Bulletin 12
L’affaire du Bazooka
50 ans après, qu’en sait-on ?
Procès verbal de perquisition et d’audition de René Kovacs (suite)
Une lettre du Général Cogny
Biographie / Me Tixier-Vignancour
Photographie /
1957 : le Général Salan, le lieutenant Demetz et le préfet Serge Baret dans la Casbah d’Alger
L’affaire du bazooka
Un demi-siècle après … l’affaire du bazooka par Jean-Paul Angelelli
L’article qui suit est le résultat d’une recherche sur une mystérieuse histoire qui évoquera bien des souvenirs aux Amis de Raoul Salan (et à de nombreux autres). Nos sources : les livres publiés entre 1970 (le premier et, à nos yeux, le plus fouillé : « L’Affaire du bazooka » par André Figueras La Table ronde. 1970, réédité par Deterna en 1999, très difficile à trouver. Mme Figueras n’en possède qu’un exemplaire ; le dernier « Les Mémoires » d’Alain Griotteray De Fallois / Le Rocher. 2004). Nous n’avons pas eu le temps ni les moyens d’aller consulter la presse de l’époque.
Nous avons voulu aller à l’essentiel. Les faits datés, précisés, commentés. En évitant le sensationnalisme et les règlements de comptes. Espérons avoir réussi…
Première partie : l’attentat et après
Le 16 janvier 1957, une explosion retentit en plein cœur d’Alger. L’hôtel militaire, place Bugeaud, siège de la 10ème Région où travaille le général Salan, récemment nommé, est ébranlé par deux obus de bazooka (en réalité deux tuyaux de tôle) lancés de la terrasse d’un immeuble voisin. Le général, grâce à un heureux hasard, avait quitté son bureau mais son adjoint, le commandant Rodier, est pulvérisé par l’un des projectiles.
Le retentissement est énorme et aussitôt la police judiciaire enquête.
Qui a voulu éliminer celui qui est à la tête de 400.000 hommes servant en Algérie ? Le FLN est soupçonné, puis le parti communiste. Mais le montage de l’attentat apparaît très professionnel. A partir d’un détail technique, la police remonte une piste qui aboutit quelques jours après à l’arrestation d’un petit groupe de civils européens. Appartenant à un groupe contre-terroriste nommé « O.R.A.F. » (Organisation de Résistance de l’Algérie Française) déjà connu pour divers attentats dont l’un, celui de la rue de Thèbes, le 10 août 1956, en pleine Casbah a fait des dégâts et des victimes civiles. L’O.R.A.F. avait, semble-t-il, des complices dans certains services de renseignement et dans la police qui lui indiquaient les cibles (P.C.A., FLN, etc .) ; Son chef est un certain docteur Kovacs, né en Algérie, exchampion de natation, d’origine hongroise, vivant sur un grand pied alors qu’il ne pratique pas la médecine. Il a été, le 15 décembre 1956, l’objet d’une « mise en garde » dont l’origine n’est pas précisée (les R.G. ?) l’accusant d’être un agent des services étrangers (au choix : espagnols, allemands, voire soviétiques) car il s’est rendu quelques fois en Hongrie communiste. Infiltré dans les des groupes activistes, Kovacs serait un « provocateur ». A noter que, d’après Claude Paillat qui le premier évoqua le bazooka dans son « Dossier secret de l’Algérie » (tome 2 1962 Les Presses de la Cité), la DST, dont c’était la fonction, fut déchargée d’une enquête sur Kovacs. Kovacs jouit d’une autorité incontestable sur ses adjoints dont le plus important est Philippe Castille, ancien du 11ème Choc et spécialiste en explosifs.
Après leur arrestation, Kovacs et Castille et d’autres complices reconnaissent leur responsabilité dans le montage de l’attentat. Leurs motivations ? Le général Salan était à leurs yeux un « mendèsiste », nommé à la tête de l’Algérie pour la « brader », comme il avait fait pour l’Indochine, de plus drogué, etc. Et c’est un fait que, dès la nomination du général, une campagne d’opinion avait été orchestrée à Alger pour le calomnier. Du genre de celle qui s’était développée en 1942 contre l’amiral Darlan et qui aboutit à son assassinat (voir l’étude comparative d’Alfred Fabre-Luce : « Deux crimes d’Alger » Julliard 1980). Kovacs et Castille (qui a écrit sa « confession » dans « Bazooka » Filipacchi 1988) affirment ne pas avoir voulu s’en prendre à la vie du général mais lui donner un avertissement qui l’aurait conduit à donner sa démission. Difficile à croire…
Mais début février, c’est le coup de théâtre (cf. documents infra). Kovacs et Castille, plus bavards, révèlent qu’ils n’ont été que les exécutants dans un complot. Organisé par « un Comité des Six ». Siégeant à Paris. Dont les têtes politiques sont Michel Debré (dont les articles violents pro-Algérie française dans le « Courrier de la Colère » sont très lus, Soustelle, un député Arrighi, un certain Giscard-Monservain qui n’existe pas (confusion entre BoscarryMonsservin et Giscard d’Estaing ?), le Prince Napoléon. Sur place, ils ont des complices, pas à Alger mais au Maroc dans l’entourage du général Cogny qui commande à Rabat les troupes françaises. Et envoie souvent à Alger le capitaine Alain Griotteray pour diverses missions. La principale : faire nommer à la tête de l’Algérie son patron. Pour remplacer le général Lorillot (sur le départ fin 1956). Mais Salan fut préféré.
D’après Kovacs et Castille, si Salan avait été éliminé, c’est Cogny qui l’aurait immédiatement remplacé et instauré une dictature militaire. A Paris, un « clash » se serait produit à l’Assemblée Nationale. Il en aurait résulté une crise politique grave et, pour en sortir, un appel aurait été lancé au général de Gaulle alors retiré dans sa retraite de Colombey. Un scénario qui, curieusement, préfigure celui de mai 1958. A l’appui de leurs dires, Kovacs, Castille, Féchoz (autre complice important) donnent des détails précis sur des va et vient entre Paris et Alger d’émissaires (Knecht et Sauvage) du complot au mois de décembre 1956, sur les venues du général Cogny à Alger, soi-disant pour se soigner ou rencontrer le général Salan. Mais aussi les dirigeants de l’O.R.A.F. (notamment le 16 décembre 1956 dans une chambre de l’hôtel Saint Georges) ce qui sera prouvé. Mais que s’y est-il dit ?
A les entendre, on leur aurait suggéré, puis demandé ouvertement début 1957 de « faire sauter l’obstacle Salan ». Ce qui aurait pu se produire fin décembre où, profitant de l’émoi dans la population d’Alger suscité par l’assassinat le 28 décembre 1956 du président Froger, dont les obsèques furent accompagnées par une foule énorme, le coup était possible. Mais il fut retardé car il y avait un autre complot, brouillon, celui du général Faure, qui avait échoué à cause de ses imprudences verbales. Finalement soumis à une forte pression psychologique, Kovacs et Castille auraient décidé de passer à l’action le 15, puis le 16 janvier. C’est Castille (technicien remarquable) qui s’est occupé du montage technique. Les rockets avaient été fournies en 1956 par le capitaine Despuech (rappelé en Algérie) à un activiste (n’appartenant pas à l’O.R.A.F.) qui les lui avait demandées pour une action anti-FLN. Despuech sera d’ailleurs arrêté, transféré en Algérie, jugé et acquitté. Il ignorait tout de l’O.R.A.F et de l’attentat.
Avec les déclarations des deux hommes, l’affaire prend une toute autre tournure. C’est un complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Des investigations sont lancées. Knecht et Sauvage, arrêtés en France, sont emprisonnés en Algérie pendant six mois ; Griotteray, averti, s’est réfugié en Espagne. Dans ses Mémoires, où il ne consacre que peu de place au bazooka, il affirme qu’il a attendu pour se livrer que François Mitterand (informé de l’affaire) ne soit plus Garde des Sceaux du gouvernement Guy Mollet (président du Conseil) qui fut renversé en juin 1957 et remplacé par Bourgès-Maunoury. Quant au général Cogny, il proteste violemment contre ces calomnies. Il n’est pas poursuivi.
A noter que fin 1957, Knecht, Sauvage et Griotteray bénéficient d’un non-lieu. Le réquisitoire définitif, qui donne de nombreux détails, établi par le colonel Sigaud, commissaire du gouvernement près du tribunal militaire d’ Alger en janvier 1958 conclut sur un renvoi au tribunal de forces armées, pour « association de malfaiteurs, assassinat, tentative d’assassinat, destruction d’immeuble habité par engins explosifs », de Kovacs (accusé principal), Castille, Fechoz, Tronci, Della Monica et Gafori (ces trois derniers ayant eu un rôle mineur).
Mais contrairement aux vœux du général Salan (qui avait communication des pièces et souhaitait que le procès se fasse sur place), en février 1958, un arrêté de la Cour de Cassation ordonne le renvoi des inculpés devant le tribunal permanent des Forces Armées de Paris pour « cause de sécurité publique » et ils seront transférés à Fresnes le 1er avril 1958. Auparavant, ils étaient détenus dans la prison Barberousse pleine à craquer de détenus FLN dont des condamnés à mort (dont certains sont exécutés). D’après Philippe Castille, sans la protection discrète des gardiens (très Algérie Française) lui et ses amis, noyés dans la masse auraient pu subir de graves représailles.
Reprenons le dossier à partir de nos sources.
Dans ceux qui ont écrit sur le bazooka, il y a en gros deux camps. Les plus nombreux, qui croient aux accusations de Kovacs et de Castille, à savoir :
- André Figueras (qui publie une « confession », non signée, de Kovacs en prison où il « mouille » pas mal de monde)
- Le général Salan qui consacre le troisième chapitre (un autre suivra) du troisième tome de ses mémoires (« Algérie Française » 1972 Les Presses de la Cité)
- Alfred Fabre-Luce (livre cité supra)
- Christophe Nick, dans son livre consacré à « Résurrection » (Fayard 1998), c’est-àdire l’opération militaire et civile qui aurait porté au pouvoir en France, par la force, le général de Gaulle en cas d’urgence. Nick a rédigé un chapitre « Du bon usage des escadrons de la mort » sur le bazooka.
- En revanche, Pierre Pélissier dans sa « Bataille d’Alger » (Perrin 1995) est plus prudent
- Et enfin Alain Griotteray, qui témoigne tardivement, nie toute responsabilité dans cette affaire, parle d’un « pseudo-complot parisien, d’hommes (les membres de l’O.R.A.F.), « meurtris, passionnés, disponibles » mais intoxiqués, voire manipulés par le FLN. Ce qui paraît hautement improbable. Tout comme certaines allusions d’André Figueras sur certaines liaisons entre les comploteurs de Paris, et même De Gaulle, avec les dirigeants FLN de Tunis en 1957.
S’il faut hasarder une conclusion personnelle, nous l’emprunterions à un magistrat militaire, le commandant Marchelli, qui, remettant au général Salan les pièces se rapportant à l’attentat et au complot, conclut : « Pas de preuves, certes, mais que de présomptions ! ». Ce à quoi, Olivier Dard, dans son « Voyage au cœur de l’ OAS » (Perrin 2005) où il évoque très rapidement le bazooka répond : « un faisceau de présomptions ne peut constituer une preuve ».
Sans doute, mais l’affaire ne se termine pas fin 1957. Et les suites n’en seront que plus troublantes.
La suite de cet article (2ème et 3ème parties) paraîtra dans les prochains numéros du Bulletin des « Amis de Raoul Salan »
Nouvelles Presses de la La Table Ronde Julliard Filipacchi Déterna
Editions Latines Cité 1970 1980 1988 1999
1962 1972
Au cours de cet entretien, il est question du général Salan. Alain Griotteray aurait dit : « Mais il y a l’obstacle Salan, s’il disparaissait cela serait tout autre chose et les difficultés seraient aplanies ». C’est de là que l’idée serait venue à Kovacs, Castille et Fechoz d’un attentat contre le Q.G. de la 10ème Région militaire.
L’interrogatoire se porte ensuite sur ce que sait Kovacs des activités du général Faure. Kovacs répond que le général Faure lui a été présenté fortuitement par des cousins de celuici habitant Alger, en novembre 1956. Par la suite, ils se seraient revus plusieurs fois, le général Faure dévoilant, à chaque fois, plus de détails sur ses plans, assez changeants, ayant pour but la prise de pouvoir en Algérie. Le général Faure était au courant de l’existence du « Comité des six », d’autant plus qu’il disait en faire partie.
René Kovacs introduisit François Knecht, qui était chargé de rencontrer le général Faure, auprès de celui-ci, lui donnant comme garantie le nom d’Alain Griotteray. Ce contact n’ayant pas été heureux, François Knecht retourna à Paris d’où il envoya à Kovacs un mot d’introduction en sa faveur (Knecht) auprès du général Faure, mot rédigé par Michel Debré sur une carte à en-tête du Conseil de la République. Knecht revint à Alger et revit le général Faure.
La rupture entre Kovacs et le général Faure intervint le 19 ou le 20 décembre quand celui-ci exposa sa décision de faire prendre le 29 décembre le commissariat central, la Préfecture et d’autres points stratégiques ; Kovacs s’y serait opposé par crainte de mort d’hommes.
Après cette rupture, Kovacs en a informé Jacques Sauvage et François Knecht qui déjeunaient ce jour-là chez lui.
Question : quels étaient les contacts du général Faure à Alger ?
Réponse : il était discret sur ce point et a cité des poujadistes tel Goutailler ; il parlait également du colonel André et de « ses tueurs ».
Question : quels étaient les contacts du général Faure à Paris ?
Réponse : Outre le sénateur Debré, il était très lié avec Poujade auprès duquel il avait placé, selon ses dires, une femme, Mme Anglade. Il était en relation avec un certain colonel Arnoux, surnommé « l’oeil du Vatican » et avec les généraux Dulac et Allard.
Kovacs ignore si le « Comité des six » avait des relations sur le plan international mais ajoute qu’il a appris par François Knecht qu’Alain Griotteray avait des contacts avec de nombreux pays étrangers, particulièrement l’Espagne. Selon Knecht, l’Espagne était favorable au plan des six.
François Knecht avait aussi dit à Kovacs que M. Lehideux, banquier, était le trésorier du groupe des six.
Le 2 février, René Kovacs est de nouveau entendu, par le commissaire principal Constant.
Il apporte des compléments à ses déclarations de la veille.
Il rapporte qu’on lui a demandé vers les 22-23 janvier 1957 de faire partie d’un « supercomité » de trois membres composé d’un poujadiste, d’un représentant de l’UFNA (Union des Français d’Afrique du Nord) et de lui, Kovacs, super-comité destiné à rassembler et les éléments actifs de la population algérienne pour influencer l’opinion, orienter les mouvements éventuels et pour diffuser des directives cohérentes.
René Kovacs apporte les précisions suivantes :
- le déclenchement du coup de force avait été primitivement fixé au 15 août 1956 par le groupe des six de Paris. Cette information lui a été communiquée par le général Faure et par François Knecht.
- la décision d’une action contre la 10ème Région a été prise, selon Kovacs, parce que Griotteray avait fait clairement entendre que le seul obstacle à la réalisation du projet était le général Salan
- François Knecht est revenu à la charge pour convaincre Kovacs de mener l’action contre le Q.G. de la 10ème Région militaire
Répondant aux objections de Kovacs, Griotteray lui aurait dit qu’il n’avait à s’en prendre qu’à lui-même si le projet ne réussissait pas et avait, ainsi exercé une intense pression psychologique sur lui.
C’est ce qui aurait fini par convaincre Kovacs d’envisager une action susceptible d’écarter le général Salan d’Alger en menant une action spectaculaire contre l’hôtel de la 10ème Région.
Le général de corps d’armée René Cogny, polytechnicien, a été commandant supérieur des troupes françaises au Maroc de 1956 à 1958. Auparavant, en 1951,il avait été directeur du cabinet militaire du général de Lattre, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine. En 1953, général de division, il est commandant des forces terrestres de l’Union Française au Nord-Vietnam. Durant la bataille de Dien Bien Phu, il est en désaccord avec le général Navarre sur les opérations à mener (voir les articles de Jacques Valette dans les numéros 6 et
10 du bulletin des « Amis de Raoul Salan ».
En 1959, le général Cogny est nommé commandant en chef en Afrique centrale.
Il passe en deuxième section en 1964.
Il meurt le 11 septembre 1968 dans l’accident de la Caravelle Ajaccio-Nice qui fait 95 victimes à la suite d’un incendie survenu à l’arrière de l’appareil et qui s’est propagé à l’ensemble de l’avion. Certains pensent que la cause initiale en est l’impact d’un missile d’exercice tiré dans la zone
Mon Général,
j’ai l’espoir de vous voir demain à Tindouf, mais je vous écris ce mot à tout hasard.
Je n’ai pas osé, jusqu’à présent, vous rappeler votre aimable promesse de venir au Maroc pour me remettre la plaque. Je vous savais terriblement occupé. Mais maintenant que vous me paraissez être arrivé à un palier favorable, je prends le risque.
J’avais aussi pensé, après l’attentat contre votre Q.G. – qui nous a tous violemment émus ici – vous demander d’envoyer madame Salan et votre fille Dominique, se reposer au Maroc. Malheureusement, ma femme venait de partir pour la France, où elle a passé un bon moment, et je me voyais mal jouer les maîtres de maison et organisateurs de promenades dans ces conditions. Nous espérons bien que votre projet tient toujours et pourra se réaliser à bref délai : nous en serons particulièrement heureux.
Deux mots de service si vous le permettez. Le 5ème R.T.S. (colonel ALAIN) est parti pour l’Algérie gonflé à bloc et très soucieux d’être considéré d’emblée comme opérationnel. Il l’est, et je crois que vous en tirerez de grandes satisfactions. La catastrophe serait, pour lui, d’être dispersé en missions plus ou moins statiques. Je me permets de vous le signaler. Un des bataillons, qui était à Oujda, ferait sûrement des étincelles s’il était utilisé dans la région frontalière qu’il connaît bien.
Enfin, j’ai été un peu chagriné de ne pas voir mes unités participer à des opérations à la frontière – où elles n’ont pas été invitées. Elles peuvent le faire et ne demandent que cela !
Veuillez agréer, mon général, l’expression de mes sentiments très respectueux et très dévoués
Signé : Cogny
Jean-Louis Tixier-Vignancour
Jean-Louis Tixier-Vignancour est né le 12 octobre 1907 à Paris. Il est le fils aîné de Léon Tixier, médecin des hôpitaux de Paris, et d’Andrée Vignancour, fille de Louis Vignancour, l’un des 363 députés républicains qui, le 16 juin 1877, mirent en minorité le ministère de Jacques Albert de Broglie en place depuis le 16 mai précédent. Jean-Louis Tixier, fait ses études à Paris, au lycée Louisle-Grand à partir de 1918, puis à la faculté de droit dès 1924. Il rejoint l’Action Française comme « camelot du roi » et suit les conférences de Maurras, Daudet et Bainville.
A la suite du chahut d’une conférence d’un ex-capitaine communiste, Jacques Sadoul, il est jugé et condamné à 6 mois de prison avec sursis et 200 francs d’amende.
Le 9 juillet 1927, il obtient sa licence en droit et prête le serment d’avocat, il n’a pas 20 ans et est encore mineur.
Le 15 octobre 1929, il part au service militaire qu’il effectue à Lunéville au 73ème régiment d’artillerie à cheval et qu’il termine le 15 avril 1931 comme maréchal des logis.
De 1931 à 1936, il plaide, tant au pénal qu’au civil et bénéficie de la protection de Léon Bérard.
Le 6 février 1934, il fait partie des manifestants qui protestent à la Concorde contre la « République pourrie » ; cette émeute fait 25 morts ; la manche du manteau de Jean-Louis Tixier est percée par une balle
En 1936, il se présente aux élections législatives sous l’étiquette « Alliance démocratique et de la défense agricole » dans l’arrondissement d’Orthez, arrondissement dont son grand-père Vignancour a été l’élu. C’est à partir de cette année que le candidat aux élections accole le nom de Vignancour à son patronyme. Il est élu au deuxième tour avec 8264 voix contre le radical-socialiste Georges Moutet qui en obtient 7990. La Chambre du Front Populaire l’invalide en dépit d’un discours plaidoirie de sa « voix de bronze » dont il a le secret. Il est réélu au premier tour de l’élection partielle tenue le 25 septembre 1936 avec 8133 voix contre 6626 à son adversaire Georges Moutet et, plus jeune député de la chambre, s’inscrit à l’Alliance Démocrate, située au centre-droit.
Dans la période d’avant-guerre, il fréquente diverses figures de la politique, dont Jacques Doriot qui vient de quitter le parti communiste pour fonder le Parti populaire français (P.P.F.) et qui rassemble autour de lui des personnalités venues de divers horizons.
En 1938, il épouse Janine Auriol dont il aura un fils Rémi, né en 1947. Ils s’installent au 95 Boulevard Raspail qui rester son étude-domicile jusqu’à sa mort.
Politiquement, il fait partie de ceux qui pensent que la France n’est pas prête pour la guerre avec l’Allemagne et il vote, le 4 octobre 1938 comme 330 autres députés, la confiance au gouvernement Daladier après les accords de Munich du 29 septembre précédent.
En septembre 1939, Jean-Louis Tixier-Vignancour, est affecté au 5ème régiment d’artillerie divisionnaire de la 47ème division. Nommé sous-lieutenant, il commande une section anti-char à cheval à Colmar au début de janvier 1940. La « drôle de guerre » lui autorise des allers et retours avec la capitale et la Chambre des députés.
Le 10 mai 1940, le premier jour de l’offensive allemande, son frère Raymond, sous-lieutenant d’aviation est tué au combat aux commandes d’un Curtiss.
Le 25 mai, Jean-Louis Tixier-Vignancour est à Nanteuil-Haudoin après avoir quitté Saint Avold. C’est la retraite ; il la mène avec ses hommes sans désordre jusqu’à Bergerac qu’il atteint le 25 juin 1940. La croix de guerre avec étoile d’argent et étoile de bronze qu’il obtient témoigne de son ardeur et de son courage au combat.
Démobilisé le 1er juillet 1940, il vote le projet de loi constitutionnelle donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, comme 569 de ses collègues. Sur proposition du vice-président du Conseil Pierre Laval, Jean-Louis Tixier-Vignancour devient secrétaire général adjoint à l’information, chargé de la radio et du cinéma, rattaché à la vice-présidence. L’objectif principal qui lui est fixé est une réorganisation de l’industrie cinématographique française ; dans un premier temps, il se heurte aux groupements
corporatifs du cinéma ; dans un premier temps, il se heurte aux
Préface de Tixier-Vignancour groupements corporatifs du cinéma.
Finalement le décret du 2 décembre 1940 crée le Comité d’Organisation de l’Industrie Cinématographique (C.O.I.C.) dont le directeur est Raoul Ploquin et le secrétaire général Robert Buron.
Pour diverses raisons, en particulier l’orientation pro-allemande de la politique de Darlan, Jean-Louis Tixier-Vignancour démissionne de son poste par lettre du 8 mai 1941 adressée à l’amiral Darlan. Cette lettre sera lue trois fois par Maurice Schumann à la B.B.C. le 5 juillet 1941. Il est interné à Vals les Bains puis remis en liberté le 4 septembre 1941.
Jean-Louis Tixier-Vignancour rejoint alors le cabinet d’avocats de Me Pierre Maurois à Tunis où il plaide indistinctement pour des clients juifs, européens et arabes, résistants ou maréchalistes. Il est arrêté à Hammamet le 31 décembre 1942 par les Allemands qui ont envahi la Tunisie. Après la victoire alliée de la campagne de Tunisie, il s’apprête à reprendre du service comme lieutenant dans l’armée d’Afrique quand André Le Troquer, commissaire à la guerre, le rappelle à Alger pour compromission avec le « régime de Vichy ». Il passe de dépôt en résidence surveillée avant d’être incarcéré de janvier à avril 1944, période pendant laquelle il côtoie Pierre Pucheu avant son exécution, le 22 mars 1944. Remobilisé à la 2ème D.B., il fait l’objet d’un nouveau mandat d’arrêt émis à Tunis où il est incarcéré de septembre à novembre 1944.
Il est transféré en métropole à la prison de Fresnes sous l’inculpation d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. Il fait l’objet d’un non lieu et est libéré en octobre 1945 sans avoir été interrogé. Il est frappé d’inéligibilité comme tous les parlementaires ayant voté le projet de loi constitutionnelle le 10 juillet 1940.
Jean-Louis Tixier-Vignancour connaît alors une « traversée du désert » aussi bien professionnelle que politique. En 1949, Me Yves Jaffré l’appelle pour la défense d’Albert Gaveau, accusé (on le saura plus tard, à tort) d’avoir trahi le réseau de résistance du Musée de l’Homme. Jean-Louis Tixier –Vignancour, au terme d’une plaidoirie de trois heures, obtient la non condamnation à mort d’Albert Gaveau qui sera innocenté ultérieurement.
Avec Me Albert Naud, il défend Louis-Ferdinand Céline incarcéré au Danemark et obtient le retour en France de celui-ci après ordonnance de main levée de son mandat d’arrêt le 15 mars 1951.
En 1954, c’est le retour en politique : Tixier-Vignancour fonde le « Rassemblement National » et se présente à une élection partielle dans les Basses Pyrénées organisée à la suite du décès de Georges Loustaunau-Lacau. Le 18 février 1955, au deuxième tour, TixierVignancour est en deuxième position avec 47.000 voix, derrière le candidat MRP qui en obtient 57.000. Le 2 janvier 1956, aux élections générales, Tixier-Vignancour est élu sous l’étiquette « Républicain d’action sociale et paysanne ». A la chambre, il prend la défense des nombreux députés poujadistes invalidés de manière inique.
Parallèlement, en mars 1956, il plaide pour André Baranès dans « l’affaire des fuites » dans laquelle des comptes rendus de délibérations secrètes du comité de Défense Nationale, en particulier le rapport de mission des généraux Ely, Salan et Pélissier après la chute de Dien Bien Phu, se retrouvent dans la presse de gauche ou aux mains de crypto-communistes. Dans ce procès, éminemment politique, sont mis en cause ou viennent témoigner des personnalités politiques de premier plan telles Pierre Mendès-France, Georges Bidault François Mitterand. Tixier obtient l’acquittement de Baranès en démontrant que son rôle a été celui d’un patriote infiltré comme informateur au sein des milieux progressistes et communistes.
Au moment des événements de mai 1958, Jean-Louis Tixier-Vignancour ne joue pas de rôle particulier. Le 1er juin 1958, il vote l’investiture du général de Gaulle comme président du conseil (329 voix pour, 224 contre) mais dès le 18 juin, il fait part de son inquiétude au général Salan. Il vote cependant oui au référendum du 28 septembre 1958 sur la constitution de la 5ème République. Aux élections législatives de novembre 1958, il se présente sous l’étiquette de la « Démocratie Chrétienne Française » dans sa circonscription d’Orthez où il est battu au second tour par le radical-socialiste Guy Ebrard.
Après l’attentat du bazooka du 16 janvier 1956 contre le général Salan qui entraîna la mort du commandant Rodier, Tixier-Vignancour assure la défense de René Kovacs, le principal inculpé en l’absence des possibles instigateurs de la sphère politique. René Kovacs, qui s’est enfui en Espagne, après des mascarades ridiculisant le tribunal militaire, est condamné à mort par contumace en octobre 1958. Tixier-Vignancour a-t-il eu alors la preuve que Michel Debré était impliqué d’une manière ou d’une autre dans cet attentat ? Se serait-il servi de cette preuve comme arme de dissuasion lors du procès du général Salan quatre ans plus tard ? On ne le sait toujours pas.
A partir de la fin de 1958, Tixier-Vignancour s’engage dans la défense de l’Algérie Française et de ses combattants. Il adhère au Front National pour l’Algérie Française (F.N.A.F.) de Jean-Marie Le Pen et du colonel Thomazo (qui sera dissout par décision ministérielle en décembre 1960). Au procès des « Barricades », il défend le colonel Gardes contre lequel une peine de cinq ans de détention a été requise et obtient son acquittement.
Lors du procès du faux attentat de l’Observatoire du 15 octobre 1959 contre François Mitterand, Tixier-Vignancour est l’avocat de Robert Pesquet qui a tiré une rafale de mitraillette sur la voiture vide de François Mitterand ; il n’en est peut-être pas seulement l’avocat. Cette affaire ne sera jamais totalement tirée au clair.
Le sommet de sa carrière d’avocat est la défense du général Salan qu’il élabore avec Maître Le Coroller et Maître Goutermanoff lors de son procès du 15 au 23 mai 1962. La plaidoirie de deux heures qu’il prononce le 23 mai est un sommet, reconnu par tous, y compris par ses plus fermes adversaires politiques. Il obtient les circonstances atténuantes pour le général Salan qui échappe ainsi à la peine de mort. Le Haut Tribunal Militaire sera dissout le 27 mai 1962 par décision du président de la République, Charles de Gaulle.
Par la suite, il sera le défenseur de Jacques Dupont, du capitaine Souètre, de l’adjudant Robin, de Jean-Loup Perret (le fils de Jacques Perret), d’Armand Belvisi, d’André Canal, de JeanMarie Vincent, de Georges Bousquet, du colonel Argoud. En juin 1962, quelques jours avant l’indépendance de l’Algérie, il défend Claude Piegts, un Européen d’Algérie accusé avec le sergent Albert Dovecar du meurtre du commissaire Gavoury, spécialiste de la lutte contre l’O.A.S. Hors Piegts est innocent de ce meurtre ; il est cependant condamné à mort par la Cour militaire de justice et exécuté le 7 juin 1962 sans qu’un recours en grâce puisse être formulé auprès du chef de l’Etat.
Il défend également devant la Cour militaire de justice, avec Maître Denise Macaigne, le lieutenant Roger Degueldre. Celui-ci est également condamné à mort et exécuté le 6 juillet 1962 ; il meurt après une agonie de 11 minutes, une seule balle du peloton l’ayant atteint et trois coups de grâce ayant été nécessaires pour l’achever.
Au procès de l’ingénieur militaire en chef de l’air Jean Bastien-Thiry, Jean-Louis TixierVignancour assure sa défense avec Maître Richard Dupuy. Le procès, émaillé de nombreuses questions de procédure, en particulier sur la légalité de la Cour militaire de justice présidée par le général Gardet et déclarée illégale par le Conseil d’Etat (arrêt Canal), verra la condamnation à mort de Jean Bastien-Thiry, suivie de son exécution le 6 mars 1963.
Après la fin des procès de l’Algérie française, Tixier-Vignancour, dont la notoriété est grande, se déclare, dès le 20 avril 1964, candidat à l’élection présidentielle du 5 décembre 1965. Sa campagne, extrêmement dynamique, est dirigée par Jean-Marie Le Pen ; elle le mène dans toutes les régions de France où ses meetings remplissent les salles. Durant l’été, une caravane parcourt les plages où elle monte un chapiteau tous les soirs. La campagne officielle à la télévision permet aux Français d’entendre, pour la première fois depuis 1958, une autre voix que la voix du général de Gaulle ou celle de ses ministres. Tixier-Vignancour qui a un don d’orateur hors pair ne « passe » cependant pas très bien à la télévision, d’autant plus qu’est apparue la candidature de Jean Lecanuet qui, lui, « passe » très bien et détourne à son profit un bon nombre de suffrages qui auraient été sur Tixier-Vignancour. Le résultat, au soir du 5 décembre est très décevant : 5,2% des suffrages ; mais De Gaulle est en ballottage avec 44,6% des voix devant Mitterand avec 31,7%.
Dès la fin de janvier 1966, l’équipe qui avait œuvré autour de Tixier-Vignancour se sépare ; en particulier, Jean-Marie Le Pen se sépare de Tixier qui fonde l’Alliance Républicaine pour les Libertés et le Progrès (A.R.L.P.) officialisée lors de son congrès constitutif des 7 et 8 mai 1966. Le succès n’est pas au rendez-vous : pas d’élu aux élections législatives de 1967, Tixier-Vignancour lui-même étant troisième au premier comme au deuxième tour, derrière les candidats de l’U.N.R. et du parti communiste dans la circonscription de Toulon, a priori favorable.
Dès lors, les scissions, démissions, dissensions minent son mouvement. Aux élections présidentielles de 1969, Tixier-Vignancour se prononce pour Georges Pompidou qui lui paraît honnête dans sa promesse de réconciliation des Français. Ce choix finit de disperser les derniers fidèles dont certains appellent à voter pour Alain Poher.
Avocat, Tixier-Vignancour continue à plaider au pénal, pour le député André Rives-Henry impliqué dans le scandale de la Garantie Foncière, pour Antoine Lopez impliqué dans l’affaire Ben Barka.
Il réapparaît quelque temps sur le terrain politique en 1979, au moment des premières élections directes de députés au parlement européen. Il prend la tête de la liste intitulée « Eurodroite », constituée en fait par le Parti des Forces Nouvelles (concurrent du Front National créé en 1972). Les résultats du 11 juin 1979, 1,31% des suffrages, sonnent définitivement le glas de la carrière politique de Jean-Louis Tixier-Vignancour.
Le 29 septembre 1989, après trois mois d’hospitalisation, Tixier-Vignancour rend l’âme : sa voix de bronze est désormais silencieuse.
Référence : Thierry Bouclier Tixier-Vignancour Une biographie, Editions Rémi Perrin, 2003, 20€
Maître Tixier-Vignancour était l’auteur de plusieurs ouvrages :
- La France Trahie Plaidoirie de l’Affaire des fuites Amiot-Dumont 1956 198 p.
- J’ai choisi la Défense Préface du bâtonnier Charpentier La Table Ronde 1964 287p.
- Des républiques, des justices et des hommes Albin Michel 1976 413 p.
- Le Contre-mal français Albin Michel 1977 277p.
- Si j’avais défendu Dreyfus Jean-Claude Simoen 1978 182p.
Il avait préfacé « Mémorial de France », Faits d’armes de la Guerre 1939-1940 recueillis par André-Paul Antoine, avec un exergue du Maréchal Pétain, Sequana Editeur à Paris
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1957 : le général Salan, le lieutenant Demetz et le préfet Serge Baret dans la Casbah d’Alger