Bulletin 25
Nos adhérents ont publié
Salan, délégué général en Algérie par Jean-Paul Angelelli
Disparitions /
Le colonel Puga / Le préfet Jean Vaujour / Le docteur Robert Diacono
Michel Déon et l’Algérie
Missions en Espagne
Le colonel Godard en janvier 1960
Massu déçu par De Gaulle
Interview du Général Massu par Hans Ulrich Kempski paru le 19 janvier 1960 dans le journal la Süddeutsche Zeitung
Nos adhérents ont publié
André Rossfelder, l’ami de Camus, le combattant de l’Algérie française, mais aussi le grand spécialiste de géologie sous-marine, a exploré durant des années le Pacifique subtropical à la recherche de phosphates et de nodules polymétalliques, souvent en compagnie de Philippe Cousteau. Cette connaissance unique l’a incité à revisiter le parcours de celui qui a franchi le premier le grand océan. Et, au-delà, à revenir sur les objectifs et le déroulé de la mission fixée par Charles d’Espagne à Magellan : confirmer que les îles des Epices, les Moluques, étaient du côté espagnol du méridien séparant les possessions portugaises des possessions espagnoles depuis le traité de Tordesillas. Passionnant
In pursuit of longitude, a starboard book, 509 p., 2010, 34,95 $
Gilbert Sincyr a servi entre 1958 et 1961 dans le Sudoranais dans un commando de chasse puis au 2ème bureau. Il est Délégué régional de l’Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale et, passionné par l’Histoire, a déjà publié L’Epopée d’Actius et La Chaussée des Martyrs. Avec son ouvrage sur André Fontès, Gilbert Sincyr conte toute une série d’actions de résistance dans la région de Toulouse et audelà, actions menées par André Fontès dans le sillage d’hommes comme le capitaine Louis Pélissier et Marcel Taillandier (pseudonyme : Morhange). André Fontès et son équipe, après une phase initiale de camouflage de matériel, se sont fait une spécialité d’élimination des traîtres. Combats sans merci, pour la patrie.
André Fontès, héros de la guerre de l’ombre,
Dualpha, 158p. 2009, 15 €
Le diagnostic que Roger Holeindre porte sur la France de ce début du 21ème siècle n’est pas réjouissant. Il n’est pas réjouissant parce que la réalité ne l’est pas. En 24 chapitres d’une spectrographie impitoyable, tous les maux qui abaissent la France sont mis en évidence et analysés. Un point commun à beaucoup d’entre eux, le personnel politique et les medias dominants refusent de les nommer : ils n’existent donc pas. N’existant pas, ces maux ne sont pas soignés et le malade, la France, s’affaiblit. Falsifications de l’histoire, lâcheté devant l’islamisme, mœurs décadentes, honte du passé de la France, en sont les exemples les plus criants.
Un cri en guise de conclusion : France, réveille-toi !
Atelier Fol’fer, BP 20047, 28260 Anet, 334p. 2010, 24 €
Salan, délégué général en Algérie
La fin de l’illusion
Jean-Paul Angelelli a lu le plus récent ouvrage de Jacques Valette.
Ce livre est la suite des deux précédents « Le 13 mai du général Salan » et « La Guerre d’Algérie du Général Salan » (1) Tous trois sont publiés aux éditions « L’Esprit du Livre ». Ecrits par notre ami le professeur Jacques Valette, spécialiste de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation, à partir des archives du général et d’autres sources. D’où les notes renseignées en fin du volume. Nous ne sommes ni dans le journalisme facile, ni dans l’hagiographie, mais dans l’histoire universitaire solide et « froide ».
Le titre s’explique. L’illusion est celle du Général Salan (pas seulement) sur la certitude que le (nouveau et dernier) Président du Conseil, le Général de Gaulle, appliquera ses engagements de juin 58 : conserver l’Algérie Française et faire de tous les Algériens « des Français à part entière ». Mais peu à peu les faits seront contradictoires avec les paroles officielles .Ce que démontrent les six chapitres qui composent le livre. Le premier s’intitule « Salan, général Républicain ». C’est la démonstration (contrairement à une certaine « légende noire » lancée par des officines) que le général a toujours été un général « républicain ». C’est à dire obéissant aux divers pouvoirs politiques. Rien d’un « factieux ». En mai 58 il fut même réticent devant les opérations « Corse » et « Résurrection ». Jacques Valette ne pouvait traiter la période 60-62, mais il faut méditer ce que le Général, peu de temps après sa sortie de prison, répondit à un journaliste l’interrogeant sur une (fausse) comparaison avec le général Franco. Réponse : « C’est ridicule. Franco avait la moitié du pays avec lui. Nous, nous étions seuls… Nous voulions simplement que l’Algérie demeure française » (2).
Le deuxième chapitre traite de « Salan délégué général du gouvernement ». Un décret de de Gaulle, en juin 1958, confirma les pouvoirs civils et militaires que Pfimlin lui avait confiés après le 13 mai. Mais ces pouvoirs sont limités, surtout sur le plan administratif. Ce n’est pas lui qui a en charge la politique du gouvernement .Qu’il doit appliquer. De plus il est coiffé par la nomination auprès de de Gaulle de deux hommes, Bernard Tricot et René Brouillet, qui ne sont pas précisément des partisans de l’Algérie Française. L’ambiguïté commence
Le préfet Serge Baret et René Brouillet au G.G. le 16 juin 1958 donc dés l’été 58. Salan adhère totalement au projet d’intégration (chapitre III).
En 1957 il avait, par exemple, soutenu le projet de loi-cadre qui incluait le collège unique. Et il avait su éviter les violences pour le faire accepter aux Européens dans leur majorité hostiles. Il croit que de Gaulle va appliquer l’intégration dans le cadre d’une Algérie nouvelle. Il n’est pas au courant des propos que de Gaulle a tenu au Secrétaire d’Etat américain Foster Dulles qui les répètent à Adenauer : « Il lui faut « calmer le jeu. Il a pour principe d’avancer pas à pas et ne pas préjuger de l’avenir ». De Gaulle est plus net sur le plan militaire. Il demande à Salan d’activer les opérations militaires pour en finir avec la rébellion. Et croit à la réussite de sa proposition de reddition des combattants F.L.N. de l’intérieur, « la paix des braves ». Il y croira longtemps après 1958. Le général Salan, dont le bilan militaire est impressionnant (3), sait que ce n’est pas facile. Il faut protéger les frontières, anéantir l’O.P.A., réduire les solides bastions F.L.N. à l’intérieur de l’Algérie. Il a besoin d’effectifs et surtout de ne pas réduire la durée du service militaire. Or des plans existent à Paris qui vont dans ce sens. Salan s’est aussi préoccupé de connaître l’opinion en Métropole. S’il est informé par les Combattants de l’Union française (A.C.U.F.) dirigés par le fidèle Yves Gignac, il a aussi a envoyé en France des missi dominici (comptes rendus analysés dans les numéros 1820-21 du bulletin). Jacques Valette signale une autre mission, celle de Jacques Roseau et Jean Marie Vincent chargés de l’informer sur les milieux jeunes en France. Constat pessimiste : « Il y a un désintérêt de tout problème national pour quatre vingt dix pour cent de la jeunesse métropolitaine »…
Le général Salan arrive officiellement au Gouvernement Général le 16 juin 1958
Si le général Salan n’a pu monter une offensive militaire d’envergure, c’est qu’il doit répondre au problème le plus urgent pour de Gaulle en France comme en Algérie, le référendum constitutionnel du 28 Septembre 1958. Traité dans le chapitre IV. Pour Jacques Valette « c’est la poursuite de l’ambiguïté » En effet la préparation du référendum va occuper l’armée tout l’été 58. C’est une bataille qu’il faut gagner contre le F.L.N. mais il faut aussi rassurer les civils européens où des réticences et des inquiétudes apparaissent vis-à-vis de de Gaulle et les musulmans dont l’attentisme se développe (on n’est plus dans le climat du 13 mai). De plus avant les opérations électorales, il faut casser l’O.P.A. F.L.N. partout où c’est possible. Dans les centres urbains surtout. Et organiser une intense propagande. Ceux qui l’ont vécu se souviennent de cette Algérie tricolorisée à coups de slogans, d’affiches, de films, de haut-parleurs. Ce qui a coûté cher sur le plan financier, 670 millions (voir le détail des dépenses p.49). Mais tout ceci se fait au nom du Oui à la politique d’intégration de l’Algérie Française dans la France. Pour de Gaulle, le référendum, c’est d’abord Oui à sa personne.
Finalement le référendum a été gagné avec des scores massifs…Le F.L.N. n’a pu l’empêcher malgré ses attentats et pour la première fois les femmes musulmanes ont largement participé et voté. Après le référendum, ce sont les élections législatives de novembre 1958 (chapitre V). Là, des tensions apparaissent. De Gaulle ayant ordonné aux officiers participant aux réunions et travaux des Comités de Salut Public de s’en retirer. C’est une rupture avec la politique pratiquée depuis mai d’encadrement de l’opinion en Algérie par l’armée…De plus De Gaulle ne veut pas d’une ingérence directe de l’armée dans les opérations électorales. Qui ne pouvaient se faire qu’avec l’appui de celle-ci pour protéger les bureaux de vote, recenser les électeurs, les transporter (etc.). De Gaulle voulait des listes « représentatives » écartant « les candidats soutenus par le F.L.N. » et ceux trop marqués Algérie française. Comme par exemple Alain de Sérigny à Alger. Du coup l’armée apporta son soutien à la liste Philippe Marçais-MarcLauriol. Qui se révéleront d’ailleurs à l’Assemblée, de 1959 à 1962, des opposants résolus à la politique gaullienne. Il y a donc eu des magouilles, mais ces élections furent « régulières ». Tous les candidats élus (européens et musulmans) le furent au nom de l’Algérie Française pour « faire le reste », comme avait dit de Gaulle au forum en Juin 58. Mais pendant l’été 1958, il y eut des contacts discrets, en Suisse, entre des représentants du G.P.R.A., le gouvernement F.L.N. récemment créé que de Gaulle ne voulait pas reconnaître (il l’appelait : l’organisation extérieure) et le notaire Farès qui n’était qu’un agent d’influence du même F.L.N.. Les services de renseignement le savaient. De Gaulle était il au courant ?.. Le chapitre VI, « Crédits et développement économique » est une étude « technique » parce que concernant l’application en Algérie du plan de développement économique de l’Algérie, médiatisé sous le nom de plan de Constantine. Déjà préparé dès les années 50. Mais les dépenses sont considérables (voir les chiffres) et mal budgétisées. Les services ministériels prudents, comme les milieux économiques et financiers. Salan s’en rend compte et prévient le pouvoir sur le manque de cadres compétents ou sur les problèmes pour former des musulmans en les intégrant dans les services publics. Déjà une amorce de politique de « discrimination positive » qui paraît-il fut plus tard efficace…
La conclusion du livre est courte. Le Général Salan a rempli sa mission. Sur le plan militaire, le F.L.N. est affaibli mais l’O.P.A. reste active. Et n’oublions pas que c’est Salan qui a préparé le plan Challe. Sur le plan économique, beaucoup reste à faire mais cela ne dépendait pas de lui. Sur le plan politique, de Gaulle souhaitait manifestement une troisième voie entre l’intégration et l’indépendance mais il y avait de plus en plus en plus d’hésitations dans la masse musulmane, à part les plus engagés à nos côtés (harkis, élus). Chez les européens se développe de plus en plus un antigaullisme virulent. Jacques Valette, à plusieurs reprises, reprend le terme « ultras » (trouvé dans des documents officiels). Ce qui aurait mérité des réserves. Car cette (fausse) comparaison historique fut utilisée très tôt dans la presse antiAlgérie Française en métropole (en tête, le Monde) pour dénigrer les Français d’Algérie. Après « ultras » suivront « factieux », voire « fascistes ». L’Agit-prop a été bien conduite.
On sait (voir bulletin n°23, pp.19 et 20) comment de Gaulle a su se débarrasser du Général Salan après son départ d’Algérie en décembre 1958. Pour être nommé à un haut poste militaire (Inspecteur général de la Défense), promis, créé puis supprimé par décret. En juin 1960, le général Salan quitte l’armée. A l’Elysée, de Gaulle lui rendra un vibrant hommage. Mais Salan n’est plus dupe. C’est une autre rupture aux conséquences considérables.
- 105p. 15€, L’Esprit du Livre éditions, 2010, 22 rue Jacques Rivière 92330 Sceaux..
- « Tête à Tête avec le Général Salan » Lui, février 1972, numéro 97
- Voir dans le magazine « la Guerre d’Algérie » l’étude intitulée « La situation au départ du général Salan » par Philippe Masson (pp. 1805-1813)
Disparitions
Le colonel Puga
Hubert Puga est né le 27 octobre 1915 à Honfleur dans le
Calvados.
Persuadé de l’inéluctabilité de la guerre, il prépare Saint-Cyr et l’intègre en octobre 1936. Il est de la promotion 1936-1938, Promotion du Soldat Inconnu, qui a compté en son sein le général Alain de Boissieu. 75 officiers de cette promotion sont morts pour la France. Hubert Puga est nommé sous-lieutenant le 1er octobre 1938 et affecté à l’école des chars de combat. Le 25 août 1939, il rejoint le 508ème R.C.C. (Régiment de Chars de Combat).
Il fait la campagne de France avec le 48ème B.C.C. commandé par le commandant Masséna de Rivoli. Le bataillon est équipé de chars Renault R40 et R35. Il se bat à Abbeville au sein de la 2ème Division Cuirassée de Réserve (2ème D.C.R.) commandée par le colonel Perré, lors de la contre-offensive du 4 juin 1940
destinée à résorber la tête de pont allemande d’Abbeville, puis dans la région de l’Isle-Adam
Il passe ensuite la Loire à Jargeau avant un regroupement des
restes de la 2ème Division Cuirassée de Réserve, le 17 juin, à la Ferté Saint Aubin et termine son repli dans la région d’Eymoutiers en Haute Vienne, le 25 juin 1940, trois jours après l’armistice. Les officiers d’active du 48ème B.C.C. ont la volonté de poursuivre le combat mais l’attaque surprise de Mers-El-Kébir par les Anglais, le 3 juillet 1940, les dissuade de rejoindre Londres. Après dissolution du bataillon, le 16 juillet 1940, le lieutenant Puga est affecté le 22 novembre 1940 au 152ème Régiment d’Infanterie (Les 508ème R.C.C.
« diables rouges ») stationné à Montluçon, Vichy et Lapalisse.
Le 1er février 1942, le lieutenant Puga est affecté à Auch au 2ème Régiment de Dragons commandé par le lieutenant-colonel Schlesser. Celui-ci a, dès 1940, fait camoufler du matériel et préparé secrètement une mobilisation pour, le temps venu, procéder au rappel d’anciens dragons libérés. Après le
débarquement des alliés en Afrique Française du Nord, le 8 novembre 1942, les allemands arrivent à Auch le 27 novembre. ème L’armée d’armistice est dissoute. Les officiers, sous-officiers et 48 B.C.C. hommes du rang du régiment soit sont répartis dans le département du Gers avec l’aide de l’administration des Eaux & Forêts, soit cherchent à rejoindre l’Afrique du Nord par l’Espagne. Le lieutenant Puga est un temps à Manciet, dans l’ouest du département où il prospecte les milieux civils susceptibles d’être actifs dans la résistance et y établit des liaisons entre divers mouvements et organisations. Il est placé en congé d’armistice le 1er mars 1943. Fin avril 1943, il est arrêté et incarcéré à la prison d’Agen mais libéré peu après. « Grillé », il s’évade de France par l’Espagne le 3 août 1943. Arrivé au Maroc, il est affecté au Centre d’Organisation de l’Arme Blindée (C.O.A.B.) n°23 à Rabat. 2ème Dragons
Le 13 janvier 1944, il est de nouveau affecté au 2ème Dragons, stationné à Sfax, en Tunisie. Le régiment, commandé par le colonel Demetz, débarque sur la plage de Beauvallon le 25 août 1944. Le lieutenant Puga prend le commandement du 3ème escadron.
Le 2ème Dragons, associé dans un groupement tactique temporaire au Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc, participe au « nettoyage » du Languedoc et du Roussillon. Cette mission rapidement terminée, le régiment remonte la vallée du Rhône jusqu’à L’Arbresle, à 25 km au nord-ouest de Lyon. Le 2ème Dragons est alors mis à la disposition du 2ème Corps d’Armée (Monsabert) par le général de Lattre avec pour objectif immédiat la prise d’Autun.
Les 8, 9 et 10 septembre, les combats sont particulièrement violents à Autun qui est libérée. Ils se poursuivent durement en Haute Saône et surtout dans les Vosges mais ne permettent cependant pas au 2ème C.A. de franchir les crêtes. Le 2ème Dragons, jusqu’alors en soutien de la 3ème D.I.A. est alors enlevé par de Lattre au 2ème C.A., au profit du 1er C.A., pour l’offensive conduisant au forcement de la trouée de Belfort. Il opère à la limite sud du 2ème C.A, au nord du dispositif qui pénètre en haute Alsace dans la 2ème quinzaine de novembre 1944. Du 20 janvier au 5 février 1945, il contribue, à partir de la région de Mulhouse, à la difficile réduction de la poche de Colmar. Le 21 février, il est au repos à Masevaux. Le 1er avril 1945, sous les ordres du lieutenant-colonel de Clerck, il passe le Rhin à Germersheim et combat sur le versant est de la Forêt Noire. Après l’armistice du 8 mai 1945, le capitaine Hubert Puga est stationné avec son escadron à Constance. Il participe au défilé du 14 juillet 1945 à Paris, puis repart en occupation en Autriche.
En 1946, le capitaine Puga est admis à l’école d’état-major. A l’automne 1947, il est muté au 2ème bureau du Commandement Supérieur des Troupes en Tunisie qui est assumé par le général Raymond Duval tandis que le résident général est Jean Mons (qui sera impliqué en 1954 dans « l’affaire des fuites »).
En septembre 1949, Hubert Puga revient en métropole et y passe le brevet technique. Très impliqué dans les réflexions sur la doctrine d’emploi des chars, il se spécialise dans ce domaine et participe aux essais des prototypes de blindés de l’A.M.X. (AMX 50 qui ne verra pas le jour et AMX 13). Il entre à l’école supérieure de guerre en 1952, au moment du grand débat sur la Communauté Européenne de Défense ; la plupart des stagiaires y sont opposés. En juin 1954, Hubert Puga est affecté au 1er bureau de l’Etat-Major de l’armée (de terre). Il avait souhaité être affecté à un service technique. (Il publie en octobre 1954 dans la Revue Militaire d’Information un article intitulé : « Puissance et mobilité du char »).
Cependant, la question des effectifs étant particulièrement importante, il apprécie cette affectation. En 1956, il est favorable à l’abaissement de l’âge de la conscription plutôt qu’au rappel des disponibles, solution choisie par le gouvernement Guy Mollet pour augmenter les effectifs en Algérie. Le poste qu’il occupe, permet au chef d’escadrons Puga d’effectuer des missions en Algérie et de se rendre compte par lui-même de la situation.
Dans les mois précédant le 13 mai 1958, il est en relation avec divers groupes, assez désorganisés, qui préparent le – ou se préparent au – changement de régime. Après le 13 mai, en se rendant au domicile du général Chassin, il est arrêté et écroué à la prison de la Santé jusqu’au 25 mai. A sa sortie, il est muté au 2ème régiment de cuirassiers à Saint Wendel dans la Sarre.
Il rejoint ensuite le cabinet du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Zeller, rappelé à ce poste le 1er juillet 1958 après en avoir été déjà titulaire en 1955 et au début de 1956. Après le départ de celui-ci, le 1er octobre 1959, et sur sa recommandation, le lieutenantcolonel Puga est affecté à l’état-major particulier du maréchal Juin. Au moment de l’affaire des barricades, Roger Frey vient sonder le colonel Puga sur une proposition de nomination du maréchal Juin à la tête de l’Algérie.
En 1960, le lieutenant-colonel Puga prend le commandement du 27ème régiment de dragons dans la région d’Aumale, à une centaine de kilomètres au sud-est d’Alger. Le régiment est constitué d’un escadron de commandement et de services et de trois escadrons de combats constitués chacun d’un peloton de chars M24 (Chaffee), d’un peloton d’automitrailleuses M8 et de deux pelotons portés sur half-tracks. Il développe la mobilité de son unité. Dans la nuit du 23 au 24 octobre 1960, Ahmed Bencherif est capturé au nord-est de Béni Slimane, dans le secteur d’Aumale ; il était venu de Tunisie « épurer » la wilaya IV après l’affaire Si Salah. Ancien officier de l’armée française condamné à mort une première fois pour avoir déserté et égorgé – ou fait égorger – dix-huit militaires de son unité en 1957, il est de nouveau condamné à mort, par le tribunal militaire de Médéa. Edmond Michelet obtient du général de Gaulle, contre l’avis de Michel Debré, qu’il soit transféré en métropole où il sera gracié, puis libéré en mars 1962. Il prendra, en octobre de la même année, le commandement de la gendarmerie algérienne.
Le lieutenant-colonel Puga est l’un des chefs de corps qui s’est engagé à mettre son régiment à la disposition du général Challe pour le coup d’Alger. Le 21 avril 1961, il reçoit ses officiers un à un, leur expose ses intentions et leur laisse libre choix : tous, sauf un, le suivent. Deux escadrons gagnent Alger où ils prennent position en ville dans la nuit du 21 au 22. Puga désigne un de ses capitaines, Michel Delacour qui n’a jamais caché ses opinions en faveur de l’Algérie française, comme aide de camp du général Zeller. A l’échec du coup d’Alger, le régiment repart sur Aumale. Le lieutenant-colonel Puga est mis aux arrêts par le général Arfouilloux, commandant la zone de Médéa, transféré en métropole et écroué à Fresnes. Il y reste trois mois avant de passer en jugement devant le Tribunal militaire spécial institué, comme le Haut tribunal militaire, en vertu de l’article 16. Son procès se tient le 19 août 1961. Le général Arfouilloux, appelé à témoigner, justifie techniquement le départ des escadrons du 27e Dragons pour Alger le 22 avril 1961. Le général Demetz, ancien chef de corps du 2ème Dragons en 1944-45, gouverneur militaire de Paris, vient témoigner en sa faveur. Défendu par Me Damien, le lieutenant-colonel Puga est condamné à cinq ans de prison avec sursis. Ipso facto, il est exclu de l’armée. Le capitaine Delacour, qui comparaît le lendemain devant la même juridiction, est acquitté, à l’instar du commandant Perrier, acquitté le 8 août, qui avait été aide de camp du général Challe pendant les journées d’avril.
Le colonel Puga, à 46 ans, commence une carrière dans une branche de l’industrie de défense, qu’il connaît bien : les blindés. A Creusot-Loire, en charge de l’exportation (en particulier vers l’Amérique du sud), il devient directeur du département de mécanique spécialisée et assume des responsabilités de plus en plus importantes au sein du groupe.
Après sa retraite, il continue à déployer une grande activité, au musée des blindés de Saumur, pour sa promotion de Saint-Cyr dont il est le secrétaire. Il donne une conférence à l’Institut Saint Pie X sur la guerre de 1939-45. En 1997, il est consulté lors de l’élaboration par Bruno Durieux d’un rapport au premier ministre sur la politique d’exportation d’équipements de défense. En novembre 2000, il présente une communication sur l’industrie privée des matériels blindés à un colloque sur les questions d’armement au début de la Ve République. Le colonel Puga s’éteint le samedi 3 avril 2010 à Paris. La messe d’enterrement est célébrée le jeudi 8 avril en l’église Saint Nicolas du Chardonnet à Paris, en présence de plusieurs officiers généraux, dont le général d’armée Benoit Puga, son fils, chef de l’état-major particulier du président de la République, et du général de corps d’armée Bruno Dary, gouverneur militaire de Paris. Le colonel Puga, officier de la légion d’honneur était père de 7 enfants, grand-père de 28 petits-enfants et arrière grand-père de 31 arrière petits-enfants.
Références principales : (1) S.H.A.T. Histoire Orale, Inventaire analytique des sous-séries 3K et 4K, pp. 335-344, 2001
- Michel Delacour, Cavalier en Algérie, La Pensée Universelle, 2ème édition, 246 p., 1994
- Colonel Renard, Un régiment dans la tourmente, Revue Historique des Armées, n°2/84
Le préfet Jean Vaujour
Né le 27 octobre 1914 à Tulle, le préfet honoraire Jean Vaujour est décédé le 28 mars 2010 à Paris. Diplômé de l’Ecole libre des sciences politiques et licencié en droit, Jean Vaujour est au cabinet d’Henri Queuille de juillet 1937 à mars 1938. Il fait son service militaire puis est mobilisé du 15 avril 1938 au 2 septembre 1940. Il est chef de cabinet de plusieurs préfets de novembre 1940 à avril 1942, puis sous-préfet d’Ambert tout en travaillant pour la résistance (Noyautage des Administrations Publiques – N.A.P.). Il passe en Algérie par l’Espagne en avril 1944. Il est révoqué sans pension le 6 décembre 1944 puis à nouveau sous-préfet en décembre 1945. Il est au cabinet d’Henri Queuille fin 1949 et début 1950 avant d’être nommé sous-préfet de Mulhouse le 5 juin 1950. Il est préfet le 13 mai 1953 et, hors cadre, est mis à la
Jean Vaujour, sous-préfet de Mulhouse
disposition du gouverneur général de l’Algérie en tant que directeur de la sécurité générale. Grâce à ses services de Renseignements Généraux, aux renseignements fournis par le colonel Schoen et à ses contacts, Jean Vaujour, dès avril 1954, prévient le gouvernement de la préparation d’événements graves en Algérie : des commandos nord-africains armés obéissant à un mystérieux C.R.U.A. (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action – le futur F.L.N.) se préparent à agir[1]. Le 23 octobre, il adresse un rapport demandant une action urgente à François Mitterand, ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès-France, qui vient de faire une tournée en Algérie. Le 1er novembre, il est pris de vitesse par les débuts de l’insurrection. Le 15 juillet 1955, il est au cabinet de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de l’Intérieur du gouvernement Edgar Faure puis à celui de Gilbert-Jules sous la présidence du conseil de Guy Mollet. De février 1957 à avril 1960, hors cadre, il est directeur général de la SO.NA.CO.TR.AL (Société Nationale pour la Construction de logements pour les Travailleurs Algériens et leurs familles). Le 25 avril 1960, il est chargé des fonctions de directeur des cabinets civil et militaire du délégué général du gouvernement en Algérie, Paul Delouvrier. Mais il n’a plus d’illusions sur l’avenir de la France en Algérie et quitte Alger peu après Paul Delouvrier, au début de 1961. Jean Vaujour est placé sur sa demande en disponibilité en 1969. Il est PDG de La Rochette-Cenpa et de La Cellulose du Rhône de 1970 à 1974. Par la suite, il est président du conseil de surveillance et administrateur de divers organismes et sociétés. Jean Vaujour était titulaire de la croix de guerre 39-45, de la médaille des évadés et de la médaille de la résistance. Il était commandeur de la légion d’honneur (chevalier du 12 janvier 1940, à l’âge de 26 ans). Sur son expérience algérienne, il a rédigé un livre de souvenirs intéressant et précis : De la Révolte à la Révolution, Aux premiers jours de la guerre d’Algérie, 478 p., Albin Michel, 1985, livre dans la conclusion duquel il écrit : « …nous avons touché, en Algérie, un jour de 1962, le fond de l’abîme ». .
Le Docteur Robert Diacono
Le docteur Robert Diacono s’est éteint des suites d’une embolie pulmonaire le 13 avril 2010 à l’hôpital d’Angoulême où il avait été admis en urgence la veille. Trois mois auparavant, iI avait subi une intervention cardiaque.
Le docteur Diacono était adhérent des « Amis de Raoul Salan » depuis plusieurs années. Le bureau de notre association présente à sa famille ses condoléances les plus sincères.
Le docteur Guy Thomas, notre trésorier, qui le connaissait bien, a rédigé le texte que nous publions ci-dessous.
Docteur Robert Diacono, 1918-2010
Nous contons ici l’odyssée d’un de nos plus fidèles adhérents.
Ses obsèques ont eu lieu le samedi 23 avril 2010, en Charente, en l’église de Magnac sur Touvre. Originaire de Sousse, en Tunisie, il débuta, avant-guerre, ses études médicales à Bordeaux. Il fut successivement chirurgien à Pithiviers, Angoulême et Barbezieux.
En 1962, Robert Diacono fut très affecté par le calvaire que vivait l’épouse de son ami le docteur Loiry, qui pendant sept mois était chaque jour dans l’attente de l’exécution de son frère, le général Jouhaud. Parallèlement, ce pied noir, scandalisé par la politique d’autodétermination, véritable porte ouverte à l’indépendance de l’Algérie, prit une place importante dans le réseau « Résurrection-Partrie » du député Marcel Bouyer. Arrêté en compagnie de son confrère Boutareaud, les destins de ces deux hommes se séparèrent en entrant dans la prison d’Angoulême. Suite à une négligence des matons, un prisonnier F.L.N. se rua sur le docteur en l’assommant avec son tabouret. La détention de Robert Diacono se termina sur le billard de l’hôpital par une trépanation, faisant suite à une fracture du rocher.
Ceci transformait sa condition d’accusé en celle d’accusateur. Il obtint alors un très fort dédommagement du ministère gaulliste de la Justice. Cet homme de conviction, afin de bien souligner son combat pour l’Algérie française, donna à son troisième fils le prénom de BastienThiry. Ce dernier enfant fut la très grande fierté des vieux jours du docteur puisqu’il exerce actuellement en Bretagne les fonctions de Procureur de la République
Le docteur Diacono, au centre, avec Amid Toualbia (derrière lui),
Me Jean-François Changeur et Khader Moulfi, devant le Palais de Justice d’Angoulême
Le docteur Diacono est resté, jusqu’à la fin, fidèle à ses convictions, non seulement en paroles mais aussi en actes. C’est ainsi qu’il a organisé en 2006-7 le soutien à Amid Toualbia, webmestre du site www.harkis.org,, attaqué en justice par un plumitif algérien, réfugié ( !) de 1994, anti-harkis, dénommé Benyoucef.
C’est aussi lui qui a fait célébrer, chaque 4 septembre, date anniversaire de la mort du général Jouhaud en 1995, une messe à Sainte Eulalie de Champniers, en Charente, pour le repos de son âme et de celle de madame Jouhaud, originaire de Champniers.
Michel Déon et l’Algérie (suite)
Nous avons fait parvenir à Michel Déon le bulletin n°24 qui lui rendait hommage, en l’accompagnant du livre Edmond Michelet est-il un saint ? Une réponse nous est parvenue. Nous la publions telle quelle. Elle ne nécessite aucun commentaire tellement, en peu de mots, Michel Déon écrit ce que beaucoup d’entre nous ressentons sans être toujours en mesure de l’expliciter si justement. Toute notre chaleureuse gratitude à Michel Déon.
Cher Monsieur
Votre lettre, votre livre, les pages autour du général Salan m’émeuvent profondément. Un demi-siècle est passé depuis la tragédie algérienne et je reste de ceux qui mesurent chaque jour ce qui a été perdu de la France, non seulement un pan de son territoire, mais aussi de son esprit. S’il a pu sembler, à l’époque, que le temps guérirait la blessure, la cicatrice reste visible aujourd’hui plus dramatiquement que jamais.
J’ai été vivement intéressé de trouver dans » E.M. est-il un saint ? » des précisions et des détails qui me manquaient, mais je ne prétendais pas, dans un roman, à l’exacte vérité et quand j’écrivais ce livre[2] la vérité même se cachait autant que l’affreux épisode de Katyn. Vous levez le voile avec une précision qui ne laisse plus aucun doute sur le crime.
Je n’ai aperçu le général Zeller qu’une fois sans lui être présenté. Sa réputation était grande. Dès la fin 59, j’ai pris le large et vécu le plus souvent à l’étranger, non pour oublier mais pour être moins obsédé. Et puis, simple romancier, je ne pouvais rien de plus sinon ne pas oublier.
A l’Académie, il m’a fallu rencontrer des hommes comme Michel Debré que j’avais connu de notre bord au temps de son livre (Ces princes qui nous gouvernent) et de son journal Le Courrier de la colère. Et, plus péniblement, Messmer auquel à chaque « a parte« je rappelais sa première blessure le 6 février 1934, place de la Concorde, à la tête de la 17ème équipe de Camelots du Roi. Il répondait par un grognement.
Merci encore de votre envoi, des mots généreux sur mes livres. Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments émus.
Michel Déon
Le 24-03-10
Missions en Espagne
Nous débutons la publication d’un document inédit rédigé par notre ami Arnaud de Gorostarzu. Il relate ses actions et les missions de liaison qu’il a assurées, à la fin de 1960 et au début de 1961, entre certaines personnalités civiles et militaires de métropole et d’Algérie et le général Salan en Espagne. Merci à Arnaud de Gorostarzu de nous autoriser de publier ce document qui éclaire une période intermédiaire peu connue : le général Salan a quitté le territoire national le 31 octobre 1960 ; « le coup d’Alger » éclate le 22 avril 1961.
Un rapide rappel historique resitue le contexte de l’époque ; il est suivi du récit des événements qu’a vécus Arnaud de Gorostarzu auprès du général Salan, selon le plan ci-après :
Prologue
Rappel Historique : Juin 1958 De Gaulle prend le Pouvoir en France. Salan est nommé Délégué général du gouvernement en Algérie et confirmé comme commandant en chef des forces en Algérie. Chronologie des évènements qui ont conduit le général Salan à l’exil… et à « la réclusion criminelle à perpétuité »
Avec Salan
31 Octobre 1960 : Salan s’installe en Espagne.
Mon action auprès du général Salan pour la sauvegarde de l’Algérie.
Prologue : rappel historique, quelques dates clés
13 mai 1958.
De Gaulle : « A partir d’aujourd’hui, il n’y a plus sur ce territoire que des français à part entière. » Ce 13 mai a créé, en Algérie un climat nouveau de totale fraternisation entre les européens et les musulmans, qui, ne craignant plus ses représailles, se sont détournés en masse du F.L.N. (Front de Libération Nationale). Ces milliers de musulmans descendaient des quartiers d’Alger et de la Casbah vers le Forum aux cris d’« Algérie française » .Arrivée aussi de milliers de femmes qui brûlèrent leurs voiles, symbole d’un destin imposé depuis des siècles. 4 à 7 juin 1958
De Gaulle à Alger lance son fameux : «Je vous ai compris.» C’est un accueil triomphal. Puis à Mostaganem, il s’écrie : « L’Algérie est une terre française aujourd’hui et pour toujours. Vive l’Algérie française ! »
3 octobre 1958
De Gaulle, à Constantine, annonce un plan de développement quinquennal devant profiter à tous les Français d’Algérie, qu’ils soient d’origine européenne ou musulmane. Ce plan ne sera que partiellement appliqué. 16 septembre 1959
Fameux discours de de Gaulle sur l’autodétermination. C’est la première fois que l’hypothèse de l’indépendance totale est lancée.
24 janvier 1960
Premier jour de la semaine des barricades, où pour la première fois, les Français d’Algérie prennent les armes contre de Gaulle et l’armée française : le général Massu, vainqueur de la bataille d’Alger, ayant été démis de son commandement pour avoir critiqué la politique algérienne du général de Gaulle.
4 novembre 1960
Pour la première fois, de Gaulle emploie l’expression de «République algérienne »
22 avril 1961 Le putsch.
« L’Algérie à Paris, c’est moi. Mon représentant ici, c’est le général Salan » avait dit le général de Gaulle le 4 juin, au Comité de Salut Public qu’il recevait au Palais d’Eté d’Alger.
Prologue : chronologie des événements
(Extraits de : Raoul Salan. Mémoires. Fin d’un Empire L’Algérie De Gaulle et Moi, 1974) Le général de Gaulle, appelé à la tête du gouvernement à la suite des évènements du 13 mai, a inauguré ses voyages officiels par l’Algérie. Il nous quitte à Oran, au soir du 6 juin, après avoir crié à Mostaganem : « Vive l’Algérie française », ce qu’il a déjà affirmé à Alger, Constantine et Bône.
Avant de nous laisser, il me remet sa lettre par laquelle il me confère la charge et les attributions de Délégué général du gouvernement en Algérie et commandant en chef des forces en Algérie. En fait les pleins pouvoirs me sont remis…. Le 27 juin 1958 à Paris. Salan se rend chez le général Koenig.
« Mon cher Salan, vous m’avez reçu en Indochine à l’époque de Na San. Vous vous battiez pour sauver notre vieille colonie. Puis vous m’avez accueilli tout récemment en Algérie,… » « … Mais sachez que s’il constate (de Gaulle) que vous ne rentrez pas dans ses vues, que vous divergez, que même vous vous opposez à lui par l’esprit, sans pitié et sans remords, il vous larguera, il vous écrasera. »
J’en viens maintenant, me dit le général, à l’affectation d’un nouveau chef d’état major pour l’armée de terre. Mon candidat est le général Zeller. Quelle est votre opinion ?
Le général André Zeller est un remarquable organisateur qui sait aussi faire la guerre et m’a aidé du feu de ses canons dans la bataille d’Alsace. Sur le plan civique, c ‘est un homme intègre et courageux, et je suis tout à fait d’accord avec vous.
« Et maintenant, je vais vous demander de donner en Algérie un commandement au général Jacques Faure. Je l’aime beaucoup. Il s’est battu à mes côtés en Norvège.»
J’accepte volontiers, Jacques Faure est un homme brillant. Il a eu quelques ennuis dans son séjour à Alger en 1956-57, et j’ai dû le renvoyer en France, mais les conditions ne sont plus les mêmes aujourd’hui. C’est un chasseur alpin réputé et je vais lui faire commander la division alpine de Kabylie. Il sera à son affaire dans ces montagnes où vit une population attachante. …
Le 1er juillet à Batna. De Gaulle : « Je tire la conclusion que le futur vous appartient et je suis sûr de l’avenir de Batna, de l’Algérie française et de la France. Vive Batna ! Vive l’Algérie française ! Vive la République ! Vive la France ! »
Le 3 juillet à Alger ; « Salan vous êtes l’homme fort de ce pays, on me l’a dit souvent au cours de cette tournée. Je viens de vous donner de grands moyens, car je vous fais entièrement confiance, appuyez vous sur moi ! »
Au travail donc, avec joie, car le général vient de nous donner la preuve que nous étions et sommes toujours sur le bon chemin en donnant son approbation la plus totale aux manifestations des journées de mai 1958.
Référendum du 28 septembre 1958. « Approuvez-vous la constitution qui vous est proposée par le gouvernement de la République ? »
Suffrages exprimés 3 280000 (y compris les militaires)
Oui 3 164209 Non 115791
L’Algérie a voté « oui » à 96 %, le Sahara à 98 %.
Aussi le succès du référendum sur tout le continent africain, de la Méditerranée au Congo, fait naître en nous une grande espérance.
2 octobre, de Gaulle en Algérie. « Allons maintenant à Tiaret que je tiens à remercier » Il a d ‘abord choisi Tiaret comme premier contact par ce que le nombre de « oui » y a atteint le chiffre record de 98,6%.
« L’avenir pour la France et pour l’Algérie ensemble, c’est la fraternité ! Vive Tiaret. Vive l’Algérie avec la France. Vive la France avec l’Algérie. »
Formule nouvelle, comme on pourra le constater et qui retient toute notre attention.
Au poste de Beni Rached, le général Gracieux fait le point de la situation et signale que la protection de la riche plaine du Chéliff lui mobilise beaucoup de monde.
Le général rétorque : « Au Levant, où j’ai servi, nous gardions le pays en nous installant sur les hauteurs, pourquoi ne pas alléger vos effectifs autour d’Orléansville et augmenter vos postes sur les points hauts ? »
Je prends alors la parole : « Mon général, nous faisons ici une guerre différente. Vous aviez affaire à des guerriers, en Algérie nous luttons contre des assassins. Dans la guerre subversive qui nous est imposée, nous sommes obligés avant tout de protéger les civils… » Le général coupe et dit : « Messieurs, je fais confiance à votre chef. J’ai d’ailleurs pu constater au cours de mes récents voyages combien la situation militaire s’était améliorée. » Ce même jour de Gaulle propose à Salan de quitter ses fonctions en Algérie pour devenir haut-commissaire dans le Pacifique avec résidence à Tokyo. Salan refuse.
« C’est dommage ! Alors voici ce que je vous propose. Je veux faire de vous ce que n’a pas voulu être le maréchal Juin, vous serez le grand Inspecteur général de la Défense nationale. Vous serez près de moi et lors de mes voyages en Algérie, vous m’accompagnerez ». « Mon général, je ne peux refuser ce poste que vous m’offrez car il me permettra de demeurer auprès de mes anciens compagnons et de les aider. Mais je vous demande de me laisser en Algérie jusqu’après les élections. »
« C’est entendu, disons fin décembre. Le plus tôt possible renvoyez-moi le général Jouhaud qui devient chef d ‘état-major de l’armée de l’Air. Il est remplacé auprès de vous par le général Challe, excellent officier d’état major qui provient de la Défense nationale et qui vous sera très utile… » Le 3 octobre à Constantine.
« Deux routes seulement s’offrent à la race des hommes : la guerre ou la fraternité. En Algérie, comme partout, la France, pour son compte, a choisi la fraternité.
Vive la République ! Vive l’Algérie ! Vive la France ! »
Quelques temps après mon arrivée à la délégation générale mes services me remettent le discours enregistré dans l’après midi à Constantine et reproduit tout de suite à la machine à écrire. Je le lis attentivement, le relis et réfléchis longuement.
Il y a certes des points positifs sur la mise en valeur de l’Algérie et un élargissement des décisions prises en conseil des ministres le 27 juin. Il y a également cette lettre me demandant de continuer ma tâche et me disant : « J’ai confiance en vous. » Je pouvais donc être tranquillisé car on ne fait pas « un plan de Constantine » qui construit une Algérie nouvelle aux frais du contribuable français sans avoir la ferme intention de demeurer dans ce pays.
Cependant, je ne trouve plus ce cri de : Vive l’Algérie française, jeté encore en juillet dernier à Batna. A Tiaret j’ai entendu : Vive l’Algérie avec la France, vive la France avec l’Algérie, c’était hier et cela me satisfait en partie. Le 25 novembre 1958 à Hassi-Messaoud.
« Vive notre Sahara ! Vive la France ! »
Ce Sahara nous appartient bien, car un proverbe arabe ne dit-il pas : « Une terre morte appartient à celui qui l’a vivifiée… »
Le général, dans la salle des popotes où des rafraîchissements nous sont offerts, s’entretient familièrement avec chacun et dit toute sa confiance, « Ce pétrole est actuellement un des meilleurs éléments de l’indépendance de la France. » 19 décembre 1958.
Je dois quitter Alger le 19 en fin de matinée car mon successeur est attendu au milieu de l’après midi. J’ai obéi et je suis parti, mais je reste farouchement décidé à garder la parole donnée aux Algériens : « Je serai à vos côtés si le malheur survient sur vous. »
Le 21 décembre, le général De Gaulle, à une majorité écrasante, est élu président de la République. Le 23, il me reçoit à Matignon.
Je suis introduit dans son bureau… et n’ai même pas le temps de placer une parole.
— Alors Salan vous voici parisien. Mais pourquoi n’avoir pas accepté la villa que je vous offrais ?
— Mon général, ce n’était pas possible…
— Bien, passons… Mon intention est donc de vous nommer gouverneur militaire de Paris, fonction que vous cumulerez avec celle d’Inspecteur général de la Défense. Vous serez ainsi logé aux Invalides et vous y serez bien. Je connais cet appartement qui m’avait séduit….Reposez -vous bien en cette fin d’année, et encore tous mes compliments pour votre réussite en Algérie. 10 février 1959.
Je ne m’attends pas du tout au mauvais coup porté dans les coulisses. Mon chef d’état major rentre dans mon bureau, le Journal Officiel du jour à la main et dirige mon attention sur la page 1797, à la rubrique : « décrets, arrêtés et circulaires – Premier ministre -. »
Ainsi, d’un simple trait de plume, l’Inspection générale de la Défense, à peine née deux mois avant et selon la lettre même du 25 novembre du général de Gaulle, n’existe plus !
Je ne suis donc plus Inspecteur général de la Défense nationale.
J’éprouve le sentiment d’avoir été dupé… Je n’ai donc plus qu’à quitter ce service de l’Etat où le mensonge semble devoir s’instaurer.
Quelques jours après lorsqu’il me reçoit, je proteste de nouveau fermement contre le sort qui m’est fait par cette espèce de destitution officielle et publique. Le général fait effort d’amabilité et dit : «Détrompez – vous, Salan, vous demeurez auprès de moi puisque vous êtes désormais membre du Conseil supérieur de Défense, et vos fonctions de gouverneur militaire de Paris sont revalorisées du fait de ma présence au sommet de l’Etat. Vous succédez à des chefs exceptionnels tels que Galliéni et Gouraud, qui, comme vous, ont eu un passé colonial
historique. Ainsi que je vous l’ai écrit, vous avez toute ma confiance. » Sur ces mots, le général me tend la main. Je me retire assez « refroidi ».
Je décide donc de rester, mais me voilà sur mes gardes.
Le général qui, informé au cours de ces récents mois du mécontentement qui règne là-bas, n’a pas remis les pieds en Algérie depuis le 7 décembre décide de se rendre auprès de troupes en opérations. Son voyage dure du 27 au 31 août 1959, et il ne m’emmènera pas, contrairement à ce qu’il m’avait affirmé à différentes reprises. C’est à Tizi-Ouzou qu’il prononce ces paroles :
« Je crois percevoir de grandes espérances et d’abord celle de la paix… »
« Il faut en finir avec la pacification. » « Les Algériens feront leur destin eux-mêmes. » En privé il parle de trois options :
- La francisation totale du pays.
- L’autonomie, la France préservant quelques-uns de ses droits.
- L’indépendance.
Car le mot est lâché.
A la différence du chef de l’Etat, et pour ajouter à la confusion des esprits, Michel Debré déclare à la presse : « Si la France quittait l’Algérie, ce serait aussitôt la guerre civile ». Le discours du 16 septembre 1959 de Charles de Gaulle sur l’autodétermination en Algérie. Début octobre, je me suis rendu chez M. Raymond Triboulet, ministre des anciens combattants, qui m’a demandé de venir le voir et que je connais….Le but de sa convocation est la déclaration du 16 septembre, avec laquelle il me dit ne pas être d’accord et avoir décidé d’écrire au général, avant d’ajouter : « Je me séparerai de lui s’il persiste dans cette voie. » Le maréchal Juin me fait prier de me rendre auprès de lui. Il est très ému et me dit :
« Où allons- nous, Salan ? Je ne puis laisser passer cette conférence sans réagir sur le plan personnel ». Je l’en remercie et, le 26 octobre, le maréchal prend position dans un long article donné au journal L’Aurore.
En cette fin d’année 1959, des nuages noirs s’accumulent dans le ciel de notre Algérie. Le 19 janvier 1960, Massu en compagnie de Challe et de Paul Delouvrier se rend à Paris où il doit participer à un conseil sur les affaires algériennes, prévu pour le 22 janvier, et présidé par le général de Gaulle. Or le 21 au soir, le général Challe annonce à Massu qu’il ne participera pas à la réunion, puis en sortant de l’Elysée, le prévient qu’il ne rentrera pas à Alger et, très ému, lui serre la main. Massu reste à Paris (sur ordre de l’Elysée).
Le départ de Massu d’Alger est l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres.
L’affaire des Barricades : 24 janvier, le sang coule à Alger.
Combien je déplore ce lourd bilan qui pèsera sur l’avenir, j’estime de mon devoir de prendre position et rédige, le 26 janvier, une lettre pour le général de Gaulle. Le général Jouhaud signe cette lettre avec moi.
Je descends voir le maréchal Juin, lui explique ce que je viens de faire et lui tends une copie de la lettre. Je le sens troublé à sa lecture…Il est assis, ses jambes se croisent et s’entrecroisent…Il la relit une nouvelle fois, me regarde droit dans les yeux, et me dit :
« -Merci, Salan, je vous comprends trop bien ! Où allons-nous ? Mais…Il va vous foutre à la porte ! » Je le quitte sur ces derniers mots. Le lendemain MM Debré et Guillaumat, de retour d’Alger où ils ont fait un voyage éclair, disent leur inquiétude.
M. Cornut-Gentille ministre des P.T.T. me prévient de faire attention à mes conversations téléphoniques, car je suis branché sur une table d’écoute. Je m’en doutais, mais le remercie pour sa confirmation
« Bombardez-les avec des avions, faites foncer les chars ! » dit André Malraux
Le lendemain, le ministre des Armées, M. Guillaumat, me prie d’aller le voir en fin de matinée. Vous avez écrit au général une lettre dont il n’est pas satisfait, me dit-il. Je réponds tout simplement : Je ne fais qu’exprimer les sentiments auxquels je demeure fidèle…
- Je reviens d’Alger. Ce que j’ai vu n’est pas réjouissant. Avez vous une solution ?
- Pour moi, il n’y en a qu’une, il suffit que le général de Gaulle prenne une position nette et déclare, comme il me l’a écrit en son temps, « Nous ne lâcherons pas l’Algérie ».
Le ministre, alors, lève les bras au ciel.
- Il ne le fera pas ! A la grâce de Dieu maintenant !
Un jour, descendu de voiture pour faire quelques pas, comme les inspecteurs se sont arrêtés en face de moi, je vais vers eux, et sans ambages, leur pose cette question :
- Pourquoi me suivre ainsi ?
- Mon général, en haut lieu on craint que vous n’alliez rejoindre Alger, d’où la surveillance décidée à votre égard…
Le dimanche 31 janvier, j’apprends l’arrestation d’Yves Gignac.
Le 9 juin 1960, dans la cour d’honneur des Invalides, je dis : « ADIEU AUX ARMES »
« Le mensonge de la seconde, le mensonge de la minute, le mensonge de l’heure, le mensonge du jour, le mensonge de la nuit, toujours le mensonge… »
« Utiliser le mensonge comme arme, couvrant la raison d’Etat, est un acte terrible lorsque des hommes, pour cette même raison d’Etat, meurent dans l’obéissance aux ordres partis d’en haut. » Raoul Salan
Toutes les citations figurant ci-dessus proviennent du livre écrit par le général Salan et terminé le 16 décembre 1976. Raoul Salan, Mémoires. Fin d’un Empire. Tome IV.
L’affaire du bazooka.
Le 16 janvier 1957, deux roquettes sont tirées sur l’hôtel de la dixième région militaire.Objectif : le bureau du général Salan, commandant les armées en Algérie. Les projectiles explosent dans le bureau de Salan, mais celui-ci vient de sortir. Assis à sa place, le commandant Rodier, son adjoint, est tué sur le coup. Cet attentat provoque un choc terrible : tuer le soldat le plus décoré de France ! En plein Alger ! Parmi d’autres, le docteur Kovacs et Philippe Castille ancien du Onzième Choc, sont arrêtés. Ils chargeront les organisateurs présumés du complot : le général Cogny et Michel Debré.
29 janvier 1962 : Lettre de Raoul Salan à Michel Debré.
Monsieur,
… Votre participation m’a été prouvée en deux occasions au cours de l’année 1958.
Au mois de juillet, le colonel Alain de Boissieu venait me trouver en présence du général René Lennuyeux, pour me demander de votre part de ne pas donner suite au procès du bazooka, craignant que « votre nom et celui du général de Gaulle lui- même n’y soient irrémédiablement mêlés. » Vous connaissez la suite que j’ai réservée à cette démarche. Je me suis refusé à vous suivre.
Quelques temps après, au mois d’août, vous êtes revenu sur ce problème. M. de la Malène, qui faisait partie de votre cabinet, vint à Alger. … M. de la Malène a exposé la même argumentation que le colonel de Boissieu.
… En Espagne ensuite, vous n’ignorez pas que j’ai rencontré ceux-là mêmes que vous aviez trompés, en leur faisant exécuter un acte qui était beaucoup plus destiné à servir vos ambitions que la cause de l’Algérie française. Les précisions que j’ai recueillies auprès de ces exécutants m’ont définitivement fixé sur la réalité de vos agissements criminels. Ainsi, dans le cadre des mesures que vous venez de prendre contre ceux que vous qualifiez de criminels, vous en êtes le premier justiciable.
Je vous désigne nommément comme l’assassin du chef de bataillon Rodier.
Copie de la présente lettre est adressée à M. le ministre des Armées et à M. le procureur de la République de la Seine, pour leur information personnelle.
Signé : R. Salan
M. Michel Debré, Hôtel Matignon, Paris
Cette lettre ouverte de Salan à Debré est publiée dans le journal « le Monde » daté du 7 février 1962.
Avec Salan
Premier contact avec le général Salan – Le voyage en Algérie
Après avoir quitté la France le 31 octobre 1960 pour se rendre à Barcelone puis à Madrid en compagnie de son aide de camp le capitaine Jean Ferrandi, le général Raoul Salan arrive en gare de Saint Sébastien le 8 novembre. Le 11 novembre, trois jours après son arrivée dans la cité basque, le général Salan est invité par le consul de France, ancien officier des Forces françaises libres, aux cérémonies officielles à Saint Sébastien devant un détachement de parachutistes français venus spécialement de Bayonne ; le consul était en contact avec le ministre Messmer.
Le 12 novembre le général Paul Gardy rend visite pour la première fois depuis son arrivée en Espagne au général Salan et se met à sa disposition.
Nous sommes frappés par la clarté de son intelligence, par son bon sens et aussi par sa culture. Et comment ne pas être touché par la spontanéité et le désintéressement de cet ‘’ ancien’’ qui vient, avec une totale absence d’arrières pensées, se placer aux ordres du général ? »
« (600 jours avec Salan par Jean Ferrandi, page 61, Arthème Fayard, 1969) »
Le général Gardy, ancien inspecteur de La Légion Etrangère, se trouve depuis peu de temps en retraite dans sa maison d’Anglet. Nous nous rencontrons souvent, il connaît mon attachement à certaines valeurs et je lui avais fait part de mon éventuelle disponibilité pour aller en Algérie sans éveiller la méfiance de nos adversaires, ayant un alibi pour m’y rendre. En juillet 1960, dans le cadre du « Plan de Constantine », j’avais effectué un déplacement professionnel dans l’Est Constantinois et à Alger.
Après sa prise de contact à Saint Sébastien, Gardy me joint par téléphone à Paris. Je dois rentrer d’urgence après avoir rendu visite à Yves Gignac, fidèle compagnon du général Salan et secrétaire général des Anciens Combattants de l’Union Française.
Le 13 novembre, en fin de matinée, nous arrivons à l’hôtel de Londres à Saint Sébastien. Gignac m’avait confié une grosse enveloppe avec divers documents dont un code radio confidentiel. Elisabeth, qui attendait notre cinquième enfant, passera la frontière avec cette « précieuse marchandise » dissimulée dans ses vêtements. Elle m’accompagnera pour cette première prise de contact avec le général et sera par la suite associée à l’ensemble de mon activité clandestine.
Cette rencontre avec le général Salan fut un moment fort, suivi d’un engagement total et définitif.
Le général souhaitait que je parte pour l’Algérie avec une triple mission : rendre visite à Madame Salan, lui remettre une lettre pour le général Jouhaud, essayer de le rencontrer, porter un message au colonel Dufour commandant le 1er R.E.P. à Zeralda.
L’axe central de ce voyage était la préparation d’un « putsch » envisagé en Algérie en décembre 1960.
Un accueil chaleureux me fût réservé par Madame Salan dans sa villa située à Hydra, sur les hauteurs d’Alger.
Pendant plusieurs heures nous avons beaucoup parlé. Le général Jouhaud était impossible à joindre.
Dans la soirée, Noëlle Luchetti, capitaine et fidèle collaboratrice du général Salan, me conduisit à Zeralda. Plus tard, Noëlle Luchetti sera arrêtée et affreusement torturée, non par le F.L.N., mais par le sinistre colonel de gendarmerie Debrosse.
Zeralda, base arrière du 1er Régiment Etranger de Parachutistes : le régiment se trouvait en opération ; seulement trois officiers étaient présents.
- le colonel Dufour à qui je transmis les messages qui lui étaient destinés,
- le capitaine Michel Bésineau, 10 citations, que je connaissais depuis toujours,
- le lieutenant Roger Degueldre, sorti du rang, grande figure de la Légion qui sera fusillé par de Gaulle.
Je passais la soirée et la nuit à Zeralda.
Le lendemain, il était convenu que le colonel Dufour, en civil, et moi-même nous nous retrouverions en un point donné, à Alger, pour échanger du feu en faisant semblant de ne pas nous connaître. C’est ainsi qu’il me confia une boîte d’allumettes dans laquelle se trouvait un message pour le général Salan.
Avant de regagner la métropole, je revis à l’aéroport de « Maison Blanche », à Alger, le lieutenant Degueldre… pour la dernière fois.
En décembre 1960, mon frère, le capitaine Bertrand de Gorostarzu qui fût très impliqué depuis le 16 septembre 1959 dans le combat pour la sauvegarde de l’Algérie, ignorant tout de mes activités, m’écrivait sans commentaire, depuis Ouargla :
« Je viens d’appendre q’un certain Arnaud de Gorostarzu est interdit de séjour en Algérie depuis le 12 décembre »
Recherche d’un avion pour rejoindre Alger
« Pour régler la question du moyen de transport, nous convoquons un de nos amis de Bayonne qui possède en Espagne de nombreuses et puissantes relations »
- novembre 1960
« Notre ami de Bayonne doit aller cette nuit même solliciter un industriel de Bilbao avec qui il est étroitement lié »
- novembre. (600 jours avec Salan, Jean Ferrandi, page 65)
Mon interlocuteur en Biscaye était un homme fort connu et respecté. Depuis mon passage au lycée français de Madrid en 1947, j’avais conservé des relations suivies avec lui et bénéficiais de sa confiance.
Je lui expliquais clairement notre souci à savoir : trouver un avion de faible envergure capable de transporter clandestinement trois passagers d’Espagne en Algérie.
Après avoir pris divers contacts, par téléphone, durant notre entretien, il me pria de revenir le lendemain à 13 heures, un ancien pilote de l’armée de l’air, en activité au moment de la guerre d’Espagne, étudierait cette affaire avec nous.
C’est donc plein d’espoir que je me présentais à l’hôtel de Londres à 22 heures pour rendre compte au général Salan.
Alors que je traversais le hall, occupé comme d’habitude par de nombreux journalistes, l’un d’entre eux, responsable d’Europe n°1 à Bordeaux, se précipita vers moi, provocateur, disant : « Bonjour Monsieur de Gorostarzu de Saint Vincent de Tyrosse ». Pour la première fois, me voici donc ‘’ identifié ‘’.
En accord avec le général,afin de ne pas compromettre mon interlocuteur, il fût décidé qu’une tierce personne assurerait le rendez-vous du lendemain.
Quittant l’hôtel très tard, après m’être assuré, comme d’habitude, que je ne faisais pas l’objet d’une filature, je regagnais ma voiture garée fort loin et rejoignais la frontière.
Au contrôle espagnol, un policier me demanda de descendre du véhicule et de le suivre dans le bureau où un gradé, sans formuler le moindre commentaire, recopia toutes les informations figurant sur mon passeport.
Le général Salan, en Espagne s’entretient avec des journalistes
Au milieu de la nuit, je transmettais à ma doublure, ‘‘X’’, toutes les consignes, puis, très dépité, je rejoignis mon domicile.
A 13 heures, au moment où ‘‘X’’ aurait dû se trouver en Espagne, à ma place, au rendez-vous préalablement fixé, il me téléphone chez moi, en clair – je suis sur table d’écoute – pour m’informer que la police française ne l’autorise pas à franchir la frontière, les documents administratifs de son véhicule n’étant pas conformes.
J’ai pu reporter l’entretien prévu à 17 heures, pour ensuite prendre en charge à la frontière, ce qui fût mon erreur, l’auteur de cette calamiteuse faute et rejoindre la Biscaye.
Le pilote était présent, l’opération pourrait être possible, nous en reparlerions le lendemain. Le résultat, au cours de cette ultime entrevue en trois jours, a été conforme à mon intuition de la veille.
« Lorsque j’ai aperçu ‘’X’’, que je connaissais, en qui je n’avais aucune confiance, auprès de toi, il était évident que ce projet ne pouvait avoir une suite favorable », me confia l’industriel.
« Notre ami de Bayonne est revenu de Bilbao. Il nous annonce qu’il est impossible de mettre sur pied un appareil à partir de cette ville. Il nous faut donc trouver une autre solution. Après une interminable discussion, nous pensons que le plus raisonnable est de regagner Madrid au moment opportun. (600 jours avec Salan,
Jean Ferrandi, page 68)
Le général Salan envoya le lendemain des émissaires en divers points du sud de la France afin d’effectuer une dernière tentative dans l’espoir de trouver un avion. Je rencontrais, dans ce but à Bordeaux, le colonel Ducasse. (à suivre)
Le colonel Godard en janvier 1960 (III)
Samedi 23 janvier
On a dit que le samedi 23, les autorités n’avaient rien fait pour paralyser l’action des meneurs et cette passivité a permis de les accuser de complicité ou de provocation. Il n’y eut, en réalité, ni complicité ni provocation, quelles qu’aient pu être les tendances des différentes autorités. La vérité, c’est qu’il était impossible, sans risquer de sombrer dans la véritable provocation, de prendre des mesures préventives. Arrêter Ortiz, Susini, Lagaillarde ou Perez, mais c’eût été mettre littéralement le feu aux poudres. Ce qui aurait pu être fait était du ressort de l’autorité militaire locale et régionale et concernait les U.T. (allégement du service en surface, surveillance des armureries). Si Fonde n’y a pas pensé, ce n’est certainement pas de la complicité, peut-être est-ce par incompétence ou alors…
Costes[3] convoque Ortiz pour obtenir de lui qu’il renonce à toute manifestation. Et ceci, soidisant pour éviter le drame.
C’est un dialogue de sourds, parce que, comme le dit Massu, Costes n’a pas de cœur et aussi parce qu’Ortiz n’est pas en mesure, en appuyant sur un bouton, d’envoyer le lendemain les Algérois pique-niquer dans les bois de Sidi-Ferruch.
Costes a donc « condescendu », en admettant que cela pouvait sembler effarant à certains, à voir Ortiz au cours d’une entrevue qu’il a qualifiée de « clandestine ». Il essaye de baratiner Ortiz en lui parlant de la situation internationale, de l’O.N.U. et de G.P.R.A., pour justifier l’autodétermination. Il lui dit aussi que l’armée ne comptait pas que des parachutistes et que l’ensemble de l’armée de terre, l’Aviation et la Marine exécuterait les ordres du gouvernement.
L’entrevue « clandestine » ne fut donc qu’un ultimatum et cela n’a rien arrangé. Ortiz a réfuté, « globalement et sans nuance », la politique d’autodétermination. En conclusion, Costes a estimé, qu’à Alger, ceux qui prétendaient manipuler, étaient en réalité, eux-mêmes, manipulés. En termes clairs, c’est dire que Massu était manipulé par Ortiz ! C’est hélas faux. Si Massu a été manipulé, c’est plutôt par de Gaulle.
En tous cas, les incidents du 23 ont été spontanés, désordonnés, anarchiques même. Ortiz, luimême, ne s’en est-il pas désolidarisé au cours d’une étonnante démarche auprès du commissaire central d’Alger.
Onze députés locaux, présents à Alger, rédigent une motion très sévère et vont la porter à Delouvrier : « L’attitude du régime est illégale et illégitime….Les Parlementaires n’ont plus qu’à lutter contre lui ». Delouvrier les baratine, considérant la motion comme un appel à la révolte. Les députés se dégonflent et acceptent de ne pas rendre public leur papier incendiaire[4].
Après coup, Lagaillarde prend le texte à son compte, le signe et le passe à la Presse.
Tard dans la soirée, le Délégué Général diffuse un communiqué auquel Challe est associé affirmant qu’il a demandé aux députés de s’efforcer d’éviter les troubles. Dans l’après-midi, il reçoit les élus municipaux d’Alger en l’absence du Prof. Lambert, maire d’Alger centre, qui se dérobe par prudence. Le Délégué Général renouvelle les assurances qu’il a données le matin à la radio et il annonce l’exécution prochaine de quatre condamnés à mort.
transformé le régime de la France pour aboutir en fait à l’institution d’un | Etienne Arnulf | Kheira Bouabsa |
prétend faire d’un tel pouvoir en ce qui concerne le règlement du problème | Saïd Boualam | Edme Canat |
« Les parlementaires soussignés présents à Alger, considérant que le gouvernement actuel de la Ve République, par des violations permanentes tant de la lettre que de
l’esprit de la Constitution, a peu à peu
pouvoir personnel, parfaitement éclairés maintenant par les déclarations faites à leurs collègues Portolano, Laradji et Lauriol par le général de Gaulle sur l’usage que l’on
algérien,
« Considérant que cet usage conduit inéluctablement à trahir la confiance des musulmans qui se sont donnés à la France, et aboutit à la dislocation et à
la ruine de l’Algérie et de la France
toute entière, « Conscients d’exprimer en pleine | Ahcène Ioualalen | Mourad Kaouah |
communion avec les élus locaux, mieux que quiconque, les sentiments français et la volonté française des populations qu’ils ont l’honneur de représenter, font connaître à Monsieur
le Président de la République qu’ils
lutteront de toutes leurs forces contre la poursuite d’une telle politique à la | Mohamed Laradji | Philippe Marçais |
fois illégale et illégitime.
Signé : Boualem, Bouabsa,
Marquaire, Laradji, Kaouah,
Ioualalem, Marçais, Arnulf,
Vinciguerra, Paulian, Canat. Louis Marquaire René Vinciguerra
Je lui avais suggéré dans la matinée dans un but d’apaisement mais sans doute qu’il en a référé à Paris.
Delouvrier reçoit Biaggi, député, élu en 58 avec l’étiquette U.N.R. à Paris dans le 13ème arrondissement. Il est en 1959 au Rassemblement pour l’Algérie Française de Bidault et Duchet. Il démissionne de l’U.N.R. le 14/10/59 et est exclu de l’U.N.R. le 17/10/59. Biaggi et Delouvrier se connaissent depuis la guerre et entretiennent des rapports amicaux. Biaggi dit à Delouvrier que la manifestation était inévitable et que ni les élus ni les leaders des mouvements nationaux, ni les mesures préventives, ne pouvaient l’empêcher. Delouvrier semble s’en rendre compte.
Biaggi dit également qu’on craint le pire, c’est-à-dire des événements sanglants.
Delouvrier réplique : l’armée fera son devoir, et que s’il fallait tirer, « on tirerait ».
Biaggi, en mai 58, arrivé en Algérie clandestinement en compagnie de Griotteray[5], avait été relégué dans le Sud Saharien du côté d’Adrar, sur décision de Massu qui craignait l’agitation d’extrême droite, et les souvenirs de l’affaire du bazooka qu’évoquait le nom de Griotteray. Les deux compères s’étaient d’ailleurs astucieusement « évadés » et avaient regagné la métropole. Pourtant Biaggi en a gardé une dent contre Massu.
Biaggi se trouvait à Alger, quelques jours avant le 24 janvier pour raison professionnelle (plaidoirie). La tension l’avait incité à y demeurer pendant la fin de semaine. Il a donc assisté à la journée du 24.
Il est reparti d’Alger le mardi 2 février et a été arrêté à Orly en compagnie de Mourad Kaouah et incarcéré à la Santé. J’étais alors encore en fonction à la Sûreté Nationale et j’ai constaté que c’est Paris qui a prescrit à Delouvrier de faire intercepter Biaggi à son arrivée en Métropole. Pourquoi ? Simplement pour qu’il ne participe pas au débat s’ouvrant le 2/2 à 17 heures à l’Assemblée Nationale et au vote des pouvoirs spéciaux. Biaggi déposa une plainte contre X en forfaiture.
Crépin, qui se méfie de la 10ème D.P. ameute sur Alger le 9ème R.C.P., régiment de Bréchignac, qui est en OPS en Petite Kabylie (cela ne peut être qu’avec l’accord de Challe).
Petits groupes d’étudiants parcourant la rue Michelet en criant : « De Gaulle au poteau ! – Massu à Alger ! ». Ils font boule de neige vers le soir et, à 19 heures, un millier d’entre eux qui prenaient la direction du G.G. sont repoussés par les C.R.S. qui jusqu’ici n’étaient pas intervenus. Un peu plus tard, il y a quelques bagarres dans la rue Charles Péguy. Mais tout rentre dans l’ordre à l’heure du dîner. Ces manifestations sont spontanées.
Quelques débrayages dans les tramways.
Les U.T. bouillonnent. Sapin-Lignières, qui a été reçu par le Délégué Général, en est conscient. Il s’efforce d’obtenir des U.T. de ne manifester ni en arme, ni en uniforme. Il semble aussi que Fonde n’ait pas réagi devant cette menace potentielle (Deux réunions le samedi 23 au P.C. de la Fédération des U.T. – Ortiz, Martel, Susini, Perez). Ainsi se dessine le rôle prépondérant que vont jouer les U.T. Gardon, dans son réquisitoire, estime que c’est au cours de ces deux réunions qu’a été fixé, donc prémédité, le rôle insurrectionnel des U.T. :
compagnie Jourdes, poste de Montplaisant, armement du bataillon Ronda).
Sapin-Lignières démissionne de la Présidence de la Fédération.
Le soir, Lagaillarde dîne au Sept Merveilles. Je suis beaucoup moins sûr que certains qu’il soit allé roupiller aux Facs.
Nuit du 23 au 24 L’alerte Delouvrier
Dans la soirée du 23, j’avais été convoqué au domicile particulier du général Costes, Rampe Vallée – son P.C. Z.N.A. se trouvant à Fort de l’Eauet sans doute préférait-il ne pas quitter Alger – pour conférer avec lui, en présence de Fonde et, il me semble, du général Gracieux aussi, sur les mesures à prendre pour le lendemain. J’avais alors fait état de la quasi-certitude d’une manifestation de masse, sans intention délibérée d’insurrection.
Après une nuit blanche suivie d’une journée harassante, j’espérais pouvoir récupérer un peu ; je n’étais pas le seul à être claqué. Le Délégué Général avait demandé qu’on ne le dérange dans la nuit qu’en cas d’extrême gravité. Mais aux environs de minuit, j’étais convoqué à la résidence du Commandant en Chef au Blvd Saint Raphaël. J’ai eu la surprise d’y trouver Delouvrier en personne. Il y avait aussi Crépin, Gracieux, Costes, Fonde et quelques autres, constituant l’ensembles des principaux responsables d’Alger. Delouvrier avait été affolé par une information qu’il estimait très sérieuse et qui lui était parvenue personnellement annonçant un coup de force, une véritable tentative de putsch avant l’aube prochaine. Challe était moins formel mais reconnaissait que son 2ème Bureau lui avait rendu compte d’indices inquiétants. Une fois encore, il m’a fallu prendre position. Je l’ai fait après m’être assuré téléphoniquement que les poulets supérieurs qui m’entouraient, le contrôleur général Baudry en l’occurrence, n’avaient glané aucun tuyau alarmant. J’ai donc répété ce que j’avais dit à Costes quelques heures auparavant, une manifestation sans doute sinon certainement, mais pas de coup de force. Il y eut quand même de ma part une restriction mentale. Je n’ai pas fait état du feu vert de Massu, qui d’ailleurs ne concernait pas une émeute mais simplement une manifestation de protestation. J’étais officier avant d’être policier. Il ne me serait pas venu à l’esprit de trahir Argoud, et je croyais alors que Massu, en prenant ses responsabilités, serait capable, même s’il demeurait éloigné d’Algérie, de continuer à défendre la cause de l’Algérie dans la France, que Delouvrier affectait de faire sienne, qui était celle de Challe et que DG avait semblé au moins appeler de tous ses vœux au cours des tournées des popotes que j’avais suivies de bout en bout. J’avais encore beaucoup d’illusions, sauf en ce qui concerne Challe ! Au cours de ce briefing improvisé et nocturne, d’autres, dont le général Gracieux, s’employèrent, comme moi, à rendre le sommeil au Délégué Général. Il en avait besoin. Finalement, Fonde expose en détail le dispositif de protection. La question de l’emploi des armes ne fut pas abordée. Il était très tard, tout le monde était crevé, et puis n’y a-t-il pas certains problèmes que les autorités supérieures se répugnent à agiter. Il était finalement près de 3 heures du matin quand nous avons rompu les rangs.
La journée du 24 janvier
Contrairement aux prévisions des informateurs du Délégué Général, la nuit du 23 au 24 a été parfaitement calme. Dès l’aube, Alger est éveillée par le fracas des convois militaires. C’est le dispositif Fonde qui se met en place. Il n’a rien de spécialement original. Les paras de l’ancien régiment Bigeard s’installent entre la Basse Casbah et le front de mer, face à Bab El Oued. Le R.E.P. de Zéralda, rappelé à Alger dans la journée du samedi 23, prend position sur les hauts, aux environs du boulevard Galliéni. Au champ de manœuvre, , le 1er R.C.P. fait face à la position d’Hussein Dey. Alerté le 23 janvier dans l’après-midi, Broizat arrive à Alger dans la soirée, et son régiment la nuit. A 2 heures, le 24/1, il reçoit l’ordre de s’installer place Sarrail. A 4h30, il reçoit les ordres pour la journée, ainsi qu’une directive de Challe. Quant aux Zouaves, ils veillent autour de la Casbah. Les C.R.S. qui se savent impopulaires, s’efforcent de ne pas se faire trop voyants. Les Gardes Mobiles, par contre, sont un peu partout mais surtout au Forum où 15 escadrons ont peine à entasser leurs véhicules et leurs faisceaux. Toutes les autres troupes, celles du quadrillage, sont, bien entendu, en super-alerte, alors que les bâtiments publics sont barricadés et solidement gardés. Au G.G., les lourdes grilles sont closes, les couloirs silencieux et les bureaux vides, non seulement parce que, comme de coutume, les fonctionnaires observent scrupuleusement le repos dominical mais aussi parce que Paul Delouvrier a choisi pour cette journée, qui s’annonce belle mais qui peut être chaude, de déserter son habituel P.C. pour s’installer au quartier Rignot, auprès de Challe et au sein même de l’E.M. du GénéChef. Il est certes patent que le Délégué Général est, depuis quelque temps, dominé par le souvenir d’un certain 13 mai où, pour qu’une République s’écroule, il a suffi que le G.G. soit envahi par quelques centaines d’étudiants algérois. Il n’est donc pas surprenant que, dans la crainte de se voir assiégé dans le centre d’Alger et pour se ménager, en toutes circonstances, une plus ample liberté d’action, il ait préféré exercer ailleurs des responsabilités qu’il sait écrasantes. Mais pourquoi n’est-il pas demeuré au Palais d’Eté, où il a ses habitudes et où il dispose de la plénitude de ses moyens de commandement et de liaison ? Le Palais d’Eté est tout proche du Quartier Rignot et n’est-il pas, ce jour-là, solidement tenu par une garde mercenaire, nombreuse et vigilante. En optant pour Rignot, s’est-il placé sous la protection de l’armée, abdiquant ainsi, au bénéfice de Challe, les pouvoirs de « La France en Algérie » ? Ou bien, au contraire, a-t-il marqué ainsi le souci, et peut-être la consigne, de marquer Challe qui a l’armée bien en main et dont tout peut finalement dépendre. Telles sont les questions que je me pose quand, au début de la matinée, et à l’occasion d’une liaison qui était quotidienne, je découvre Delouvrier installé dans le fauteuil de Challe et ce dernier relégué, avec ses pipes, dans le minuscule réduit des aides de camp. Mais, très rapidement, le climat de l’entourage suffit à m’éclairer. Les jeunes attachés de cabinet s’agitent, en effet, beaucoup trop dans les couloirs et même dans les bureaux où ils font irruption pour y conquérir un coin de table ou quelque téléphone mais aussi pour écouter les propos qu’y échangent les officiers qui, eux, semblent d’assez mauvais poil. Aussi, en quittant le Quartier Rignot pour le G.G. quelques minutes après, ai-je l’impression que le Pouvoir n’accorde plus à Challe une confiance absolue et que Delouvrier est là pour lui éviter toute mollesse.
Challe convoque Broizat à Rignot à 9h30 et discute avec lui pendant une heure. Broizat ne mâche pas ses mots. Il impute la situation qui se développe à Alger à la politique du gouvernement. Pour lui, des manifestations sont inévitables et justifiées. Elles sont susceptibles d’attirer l’attention du Pouvoir sur les conséquences de sa politique.
Il faut donc tolérer la manifestation et la canaliser de façon à ce qu’elle reste dans des limites normales et surtout qu’il n’y ait pas un seul coup de feu !
Broizat prévient Challe qu’il se refuse à tirer dans la foule. Il a pris ses dispositions pour que son régiment n’exécute que ses ordres ou ceux de son adjoint, le commandant Bizard, et donner des consignes d’extrême prudence de façon à ce qu’en cas d’éclat le massacre soit évité. Challe semble approuver le comportement de Broizat.
Delouvrier arrive au moment où Broizat allait partir. Il annonce qu’il décide de s’opposer à la manifestation…
Broizat est de retour Place Sarrail à 10h30. Il fait alors disperser un attroupement de 150 personnes. Cette intervention lui donne l’occasion d’entrer en contact avec des U.T. en civil, qui espèrent que les paras vont se joindre à la manifestation. Broizat leur dit : « Pas question, allez au rendez-vous de 11h au Plateau des Glières, mais n’essayer pas de monter au G.G., parce qu’alors nous ne serions plus d’accord ».
Pendant ce temps, les tracts pleuvent littéralement sur Alger. Ils sont en effet droppés par un petit avion des « Trois A » qui a décollé, sans se heurter à la moindre opposition, du terrain de Chéragas que l’Aéroclub se partage avec l’Aviation Légère de l’Armée de Terre.
Colonel Argoud Auguste Arnould Jean-Baptiste Biaggi Colonel Broizat
Général Challe Général Crépin Colonel Debrosse Paul Delouvrier
Colonel Dufour Colonel Fonde Colonel Gardes Colonel Godard
Jean-Claude Perez
Pierre Lagaillarde Général Massu Joseph Ortiz
Marcel Ronda Cdt Sapin-Lignières Alain de Sérigny Jean-Jacques Susini
Simple omission de Fonde, sans doute, mais quand on a la prétention d’imposer sa loi, ne faut-il pas penser à tout ? L’encre toute fraîche atteste que les tracts ont été tirés au cours de la nuit précédente. Et que disent-ils, ces tracts ? Au nom des groupements les plus marquants – Comité d’entente des mouvements nationaux, – Comité d’entente des anciens combattants, Fédération des U.T., , F.N.F. – ils invitent les Français d’Algérie à se joindre aux cortèges qui se formeront, à 11 heures, dans les campagnes et les faubourgs, « derrière les Territoriaux », l’heure étant venue « de se lever » avec le limogeage de Massu qui préface la braderie. Cette perspective de levée en masse, assaisonnée d’U.T., sans précision de limite ni d’objectif, sans les habituelles recommandations de calme et de dignité, est inquiétante, certes, mais elle est surtout à la mesure de la colère d’Alger. Pour qu’un taureau soit plus combatif, on lui plante des banderilles dans le garrot, alors que les cavaliers avertis, quand ils ont maille à partir avec une monture ombrageuse, ont coutume de rendre un peu la main. La riposte de Delouvrier, à cette pluie de tracts, tient malheureusement plus de la tauromachie que de la haute école. Par la radio – qui répète le message de quart d’heure en quart d’heure – il invite, sur un ton solennel, les Algérois à se reprendre, à éviter la tragique erreur que constituerait une insurrection contre la France. Il parle de sang répandu et de bruits absurdes. Il menace aussi en affirmant qu’aucun trouble ne serait toléré et que l’Armée ferait son devoir. Ces paroles, empreintes de pessimisme, et, au demeurant, assez vagues n’apportent aucun apaisement, bien au contraire. La mise sur la touche de Massu a valeur de symbole. Elle n’est pas un bruit absurde mais une réalité. Alors, comme on n’est pas des « coulauds[6] », ni à Bab El Oued, ni ailleurs, on ira tous au rendez-vous d’Ortiz…
Et on ira au meeting allègrement, joyeusement même, avec une bonne conscience de patriote. Il ne s’agit, ni de se livrer à quelque ratonnade, ni de monter à l’assaut du G.G. ou du Palais d’Eté. L’Armée ne serait pas d’accord. On le sait. On sait aussi, vaguement, que les pouvoirs spéciaux, qui datent de Lacoste, interdisent tout rassemblement dans la rue. Mais cette interdiction n’a-t-elle pas subi bien des entorses ? Et puis, Delouvrier, qui ne veut pas de troubles, a-t-il formellement interdit toute manifestation ? On n’en a pas l’impression. On garde aussi le souvenir de février 56 où quelques tomates ont barré la route d’Alger à Catroux.
Alors, pourquoi ne pas être entendus une fois encore ?
Mais, sait-on si le F.L.N. ne profitera pas de l’occasion pour tenter quelque coup tordu ? Ne vaut-il pas mieux, dans ces conditions, se munir du pistolet qui, depuis 54, est pour beaucoup d’Algérois un gage de sauvegarde et qui, sous ces latitudes, est aussi un attribut de dignité ? Pour certains, qui sont en majorité, ce pistolet est assorti d’un port d’arme en bonne et due forme, délivré au titre de l’autodéfense, avec parcimonie, certes, mais quand même en assez grand nombre. Il fut un temps, en effet, où l’autorité exigeait que ceux qui parcouraient le bled se prémunissent eux-mêmes contre les entreprises des rebelles. Les fermes ont alors été dotées de tours de guet ainsi que de postes radio d’alerte et les colons ont reçu fusils et revolvers. Or beaucoup de ces colons rentrent à Alger tous les soirs. Il y a aussi le Dispositif de Protection Urbaine, le « D.P.U. » comme on dit, né d’un contrat entre l’Armée et quelques centaines de civils qui ont reçu un port d’arme en échange d’une coopération sur le plan de l’information. La formule a porté ses fruits pendant toute la durée de la bataille d’Alger. Tout en disciplinant des bonnes volontés qui, dans d’autres circonstances, auraient été turbulentes, la ville a ainsi été couverte par un vaste S.R. populaire, pénétrant les milieux musulmans et constituant un véritable radar en surface qui n’a pas été totalement étranger à la défaite des poseurs de bombes.
En dehors de ces pétoires légales, il y en a aussi qui le sont moins. Il y a des souvenirs de guerre, glanés en Tunisie, à Cassino ou quelque part entre Toulon et Berchtesgaden. Celles-là, aucune prescription administrative ne pourra les faire rendre. Il y en a aussi pas mal – nul ne l’ignore – qui ont été acquises « au marché noir » et à prix d’or pour pouvoir au moins défendre sa peau, le cas échéant. Certains puristes de la réglementation s’insurgent, je le sais, contre cet état de fait qui, à leurs yeux, implique de coupables tolérances, sinon de la complicité. Mais leurs textes, décrets ou arrêtés ont-ils paré à l’armement des katibas, et l’Etat n’a-t-il pas failli à l’un de ses principaux devoirs qui consiste à assurer la sécurité des personnes et des biens ?
Toutes ces idées me trottent par la tête quand, dans mon bureau du G.G., et après avoir pris connaissance de l’appel du Délégué, je cherche à faire le point. J’estime alors que ni les organisateurs, ni les manifestants, ne savent exactement où ils vont, mais que les seconds suivront massivement les premiers et qu’il y aura, dans la foule, pas mal de porteurs d’armes de poing, non pas du fait d’intentions délibérément agressives mais simplement pour ne pas se trouver «démunis» en cas d’imprévu. Je crains donc que la journée soit difficile, la moindre provocation pouvant mettre le feu aux poudres comme aussi la moindre maladresse de ceux qui sont chargés du maintien de l’ordre. Je fais part de ces conclusions à Lancrenon dont on m’a signalé la présence solitaire dans son habituel bureau du G.G.. Le père tranquille qu’est le directeur du cabinet militaire accueille ma démarche avec philosophie et se contente de souhaiter que personne ne fasse de c….., ni d’un côté, ni de l’autre.
A partir de 10 heures, les rues s’animent et la manifestation commence à se dessiner suivant un style qui est aussi classique que le dispositif de Fonde. Un cortège part de Maison Carrée, fait boule de neige en traversant Hussein Dey et se dirige vers le centre, sans avoir à rompre aucun barrage sérieux. Bab El Oued, comme de coutume se rassemble aux Trois Horloges. Après avoir échangé quelques bourrades avec les paras autour du lycée Bugeaud, la colonne prend au passage, dans l’Avenue du 8 novembre, les anciens combattants avec drapeaux et médailles. Elle traverse dignement la place du Gouvernement et le square Bresson, sous l’œil indifférent des musulmans qui se chauffent au soleil, puis, par le front de mer, se dirige vers la Grande Poste. C’est alors une véritable marée humaine qui suit un front de bannières tricolores. Les hauts d’Alger ne forment pas de cortège, mais les nantis d’Hydra comme les petits blancs de Fontaine Fraîche dégoulinent massivement vers le centre par tant d’itinéraires qu’il serait vain de prétendre leur barrer la route. Finalement, il y a beaucoup de peuple aux approches de midi entre la place Lyautey et le bout de la rue d’Isly. Le Plateau des Glières est noir de monde. Les Renseignements Généraux estiment la foule à une cinquantaine de milliers de personnes.
Malgré l’importance de ce rassemblement, je suis pourtant moins inquiet que je ne l’étais à 10 heures. Tout s’est, en effet, passé sans incident grave et le service d’ordre a montré beaucoup de calme et de souplesse. Il s’est borné à filtrer, à retarder et à fatiguer la foule. Les techniciens du maintien de l’ordre qui m’entourent depuis que je suis à la Sûreté m’ont appris que c’était l’attitude à adopter quand on voulait éviter d’employer la force. Sans doute, faut-il laisser maintenant les manifestants se défouler. Il y aura des discours qui seront violents, beaucoup de clameurs et les applaudissements n’iront certes pas à de Gaulle. Mais, à ce prix, qui m’apparaît minime, on peut espérer que la foule se dispersera d’elle-même après avoir puisé quelque réconfort dans l’affirmation d’une solidarité massive.
Il y a pourtant quelques ombres à ces perspectives optimistes. D’abord le fait que l’état-major de la manifestation se soit installé au siège de la Fédération des U.T. qui occupe un étage de l’immeuble de la Compagnie Algérienne dont le balcon, à l’angle du Boulevard Laferrière et de la rue Charles Péguy constitue une tribune parfaite. Micros et haut-parleurs y sont déjà en place. Il ne s’agit donc pas d’une improvisation. J’aurais préféré que les orateurs parlent d’un balcon moins officiel que celui d’une annexe du 5ème Bureau.
On me signale aussi, parmi les manifestants et parfois en tête de ceux-ci, des territoriaux en tenue. Les U.T., qui, pour le service, revêtent l’uniforme trois jours par mois, disposent en permanence, comme les miliciens suisses, d’un paquetage militaire alors que leur armement demeure, par contre, stocké dans des armureries d’unités. Il a toujours été difficile, et somme toute secondaire, de faire une discrimination entre le territorial qui quitte son domicile en treillis de combat pour répondre à une convocation et celui qui fait de même pour aller à la pêche. Seuls, jusqu’ici, certains intendants s’en sont souciés mais aujourd’hui ce choix vestimentaire revêt une signification particulière. Ce n’est pourtant là qu’une infraction à la discipline militaire qu’il est d’ailleurs impossible de sanctionner sur le champ.
L’armement et les munitions du bataillon, dont Ronda est le commandant en second, semblent avoir été distribués en plusieurs points de la ville.
Dans la soirée du 23/1, Jourdes a ordonné le rassemblement de 5 sections de choc du 11ème B.U.T. pour le dimanche matin 24/1 sept heures, sous prétexte de renforcer la garde du P .C. de la rue « Abbé de l’Epée ».
Il y a aussi, me dit-on, quelques U.T. armés mêlés à la foule. Il s’agit, sans doute, de quelques-uns parmi les 2000 territoriaux, qui, tous les jours, ont mission de patrouiller dans les rues ou de veiller à ce que les trams et les trolleybus ne redeviennent pas, comme jadis, des paniers à grenades. Je ne doute pas que les armureries des bataillons d’U.T. fassent aujourd’hui l’objet d’une vigilance particulière mais je m’étonne pourtant que Fonde n’ait pas songé, en réduisant le volume des convocations, à harmoniser l’emploi des territoriaux avec une situation qu’il sait critique. Maintenir l’ordre, c’est surtout prévenir et non pas laisser aller pour, ensuite, intervenir. Quoi qu’il en soit, comme disent les artilleurs, le coup est parti. Il est regrettable, mais qu’y faire ?
Mon troisième sujet d’inquiétude, et c’est le principal, concerne Lagaillarde. On m’apprend en effet que le député d’Alger s’est enfermé aux facultés avec une poignée de fidèles et qu’il prétend y demeurer tant que le pouvoir n’aura pas lâché de lest. Je sais depuis ce matin que, tard dans la soirée d’hier, il a déclaré à tous vents dans un bistrot du Télemly, qu’il profiterait du « cirque d’Ortiz » pour créer le « fait insurrectionnel ». On m’a signalé aussi qu’il avait, au cours de la nuit, distribué de mystérieuses consignes dans un appartement du haut de la rue Michelet. Il a maintenant revêtu la tenue de lieutenant para qu’il a portée, pendant son service militaire au 20ème G.A.P., groupe d’artillerie de la 10ème D.P. Son équipe, faite d’officiers de réserve et d’étudiants, a, elle aussi, endossé l’uniforme. Le recteur Capdecomme est, bien entendu, affolé de voir son université envahie par des irréguliers. Je connais bien Lagaillarde. Je n’ignore pas qu’il adore le panache et qu’il lui arrive, à l’occasion, de bluffer un peu, mais je le sais aussi capable, tout en démarrant tard, d’agir très vite et de saisir l’occasion au vol. Ancien président des étudiants, il a conservé ses petites et ses grandes entrées aux facultés qui ne sont d’ailleurs l’objet d’aucune surveillance particulière, le service d’ordre ayant coutume de respecter leur neutralité. Ce n’a donc été, pour le député d’Alger, qu’un jeu d’enfant d’y pénétrer discrètement en début de la matinée, d’y troquer ensuite le complet civil contre la combinaison camouflée puis, après avoir bouclé les portes, de déclarer la place occupée. Bien entendu, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et les candidats à l’engagement sont nombreux devant le portail de la rue Péguy.
Pour ceux, dont je suis, qui cherchent à doubler, sans trop de dégâts, le cap de cette journée, l’apparition de ce fort Chabrol est très préoccupante. C’est même Blücher alors que l’on espérait Grouchy. Je peste contre Fonde qui ne sait rien parer. Je peste aussi contre les Renseignements Généraux qui sont juste bons à affoler les préfets alors qu’en réalité, ils sont sourds, aveugles et paralysés par la frousse. Les quelques indices concernant Lagaillarde, le fait insurrectionnel et la réunion nocturne de la rue Michelet qui me sont parvenus en début de matinée ne viennent même pas des R.G. mais de deux capitaines qui, dans mes services, sont beaucoup plus axés sur le noyautage du F.L.N. que sur le renseignement en milieu européen !
Le moindre préavis, même très court, suivi de la mise en place, aux Facs, d’une seule section de paras aurait suffi pour faire avorter le projet, quelque peu insensé, de ce sacré Lagaillarde et éviter une aventure qui pèsera lourd, non seulement sur les événements de ce dimanche mais aussi sur le destin de l’Algérie. Le camp des inconditionnels va, j’en suis certain, dénoncer sur le champ le hérisson des Facs comme un acte de rébellion ouverte, justifiant le pire pour que force reste à la loi. Quel beau prétexte, n’est-ce pas ?
Il ne faut pourtant pas s’emballer. Nous ne sommes, certes, plus confrontés avec le seul problème que pose le barnum populaire que Jo[7] anime du balcon des U.T. . Le commando de l’université en pose un second qui est différent, voire même rival du premier, tout en dépendant de lui puisque la foule venue pour l’un apporte à l’autre un indispensable environnement. Grâce à Ortiz, Lagaillarde est un poisson qui dispose d’un confortable aquarium. On le dit hérissé de fusils-mitrailleurs. Minute ! Il en a peut-être un. En tout cas, il l’affiche un peu trop ostensiblement à tous les créneaux de son ilot. Ce petit cinéma peut épater les badauds qui sont bon public mais il ne va pas plus loin. La garnison se proclame, d’autre part, sans intentions offensives. Elle prétend seulement se défendre si on lui cherchait noise. Il n’y a donc, de ce côté, aucun péril immédiat. Dans ces conditions, ne convient-il pas de se préoccuper d’abord de l’aquarium, pour le vider de son eau, et de ne se soucier qu’ensuite du poisson ? Lagaillarde, jouant un grand coup de poker, se déclare servi à la première donne et fait monter les enchères. Ce n’est qu’en suivant, en reprenant les cartes pour améliorer sa main, que l’on pourra gagner. Quand la place Lyautey et la rue Péguy seront redevenues paisibles, que pourra faire Lagaillarde, si ce n’est entendre la voix de la raison ?
Mais Delouvrier raisonne autrement parce que lui, non plus, n’entend pas encore cette voix de la raison. Dès l’apparition de quelques silhouettes martiales au fronton du tunnel des Facs, il prescrit que l’on se saisisse, sur le champ et par tous les moyens, du député d’Alger, arguant d’une procédure de flagrant délit compatible avec le respect de l’immunité parlementaire. J’ignore s’il agit de sa propre initiative ou si, au contraire, son attitude est déterminée par Paris. Quoi qu’il en soit, son courroux demeure sans suite, tout simplement parce que l’exécuteur de ses hautes œuvres, Fonde en l’occurrence, n’exécute pas ! Est-il donc, lui aussi, un de ces colonels qui n’en font qu’à leur tête et qui, à l’occasion s’affranchissent de la discipline « sans hésitation ni murmure », imposée par le règlement ? Non pas, Fonde est un parfait inconditionnel qui aujourd’hui a parfaitement conscience d’être, à Alger, le bras armé des exigences gaullistes. Je conçois facilement qu’il hésite à déployer, contre les Facs, les fonctionnaires que sont les C.R.S. qui n’ont aucun goût pour l’intervention du faible au fort. Mais n’a-t-il pas pléthore de Mobiles qui, eux, sont des soldats, c’est-à-dire qui, se souciant peu d’eux-mêmes, sont prêts à y aller ? Finalement, sans saisir les raisons profondes de l’étonnante modération de mon successeur du Palais Bruce[8], je me contente de m’en féliciter et de me délecter, aussi, de ce que l’incohérence d’un ordre puisse entraîner les plus serviles à désobéir ! Je me suis, depuis lors, aperçu que j’avais pris pour modération ce qui n’était que programmation. A cette heure encore matinale, Crépin, le véritable meneur de jeu, estime que Delouvrier est trop gourmand, l’affaire n’étant pas encore mûre. Il prescrit donc à Fonde de ne pas bouger en lui assurant qu’il lui fournirait une occasion plus favorable pour se distinguer.
Midi à la Grande ¨Poste, c’est l’heure de pointe. Ortiz, qui n’est pas tellement connu de la grande foule, si ce n’est de nom, se présente au balcon et au micro. Il passe rapidement ce dernier à Susini dont l’éloquence est plus sûre, puis à Méningaud qui, lui, jubile ! On annonce la constitution d’un Comité de Direction de la manifestation. Il comprend bien entendu le trio de pointe du F.N.F., Ortiz, Susini et Perez, c’est-à-dire une potiche, un jeune ambitieux sans scrupule et un excité. L’Union Chrétienne et Musulmane de Président Bidault y est représenté par…Lopinto. Mais il y a beaucoup mieux en la personne d’Auguste Arnould, cheville ouvrière de tous les comités d’entente et artisan de la fraternisation avec ceux de la Casbah et des bidonvilles. Arnould n’est ni un énervé ni un provocateur. Il inspire confiance aux plus timorés d’autant plus qu’il y a, à ses côtés Zentar, gendarme devenu lieutenant, maintenant en retraite, conseiller municipal élu par Bab El Oued, Kabyle chrétien dont les enfants et les petits enfants apportent, aux partisans de l’intégration, la preuve du réalisme de leur doctrine. Après ces deux valeurs sûres viennent certains qui ont moins de poids : Schambill qui appartient au folklore de tous les mouvements nationaux, Seguin de la Dépêche Quotidienne qui fait, quand même, penser à Schiaffino, l’armateur-sénateur-milliardaire, Méningaud qui, en bon avocat, est beau parleur mais qu’on sait caméléon. Ensuite, ô miracle, il y a l’armée dans ce Comité ! Oui, puisque le capitaine Filippi y siège en uniforme, colt à la cuisse. Or Filippi, nul ne l’ignore, ce n’est pas un simple officier ; il appartient à l’Etat-Major et même au cabinet du commandant de Corps d’Armée. Alors, Filippi, c’est Massu ! C’est tellement gros qu’on ne se demande même pas pourquoi Lagaillarde et d’autres, comme Martel, ne figurent pas dans cette brochette. Le MP13, c’est pas mal, tout le monde en convient, bien que personne sache exactement ce que c’est. Martel est trop doctrinaire pour être entraîneur d’hommes et il est lassant, aussi, avec ses éternelles mises en garde contre les provocations. Quant à Pierrot le député, tant mieux s’il a remis la gomme, ce matin, mais cela ne suffit pas encore pour qu’il revienne aux commandes.
D’ailleurs, même si certains s’étaient interrogés, ils auraient cessé de le faire après un second miracle : Gardes, colonel chef du 5ème Bureau, celui de l’Action Psychologique, paraissant un instant au balcon en compagnie d’Ortiz : Gardes qui n’a pas l’habitude de commander de loin, est venu voir ce qui se passait dans la boutique qu’il a confiée à Sapin-Lignières. Pour ce faire, il a fendu la foule et constaté, sans doute, qu’il pensait comme tous ces braves gens. Alors, en homme brave, il a accepté de leur apporter sa caution, simplement pour qu’ils reprennent confiance. Il a vu juste. Tous ceux qui se pressent devant l’immeuble de la Compagnie Algérienne saisissent la signification de ce geste. Ils savent que Gardes, c’est plus que Filippi. La présence de l’un vaut Massu mais l’option de l’autre est celle de toute l’armée. Et l’enthousiasme devient délire…
Mais l’euphorie creuse l’appétit. La foule commence donc à s’éclaircir quand éclate une nouvelle qui annonce la victoire : Challe demande à Ortiz de venir discuter le coup avec lui !
En choisissant Ortiz, Challe le consacre leader n°1. Jusqu’ici, certains avaient tendance à en douter. Il n’en est plus question maintenant puisque, tout bistrotier qu’il est, c’est lui l’oreille de l’Armée. Alors, quand il quitte la Compagnie Algérienne, flanqué de Filippi, il est entouré de la considération générale et porteur de tous les espoirs. Il est l’homme du jour alors que, pour Lagaillarde, les Facs sont des oubliettes.
Je transite par le GG où il est accueilli, de façon très urbaine, par le bon Général Lancrenon, qui s’empresse de mettre à disposition une voiture officielle pour le conduire à Rignot. Je le croise dans les couloirs. Il affecte, en plus de son habituel air bourru, une mine préoccupée. Je crains, déjà, dépassé.
Son entretien avec le Généchef se passe sans témoin, mais il est facile d’imaginer le dialogue. Sans doute les deux « Pouvoirs » commencent-t-ils à se sonder mutuellement mais vainement, ni l’un, ni l’autre n’ayant, alors, d’intention bien arrêtée. Ils partagent ensuite le pain et le vin, le « Premier » du FNF s’avérant homme paisible alors que le Général se montre compréhensif.
– » Vous souvenez-vous, Ortiz, de ce que j’ai dit à Kempski « .
– » Oui, mon Général, ça nous a fait plaisir. Mais, pour nous rassurer complètement il faut nous rendre Massu « .
– » J’ai fait l’impossible pour que Massu revienne. Je n’ai pu l’obtenir. Ce n’est pas une raison pour que vous veniez maintenant me casser le boulot en montant à l’assaut du GG. Vous savez bien que je serai obliger de me fâcher « .
– » Pas question ; mon Général. On dit, en rigolant, que les militaires sont toujours en retard d’une campagne mais nous, nous sommes des civils « .
– » D’accord. Et les UT, ne pourriez-vous pas les renvoyer chez eux ? «
– » Je voudrais bien mais croyez, mon Général, que ce n’est pas moi, caporal du Génie dans la réserve, qui les commande. C’est le colonel Fonde. «
– » Bon, admettons… En tous les cas, à condition que vous ne fassiez pas les imbéciles avec ou sans UT, moi, de mon côté, je ne vois pas d’inconvénient majeur à ce que vous gueuliez tant que vous voudrez, mais que tout rentre dans l’ordre avant le couvre-feu ».
– » OK, mon Général, je vais m’y employer et j’espère y arriver. N’oubliez, pourtant, pas qu’il y a, parmi mes gars, des types difficiles à tenir « .
– » Je m’en doute, mon cher Ortiz ; alors, à chacun son boulot. Gardez vos coqs et laissez moi me charger du reste « .
Il n’est pas loin de deux heures quand Ortiz rejoint son état-major avec lequel il se montre peu loquace. On comprend qu’il lui soit difficile d’avouer à Susini, qui ne rêve que de révolution par la violence, qu’il a promis à Challe de ne casser aucune vitre. L’essentiel, il est vrai, est atteint puisque le public est satisfait. De ce côté, en effet, pas de problème. Tous ceux qui sont encore sous le balcon nagent dans la joie. Pour eux, Challe, en recevant Jo, s’est dissocié d’un délégué général qui ne fait que manier la menace. L’armée demeure donc décidée. Alors, tout est bien et rien n’est perdu. Et, comme la manifestation a porté, il est grand temps d’aller déjeuner. Tout le monde, ou presque, s’en va malgré Méningaud qui s’époumone au micro. « Paris valait une messe et l’Algérie vaut bien un repas », hurle-t-il. Il n’est pas entendu…
L’affaire semble, alors, devoir tourner court. Il n’y a plus, sous les ombrages du square Laferrière, que quelques centaines de banlieusards qui dévorent des sandwiches. Au Forum, les gardes mobiles cassent, eux aussi, une croûte à la mesure de leur intendance qui est bonne. Lancrenon est parti déjeuner chez lui. Je mets, moi-même, l’éclaircie à profit pour puiser dans un panier dont un de mes commissaires avait eu la sagesse de se munir.
Mais la trêve n’est que de courte durée. Vers trois heures, une standardiste, affolée, m’annonce qu’elle a l’Elysée au bout du fil et, qu’en l’absence de toute autre autorité, elle me passe la communication. C’est Tricot qui veut parler à Delouvrier ou à défaut à Maffart et que le Palais d’été a, par erreur aiguillé sur le GG. Il s’informe de la situation. Je lui réponds que cela ne va pas trop mal et en tout cas, le moins mal possible. Je lui fais aussi part de mon espoir de voir l’agitation s’apaiser en fin de journée. Il raccroche rapidement.
Quelques minutes après, nouvel appel de Paris. Cette fois c’est bien moi que demande le préfet Verdier qui se croit mon patron parce qu’il est directeur général de la sûreté nationale. Pour rencarder son ministre de l’intérieur, il veut savoir, lui aussi, ce qui se passe à Alger. Je lui répète ce que je viens de dire à Tricot.
Note : les appréciations portées sur les personnes sont celles du colonel Godard
Article original paru dans la Süddeutsche Zeitung du 19 janvier 1960 relatant l’entretien du général Massu avec Kempski, suivi de sa traduction en français.
Interview du général Massu par Hans
Ulrich Kempski
Süddeutsche Zeitung, mardi 19 janvier 1960, pp.1&2
(traduction de Bernard Zeller)
Massu déçu par de Gaulle
Le général parachutiste prend ses distances avec la politique algérienne du général de Gaulle
De notre collaborateur, Hans Ulrich Kempski
Alger, 18 janvier – Dans une interview avec l’envoyé spécial de la Süddeutsche Zeitung, Hans Ulrich Kempski, le général parachutiste français et super-préfet d’Alger, Jacques Massu, s’est fait le porte-parole des dirigeants de l’armée d’Algérie dont la mauvaise humeur à propos de la politique de de Gaulle s’est renforcée. Les critiques de Massu prennent une importance particulière dans le contexte actuel car elles sont exprimées peu avant la conférence sur l’Algérie que de Gaulle a convoquée pour le 22 janvier à Paris. Massu participera à cette conférence[9]. Le président de Gaulle devrait, à cette occasion, être poussé par les généraux à leur laisser plus d’autonomie dans la prise de décisions de nature militaire.
A la question : qu’est-ce qui vous préoccupe le plus ? Massu a répondu : Je désirerais que le gouvernement nous aide enfin à être en mesure de voir clair sur le futur de façon que nous parvenions à garder une Algérie française. » A l’observation que le président de Gaulle devait pourtant avoir une idée claire sur le sujet, Massu a fait remarquer : « Je ne sais pas. Et s’il en a une, alors ce n’est certainement pas la nôtre. De Gaulle ne comprend pas les musulmans. Si nous continuons ainsi, ce sera interprété comme de la faiblesse. » Selon Massu, pour combattre avec succès la rébellion, il est indispensable d’instituer immédiatement des tribunaux spéciaux dans toute l’Algérie. Ces tribunaux doivent être autorisés à prononcer des condamnations qui par leur sévérité tranchent sur celles habituellement prononcées en France. De plus, tout pourvoi en appel d’un condamné ne devrait être examiné qu’en Algérie même et non à Paris comme cela se pratique jusqu’à ce jour. « C’est la seule solution pour combattre le F.L.N. » Les demandes de l’armée à ce sujet n’ont jamais été satisfaites « car Paris n’a jamais conduit une guerre comme celle-ci.«
Afin d’encourager les Arabes favorables à la France à résister aux rebelles, Massu suggère de leur distribuer de grands domaines forestiers sous forme de propriétés privées, « de sorte que les gens sachent pourquoi ils se défendent. Les gens ont faim – ce problème-là aussi doit être résolu. »
A la question de savoir si, dans la situation actuelle, l’armée a le pouvoir de faire adopter ses propres idées sur la conduite de la guerre en Algérie, le général Massu a répondu : « L’armée a ce pouvoir. Elle ne l’a pas montré jusqu’ici car l’occasion ne lui a pas encore été donnée. Cependant, dans une situation déterminée, l’armée l’utiliserait« . Puis Massu s’est laissé aller à formuler des critiques d’ordre général sur de Gaulle qui l’ont amené à dire : « Nous ne comprenons plus sa politique. L’armée ne pouvait s’attendre à ce que le général de Gaulle mène une telle politique. » Ceci ne concerne pas seulement la politique algérienne du chef de l’Etat – dont le plan de Constantine, initialement accepté par l’armée, apparaît aujourd’hui comme vide de sens – après qu’il est devenu évident que les peuples africains n’utiliseront l’autodétermination que pour quitter la Communauté française à plus ou moins brève échéance. Massu a ajouté : « La plus grosse déception a été pour nous que le général de Gaulle est devenu un homme de la Gauche. »
En se référant à la révolte du 13 mai 1958, au cours de laquelle Massu à Alger avait agi en tant que porte-drapeau du général de Gaulle, il en est venu à faire remarquer : « C’était le seul homme à notre disposition. L’armée a cependant peut-être commis une erreur. » A la question, subsidiaire de savoir si lui, Massu, était l’une des personnalités ayant le profil de successeur du général de Gaulle, sa réaction a été celle-ci : « La première question est : quand un successeur au général de Gaulle surviendra-t-il ? » Massu a ajouté que l’armée française poussait les colons européens à s’organiser semi-militairement et leur fournissait des armes. Au début, il a réagi en riant à une question correspondante, avec cette objection : « Ce ne serait pas vu d’un bon œil par le général de Gaulle« . Un peu plus tard, il a cependant concédé : « En pratique, cela se fera. »
L’interview a culminé avec la réponse du général à la question : « L’armée suivra-t-elle sans condition chaque instruction du chef de l’Etat ? » « Naturellement, il y a dans l’armée de tels gens qui feraient les choses sans se poser de question, quoiqu’il arrive » La façon dont Massu a prononcé et commenté cette phrase a révélé que non seulement lui-même mais aussi la majorité des responsables militaires ne sont pas disposés à exécuter sans conditions les ordres de de Gaulle. Ceci a été confirmé lors d’une question ultérieure à laquelle il a répondu de façon indirecte : « Y a-t-il de telles personnes dans les postes-clés ? » « Il n’y a pas de tels postes-clés« .
Dans les mois précédents, Massu avait strictement refusé de s’exprimer devant des journalistes. L’entretien avec Massu a pu se faire grâce à l’intervention du commandant supérieur des forces françaises en Algérie, le général Maurice Challe. Le commandant supérieur avait lui-même déclaré : « N’oubliez pas que nous, l’armée, sommes en Algérie et que nous n’abandonnerons jamais l’Algérie.«
(Hans Ulrich Kempski, après son retour d’Afrique du Nord, publiera une suite à son reportage sur la situation en Algérie)
Voir Bulletin des Amis de Raoul Salan n°3, p.6, l’article de Jacques Valette intitulé « Le premier jour de la guerre d’Algérie » ; voir également S.H.A.T.. Histoire Orale, Inventaire analytique des sous-séries 3K et 4K,
Les Poneys Sauvages
Commandant la zone Nord-Algérois
Voir texte de la motion dans « Barricades pour un drapeau, page 42 » (reproduit ci-après)
Rapporteur général du budget de la ville de Paris en 1960
Coulos : homosexuels, pédérastes, en pataouète
Joseph Ortiz
à la tête du secteur Alger-Sahel
Comme on l’a vu dans le récit du colonel Godard publié dans le bulletin n° 23, Massu n’y participera pas