejoint le 18 juin 1941 et continue à se familiariser avec les tirailleurs, d’origine principalement berbère et, également, avec le crapahut en montagne, ce qui lui servira en Italie. Lors du débarquement des alliés en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, le régiment de Pierre Lecomte n’est pas impliqué dans les combats précédant l’armistice. Par la suite, la 2ème Division d’Infanterie Marocaine auquel appartient le 8ème R.T.M. fait mouvement vers l’Algérie où elle se prépare, du 13 juillet au 25 novembre 1943, à son intégration dans le Corps Expéditionnaire Français en Italie (C.E.F.I.). Le 26 novembre 1943, le 8ème R.T.M. s’embarque pour l’Italie et débarque à Naples le 1er décembre. Le 4ème R.T.M, le 5ème R.T.M., le 8ème R.T.M., le 3ème Régiment de Spahis Marocains (3ème R.S.M.) et le 63ème Régiment d’Artillerie d’Afrique (63ème R.A.A.) forment l’essentiel de la 2ème D.I.M. commandée par le général Dody, lui-même sous les ordres directs du général Juin  commandant le C.E.F.I. et ses 120.000 hommes. 

Pierre Lecomte est chef de section de voltigeurs à la 1ère compagnie du 8ème R.T.M.. Il combat dans le froid, la neige et la boue des Abruzzes. La 2ème D.I.M. est détachée au 6ème Corps américain. Le 26 décembre 1943, ayant pris le commandement de sa compagnie après la blessure de son capitaine, il prend d’assaut la cote 1132 dans le massif  de la Mainarde et détruit une section allemande qui laisse vingt tués et six prisonniers. Cette action lui vaut d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur (J.O. du 14 février 1944).  

Insigne du 8ème R.T.M.

Et le succès de la 2ème D.I.M. dans ce secteur démontre aux Américains, encore sceptiques, le renouveau de l’armée française. Plus tard, le 11 mai 1944, pendant l’offensive visant à percer la Ligne Gustav et à atteindre Rome, le lieutenant Lecomte se distingue en détruisant, sur la rive gauche du Garagliano, plusieurs blockhaus ennemis dans un combat au corps à corps. 

                                                                                     Le 28 mai 1944, il est blessé par un éclat

d’obus de mortier, ce qui ne l’empêche pas de défiler dans Rome le 15 juin 1944 avec l’étendard du 8ème R.T.M.. Ultérieurement, au nord de Sienne, il prend le village fortement défendu de Castellina. Outre plusieurs citations, ces actions valent à Pierre Lecomte la Silver Star, décernée par le général Mark Clark, commandant la Ve armée américaine dont le C.E.F.I constitue l’équivalent d’un gros corps d’armée. L’offensive étant suspendue et le front stabilisé en Italie au profit du débarquement de Provence, Pierre Lecomte, avec son régiment, rejoint Marseille le 9 septembre. Il retrouve le front dans le Doubs en y relevant une unité du 4ème R.T.M.. Le lieutenant Lecomte est ensuite appelé au 2ème bureau de l’état-major du régiment étant donnée sa bonne connaissance de la langue allemande. La 2ème D.I.M. est intégrée au 1er corps d’armée commandé par le général Béthouart qui « court au Rhin » en forçant le passage dans la trouée de Belfort. Le 8ème R.T.M. est bientôt dissout en raison des pertes humaines importantes qu’il a subies. Au cours des campagnes d’Italie et de France, le lieutenant Lecomte   a été cité cinq fois, dont deux fois à l’ordre de l’armée.

Pierre Lecomte est muté à l’Ecole interrégionale des cadres à Compiègne où il forme et évalue les officiers issus de la résistance. Il commande ensuite la compagnie d’élèves sous-officiers au Centre d’instruction de l’infanterie de Meucon dans le Morbihan. Le 25 décembre 1945, le lieutenant Pierre Lecomte est promu capitaine. De 1946 à 1948, il commande une compagnie d’officiersélèves (parmi lesquels Hélie Denoix de Saint-Marc) à l’Ecole d’application de l’infanterie au camp d’Auvours, près du Mans. De 1948 à 1949, le capitaine Lecomte suit les cours de l’Ecole d’étatmajor. Il est affecté le 1er septembre 1949 en

Allemagne, à la base 901 à Offenburg, où il

Extrait d’un article de Nord-Matin du 6-1-1945         perfectionne ses connaissances en logistique.

Le 23 juillet 1951, laissant sa femme et ses cinq enfants, c’est le départ en avion pour l’Indochine qui est atteinte le 25 juillet. Au Tonkin, le capitaine Lecomte prend le commandement du 3ème bataillon du 2ème Régiment de Tirailleurs Marocains et celui du soussecteur de Hai Duong (à mi-chemin de Hanoï et Haïphong). Trois compagnies de supplétifs vietnamiens renforcent ses effectifs. Le 27 novembre 1951, le bataillon vietminh 50, qui tente d’occuper deux villages de son sous-secteur, est détruit. Le 15 avril 1952, le capitaine Lecomte est affecté au 4ème bureau de l’état-major des F.T.N.V. (Forces Terrestres du Nord Vietnam) à Hanoï. Il assure la logistique de la base de Na San que le général Salan ordonne de transformer en camp retranché et qui voit l’échec de l’offensive vietminh au début de décembre 1952 : le colonel Gilles, qui commande à Na San, soutenu par l’aviation de l’armée de l’air et de l’aéronavale, oblige Giap à se retirer après de lourdes pertes. Pierre Lecomte est promu chef de bataillon à titre exceptionnel. Le colonel Gilles, promu général de brigade et nommé commandant des forces terrestres au Laos, à Vientiane, le prend à son cabinet. C’est au Laos que Pierre Lecomte obtient son brevet de parachutiste. De retour au Tonkin avec le général Gilles, c’est l’opération Mouette, du 15 octobre au 7 novembre 1953 qui cause de grosses pertes à la division vietminh 320. Suit l’opération Castor, occupation de Dien Bien Phu, qui débute le 20 novembre par le parachutage du 6ème B.P.C et du 2ème bataillon du 1er R.C.P. suivi du 1er B.P.C et, le lendemain, du 1er B.E.P., du 5ème B.P.V.N. et du 8ème B.P.C.. Le chef de bataillon Lecomte est de la première vague, le 20 novembre. Il est le chef du bureau « Logistique » et prépare l’installation et le soutien des unités qui sont parachutées. Le 8 décembre, le général Gilles passe le commandement du camp au colonel de Castries et quitte Dien Bien Phu avec le commandant Lecomte. 

Le 15 décembre 1953, celui-ci embarque dans l’avion de Paris qu’il atteint le lendemain. Il a passé plus de 28 mois en Indochine et y a gagné quatre citations dont trois à l’ordre de l’armée. Du 17 décembre 1953 au 6 avril 1954, Pierre Lecomte bénéficie d’un congé de fin de campagne avant un séjour à l’état-major de la Ve région militaire à Toulouse suivi d’une affectation en tant que chef du bureau de l’organisation opérationnelle auprès du général Gilles qui commande la 25ème division d’infanterie aéroportée (25ème D.I.A.P.) à Bayonne. C’est là qu’en 1955, dans sa cinquième année, sa fille Françoise se tue en tombant d’une verrière.

Le commandant Lecomte est reçu à l’Ecole de guerre en 1955 et y obtient le Brevet d’Etudes Militaires Supérieures en 1957. Au titre de l’Ecole de guerre, il effectue une mission de reconnaissance en Afrique noire du 31 mars au 17 avril 1957. Entre temps, par décret du 15 octobre 1956, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur lui est décernée pour « services exceptionnels de guerre en Extrême-Orient ».

Le 1er mai 1958, Pierre Lecomte est muté au cabinet du général Gilles au corps d’armée de Constantine et, après le 13 mai, y crée le Comité de Salut Public. Appelé à Alger à la 10ème  Division Parachutiste commandée par le général Massu, il est le chef du Bureau Logistique de la base aéroportée avant de prendre la responsabilité du 3ème Bureau du corps d’armée. Il y crée une école de formation des chefs de commandos de chasse, extrêmement efficaces sur le terrain.

Le commandant Lecomte et le général Gilles

A la fin de 1959, Pierre Lecomte est nommé adjoint au lieutenant-colonel Renon, commandant le 14ème Régiment de Chasseurs Parachutistes (14ème R.C.P., régiment d’appelés appartenant à la 25ème D.P.) qui doit maintenir l’ordre, peu après, à Alger durant la « semaine des barricades » (du 24 janvier au  1er février 1960). Les 9ème et 14ème  R.C.P. y viennent relever des unités de la 10ème D.P. Le 1er octobre 1960, Pierre Lecomte est promu lieutenant-colonel et prend le commandement du 14ème R.C.P. En décembre 1960, les 14ème et 18ème R.C.P. sont de nouveau désignés pour le maintien de

         Insigne du 14ème R.C.P.                  l’ordre à Alger pendant le (dernier) voyage du général de

Gaulle en Algérie au cours duquel est prévue une opération

contre celui-ci, opération finalement non engagée faute de préparation suffisante.

Le colonel Lecomte devant l’étendard du 14ème R.C.P.

Durant son séjour en Algérie, Pierre Lecomte fait l’objet de trois nouvelles citations.

Le 22 avril 1961, le 14ème et le 18ème R.C.P. (ce dernier commandé par le colonel Masselot) se rallient au général Challe qui vient de prendre le commandement des forces à Alger.  Les régiments font mouvement sur Alger puis, presque immédiatement, sur Oran dont le corps d’armée est commandé par le général de Pouilly qui ne s’est pas rallié et a rejoint Tlemcen.  Lecomte et Masselot y retrouvent le général Gardy et le colonel Argoud. Le mardi 25 avril, le colonel Lecomte est devant la base de Mers el-Kébir avec pour objectif de la prendre. Mais un contre-ordre le redirige vers Alger où le général Challe décide ce même jour de stopper 

Les colonels Lecomte et Masselot, à la prison de la Santé, avant leur comparution devant le Haut tribunal militaire

l’action entreprise et de se rendre.

Le colonel Lecomte est mis aux arrêts et transféré en métropole. Il est inculpé et incarcéré à la prison de la Santé à Paris le 9 mai 1961. Le 14ème R.C.P. est dissout. En compagnie du colonel Masselot, il est jugé le 28 juin 1961 par le Haut tribunal militaire institué par décision du général de Gaulle, prise en vertu de l’Article 16 de la Constitution. Inculpé au titre de l’article 99 du code pénal créé par l’ordonnance du 4 juin 1960, il risque la peine de mort. Au cours de l’audience, il rappelle qu’il s’est engagé auprès des populations algériennes en suivant les directives des autorités civiles et militaires et que, le 5 avril 1961, il a déposé la médaille militaire sur les cercueils de sept appelés de son régiment tués au combat contre les rebelles. C’est pour être fidèle à ce double engagement, envers les vivants et envers les morts, qu’il a suivi les généraux Challe, Zeller, Jouhaud et Salan. Le verdict est de huit années de détention criminelle pour les deux colonels qui, tous deux commandeurs de la Légion d’honneur, sont déchus de leur grade dans l’ordre.

Le 12 juillet 1961, le colonel Lecomte est transféré à la maison centrale de Clairvaux, puis, le 4 août à la maison de détention de Tulle.

Par décret du président de la République du 12 juillet 1965, le colonel Lecomte voit remis le restant de la durée de sa peine de détention criminelle. Il a passé quatre ans et deux mois en détention dans les prisons de son pays.

Entré à l’Air Liquide en 1965, il prend successivement les responsabilités de chef de la distribution de gaz en France puis de directeur des ressources humaines en charge des cadres (pendant 12 ans). A ce poste, il rend de grands services aux anciens officiers exclus de l’armée.  Il est ensuite, à la direction générale de l’entreprise, chargé de l’africanisation des filiales africaines, jusqu’en 1982. Le  colonel Lecomte est promu grand-officier de la Légion d’honneur  le 19 décembre 1997. Il est élevé à la dignité de grand’croix le 13 janvier 2006. Cette grand’croix lui est remise le 2 mars 2006, au milieu de ses camarades du « club des anciens chefs de section ayant commandé au feu », par le général de corps d’armée Maurice Henry, son ancien de la promotion 1938-39 « De la plus grande France ».

Compte rendu du procès des colonels Lecomte et Masselot dans  Le Figaro du 29 juin 1961

Extrait du registre d’écrou de la Maison Centrale de Clairvaux

Journal Officiel du 14 janvier 2006

Le 2 septembre 2009, le colonel Lecomte s’éteint dans sa 92ème année. Le mardi 8 septembre, la cérémonie religieuse est célébrée à Saint Louis des Invalides. Elle est suivie dans la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides d’une cérémonie militaire d’une grande sobriété. Le cercueil, recouvert du drapeau tricolore et porté par huit parachutistes, est déposé au centre de la cour tandis que résonne la sonnerie « aux morts ».

Le colonel Lecomte avait épousé en mars 1942 à Saint-Chamond une amie d’enfance, mademoiselle Germaine Mabon. Il était le père de six enfants, deux fils et quatre filles, le grand-père de vingt-deux petitsenfants et l’arrière grand-père de trente et un arrière petits-enfants . 

Cérémonie dans la cour d’honneur de l’Hôtel des Invalides

Le colonel Godard  en janvier 1960 (I)

Le texte qui suit est extrait d’un document mi-manuscrit, mi-dactylographié, déposé à la Hoover Institution de Stanford University (en Californie) dans les archives du colonel Godard. Ce document contient un récit inachevé des journées de janvier 1960 à Alger. Il est vraisemblable que, développé et complété, il aurait fourni la matière d’un deuxième tome des Mémoires du colonel Godard. Il a été rédigé dans les années suivant l’indépendance de l’Algérie. Il manque parfois des mots, ou bien certains sont indéchiffrables. Mais à l’occasion du 50ème anniversaire de la semaine des Barricades, la publication de ce texte inédit apporte un éclairage nouveau.

1     Les forces en présence

Les Forces qui composent ou s’opposent sont l’Administration, l’Armée, les Mouvements Nationaux, le F.L.N. ; toutes se disputent la population européenne et musulmane.

L’Administration est le domaine de Paul Delouvrier, totalement inconnu un an auparavant, à l’époque où, dans de petits souliers, il est venu relever Salan, dans le domaine civil. Il s’agit d’un Inspecteur des Finances, très versé dans le charbon-acier. On l’a dit mendèsiste. Il est surtout gaulliste. Parfait technocrate, c’est au plan de Constantine qu’il doit d’avoir été choisi pour devenir « La France en Algérie ». Mais le plan n’est qu’un aspect très second du problème algérien, aussi peut-on dire que rien ne le destinait à ce proconsulat. Il n’est pas déloyal et pas insensible non plus, à son tour, à l’envoûtement d’Alger. Pourtant il n’est que commis d’un Etat qui pour lui est Tabou. Il exécute, amortit parfois, accepte d’être tampon mais ce n’est pas lui qui conçoit, c’est « l’Autre » celui qui ne peut pas se tromper. Depuis qu’il règne au G.G.[1], il a affecté de ne pas trop bousculer. Pour remplacer Baret qui, au moment de la Bataille d’Alger, a été un I.G.A.M.E. admirable et qui est devenu après le 13 mai, secrétaire général de l’Administration, il a choisi Jacomet qui lui aussi est très respectueux de l’autorité mais qui est aussi un honnête homme puisqu’il refusera en 1961 d’administrer une Algérie destinée à devenir algérienne. Regard, du F.N.A.F.[2], lui aussi a quitté son poste de secrétaire général adjoint mais il a été dédommagé, puisque bien que modeste fonctionnaire des Finances, il est auprès de son ami Poniatowski, dans le sillage de Giscard d’Estaing. Certains affirmeront par la suite qu’en 1961, demeuré fidèle à Salan, il s’est appelé Raphaël. Je ne peux pas en douter puisque c’est moi qui l’ai baptisé ainsi. Il a alors eu quelques ennuis, a connu la Santé, puis tout s’est arrangé pour lui, la Justice frappant durement les uns et ménageant les autres. Tant mieux pour lui. Qu’il sache que je l’ai toujours considéré comme beaucoup trop manœuvrier pour que son départ en 1959 ait pu me causer du souci.

Le second secrétaire général adjoint, Bouakouir, le polytechnicien Kabyle est resté en place. Il est mort dans des conditions demeurées mystérieuses en 1961 sur une plage du côté de Surcouf. Je crois savoir qu’une rue d’Alger, le Telemly, porte maintenant son nom. Il était donc acquis au F.L.N. mais on ne peut reprocher à Delouvrier que de l’avoir gardé en héritage de Salan.

Le cabinet civil du Délégué Général est dirigé par Maffart, très Cour des Comptes, homme courtois, un peu dépaysé par l’ambiance algéroise, acquis à son patron, mais il me faut le reconnaître, lui aussi, honnête homme. Le reste est moins bon. Les nouveaux attachés, comme le petit Westphal[3], et les secrétaires, venus de Luxembourg, veulent guérir, purifier l’Algérie dont ils ignorent tout avec du progressisme.

C’est ennuyeux mais quand même pas capital puisque les Directions sont restées entre de bonnes mains. Je pense à Juneau, Weckel, Gastebois ( ?) et certains autres dont j’ai perdu le nom, sans pouvoir consulter l’annuaire du G.G.. Il y a pourtant un mauvais qui, de la souspréfecture de Batna est venu, à Alger, se charger de la fonction publique. C’est un mauvais, mais ses fonctions ne sont encore que secondaires, la direction des Affaires Politiques, à laquelle il aspire pour succéder à Paye, n’ayant pas encore été reconstituée. 

Le cabinet militaire est commun avec celui du généchef. Alain de Boissieu, « le gendre », a estimé prudent, quelques jours avant le 16 septembre, de céder la place au général Lancrenon. Je reparlerai plus loin des dits galonnés.

En surface, et en douce, les préfets reviennent dans les départements pour reprendre, dans toute leur plénitude, les pouvoirs civils. Les commandants de zone, c’est-à-dire les généraux de division ont pourtant accepté, en vertu des pouvoirs spéciaux, de demeurer responsables de l’ordre public. C’est là le plus grave, parce que quand on lutte contre la subversion, il n’est pas possible de maintenir une discrimination entre les pouvoirs civils et militaires. La guerre révolutionnaire dont on se gargarise exige un seul pouvoir pour faire face à des aspects multiples. Le F.L.N. n’a-t-il pas coiffé toutes ses hiérarchies par une autorité politicomilitaire ? Il n’existe plus de direction globale pour mener une « lutte globale ».

Pour sauver la face en attendant mieux, les généraux de Corps d’Armée sont demeurés I.G.A.M.E. mais ils sont flanqués d’inspecteurs généraux, Chapel à Alger, Bonliez ( ?) à Constantine et Guy à Oran auxquels ils délèguent pratiquement tous leurs pouvoirs civils. Ce retour à la séparation des Pouvoirs est à mon sens l’aspect le plus inquiétant des réformes apportées en 1959, les fonctionnaires civils et en particulier les policiers, qui avec 10.000 GMS sont près de 25.000, l’équivalent de trois divisions, ayant tendance, ce qui est normal, à s’aligner plus sur le préfet que sur le général et étant ainsi parfois distraits de la tâche principale qu’est la lutte contre le F.L.N., au profit de besognes secondaires de routine administrative ou de combinaisons politiques.

Je suis, moi, Directeur de la Sûreté Nationale, en position HCM, c’est-à-dire hors cadre en mission. C’est Salan qui m’a mis dans ce guêpier et Delouvrier m’y a maintenu. Je l’avais rencontré à l’automne 59, époque à laquelle, sous le couvert d’une vague mission, il faisait en Algérie le tour du futur propriétaire (ce que j’ignorais totalement). Il m’avait convoqué – je ne me souviens plus pour quel motif – et tout en affectant de se soucier de questions de budget, il m’avait inventorié. Peut-être lui ai-je paru acceptable ! Je crois plutôt qu’il a estimé que je pourrai lui servir, au moins pendant quelque temps. Quoi qu’il en soit, quand il est devenu Délégué,  je suis resté en place.

Il y a en Algérie différentes polices. Il y a d’abord la D.S.T. , faite pour veiller à la sécurité du territoire et qui, à ce titre, devrait porter tout le poids de la lutte contre la rébellion. Mais la D.S.T., peu développée d’ailleurs, est indépendante et ne dépend que de Paris. Il y a ensuite la Sûreté Nationale. C’est un gros morceau puisque, sans compter les renforts métropolitains temporaires, ses effectifs sont de l’ordre de 25.000 hommes. Mais cette sûreté est multiple, en dehors des habituelles discriminations entre ceux qui portent un uniforme et ceux qui « instrumentent » en tenue bourgeoise. Certains policiers sont soldés par le budget de l’Algérie, d’autres sur le budget de l’Etat. Certains sont titulaires, beaucoup sont contractuels et 10.000 sont supplétifs. Un vrai chef d’œuvre de simplicité ! La police dite « d’Etat », c’està-dire les agents de police des commissariats urbains sont consommés par les broutilles, circulation, enquêtes, petits délits, constats d’adultère. Elle n’est donc un instrument de protection que très accessoirement, d’autant plus qu’elle ne descend que très rarement en dessous de l’échelon préfecture.

La P.J., dont le nombre de brigades est très insuffisant, à une époque où il faut réprimer – c’est là l’origine de bien des bavures – entre l’autorité judiciaire et celle qui a charge de rétablir l’ordre. Parmi ses commissaires, il y a du bon et du mou mais d’une façon générale, la P.J. tend plutôt à servir le procureur que celui qui chasse le fellagha. Je me suis employé, dans l’intérêt même du Parquet, de remonter le courant. Je n’y suis pas tout à fait arrivé.

Il y a aussi les Renseignements Généraux, dont la tâche est de pénétrer pour permettre aux chefs de prévoir et de prévenir. Là, c’est un désastre. Agglutinés dans les grands centres du littoral, n’ayant aucune antenne valable dans ceux de l’intérieur, ignorant le bled, les R.G. dont le F.L.N. a facilement neutralisé les petits mouchards, peu nombreux et faiblement rétribués, fait encore du papier aux préfets, mais ce n’est que de la médiocre information de basse politique, à base de revue de presse. Quand j’ai pris la Sûreté en 58, j’ai découvert qu’il y avait à cet échelon un fichier central, abondamment doté en personnel et en moyens matériels. J’y ai retrouvé les dossiers, assez complets, des autorités traditionnelles et des élus. Celui de Krim, par contre était vide depuis qu’il avait disparu dans le maquis Kabyle, inculpé d’homicide. Quant à celui de Yacef Saadi, il ne comportait que la mention : voir la D.S.T.

L’Armée

En janvier 1960, Challe n’avait pas à craindre de ne pas être obéi par l’armée. Il avait réussi dans le domaine militaire. Face aux Européens et avec les paras, peut-être s’exposait-il à certaines mollesses dans l’exécution. Mais cette éventuelle mollesse était beaucoup plus le fait des réalités dont l’exécutant ne peut pas s’affranchir que d’une option délibérée. Commander c’est toujours demander beaucoup mais jamais l’impossible, ni à soi-même, ni aux autres. Le 22 au soir, Challe sortait de l’Elysée, et là-bas, une volonté implacable au service de l’abandon estimait qu’avant de s’engager plus loin, il importait de gagner, à Alger, une épreuve de force, à n’importe quel prix. Challe ne voulait pas brader l’Algérie. Il l’a montré par la suite. Il espérait avec l’armée jouer la francisation mais comment, pris entre l’Elysée et Alger comme entre le marteau et l’enclume, a-t-il pu espérer disposer d’un espace de manœuvre suffisant ? Il s’est, je crois, lourdement trompé et engagé dans une voie impossible. Pourquoi n’a-t-il pas le 22 janvier « rendu sa casquette », l’expression est de lui, plutôt que de tenter ensuite en avril 1961 un assaut désespéré ?

Pour Delouvrier, le problème était autre. Rien dans sa carrière ne le destinait à jouer les proconsuls en Algérie. Il n’était et ne sera jamais qu’un grand commis au service de l’Etat tabou. L’Algérie n’était pour lui qu’une difficile étape de sa carrière. Il avait accepté de n’être qu’un Délégué Général exécutant sans marge de manœuvre, sans options personnelles, sans passion. Un technocrate renonçant à la conception et se penchant honnêtement sur l’exécution. Il n’a cependant pas été insensible à la séduction algérienne. Il a su trouver à certains moments difficiles, dans ses discours, le ton qu’il fallait employer à Alger ; mais ces écarts n’ont été que de courte durée et finalement n’ont servi que le pouvoir. 

Delouvrier, destiné à mettre en musique plutôt qu’à concevoir. Un bon chef d’E.M. mais pas un patron.

Massu, officier colonial, baroudeur certes, un peu gonflé sans doute par l’épopée Leclerc, mais certainement pas une grosse tête parce que les idées qui l’animent ne sont jamais les siennes, mais celles de son entourage qui à quelques exceptions près qui ne furent que temporaires, est surtout fait de son épouse, juive convertie, ex-Mme Torrès, intelligente, ambitieuse surtout et qui aurait eu tous les pouvoirs si elle avait été jolie. C’est elle qui a maintenu son mari dans le sillage gaullien parce que, pour un temps, il lui semblait gagnant. Massu était, depuis la bataille d’Alger, l’idole de l’Algérie Française. Il avait pour aide de camp, le lieutenant X qui est maintenant en prison à vie. Son chef d’E.M. était Argoud. Son cerveau militaire fut, pour un temps, le colonel Broizat qui était son directeur de cabinet. Il est actuellement en exil. J’ai moi-même été son chef d’Etat-Major au G.P.I et à la 10ème D.P. Ma situation est actuellement difficile sinon désespérée. Château-Jobert, F.F.L. comme lui et Compagnon comme lui, était son ami et commandait un des régiments de la 10ème D.P. qui a fait Massu beaucoup plus que Massu ne l’a faite. Il y en a d’autres encore qui se nomment Saint-Marc, Sergent, Romain-Desfossés qui croyaient à une option irréversible et qui, bien que lâchés, ont continué envers et contre tout. Il y a aussi un certain commandant Vitasse, qui fut très fidèle à Massu au moment du 13 mai et qui, après, s’est retrouvé en prison. Certains sont morts aussi, et pas de vieillesse. Je pense au capitaine Graziani, à Fossey-François, à Jeanpierre et à combien d’autres. Alors que reste-t-il de l’équipe qui fit la victoire d’Alger de 57. Bigeard, qui avec un style personnel, un peu gourmand parfois, a su animer et faire rendre, aux échelons de la compagnie, du bataillon et du régiment, de sacrées machines de combat. Il sera demain, s’il ne l’est déjà, commandant d’une division d’intervention, dépourvue hélas de moyens d’intervention pour la défense d’un empire non pas perdu mais bradé. C’est dommage. Il reste aussi Brothier qui n’a pas toujours respecté certains engagements solennels et qui, avec quelques étoiles sur les manches, a accepté d’inspecter l’agonie de la Légion. J’ai bien connu Brothier. Nous étions dans la même légion à Saint-Cyr. Il a été toujours un père tranquille, un peu tenté par la gloire, certes, mais finissant toujours par chercher les champignons sur les bords du Rubicon. Malheureusement, les meilleurs de ses subordonnés l’ont passé avec sa bénédiction. Et cette bénédiction est ensuite devenue condamnation. Brothier, maintenant général, ne se souvient-il pas  de son indignation quand, alors qu’il commandait le 1er R.E.P., il découvrait, dans les couvents d’Alger, une étonnante collusion entre le progressisme chrétien, cher à M. Michelet, et la rébellion de ceux qui, alors, étaient officiellement dénommés hors-la-loi. Il reste aussi Prosper[4] qui est un beau soldat et je crois que, même s’il a courbé l’échine, sans autre contrepartie, il n’a oublié ni Philippeville, ni le 1er R.C.P.

Il y en a d’autres, de moindre envergure. Je pense à Sanne, professeur de philosophie, qui de Grenoble était venu à Alger comme officier de réserve et qui, ayant retrouvé la tenue bourgeoise, y était demeuré pour militer dans les milieux non pas activistes qui n’étaient que patriotes mais dans les cercles nationalistes et susinistes pour lesquels l’Algérie, comme pour Debré, n’étaient qu’un tremplin. Je pense aussi à un certain capitaine Fillippi qui siègeait aux barricades et au P.C. d’Ortiz, en uniforme avec un très beau colt à la cuisse. Il n’était qu’officier des services, matériel, intendance, qu’importe, mais intendance peut-être parce que au grand moment de la….   ……, l’aide de camp de Massu n’était-il pas, par la volonté de Suzanne Massu, le lieutenant israélite qui, quand nous devions débarquer à Alexandrie, m’avait été abondamment recommandé pour le charger de l’intendance de la 10ème D.P.

Tous ces gens avaient une croix de guerre courte… Quoi qu’il en soit, ni Sanne, ni Fillippi n’ont été sérieusement inquiétés après les barricades. Gardes, lui, qui est un pur et qui quand même avait derrière lui un passé de soldat, s’est assis au banc des accusés. Massu dans sa soumission avait obtenu que les valets de « la générale » soient épargnés. Il n’avait pas pensé aux autres, ceux qui y croyaient vraiment, et à ce million de Français, grands et surtout petits blancs, qui, hélas croyaient en lui.  J’avais …..parce que Massu, dont « le cas » a été l’élément déterminant du 24 janvier 1960, de potiche qu’il a toujours été est devenu une baudruche qui, dégonflée, sans penser à ceux qui étaient engagés, ne pouvait plus que ramper…

Pour le moment, je crois, Jacques Massu commande les Forces Françaises en Allemagne, dont le statut est pour le moins mis en question par la décision de quitter l’OTAN.  Alors Massu n’est-il pas encore qu’un pauvre instrument ?

Allons, Massu, et quoi, mon général, comment pouvez-vous en être arrivé si bas ? Nous avons cru en vous autrefois, non pas tant en votre cerveau mais un peu en votre ………. …..de Français d’Afrique. Il ne s’agit pas de nous mais d’eux. Comment pouvez-vous continuer à les trahir ainsi ? Peut-être avez-vous agi consciemment, alors vous n’êtes qu’une crapule. Ou bien vous êtes-vous laissé aller dans le courant. Alors vous ne faisiez pas le poids. Je crois en la seconde hypothèse.

Il y a toujours eu en Challe une certaine incohérence, aussi bien le 24 janvier 1960 qu’au moment du putsch. Le 24 janvier 1960, il reçoit Ortiz, partage un casse-croûte avec lui, autorise la manifestation sous réserve qu’elle ne dépasse pas certaines limites (Delouvrier et lui vivent dans la hantise du 13 mai de la mise à sac du G.G.)

Pour maintenir l’ordre à Alger, il fait appel aux régiments de la 10ème D.P. qui, bien qu’elle soit commandée par Gracieux, est demeurée la division Massu, alors que c’est l’éloignement de ce dernier qui est au moins le prétexte de l’agitation.

Brusquement, dans l’après-midi, il faut disperser la manifestation à coups de crosses…. Hantise du 13 mai – Marquages mutuels entre Delouvrier et Challe, comme entre Ortiz et Lagaillarde, comme entre Fonde et Ceccaldi.

En fait, pour reprendre une formule heureuse de Paul Ribeaud, ces Français d’Algérie ne naissaient-ils pas, ne vivaient-ils pas, ne mouraient-ils pas aussi avec un drapeau dans la tête ? Souvenons-nous d’un certain corps expéditionnaire français et aussi d’un certain débarquement que la Métropole, sous la botte, a suivi et a accueilli avec de véritables larmes de joie. Mais les panoplies individuelles ne furent qu’un appoint ; l’essentiel, qui créera le fait insurrectionnel, fut l’armement des U.T.[5] qui fut distribué largement à des unités constituées. Comment se fait-il que ni Fonde, ni Costes n’aient pris dans ce domaine d’élémentaires précautions et mesures de prévention alors qu’ils avaient tout pouvoir et aussi les moyens d’exercer ces pouvoirs. C’est là, je crois, un aspect du problème qui est capital. Ou bien Fonde et Costes, responsables de l’ordre, n’ont pas pensé à prendre certaines indispensables mesures de sécurité – ce sont alors des incapables, ou bien ils l’ont fait sciemment, alors ce sont des assassins, non seulement d’Hernandez, mais aussi des gardes mobiles qui sont tombés le 24 janvier.

Le passage suivant a été barré d’une croix de Saint-André par l’auteur

On a beaucoup discuté, épilogué, pour savoir qui a tiré le premier coup de feu. Le problème n’est pas là – on ne le saura jamais – maladresse, provocation – toutes les hypothèses sont possibles. Quoi qu’il en soit, le coup de feu initial, d’où qu’il soit venu, a mis le feu aux poudres. Et cela n’a pas été beau et certainement catastrophique pour la défense de l’Algérie Française. Les manifestants ont certes tiré, beaucoup même et au fusil-mitrailleur. Les gardes mobiles aussi, quoi qu’on en dise – pas ceux d’en bas qui, du fait du génie tactique de Costes, Fonde et Debrosse, se trouvaient vraiment dans une situation difficile. Mais ceux d’en haut, qui occupaient le Forum. J’ai assisté à la fusillade du toit de la salle Pierre Bordes, ayant giclé de mon bureau dès la première détonation. J’avais à mes côtés un officier qui m’avait été un peu imposé par Costes et dont le comportement ultérieur lui épargne d’être taxé d’activisme. Je vois encore les rafales de F.M. qui, partant du sommet des escaliers du Forum venaient zébrer les façades des immeubles bordant à ma gauche le monument aux morts auquel je faisais face. Je me souviens être intervenu, et pour ce faire m’être heurté durement avec un officier, lieutenant ou capitaine de G.M., pour éviter un tir de F.M. dirigé contre l’immeuble des douanes. Je ne prétends pas que les réactions du service d’ordre n’étaient pas motivées. J’avais un talus de pauvres gardes, paraissant blessés, se traînant le long des grilles du monument aux morts et canardés par les occupants, demeurés anonymes, des immeubles voisins. Cela avait été pour moi vraiment intolérable et à ce moment-là  j’ai marché ( ?) 

Le F.L.N.

3240 attentats en Algérie au cours du 4ème trimestre 1959, c’est-à-dire depuis le discours du 16 septembre.

Si le plan Challe a, au cours de l’année, considérablement réduit le potentiel des Willayas 5, 4 et 3, le terrorisme persiste et s’accentue même, à dessein, dans les environs d’Alger, en Mitidja et au Sahel.

La Mitidja   28 victimes du terrorisme en décembre.

Trois grenades à Alger le 8 janvier (3morts, 3 blessés).

Le 8 janvier – 3 morts à Marengo – à Médéa, l’oncle du député Vignau est assassiné.

Le 19 janvier, à l’issue d’une réunion du C.N.R.A. à Tripoli, on annonce un remaniement du G.P.R.A. qui aboutit à l’exclusion de certains extrémistes inféodés au Caire et à Pékin. A Alger ce remaniement est interprété comme un effort pour rendre la négociation possible.

Départ d’Alger du général Salan, décembre 1958

Par décret du 9 juin 1958, le général Salan est nommé Délégué général et commandant en chef des forces en Algérie.

Le décret du 10 décembre 1958 crée le poste d’inspecteur général de la Défense, rattaché au premier ministre et destiné au général Salan qui quitte son poste à la fin de 1958. Le 16 décembre, deux décrets sont pris : l’un nomme Paul Delouvrier au poste de délégué général en Algérie, l’autre nomme Raoul Salan au poste d’inspecteur général de la Défense.

Le 5 février 1958, le général Salan est nommé gouverneur militaire de Paris. Un décret du 7 février 1959 supprime subrepticement le poste d’inspecteur général de la défense (article 9 du décret définissant les attributions du chef d’état-major général de la défense). Ainsi, le tour est joué : le général Salan auquel avait été promis un poste de première importance se retrouve gouverneur militaire de Paris, poste essentiellement honorifique.  

Discours de départ du général Salan

Transcrit par Edouard Zeller (10 ans) d’après l’enregistrement de la RTF disponible sur le site de l’I.N.A. 

Algériennes, algériens, je quitte mon commandement après 25 mois passés auprès de vous. Singulièrement, pendant les sept derniers mois de cette année de 1958, j’ai été très près de vous. Et je puis vous dire, que le renouveau national, qui nous remplit d’une immense espérance, a jailli pour beaucoup de cette terre de l’Algérie Française, de ce forum, de toutes ces poitrines qui demandaient à la mère Patrie de ne pas les abandonner en ce 13 mai dernier. Aussi, lorsque le 4 juin, le général de Gaulle s’est écrié : « Je vous ai compris…», nous recevions notre plus belle récompense. Je pars certes, avec un pincement au cœur.

Mais votre affection et votre gentillesse adoucissent ce départ. Et puis, avec les hautes responsabilités qui viennent de m’être confiées, je soutiendrai de toute mon énergie ceux qui prennent ici la charge de vos destinées et je forme à leur endroit les vœux les plus ardents. J’en viens maintenant au dernier acte du chef avant de faire ses adieux à ses troupes et je vous lis l’ordre du jour que je leur adresse :

Ordre du jour n°12.

Officiers, sous officiers, gradés, soldats,

marins et aviateurs, personnel des forces de l’ordre, des unités territoriales et des unités supplétives en Algérie. Appelé de décembre 1956 à vous commander, je vous avais dit : « Vous frapperez durement et sans relâche les assassins qui troublent l’ordre et la sécurité. »

Pour eux, point de quartier. Vous serez purs et fraternels avec cette population admirable qui souffre. Vous la protégerez, vous la respecterez et vous garantirez la sauvegarde de ses biens. Maintenant, sans faiblesse et la tête haute, portez fièrement le drapeau de la Patrie et montrez au monde que l’Algérie c’est la France. Aujourd’hui, la paix revient dans les villes comme dans les campagnes. Sans cesse, traquez les bandes rebelles qui se terrent dans les djebels. L’adversaire ne se manifeste plus que par les attentats les plus lâches.

Délivrée de la terreur, aidée par vous à s’élever, la population vous entoure de la confiance et de l’affection que votre attitude fraternelle vous a bien méritée

Et depuis les journées éblouissantes de mai, grâce à vous, le monde tout entier sait que l’Algérie          et         la          France            vivront indissolublement liées sous les plis du drapeau de la Patrie.

Avant de vous quitter, je m’incline avec émotion devant tous ceux, militaires et civils qui ont donné leur vie pour que vive l’Algérie française. Je salue avec fierté vos drapeaux et vos étendards anoblis par vous d’une gloire nouvelle. Et à tous, je dis l’immense fierté que je ressens d’avoir eu à conduire des soldats tels que vous sur les chemins de l’honneur.

Départ du général Salan de l’aéroport d’Alger Maison Blanche

Le 19 décembre 1958


G.G. : Gouvernement Général

F.N.A.F. : Font National pour l’Algérie Française

chargé des libérations dans les camps d’assignés à résidence

Colonel Meyer, a commandé le 1er R.C.P.

Unités Territoriales

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