Bulletin 21
Disparition / Elisabeth Zeller
Nos adhérents ont publié
1945 – Le Général Salan dans le piège indochinois par Jean-Paul Angelelli
Nicole Pietri et Jacques Valette : les guerres du Général Gambiez par Jean-Paul Angelelli
Missions en France en juin 1958 Biographie / Henri Yrissou
3
Disparitions
Nous avons à déplorer la disparition d’Elisabeth Zeller, le 31 mai 2009, et celle d’Henri Yrissou, le 21 juin 2009. Tous deux, centenaires, ont embrassé le 20ème siècle, siècle au cours duquel les conflits mondiaux ont engendré des horreurs inimaginables jusqu’alors. Une part importante de ce bulletin est consacrée à Henri Yrissou.
Elisabeth Zeller
Elisabeth Siméon est née le 17
septembre 1908 à Wassy dans la Haute Marne. Troisième et unique fille d’une famille de sept enfants, elle en prend en charge la direction domestique lorsque sa mère meurt à la naissance du dernier fils, en 1925.
En 1933, elle épouse le capitaine d’artillerie André Zeller. Elle découvre l’Algérie pour la première fois en 1935, lorsqu’André Zeller est muté au 19ème corps à Alger. Elle retrouve l’Algérie fin 1940, le commandant André Zeller ayant demandé à y être muté. Pendant que son mari se bat, dès novembre 1942 et jusqu’en 1945, en Tunisie en Italie, en France, Elisabeth Zeller reste à Alger ou dans
les environs et la famille
continue de s’agrandir : cinq
enfants en 1945. Mariage d’André Zeller et d’Elisabeth Siméon, en décembre 1933
Fin 1945, elle retrouve la métropole et Paris et, en 1946, André Zeller est promu général de brigade. Deux autres enfants viennent compléter la famille en 1946 et 1949. Jusqu’en 1955, la vie est plus facile, surtout à Rennes à la IIIe région militaire. De nouveau à Paris, le général Zeller est appelé à de hautes fonctions. De 1961 à 1966, Elisabeth Zeller fait la navette entre Paris et Tulle ; elle doit prendre toutes les responsabilités de chef de famille, son mari ayant été déchu de ses droits civiques lors de sa condamnation. Après sa libération en 1966 et jusqu’à sa mort en septembre 1979, elle retrouve son mari, libre, qui se consacre à ses travaux historiques, à sa dernière fille, trisomique, et à ses petits-enfants.
Elisabeth Zeller est décédée le 31 mai 2009 à Sceaux. Le père Lallemand, aumônier de la Légion a célébré la messe de funérailles à Sceaux puis à Ménetou Salon, dans le Cher où elle repose aux côtés de son époux.
La disparition d’Elisabeth Zeller est l’occasion de rendre hommage à toutes les épouses de militaires de la première moitié du 20ème siècle. Beaucoup ont été veuves ; nombreuses sont celles qui ont du élever seules leurs enfants pendant les conflits avec l’angoisse permanente quant au sort de leurs maris. Et, plus tard, dans les années 1960, pour certaines dont les époux étaient incarcérés pour cause de sur-patriotisme, ce furent encore des années de difficultés matérielles et morales dans une France qui ne pensait plus, en grande majorité, qu’aux biens de consommation.
3
Nos adhérents ont publié
Le troisième ouvrage de Jacques Valette sur Raoul Salan s’intitule : « 1945 : Le général Salan dans le piège indochinois ». Une analyse détaillée en est faite dans ce bulletin par notre ami Jean-Paul Angelelli. Le général Leclerc a tout de suite fait appel à Raoul Salan car il est, de loin, l’officier général qui connaît le mieux le Tonkin. Plusieurs aspects peu connus ou même méconnus dans cet ouvrage à propos de son rôle, en particulier :
. dans la réorganisation et le retour des troupes françaises de Chine qu’il positionne dans le pays Thaï
. dans le repli en Chine des troupes chinoises qui vivent aux dépens du Tonkin et de ses habitants
. dans les négociations secrètes avec Ho Chi Minh et Giap, pour leur faire admettre le débarquement des soldats de Leclerc à Haïphong
134 pages, avril 2009, 16€, L’Esprit du livre Editions
Albert Camus se présentait lui-même comme
un artiste autant que comme un écrivain. Et son intérêt pour le monde de l’art ne se dément pas au cours de sa vie. La
Méditerranée et bien sûr l’Algérie, sa lumière et ses peintres tiennent la première place dans cet aspect de la vie d’Albert Camus. Celui qu’on dit être le modèle de Meursault dans l’Etranger, Sauveur Galliero est un ami, peintre, d’un milieu très modeste et autodidacte. La liste des amis artistes d’Albert Camus comporte des noms comme ceux de Balthus, Bénisti, Brouty, Jean Brune, Clairin, Damboise, Maguet, Maisonseul, Raffi.
137 p., avril 2009, 34€, Atelier Fol’Fer
et Association Abd-el-Tif,
16 rue de la Bienfaisance, 75008 Paris
Nicole Pietri et Jacques Valette, tous deux professeurs d’université, ont réuni dans cet ouvrage les contributions, outre les leurs, de huit historiens, qui couvrent les années 1943 à 1961, la Corse, l’île d’Elbe, la Provence, le Doubs, les Vosges et l’Alsace, l’Indochine, la Tunisie, l’Algérie.
Les épisodes qui toucheront le plus les adhérents des « Amis de Raoul Salan » sont ceux relatifs à l’Indochine et surtout à la Tunisie, ce dernier étant de la plume de Jacques Valette qui sait de quoi il parle, ayant été lui-même en Tunisie quand Gambiez y commanda dans des conditions extrêmement difficiles, de septembre 1955 à juillet 1958, la 11ème Division d’Infanterie avant de devenir le Commandant Supérieur des Troupes françaises de Tunisie.
Quant à l’Algérie, une contribution de Guy Pervillé est consacrée au passage au corps d’armée d’Oran ; une autre, de Maurice Faivre, au commandement en chef en Algérie et au putsch d’Alger
214 pages, février 2009, 22€, L’Esprit du livre Editions
Jacques Valette : 1945 Le général Salan dans le piège indochinois par Jean-Paul Angelelli
A peine sorti du second conflit mondial, le général de brigade Raoul Salan est appelé par le général Leclerc pour, en raison de son passé, servir comme commandant du nord de l’Indochine et des troupes françaises stationnées en Chine. Pour de Gaulle, il faut y imposer la France. Un territoire qui, à Postdam, après la capitulation du Japon, a été coupé en deux : les Chinois au nord et les Britanniques (alliés) au sud. Que de problèmes difficiles à affronter et à régler…
Au centre au 1er rang, le maréchal Tchang Kaï Chek. Raoul Salan est 2ème à partir de la droite au 2ème rang.
Tchoung King, 17 janvier 1946
Jacques Valette, s’appuyant sur des documents et mémoires publiés et d’autres plus réservés montre comment Salan a essayé de les résoudre. Cela a pris du temps avec des généraux chinois pillards et leurs troupes anarchiques. Et un risque d’affrontement avec les soldats de Leclerc qui devaient débarquer à Haïphong en mars 1946. Il y aura même une provocation chinoise meurtrière (l’incident d’Haïphong, le 6 mars 1946) qui nous causa des pertes. Salan, diplomate, réussit à empêcher l’irréversible. Et le retrait des Chinois. Après des tractations au sommet en Chine, il a même su ramener en Indochine la célèbre colonne Alessandri qui s’était réfugiée au Yunnan pour échapper aux Japonais. En Indochine, elle va réoccuper le pays Thaï où la population et ses dirigeants nous sont favorables.
Mais à Hanoï, son P.C., Salan découvre le Viet-Min, communiste. Jacques Valette lui consacre trois chapitres totalement inédits et particulièrement intéressants (5, 8, 9) ; Du côté français, on ne savait pas grand-chose sur sa réalité. D’autant que, profitant du vide créé par la fin de l’occupation japonaise, le Viet-Minh s’est imposé à Hanoï en proclamant la République du Vietnam au nom d’un gouvernement dit d’union nationale, » anticolonialiste » – une alliance avec des partis nationalistes vietnamiens, très anti-français par surenchère. Ils seront éliminés par la suite.
Salan comprend que le Viet-Minh est incontournable. Ce qui est aussi la position de Leclerc mais pas celle du Haut Commissaire à Saïgon (nommé par de Gaulle) Thierry d’Argenlieu.
Une dualité au sommet qui ne va pas améliorer les choses. D’autant que l’amiral Decoux et ses collaborateurs, mieux informés, ont été envoyés en France pour être jugés pour crime de vichysme. Autant d’erreurs.
Salan, qui a besoin des Viets contre les Chinois (au cas où), signe avec Ho Chi Minh et Giap les accords du 6 mars 1946 ; Que faire d’autre ? Leclerc lui-même avoue qu’il ne peut reconquérir
le Tonkin avec une seule division.
En résumé, la République française reconnaît « la République du Vietnam comme un état libre, ayant son gouvernement, son parlement, son armée et ses finances ». Mais cette République devait faire partie de l’Union Française pas encore créée. Pour Ho Chi Minh, le Vietnam, ce sont les trois Ky : Tonkin, Annam et Cochinchine. Or Thierry d’Argenlieu pousse à la création d’une République Cochinchinoise alliée à la France. Que d’ambiguïtés et de bombes à retardement !
Pour en sortir, il y aura en juin 1946 en France, la conférence de Fontainebleau. Ho Chi Minh y vient, accompagné de Salan qui en a donné un compte rendu vivant dans le premier livre de ses mémoires (Fin d’un Empire, Presses de la Cité, 1970). Pas de solution définitive. Il y avait bien d’autres problèmes dans la France de 1946…Sur le terrain, le Viet-Minh pratique le double jeu et encourage secrètement une insécurité anti-française permanente du Nord au Sud (attentats, embuscades..)
De Gaulle parti, Leclerc a été rappelé en France (en juillet 1946). En septembre, Salan reste en France. Félicité, il a terminé son extraordinaire mission.
La complexité de la situation sur le terrain est bien décrite par Jacques Valette qui n’a pas donné dans le sensationnel et l’à peu près.. Mais a bien expliqué comment Salan a su, « avec patience et concessions » s’interposer et jouer entre les Chinois, les Viets (dont l’appareil militaire qu’il découvre a été sous-estimé), Saïgon, Hanoï et Paris. Son récit, sobre mais clair, permet de comprendre les causes de la longue guerre à venir. Salan, lui-même, en avait tiré la leçon dans la conclusion de son livre. « Si Leclerc avait été le seul responsable de l’Indochine pendant cette période 1945-46, nous la sauvions sous une forme différente de celle du passé…mais nous la sauvions ». .. Hélas !
134 pages, 16 €, Editions L’Esprit du Livre. Une carte, même sommaire aurait été bienvenue pour mieux suivre.
Nicole Pietri et Jacques Valette : Les guerres du général Gambiez
Jean-Paul Angelelli
C’est un recueil de textes écrits par des universitaires pour un colloque consacré au général Gambiez (1903-1989) qui n’eut jamais lieu mais dont l’initiateur a été notre ami, le professeur Jacques Valette. Il avait servi sous ses ordres en Tunisie dans une période difficile (1957-58) et estimait qu’il fallait honorer la mémoire d’un homme confronté aux épisodes pénibles de notre histoire politico-militaire au XXème siècle.
On le suit après la défaite de 1940 en Algérie où il devient, en 1943, le patron des célèbres « Choc » engagés en Corse, à l’île d’Elbe, en France (Provence, Vosges, Alsace…). Voir Paul Gaujac.
Ensuite, on le retrouve de 1949 à 1952 au Tonkin dont il mena la pacification en s’appuyant sur les milices catholiques du nord et leur clergé. En 1954, après Genève, il dut assurer leur transfert difficile dans le sud. Avant d’essayer de traiter en 1955 l’épineux problème des sectes (intéressante analyse de ces dernières), il avait eu la douleur de perdre son fils à Dien bien Phu. Envoyé en Tunisie en 1955 à la tête de la
11ème D.I., il eut la délicate mission de gérer ses troupes dans le contexte trouble de la politique de Bourguiba, soutien du
F.L.N., dont la Tunisie était devenue la base arrière…
D’où des tensions, des incidents dramatiques (Sakiet) avec l’armée française en Algérie et des humiliations pour nos troupes sur place, bien évoquées par Jacques Valette. Avant un dégagement inévitable et sans gloire.
En Algérie, de janvier 1959 à septembre 1960 (étude de Guy
Pervillé), à la tête du corps d’armée d’Oran, le général Gambiez accompagna une pacification d’ailleurs largement entamée tout en se montrant inquiet devant l’évolution de la politique du général de Gaulle, remettant en cause les succès militaires.
Mais ensuite, malgré ses réticences, il dut accepter le poste de commandant en chef des troupes d’Algérie en février 1961. Surpris par le putsch qu’il n’avait pas prévu, il fut arrêté sur ordre des généraux révoltés, incarcéré puis libéré.
Il témoigna dignement au procès des généraux Challe et Zeller.
Appel daté du début de février 1960 (semaine des barricades)
En reconnaissant, malgré son loyalisme que « Le mouvement insurrectionnel répondait au sentiment d’une grande partie de l’armée » (communication du général Maurice Faivre). Il traita ensuite dans les années 1960 la promotion sociale au sein de l’armée et présida la commission française d’histoire militaire, créant un lien qui est resté avec l’Université. Il avait été aussi mêlé au débat sur « la conversion atomique de l’armée de terre ».
Voilà l’homme dont l’apparence avait donné naissance à une image quelque peu caricaturale (on l’avait surnommé : « Nimbus »). Mais sa destinée fut d’être le témoin (et même la victime) des drames de l’armée française de 1940 à 1962. « Une personnalité complexe mais attachante » (J. Valette) qui ne peut laisser personne indifférent. Et a mérité, plus qu’une biographie, cette évocation historique et scientifique.
217 pages, 22 €, Editions L’esprit du Livre , 2009, 22 rue Jacques Rivière, 92330 Sceaux.
Un additif de Bernard Zeller
Autant le général Gambiez a été correct au procès des lieutenants et des capitaines du 1er R.E.P., autant il a été vindicatif vis-à-vis des généraux Challe et Zeller lors de sa déposition à leur procès : « Enfin, ce qu’il y a de plus grave encore, c’est que la notion de service de l’Etat, pourtant fondamentale pour une armée, a été foulée au pied ; on a substitué au service de l’Etat un service au profit de quelques-uns et cela c’est extrêmement grave parce que c’est le fonds même de l’armée qui est en jeu. C’est d’une gravité absolument exceptionnelle… ». Quand on sait que les généraux Challe et Zeller encouraient la peine de mort, réclamée par Edmond Michelet au procureur général Besson, peut-on dire que le témoignage du général Gambiez fut digne ? Il dira lui-même au procès des lieutenants et des capitaines : « Autant j’ai été dur dans mes premières dépositions devant le Haut Tribunal militaire, autant… » Peut-être avait-il à se faire pardonner par le pouvoir un certain nombre de déclarations faites en 1960 (voir ci-avant son appel de février 1960 par lequel il jure de travailler, de lutter et de combattre pour que l’Algérie reste française) ainsi que son comportement frôlant le ridicule lors du coup d’Alger d’avril 1961.
Exemple célèbre :
Gambiez au lieutenant Durand-Ruel : « Quand j’étais lieutenant à la Légion, les lieutenants n’arrêtaient pas les généraux ! »
Durand-Ruel à Gambiez : « Les généraux ne bradaient pas alors l’Empire »
Jacques Valette Prix Veritas
Missions en France en juin 1958 (3)
Jean-Paul Angelelli
4ème région militaire : Bordeaux et quelques départements du Sud-Ouest, du 12 au 20 juin 1958
Les envoyés du Comité de Salut Public (C.S.P.) d’Alger se félicitent de leurs premiers contacts avec le général Lecoq qui leur apporte une aide totale. D’autant que ses troupes sont « parées » depuis le début du mouvement (sous-entendu du 13 mai). Le général leur a présenté un monsieur Mars, directeur d’une maison d’information qui touche « énormément le monde ouvrier« . Il sera l’agent de liaison entre la 4ème région et Alger ou Paris mais devrait être « officialisé » pour les contacts futurs. A noter que sont citées en annexes les questions du général Lecoq au général de Gaulle et au général Salan[1].
La population civile est qualifiée d’
« attentiste et sans aucun dynamisme« . Le maire, Chaban-Delmas, n’est pas aimé et il aurait peu de chances d’être réélu (ce qui sera démenti par ses réélections à partir de 1958). On lui reproche ses palinodies durant le mois de mai 1958. Chaban a créé opportunément un « Mouvement pour la Ve République ». A la foire de
Bordeaux du 15 juin, des anciens com-
-battants ont refusé de lui serrer la main. Mais Edmond Michelet[2], présent, a dédouané le maire et, informé de la création d’un C.S.P. « genre Alger« , s’est déclaré d’accord. Mais il y a une réserve sur la sincérité de cette déclaration.
Le préfet Mairey, compagnon de la Libération, est hostile aux C.S.P.. Si ceux-ci sont créés, il mettrait « la clef sous le paillasson » et irait à Paris. Déclaration faite au général Lecoq (mais sans date).
Les amicales régimentaires ne sont pas sûres, pour la plupart « à la solde de Chaban« . Ce qui est aussi le cas des syndicats indépendants, peu nombreux. La C.F.T.C. est progressiste. Par contre, il y a des sympathies au syndicat F.O. dont l’Union Départementale serait la deuxième de France avec « 25000 adhérents« . Son secrétaire général, Lefort, prépare un manifeste en faveur du général de Gaulle et un plan pour lutter contre le communisme. Il est dans « le sens du 13 mai« . Et il serait souhaitable qu’il fasse un voyage en Algérie.
Pour les partis politiques, sont cités Pierre Poujade et le général Chassin, objets d’un rapport (qui n’a pas été retrouvé). Il y a eu un meeting Poujade à Bordeaux. Des contacts ont été pris avec un « Parti paysan indépendant »… »qui serait en accord pour la formation d’un C.S.P. « et qui, pour le grand Bordeaux, aurait 75000 adhérents ( !?). Un « Mouvement pour la défense du référendum et la loi constitutionnelle » a été fondé à Bordeaux le 16 juin et serait prêt à se joindre au C.S.P. local. Mais ce C.S.P. est loin d’être constitué.. Parce qu’il y a des « luttes de personnes » et que le nom (C.S.P.), « qui heurte la population » (sic), devrait être changé. La tournée des départements se borne à des contacts en Dordogne, dans les Landes, en Charente maritime où un colonel Dive avait formé un C.S.P. clandestin. Il est signalé que le préfet
Première page du rapport de la mission en IVe Région Militaire
Jacques Brunet est suspect parce que, directeur de cabinet de Le Troquer, il couvre même les communistes en grève.
Dans la région de Poitiers, la mentalité est « celle des départements agricoles prospères« , soit « une indifférence pour tout ce qui n’est pas leur compte en banque« . Les parlementaires ne sont pas aimés. Mais on vote pour eux. A l’université, il y a un « Comité de vigilance républicaine » noyauté par les communistes. Les anciens combattants sont « de tendance pétainiste » et les résistants « communisants« . Bilan : cette région « veut rester dans la plus stricte légalité« . A Angoulême, le maire, Thébault, a formé un Comité mais son passé politique (il a été successivement pétainiste, résistant, M.R.P., R.P.F., indépendant, poujadiste) ne fait pas l’unanimité.. Un groupement d’action gaulliste a aussi été formé. La conclusion générale du rapport est prudente : « Il y a un gros travail à faire« . Avec une direction qui coordonnerait des comités ayant tous « un titre identique » et seront d’autant mieux accueillis par la population qu’ils ne comprendraient pas des parlementaires et des hommes politiques marqués et seraient soutenus par l’armée.
Les auteurs du rapport remercient de son aide « sans réserve » monsieur Mars. Après accord du général Lecoq, monsieur Mars a accepté d’être un agent de liaison entre la 4ème région militaire et Alger (si Alger a la direction).
In fine, le général Lecoq et tous les officiers des subdivisions sont remerciés pour leur « concours entier« . Il a été constaté partout que « le problème avait déjà été pensé et préparé, surtout sur le plan force« . Allusion claire aux préparatifs de l’opération dite « Résurrection », en mai 1958.
5ème région militaire : Toulouse
A leur arrivée le 13 juin dans la matinée à Toulouse, les deux représentants du C.S.P. d’Alger sont reçus par le général Miquel qui, très actif en mai 1958 en liaison avec Alger, s’engage à « faciliter leur mission« . Il leur présente le président du C.S.P. de Toulouse et responsable civil du Sud-Ouest, Pierre (erreur, c’est Augustin) Delnomdedieu. La composition du C.S.P. est indiquée comme fournie en annexe du compte-rendu (qui ne figure pas dans les archives). Delnomdedieu a 52 ans. Il est sous-préfet honoraire, directeur des Contributions directes à Toulouse et bénéficie dans les milieux nationaux de la considération générale en raison de son
passé résistant (condamné à mort par la Gestapo).
C’est lui qui dresse pour les envoyés d’Alger un itinéraire de 1500 kilomètres qui va les conduire – du 14 au 20 juin – à Tarbes, Pau, Oloron, Biarritz, Bayonne, Villeneuve sur Lot, Foix, Pamiers, Toulouse, jusqu’à leur départ pour Alger le 20 juin. D’autres départements (Landes, Pyrénées Orientales, Aude, Aveyron, Tarn, Tarn et Garonne) n’ont pu être visités. Des C.S.P. existaient à Toulouse, Tarbes, Pau, Bayonne, Biarritz, Agen. D’autres se constituaient en Ariège et dans le Gers.
Les membres des C.S.P. du Sud-Ouest « ne comprennent pas » que des groupes essaient d’exploiter « à leur profit » le mouvement du 13 mai. La structuration des C.S.P. est calquée sur le découpage administratif jusqu’à l’échelon de la commune. Ils se heurtent, disent-ils, aux groupements politiques, aux activistes et aux marxistes, et à « l’apathie générale d’une masse amorphe, composée d’indifférents, de craintifs, de repus, de prébendiers« … Cette masse est contre « le système« , pour nous « en privé« , mais ne nous rejoindra que si notre mouvement se confirme en Métropole. Certains de ces mouvements sont qualifiés de « néogaullistes« . Sont cités les ex-R.P.F. et républicains-sociaux, le Mouvement Populaire du 13 mai (général Chassin), le Comité de résistance de Faillant, la Démocratie Chrétienne de Georges Bidault. Ce sont surtout les républicains-sociaux les plus gênants car se réclamant de « la pensée du général de Gaulle« . L’un de leurs délégués les plus représentatifs est Maître Maziolle (de son vrai nom Jacques Maziol), avocat au barreau de Toulouse, en liaison avec Chaban-Delmas. Au cours d’un entretien (en présence de Delnomdedieu), Maître Maziol est d’accord, « dans un désir d’union« , mais attendra des instructions de ses dirigeants. Il donnerait même sa démission des républicainssociaux si Jacques Soustelle en faisait autant. En novembre 1958,
Maziol sera élu député de la Haute-Garonne sous l’étiquette U.N.R.
(Union pour la Nouvelle République). Jacques Maziol
Et fera ensuite une longue carrière politique sous la même étiquette et sera ministre de la Construction de 1962 à 1966.
En mai 1962, à Toulouse, se tiendra le procès du réseau O.A.S. du Sud-Ouest (dit procès Cassagneau, du nom de son chef). Parmi les inculpés, Pierre Delnomdedieu (fils du président du C.S.P. en 1958) qui sera condamné à six ans de réclusion. Ce procès sera marqué par la déposition de René Cathala, ancien résistant et F.F.L. qui avait été élu en 1958 député U.N.R. de la 1ère circonscription de Toulouse. Mais ensuite, en désaccord avec la politique gaulliste en Algérie, il avait rejoint le groupe parlementaire Unité de la République. Au cours de sa campagne électorale, son jeune frère, Maurice, avait été tué par des militants communistes. Le responsable (condamné par contumace) s’était réfugié derrière le rideau de fer. Ses complices avaient été condamnés à des peines légères pour détention illégale René Cathala de munitions. Lors du procès Cassagneau, au nom de son frère, René Cathala avait défendu l’idéal des accusés. Mais le tribunal militaire prononça des peines lourdes (cf. Histoire Secrète de l’O.A.S., Georges Fleury, pp. 822 et 823).
Le rapport mentionnait en conclusion l’attitude hostile au 13 mai, aux C.S.P., au général de Gaulle, du quotidien régional à forte diffusion, la Dépêche du Sud-Ouest, contrôlé « politiquement » par Bourgès-Maunoury.
6ème région militaire : Metz, Nancy, Strasbourg
Pour la région militaire la plus vaste de France et dans un temps très court, les envoyés d’Alger ont privilégié les trois villes les plus importantes. Ils avaient d’abord rencontré à Lyon le général Descours. Il n’a pu leur donner des points de contact puis, après un passage à Paris, ils sont arrivés à Metz le 14 juin au matin.
Sous un prétexte quelconque, le gouverneur militaire ne les reçoit pas. La situation à Metz leur paraît « assez trouble« . Il y a plusieurs C.S.P. concurrents, composés « d’éléments non valables, agents électoraux, personnages falots voire tarés« . Mais surtout, un groupement sous l’autorité du colonel Bourgoin se réserve l’exclusivité de « la pensée du général de Gaulle« . Né en Algérie à Cherchell en 1907, le colonel Bourgoin s’était illustré dans les paras
Sous un prétexte quelconque, le gouverneur militaire ne les reçoit pas. La situation à Metz leur paraît « assez trouble« . Il y a plusieurs C.S.P. concurrents, composés « d’éléments non valables, agents électoraux, personnages falots voire tarés« . Mais surtout, un groupement sous l’autorité du colonel Bourgoin se réserve l’exclusivité de « la pensée du général de Gaulle« . Né en Algérie à Cherchell en 1907, le colonel Bourgoin s’était illustré dans les paras
SAS. Le 14 juillet 1957, au nom des anciens combattants, il était
venu à Alger pour prêter serment que « l’Algérie resterait française ». Colonel Bourgoin Elu député U.N.R. de Paris (12ème arrondissement) en novembre 1958 contre André Le Troquer compromis dans l’affaire des « Ballets roses », réélu en 1968. Après sa mort, il fut remplacé par le général de Bénouville (Coston, tomes 1&2).
La population de Metz se révèle « apathique » ou « réservée« . Comme l’Eglise dont l’influence est « importante« . Finalement, il n’y a « rien de valable« . Et c’est vers Paris « que les regards sont tournés« . De plus il y a une rivalité entre Metz et Nancy.
A Nancy, il y a une organisation d’ex-R.P.F., devenus républicains-sociaux, qui ont regroupé dans une « large union » tous les éléments nationaux, « y compris la droite extrémiste« . Cette organisation a eu des contacts « militaires« . Et se préparait pour une « action militaire » avant l’investiture du général de Gaulle. Elle reste encore « camouflée« . Elle a pour nom : « Comité lorrain de rénovation nationale » parce que « le terme Comité de Salut Public semble inspirer des craintes » (sic). Son président est l’ancien chef départemental F.F.I., le colonel de Préval. Le préfet a été activement favorable (en mai 1958). Les réactions des syndicats F.O., C.F.T.C., « voire même C.G.T. « , sont « excellentes« . La population, « froide« , est « gaulliste dans ses profondeurs« . Donc tournée vers Paris. Alger ne sera pris en considération que si « patronné ou recommandé par l’entourage du général de Gaulle« .
A Strasbourg, la position du gouverneur militaire, le général de Coullange, est très favorable au 13 mai. Il y a des problèmes locaux, les « Malgré nous », et le cas Pflimlin ; mais le C.S.P. d’Alger ne sera admis que sur « confirmation solennelle du général de Gaulle« . Il y a localement un C.S.P. régional « formé dans la clandestinité, par et autour de républicainssociaux se réclamant de l’investiture du général« . Le préfet Cuttoli est « prudemment favorable« . Il avait été secrétaire général du Gouvernement général en Algérie.
En conclusion, les envoyés regrettent d’avoir été obligés de laisser de côté de nombreuses villes et d’avoir manqué de « moyens de renseignements« , sauf à Strasbourg. Il ressort de leur enquête que l’idée de C.S.P. est « étrangère, voire déplaisante« , pour des gens férus d’ordre et de discipline. Que la population est d’un « gaullisme conformiste« . Qu’Alger ne peut travailler que s’il y a des contacts avec l’entourage du général de Gaulle. Enfin que, pour une région très industrielle, « la réaction communiste » a été jugée « très faible » avant l’investiture du général de Gaulle.
En annexe du rapport figure la liste des points de contact en 6ème région. Pour Strasbourg, outre le général de Coullange, André Bord. Pour Colmar, Monsieur Borocco, imprimeur à Colmar. Pour Nancy, Maître Souchal. Ces trois hommes seront élus députés U.N.R. en novembre 1958 et réélus en 1962. Souchal, en désaccord sur la politique algérienne, quitta momentanément le groupe gaulliste en 1960-61 (Coston, tome 1).
André Bord Edmond Borocco Roger Souchal
7ème région militaire : Dijon, Nevers
La tournée dure cinq jours (12-17 juin). Le rapport n’est pas signé. Les notations sont brèves. Le périple commence à Lyon où les envoyés sont reçus par le général Descours et le capitaine Manillat. Descours est complètement dans le coup. Pour de Gaulle à fond. A Dijon, de nombreux contacts avec le général Simon qui suit la ligne Descours. Le colonel Mignotte (s’il a l’adhésion du préfet Maurice) prendrait la tête du C.S.P. pour la 7ème R.M.. Le colonel Prat, adjoint au maire de Dijon, suivrait également, mais à condition de ne pas être coiffé par le C.S.P.. L’intendant général Champagne (anciens combattants) a, lui aussi, peur d’être évincé par le C.S.P.. De plus, il est très âgé. Ce qui n’est pas le cas du président de Rhin & Danube, Maillard, à fond pour le C.S.P. , comme l’inspecteur des finances Rezel.
Dijon est jugée comme une ville bourgeoise, vautrée dans son confort. La population est pour nous à 80% (ouvriers en majorité). Les communistes ne sont que 5% mais ils s’organisent rapidement. L’armée pour nous à 100% ; le général de Widerspach-Thor est sorti de sa réserve. Mais nos amis ne veulent pas d’étiquette C.S.P. et pas de parti unique. A l’université (3500 étudiants), la Médecine est gaulliste mais le Droit est de gauche.
A Besançon (fief du député Minjoz, socialiste), la ville est franchement hostile. Il y a des comités C.S.P., mais clandestins. Besançon doit être laissé de côté. Montbéliard s’en occupe activement. Des contacts intéressants avec les militaires – Belfort avec nous à 100%. A Montbéliard, Pameyer, conseiller national des Anciens Combattants de l’Union Française (A.C.U.F.) a créé un C.S.P. En contact avec la sous-préfecture, la police, les usines Peugeot, la C.F.T.C. et des antennes à la C.G.T.
A Nevers (fief de Mitterand), le colonel Delorme n’est pas très chaud mais est intéressant pour les musulmans. Jean-Marcel Narquin, délégué régional du R.P.F. est mentionné rapidement. Il sera ensuite dans l’appareil de l’U.N.R., élu en 1968 dans la 1ère circonscription du Maine et Loire. Une position solide qu’il laissera en 1988 à sa fille ,Roselyne Bachelot. La population est favorable. Elle est déçue par Mitterrand qui a pactisé avec les communistes. Il est à noter que Mitterrand sera battu aux élections de novembre 1958. Ce qui confirme cette information. Les ouvriers de Nevers sont à 80% pour de Gaulle. Dans les usines, des gaullistes partout. Jean-Marcel Narquin A Saint Benoist d’Azy, le C.S.P. de la Sorbonne ( ?) aurait 60 officiers sympathisants. A Bourges, ville plus militaire que civile, la population est acquise et pas de grève ouvrière. A Vierzon, (gare SNCF importante), la population est entre les mains des militaires. Il semble bien que ce sont les militaires qui ont fourni aux envoyés leurs informations (et notamment les pourcentages) qu’ils donnent succinctement. Mais impossibles à vérifier.
1ère région militaire : Paris
Les envoyés d’Alger sont Armand Perrou et El Madhaoui déjà signalés (voir n°19 du bulletin des A.R.S., page 14). Ils sont arrivés à Lyon le 15 juin 1958 (date approximative) au soir et ont été réceptionnés par le capitaine Manillat au nom du général Descours. El Madhaoui fait allusion à sa mission concernant les nord-africains mais il n’en est plus question par la suite. Le lendemain, il y a des réunions de travail où ils sont accompagnés par deux camarades d’Alger, MM. Montigny et Roux qui les quittent. Ce sont vraisemblablement eux qui sont partis en 7ème région militaire. On leur présente le président du C.S.P. De Lyon et on leur apprend qu’un « mouvement national du 13 mai » dirigé par le général Chassin a été lancé ; ce
qui les inquiète. Le capitaine Manillat leur conseille d’aller à Paris pour le rencontrer. Ce qu’ils font le lendemain mais ils arrivent à Paris un samedi et les contacts sont impossibles. Ils se rendent alors à Rouen où Perrou connaît un ancien résistant ; il leur apprend qu’il y a « un réseau d’hommes décidés à l’action » mais gêné par Delbecque qui monte des C.S.P. à Rouen at au Havre en rapport avec Chaban. Retour à Paris où les envoyés du C.S.P. d’Alger rencontrent Georges Sauge qui dirige l’organisation « Force psychologique » en rapport avec l’armée et leur donne l’adresse et le téléphone du général Chassin que finalement ils trouvent rue de Lille au local du groupe « Paysans ». Après discussion, Madhaoui écrit dans son rapport que le général a « une notion très floue de l’intégration » et qu’il est loin de contrôler son mouvement. Autre rencontre avec Pierre Faillant (plus tard de Villemarest) qui travaille à l’Agence France Presse et qui est à la tête
El Madaoui est vice-président du Comité de Salut Public d’Alger
du « comité national de résistance à la désagrégation de la France et de l’Union Française ». Au début, méfiant mais rassuré quand il voit leurs ordres de mission, Faillant leur révèle « les intrigues de Paris ». El Madhaoui sait que Delbecque est à Paris et, avec Perrou, il décide de le voir ; après bien des difficultés, ils décident de se rendre à l’Assemblée Nationale, au local des républicains sociaux où se trouve Neuwirth, Béraudier (de Lyon) et ils apprennent qu’il est question de créer un « comité national du 13 mai ». Mais il faut trouver un président. Les deux hommes voient Soustelle sortir d’un bureau et croient reconnaître Delbecque mais c’est une erreur. La plongée des deux hommes d’Alger dans les milieux politiques continue par une réunion le 18 juin au local du groupe » Paysans » où il y a le docteur Lefèvre avec d’autres personnes qui leur sont inconnues. Le docteur leur présente sa liste (qu’ils désapprouvent comme cela a été raconté précédemment). On leur conseille de prendre un local à Paris (le colonel Gardes peut s’en occuper). Dans la foulée, ils apprennent qu’il existe un autre « comité national », en liaison avec le cabinet du président du Conseil (De Gaulle) ; on y trouve Bourgoin. Un comité que Delbecque, qui est parti pour Alger, veut faire accepter par le Comité de Salut Public d’Algérie et du Sahara. Perrou et Madhaoui décident alors de regagner Alger. C’est le rapport de Madhaoui qui relate en détail et souvent ironiquement tous ces grenouillages et la confusion régnant à Paris.
Le rapport de Perrou est plus sobre et on y trouve, mais sous une forme différente les informations de Madhaoui.
Pour Perrou, on se trouve en France devant « neuf pyramides (de comités) » dont les têtes sont en liaison avec Alger mais « sensibles aux événements de Paris », les comités sont pour la plupart « clandestins » à cause de l’incertitude et de l’ambiguïté de la situation politique ». Au-dessus des « têtes » des pyramides, il n’y a rien sauf « très haut, le général de Gaulle ». Il y a bien Alger, mais difficilement admis comme un chef donnant des ordres. Car la capitale de la France « reste Paris ». Pour Perrou, il est urgent de créer un comité national, synthèse de « l’idéal du 13 mai » et des « volontés métropolitaines » pour obtenir l’adhésion des 60% du corps électoral qui n’est pas une masse « amorphe » mais a été trop souvent « bafouée ». Perrou va proposer en deux pages un essai d’organisation (très complexe) des dits comités. En suggérant d’en écarter ceux qui ont des attaches avec des partis politiques, des groupes bancaires (précisant Lazard, Rothschild, protestants), une société secrète (la synarchie) ou un groupe étranger. On retrouve là l’idéologie des éléments les plus droitistes du 13 mai. Il faut, sous l’autorité du général de Gaulle, réussir « l’intégration des âmes ».
Perrou met en garde contre ceux qui montent des manœuvres pour noyauter ou coiffer le comité national :
- Les poujadistes. Il dénonce en trois temps une opération « Poujade » (déjà analysée) menée par le docteur Lefèvre en liaison avec ses camarades d’Alger, Ortiz et Goutailler.
- Les républicains-sociaux « les plus intelligents et par conséquent les plus dangereux » avec une « aile marchante droite de Léon Delbecque en relation avec le réseau Marie Madeleine (Fourcade n’est pas précisé) et une aile marchante de gauche avec ChabanDelmas, son organisation et ses troupes de choc. Point de rencontre les colonels Duperier (ancien P.S.F. , il sera député U.N.R. de Paris de 1962 à 1967) et Bourgoin. Le but est, avec « la bénédiction d’Alger et l’accord tacite du général de Gaulle », la création d’un mouvement d’où sortira un parti politique dont le secrétaire général sera Léon Delbecque. Qui dispose d’un cabinet bien fourni avec chauffeur, garde du corps, un adjoint (Ribaud). Ce mouvement, qui aura « la bénédiction d’Alger et l’accord tacite du général de Gaulle », deviendra ensuite « un parti politique » (est-ce l’amorce de l’U.N.R. ?). Dans le cabinet Delbecque, il y a des affectations précises. Perrou donne les noms Laquière (Jacques) et Vinciguerra pour les missions en France, de Neuwirth et Lalanne pour l’information, de Claude Dumont (l’adjoint pour la sécurité du colonel Godard après le 13 mai), de Muller (un professeur qui avait monté un groupe de professeurs pro-Algérie française) adjoint de M. Regard (plus tard dans l’O.A.S.) haut fonctionnaire à Alger. Certaines de ces personnalités quitteront plus tard le gaullisme et se retrouveront dans l’O.A.S. (comme Dumont et Lalanne).
- Les autres mouvements « sans importance politique », Bidault, le M.P.13 de Chassin qui « n’a aucune ambition personnelle », des amis comme Gignac mais aussi des comploteurs professionnels comme les docteurs Martin ou Queyrat.
Ce rapport Perrou, à situer dans son contexte, apparaît comme l’un des plus sérieux quant à l’analyse des forces politiques en juin 1958. El Madhaoui avait, lui aussi, proposé sa propre grille politique, moins sérieuse mais sincère. Pour lui, il y avait en France des « nationaux » dont les éléments les plus durs « les voltigeurs » voulaient « culbuter le système ». Le gros de la troupe des suivra s’il existe un mouvement coordonné et organisé. Ce qui décidera les « traînards » nombreux pour qui « Salut
Léon Delbecque Public = Révolution ». Mais « ils se mettront dans le Bernard Duperier bain par peur du communisme ». Enfin, les « communards » (sic) qui ne seront plus dangereux « si nous savons nous y prendre ». El Madhaoui conclut sur une suggestion : un mouvement appelé « Rénovation Nationale » avec en profondeur des Comités de Salut Public ; les deux travaillant en collaboration.
Pour conclure
Dans les archives, il y a une fiche de deux pages ni datée, ni signée à l’attention du général Salan. Objet : Analyse des rapports établis à la suite des missions en France effectuées par divers membres du Comité de Salut Public Algérie-Sahara suivant « les consignes reçues avant leur départ d’Alger ».
Les conclusions sont les suivantes :
- la majorité des Français comprend le mouvement d’Alger et l’esprit du 13 mai et fait confiance au général de Gaulle pour une réforme des institutions.
- Il y a une campagne pour un « regroupement national au service du général de Gaulle » de divers partis et mouvements qui ne sont pas suivis « pour des raisons diverses » d’où « une certaine confusion dans les esprits ».
- Trois blocs existent dans l’opinion : • le parti communiste et son organisation
- les éléments possibles d’un front populaire
- les nombreux mouvements nationaux et ceux de la droite qui s’opposent « en désordre » au P.C. et à un éventuel front populaire.
La fiche conclut sur le souhait d’un Comité « lequel serait à mettre sur pied » à faire approuver par le général de Gaulle. Ce qui entraînerait l’adhésion de « nombreux attentistes » avec l’esprit du 13 mai et le but : « un gouvernement de Salut Public ». Un souhait : son lancement le plus vite possible avec des moyens puissants. On voit que tout cela ressort d’un vœu pieux.
La fiche ne souligne pas ce que les rapports ont mis en évidence. Par exemple que le terme « Comité de Salut Public » fait manifestement mauvais effet. L’esprit du 13 mai ne souffle pas en métropole, une métropole qui supporte la guerre d’Algérie plus qu’elle n’y adhère réellement, à part dans ses minorités. Ce qui est évident aussi, c’est qu’il y a une concurrence électoraliste évidente entre les organisations « Algérie Française » et, sur ce terrain, les gaullistes sont très en avance.
A noter que le général de Gaulle bénéficie d’un soutien incontestable (avec ça et là des réticences).
N’oublions pas que ces rapports sont de bonne foi mais les « missionnaires » ont eu trop peu de temps pour analyser complètement la situation et, ignorant le terrain, ils ont dépendu de leurs informateurs.
Il y a alors bien des illusions qui seront suivies de…désillusions.
_________________________
Henri Yrissou
Henri Yrissou est né le 15 mai 1909 à Nîmes. Il est le fils
d’Edouard Yrissou et de son épouse, née Anna Romanet. Il fait ses études au lycée de La Rochelle, à la faculté de droit de Poitiers où il obtient une licence en droit et un diplôme d’études supérieures de droit public et de droit privé. Surnuméraire des contributions directes et de l’enregistrement en 1928, il est inspecteur des finances en 1937. Sous-directeur au ministère des finances en 1942, il est intendant puis secrétaire général pour les affaires économiques de la région de Limoges à partir de 1942. Sa compétence s’étend à cinq départements de la zone Sud : Haute Vienne, Indre, Creuse, Corrèze et Dordogne, ainsi qu’à trois partie de départements divisés par la ligne de démarcation : Cher,Vienne et Charente. C’est là qu’il connaît Chérif Mécheri qui sera le premier musulman nommé préfet en France, à Limoges, en février 1944.
Engagé dans la résistance tout en conservant ses fonctions dans l’administration, Henri Yrissou assume des responsabilités au sein de ce qui est devenu peu après la SAP 5 (Section Atterrissage et Parachutage). Secrétaire général aux affaires économiques, il s’attache à camoufler les stocks de matières stratégiques ou à les utiliser au profit des populations et, tout autant, à saboter le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire) en plaçant le maximum de jeunes dans la campagne limousine où beaucoup rejoindront le maquis. A la libération, ces activités valent à Henri Yrissou la médaille de la Résistance.
Après la libération, Henri Yrissou fait un court séjour à Toulouse où il relance l’activité économique avant de rejoindre, à Paris, le service des Inspecteurs Généraux de l’Economie nationale. En 1947, directeur des services économiques de l’Afrique du Nord, il est nommé président du conseil d’administration des Houillères du Sud-Oranais. Son intérêt pour les mines de Kenadza et le sort de ses mineurs ne se démentira pas jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, en 1962.
En 1950, Henri Yrissou prend la direction du cabinet d’Antoine Pinay, ministre des travaux publics et des transports dans les cabinets Pleven 1 de juillet 1950 à mars 1951, Queuille de mars à août 1951, Pleven 2 d’août 1951 à janvier 1952, et Edgar Faure de janvier à mars 1952. Quand Antoine Pinay devient président du conseil, le 8 mars 1952, Henri Yrissou reste son directeur de cabinet, et ce jusqu’au 8 janvier 1953, date de la chute du cabinet Pinay. C’est sur les conseils de Vincent Bourrel, proche de Paul Reynaud et ancien inspecteur général de l’économie nationale, qu’Antoine Pinay avait fait appel à Henri Yrissou en 1950.
En 1952, Henri Yrissou est appelé au conseil d’administration de la S.N.C.F. où il restera jusqu’en janvier 1959. En 1953, il devient administrateur du Bureau d’organisation des ensembles industriels africains.
Quand Antoine Pinay est appelé au ministère des affaires étrangères par Edgar Faure en février 1955, il confie de nouveau la direction de son cabinet à Henri Yrissou. C’est à ce poste qu’il participe, en septembre 1955 à une mission avec le général Catroux, en contrepoids à ce dernier, à Antsirabé (Madagascar) où avait été exilé Sidi Mohamed Ben Youssef après sa déposition du sultanat du Maroc. Les accords d’Antsirabé – très controversés en France – tendant à mettre sur pied un gouvernement marocain représentatif devant conduire progressivement le Maroc au statut d’état moderne et démocratique, instituait un conseil du trône et impliquait un engagement de Mohamed Ben Youssef à renoncer à toute activité politique. Le conseil du Trône est constitué le 15 octobre 1955, au lendemain d’un voyage
L’Aurore du mardi 6 septembre 1955
La Celle Saint Cloud : Antoine Pinay, Sidi Mohamed Ben Youssef
Debout, au milieu : Henri Yrissou
éclair d’Henri Yrissou à Rabat. Mohamed Ben
Youssef arrive le 31 octobre à Nice où il reçoit la visite d’Henri Yrissou et les accords, qui ouvrent la voie à son retour au Maroc, à sa réinstallation sur le trône sous le nom de Mohamed V et à l’indépendance du Maroc, sont signés à La Celle Saint Cloud au tout début de novembre.
Edgar Faure dissout l’assemblée nationale le 30 novembre 1955 et les élections du 2 janvier 1956 voient la victoire du « Front Républicain » qui conduit à la formation d’un cabinet Guy Mollet, le 1er février 1956.
Henri Yrissou est candidat dans le Tarn sous l’étiquette « Indépendants et Paysans » aux élections législatives de 1956, élections à un tour dont le mode de scrutin prévoit la possibilité d’apparentements. Il n’est pas élu mais réalise un score tout à fait honorable.
Il consacre une part substantielle de son temps aux mines de Kenadza. Le 10 juillet 1956, à l’occasion de la pose de la première pierre de la nouvelle centrale thermique de Colomb-Béchar par Robert Lacoste, Ministre résidant en Algérie, Henri Yrissou, président du conseil d’administration des mines du Sud-
Oranais, prend la parole. Il insiste sur le caractère audacieux de la construction de cette centrale aux confins de l’Algérie, du Maroc et du Sahara et rend hommage aux 3000 employés, mineurs et ouvriers de la mine de Kenadza qui voient s’ouvrir un nouveau débouché pour le charbon extrait de la mine, débouché susceptible d’assurer
sa pérennité remise en question par certains
étant donné son coût d’extraction. Elections législatives du 2 janvier 1956
Inauguration en 1942 d’un tronçon du Méditerranée-Niger
Sur la gauche, la locomotive à vapeur de la ligne de Colomb-Béchar à Kenadza
Henri Yrissou a également l’occasion d’accueillir le général de Gaulle à Kenadza, lors d’un voyage privé de celui-ci au Sahara en mars 1957.
Le 20 avril 1958, il est élu, au premier tour, conseiller général du canton de Gaillac.
Le 22 mai 1958, Henri Yrissou accompagne Antoine Pinay à Colombey les deux Eglises pour un entretien avec le général de Gaulle, étape importante du processus de retour au pouvoir de celui-ci.
Le 1er juin 1958, Antoine Pinay fait partie du cabinet Charles de Gaulle en tant que ministre des finances ; du 3 au 9 juin, il exerce en outre les fonctions de ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme et du ministre de l’Agriculture ; à partir du 23 juillet 1958, Antoine Pinay est ministre des finances et des affaires économiques. Henri Yrissou est son directeur de cabinet. Il joue un rôle important dans le choix des personnalités membres de la commission, appelée Commission Rueff, qui doit proposer un plan ambitieux de réforme économique et financière et dont les travaux débutent le 30 septembre 1958. Le plan « PinayRueff » est présenté le 18 novembre au général de Gaulle.
Cependant, déjà inquiet quant à la politique
du général de Gaulle en Algérie, Henri Yrissou se présente à Gaillac aux élections législatives des 23 et 30 novembre 1958 sous l’étiquette « Indépendants et Paysans d’Action Sociale »(I.P.A.S.). Il est élu devant le candidat socialiste, le candidat gaulliste U.N.R. s’étant maintenu au 2ème tour. A l’assemblée nationale, jusqu’à la fin de la législature, Henri Yrissou, est membre de la commission des finances, de l’économie
générale et du plan. Il est également membre de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi portant séparation du culte musulman et de l’état, membre de la commission chargée d’examiner la proposition de résolution tendant à requérir la suspension de la détention d’un membre de l’Assemblée (Pierre Lagaillarde). Il est le rapporteur sur les projets de loi de finances (finances et affaires économiques, charges communes) des années 1960, 1961 et 1962. Il dépose deux propositions de loi, l’une relative à la réglementation de diverses manifestations commerciales, l’autre tendant à modifier les articles 318 et 321 du Code général des impôts relatifs aux distillations effectuées par les bouilleurs de cru ou pour leur compte. Ses interventions concernant l’ Algérie sont notables et ont un leitmotiv : promouvoir le développement économique et social de l’Algérie et du Sahara au profit de tous ses habitants par la paix française, l’indépendance ayant des conséquences désastreuses à cet égard :
- le 10 juin 1959 (réalisation d’une intégration sincère, révolution nécessaire à la création d’une Algérie nouvelle, respect de la religion des musulmans)
- le 21 novembre 1959 (Houillères du Sud-Oranais)
- le 7 décembre 1960 (nécessité d’éviter la République algérienne et de revenir à l’intégration)
- le 8 novembre 1961 (observations sur le refus de l’association par la rébellion, la régression qu’entraînerait le dégagement, le maintien nécessaire de l’Algérie dans la République)
Profession de foi d’Henri Yrissou aux élections législatives des 23 et 30 novembre 1958
____________________________
Extraits d’interventions d’Henri Yrissou sur l’Algérie à l’Assemblée nationale
10 juin 1959
10 juin 1959 (suite)
10 juin 1959 (suite)
10 juin 1959 (fin)
7 décembre 1960
8 novembre 1961
8 novembre 1961 (suite)
8 novembre 1961 (suite et fin)
Après l’indépendance de l’Algérie, le 5 octobre
1962, une majorité de l’assemblée nationale (280 députés, dont Henri Yrissou, sur un total de 480) vote une motion de censure à propos de la procédure référendaire retenue par le gouvernement pour la modification de la constitution instituant l’élection du président
de la République au suffrage universel. Le gouvernement Pompidou est renversé. L’assemblée est dissoute le 10 octobre. Les élections législatives ont lieu les 18 et 25 novembre 1962. Henri Yrissou est de nouveau candidat dans sa circonscription du Tarn (il avait été élu à la mairie de Gaillac aux élections municipales des 8 et 15 mars 1959 et en restera le maire jusqu’en 1977). Bien qu’arrivé largement en tête au premier tour, le candidat U.N.R. arrivé 4ème se maintient au 2ème tour et donne le siège à un socialiste.
Réintégré dans les cadres de l’Inspection des Finances, Inspecteur général des Finances en 1963, Henri Yrissou est admis à la retraite en 1971 et nommé Inspecteur général des finances honoraire. De 1971 à 1982, il est président-directeur général du Crédit Naval. De 1974 à 1986, il est administrateur de la compagnie navale Worms.
Toujours attentif à la vie politique française, après une intervention du président Chirac qui, en avril 1998, dénonçait dans le Front National une organisation raciste et xénophobe, Henri Yrissou et cinq autres personnalités médaillés de la Résistance, Jean-Baptiste Biaggi, Jean-Charles Bloch, Nicole de Boisguibert, Michel Carage, Albert Chambon et, également, Jean-François d’Orgeix écrivent une lettre ouverte au président de la République dans laquelle ils prennent la défense du Front National dont ils disent qu’il est faux de le taxer de Racisme et de Xénophobie et injuste de le diaboliser et de l’exclure ainsi de la vie politique nationale.
Henri Yrissou s’est éteint le 21 juin 2009, quelques semaines après son centième anniversaire. La messe de funérailles a été célébrée le 25 juin en l’Eglise Saint Eugène-Sainte Cécile. L’association des Amis de Raoul Salan y était représentée par son président.
Herni Yrissou était Commandeur de la Légion d’honneur, décoré de la croix de guerre 1939-1945 avec palme et de la médaille de la résistance ; il était également commandeur des Veterans of Foreign Wars et titulaire de plusieurs autres décorations étrangères.
Principales références :
- Who’s Who 1955, 1965 et 2009
- Dictionnaire biographique des préfets, 1870-1982, pp. 390-391, Archives Nationales, 1994
- Le patriotisme des Français sous l’occupation, Dossier établi par F.G. Dreyfus, pp. 283-293, Editions de Paris, 2000
- Christiane Rimbaud, Pinay, 473p. , Perrin, 1990
- L’Année Politique 1955, pp. 269, 270, 297, 299, Presses Universitaires de France, 1956
- Comptes rendus des débats de l’assemblée nationale, Ve République, 1ère législature, publiés au Journal Officiel de la République française
Henri Yrissou et son épouse toujours fidèle aux assemblées générales, ont été parmi les premiers adhérents de notre association.
Madame Yrissou a confié à l’association deux documents écrits par son mari :
- l’un sur ses rencontres avec le général de Gaulle
- l’autre est une réflexion sur le siècle écoulé qu’il a tenu à partager avec sa famille et ses amis à l’occasion de son centième anniversaire
Nous lui en savons fort gré. Ces deux documents figurent tels quels ci-après.
Témoignage sur DE GAULLE
Par Henri YRYSSOU, Inspecteur général des Finances (H), Vice-président des anciens députés (H), Directeur du cabinet d’Antoine Pinay dans tous ses ministères et à la Présidence du Conseil.
Le 13 décembre 1956, après l’échec de Suez, après avoir fait le tour des hommes politiques, je suis allé voir de Gaulle rue de Solferino. Rendez-vous pris par Guichard, accordé aussitôt. Comme Président des Houillères du Sud Oranais, au titre de l’Etat, je voulais parler à De Gaulle de l’Algérie, du pétrole, du gaz qui venaient d’y être trouvés et qui donnaient à la France son indépendance énergétique. Parler des populations qui n’attendaient qu’une ferme direction de la Métropole pour les départements d’Algérie, départements français couverts par les traités internationaux. Mes titres de guerre, Légion d’Honneur, Croix de guerre avec palmes, Médaille de la Résistance me valurent un accueil attentif et cordial d’un homme qui ne semblait plus croire à la possibilité d’agir : « J’ai voulu donner une constitution à la France, j’ai échoué. Créer un parti, le RPF. Vous savez mieux que quiconque comment il a éclaté au profit des Indépendants Pinay. On m’avait dit d’aller à l’Etoile pour l’anniversaire de la Victoire, que le peuple de Paris serait là pour m’acclamer. Le peuple de Paris n’était pas là ». 3ème échec. Je fus sidéré de voir qu’il mettait sur le même plan la Constitution, le parti et la foule. Puis, je lui demandai de venir voir sur place, à Colomb Bechar, pourquoi il fallait garder l’Algérie française, dans l’intérêt de l’Algérie et de la Métropole, dans l’intérêt des populations. Il accepta. Et au printemps 1957, il est venu. Je l’ai accueilli devant les troupes, devant les mineurs de Kenadsa. Nous avons fait des discours l’un pour l’autre, et en tête à tête, il m’a dit : « Tout cela, vous avez raison, il faut le garder. Sans cela, la France n’aurait plus son poids dans le monde. Nous le garderons, par la ruse et la ténacité ».
J’ai su plus tard par Robert Lacoste, qu’il disait le contraire à Mendès France, à la même époque…. Adenauer lui faisait espérer la Présidence de l’Europe si la France se débarrassait de l’Algérie…
En 1958, quand les événements de Mai se produisirent, je ne pouvais imaginer, comme tant d’autres, qu’en tête à tête, devant une réalité si évidente, De Gaulle pouvait mentir aussi cyniquement.
Le 22 mai 1958, j’ai emmené Pinay à Colombey, et les socialistes avec Guy Mollet ont suivi 8 jours après. La suite, hélas ! Nous ne la connaissons que trop. J’ai eu souvent l’occasion de m’en entretenir avec Léon Delbecque, Jacques Soustelle, Georges Bidault, et tant d’autres que je retrouvai au Comité de Vincennes comme Député du Tarn, élu aux législatives malgré la campagne des gaullistes contre moi. Dans la presse, dans de nombreuses conférences en des milieux divers –à l’une d’elles assistait au premier rang le Général Salan-, à l’Assemblée nationale, je n’ai cessé de défendre l’Algérie française. J’ai fait voter la motion dite Moatti, mais conçue et rédigée par moi, par une majorité écrasante de députés. Cette motion devait être présentée obligatoirement par un membre de la commission des Lois, or j’appartenais à la commission des Finances. Elle exprimait la volonté absolue de maintenir l’Algérie française.
En 1962, toute la force de l’Etat s’est employée sur ordre de l’Elysée, de Messmer, etc. pour me faire battre de quelques voix. Des menaces couraient « Il faut tuer Yrissou politiquement, mais aussi physiquement ». Nous avions soin de placer notre enfant, né en 1957, dans une chambre loin de la porte d’entrée car nous craignions le dépôt d’une bombe. Téléphone écouté, nous en eûmes la preuve, visite des services spéciaux gaullistes, et.
Or tout s’est joué lors de l’affaire algérienne, c’est-à-dire la décadence de la France sur tous les plans, mai 1968 qui a vu l’effondrement de toute une civilisation, l’inversion des valeurs, aujourd’hui le désastre avec l’immigration invasion, le développement du terrorisme mondial avec un Islam redevenu conquérant, le mea culpa permanent d’une France qui a honte de son histoire et d’elle-même dans un comportement suicidaire.
Le jugement de l’Histoire sera sévère.
_________________________
Henri Yrissou, Inspecteur général des Finances (H), Vice-président des anciens députés (H), directeur du cabinet d’Antoine Pinay dans tous ses ministères et à la Présidence du Conseil, le jeudi 14 mai 2009 … pour ses cent ans ( † 21 juin 2009)
Mes chers amis,
Oui, j’ai traversé le siècle. Et quel siècle! Merci d’abord pour votre présence qui me touche infiniment. Le XXe siècle restera dans l’Histoire comme l’un des plus tragiques, des plus monstrueux ! La 1&ère guerre d’abord, la guerre civile européenne, responsables au premier chef de la décadence que la 2ème guerre, celle de 39-45 a parachevée. La barbarie a repris possession du monde, avec les deux visages d’Hitler et de Staline.
J’ai vu partir les soldats, en 1914. J’ai connu et vécu les suites de ce qui était pourtant une victoire. La crise de 1929, que nous vivons à nouveau aujourd’hui, aggravée, car mondiale, a pesé lourdement sur le peuple français. J’ai du beaucoup travailler pour assumer mes études, franchir les concours, parvenir à l’Inspection des finances. Avec des accidents de santé sérieux, puisqu’ils m’ont empêché de préparer d’abord Polytechnique. J’avais vu, en 1936, les grèves dans les usines d’armement, alors que l’Allemagne travaillait nuit et jour, et je déplorais l’aveuglement du gouvernement français de l’époque.
Vint la guerre de 1939. J’ai fait alors résilier l’interdiction médicale, alors que j’étais au cabinet de Paul Reynaud, pour suivre une instruction militaire et partir à la guerre comme ceux de ma classe d’âge. Je fus envoyé pour cela en Algérie et découvris alors ces départements français. L’armistice est intervenu et j’allais partir pour l’Angleterre afin de continuer la guerre contre les nazis avec plusieurs camarades. Le choc de Mers el Kébir a brisé notre élan et nous avons rejoint la zone libre pour lutter d’une autre façon, qui se présenta très vite. Je n’entrerai pas dans le détail de mon action qui fut couronnée dès al fin de la guerre par la Légion d’honneur aux deux titres, militaire et civil, et par la médaille de la Résistance, accompagnée de la Croix de guerre avec palmes.
Tout était à reconstruire en France après le désastre de la défaite et de l’occupation. C’est ainsi qu’en 1951 j’entrais au cabinet du Ministère des Travaux Publics comme directeur près d’Antoine Pinay. Au titre de l’Etat, j’ai présidé en même temps les Houillères du Sud Oranais. 3000 ouvriers Douï-Menia que nous avons sortis du désert pour leur assurer une vie active et le développement de leurs familles. J’avais fait appliquer le statut de mineur, comme en métropole. Leur reconnaissance et leur confiance m’ont toujours beaucoup ému. Quand je fus plus tard élu député, ils m’ont offert une montre : »Les mineurs du Sud Oranais à leur président« . Cette montre, je l’ai présentée à Molotov, ministre des Affaires étrangères de l’U.R.S.S., lors d’un dîner officiel à New York avec quelques commentaires pour l’instruire. Jules Moch était présent et m’approuvait… J’ai prescrit à la même époque les recherches aériennes de pétrole au Sahara. On sait le résultat et la suite…
En 1952, ce fut la présidence du Conseil et le redressement économique et financier bien connu sous le nom « d’expérience Pinay ». J’ai participé à tous les ministères d’Antoine Pinay comme directeur de cabinet, aux Affaires étrangères particulièrement, où j’ai défendu la politique de la France aux Nations Unies, dans l’affaire marocaine et toutes les questions internationales. En 1958, les événements politiques me conduisirent, après mes rencontres en tête à tête avec De Gaulle, à passer sur le plan parlementaire pour défendre mes idées et mes combats dans l’intérêt de la France. J’avais été élu maire de Gaillac, conseiller général du Tarn, l’année précédente. Mon premier souci fut de restaurer le vieil hôpital avant d’en créer un nouveau. Et de faire des égouts, car rien n’avait été organisé sur ce plan depuis l’occupation anglaise de la Guerre de Cent ans! Ces mandats, qui m’ont donné beaucoup de satisfaction, ont duré vingt-cinq ans.
La lutte politique fut dure, et les déceptions aussi ! Le climat du siècle inversait toutes les valeurs, le bien devenait le mal, le laid prenait la place du beau, la lâcheté remplaçait le courage, oui, un triste siècle que ce XXe siècle.
1968 est une autre date symbolique, l’effondrement de toute une civilisation qui ne sait plus maintenant que s’accuser, s’excuser, supprimer tous les feux rouges sans lesquels il n’y a plus que le chaos ouvert à toutes les barbaries.
Aujourd’hui, la plupart de mes amis ont disparu. Ils n’ont vu que le début du désastre. Je les évoque dans ma pensée lors de mon 100ème anniversaire.
Je veux rendre un hommage particulier au grand professeur Georges Cerbonnet dont la famille est ici. Membre des deux Académies de Médecine et de Chirurgie, il adonné son nom à une aile de l’Hôtel-Dieu après avoir sauvé tant de malades. Je lui dois d’être encore là. J’en profite pour remercier celles et ceux qui font de leur mieux, dans des conditions difficiles, pour atténuer les malheurs du grand âge dont j’ai parfaitement conscience et qui fait partie de la terrible condition humaine.
Et je termine en disant à mon épouse qui m’apporte depuis 54 ans le plus précieux des soutiens, et à nos enfants, Pascal et Florence, que leur amour a illuminé ma vie et me donne le courage qui fait défaut, parfois, au centenaire que je suis.
Et puis, 1909 a été l’année de la béatification de Jeanne d’Arc par le pape Pie X. Elle a attendu plusieurs siècles. Donc il ne faut jamais désespérer !
Henri Yrissou
Voir pp. 17 et 18 du numéro 19 du bulletin des Amis de Raoul Salan
Ministre des anciens combattants depuis le 9 juin 1958