Bulletin 17

Bulletin 17

Nos adhérents ont publié

Disparition / Le préfet P. Bolotte

L’Algérie en mai 1958 par Jean-Paul Angelelli

Le lieutenant colonel Jeanpierre   /  Sa mort le 29 mai 1958

Biographie sommaire  / Pierre Lagaillarde

Nos adhérents ont publié

Excellent titre que « Les chemins de traverse » pour cet ouvrage autobiographique d’André Galabru. André Galabru ne fait rien comme tout le monde. Il entre à Saint-Cyr en 1960 et en sort, avec la promotion « Vercors » à l’été 1962, au pire moment pour un jeune homme ayant choisi le métier des armes dans l’armée française. Son parcours le conduira, après avoir rapidement quitté l’armée, dans un kibboutz près de la frontière égyptienne, à Québec où il goûtera de la prison lors de la venue de De Gaulle, à Sorèze, à Montréal puis à la Réunion comme professeur de philosophie. Il sera par la suite visiteur médical et deviendra délégué C.G.T. du laboratoire qui l’a embauché tout en se présentant comme tête de liste du Front National aux élections municipales d’Albi. André Galabru : un homme libre.

                                                                                                                                                                                                   192 p.   Autoédition, chez l’auteur, 4 bd de Strasbourg, 81000 Albi

Georges Dillinger, le professeur Georges Busson, le dernier des grands géologues sahariens selon André Rossfelder qui a écrit la préface – percutante – de cet ouvrage, a réuni, coordonné et complété les chroniques parues dans « Veritas » de 2005 à 2007. Et le résultat en est le réquisitoire le plus rigoureux contre ceux qui falsifient l’histoire de l’Algérie française et ceux qui colportent ces mensonges.

Georges Dillinger, s’appuyant sur sa grande culture historique, remet le débat à son vrai niveau et rectifie de nombreuses idées fausses, dont certaines finissent parfois par être acceptées, par imprégnation ou par lassitude, par ceux-là mêmes qui ont défendu l’Algérie française. Un ouvrage indispensable pour structurer notre pensée sur l’Algérie française.

243 p.    Atelier Fol’fer, Collection Xenophon,  2008,  20 €

Roger Holeindre a écrit cet ouvrage sur un coup de sang : la décision de Nicolas Sarkozy de faire lire dans les écoles la dernière lettre  de Guy Môquet, fusillé par les Allemands en 1941. Non que Guy Môquet soit en cause – sa mort est un drame – mais il était communiste et fils de député communiste. Et de là à choisir un communiste comme symbole de la résistance au national-socialisme ! 

Et Roger Holeindre dissèque toutes les trahisons du parti communiste depuis les années 36 en passant par les années 39 et 40, les années 44 et 45, puis par l’Indochine et l’Algérie.  Beaucoup de ces actes de trahison nous sont connus, beaucoup d’autres non ; mais leur accumulation assortie de détails irréfutables de vérité font de cet ouvrage un anti-monument élevé à la trahison permanente de ce parti qui a trompé tellement de Français qui n’étaient pas tous de mauvaise foi.

451 p.    Editions Heligoland,  2007,  25 €

Disparition : le préfet Pierre Bolotte

Le préfet Pierre Bolotte est mort à Paris le 23 mai 2008. Secrétaire général de la Préfecture d’Alger, il avait joué un rôle moyennement apprécié – semble-t-il – du général Salan lors des événements du 13 mai 1958. 

Il a laissé des archives très riches, consultables à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, et a également réalisé en 1999 une longue série d’entretiens enregistrée par la section des archives orales du Service Historique de l’Armée de Terre. Les éléments biographiques qui suivent ont été tirés de ces deux sources, de l’annuaire de la Préfectorale et d’éditions anciennes du Who’s Who.

Pierre Bolotte est né le 26 octobre 1921 à Neuilly sur Seine. Il est le fils du médecin-général Marcel Bolotte et de Madame née Suzanne Fraisse. Il fait ses études au collège Stanislas, au lycée Louis le Grand (où il a Georges Bidault comme professeur d’histoire) et à la Faculté des Lettres de Paris où il obtient une licence d’histoire et de géographie  et un diplôme d’études supérieures de philosophie. Après l’Ecole Libre des Sciences Politiques, en mars 1944, il occupe un poste auprès du préfet du Morbihan, puis en septembre 1944 auprès de Jean Letourneau au ministère de l’Information tenu par P.H. Teitgen. Le 19 décembre 1944, il épouse Anne-Marie Guion dont il aura deux filles, Anne-Claire et Catherine. A partir du 8 janvier 1945, il est chef de cabinet de Jean Schuhler, commissaire de la République pour la région de Poitiers. D’août 1945 à juillet 1946, Pierre Bolotte est chef de cabinet d’Emile Laffon, administrateur général de la zone française d’occupation en Allemagne dont le directeur de cabinet est Maurice Grimaud. Fin juin 1946, il est au cabinet d’André Colin, secrétaire d’état à la Présidence du Conseil, puis, en janvier 1947 à celui du ministre du Commerce, le MRP Jean Letourneau, lequel voit ses attributions s’élargir à la Reconstruction et à l’Urbanisme en mai 1947, après l’exclusion des communistes du gouvernement par Paul Ramadier. Pierre Bolotte est nommé sous-préfet de 3ème classe en juillet 1947. 

Il est chef de cabinet du secrétaire d’état aux Forces armées (Marine), Joannés Dupraz (MRP) de novembre 1947 à octobre 1949.

Pierre Bolotte est chef de cabinet de Georges Bidault, président du conseil d’octobre 1949 à juin 1950. En juillet 1950, il rejoint le cabinet de Jean Letourneau, ministre d’Etat chargé des relations avec les Etats associés. En décembre 1950, il est dans l’avion qui emmène le général de Lattre en Indochine, en compagnie de Jean Letourneau, du général Salan, d’Allard, de Beaufre et de Cogny. Après un passage au poste de secrétaire général de la Guadeloupe en 1951-52, il rejoint de nouveau (avril 1952) le cabinet de Jean Letourneau, ministre d’Etat et Haut Commissaire pour l’Indochine. Il effectue de nombreux allers et retours entre la métropole et l’Indochine où il est en relation avec le général Salan, commandant en chef après la mort de de Lattre de Tassigny. Il quitte définitivement l’Indochine au début de 1953. De retour à Paris, il est au cabinet de Paul Coste-Floret, puis chargé de mission auprès de Joannès Dupraz, secrétaire d’Etat à la présidence du conseil dans le cabinet René Mayer. 

Sous-préfet de 1ère classe en 1954, Pierre Bolotte est, à Strasbourg, chef de cabinet du préfet chargé des relations de l’Etat français avec le Conseil de l’Europe.

De mai 1955 à août 1956, il est sous-préfet (promu hors classe en 1956) de Miliana, à 120 km au sud-ouest d’Alger. En août 1956, il est directeur de cabinet du préfet d’Alger, puis, en janvier 1958, secrétaire général (pour l’administration, les réformes et l’action sociale) de la préfecture d’Alger dont le préfet I.G.A.M.E. est Serge Baret.

Le 14 mai 1958, Pierre Bolotte est envoyé en mission à Paris par le général Salan pour informer Pierre Pflimlin de la situation. Ce même jour, André Colin (MRP), ministre de la France d’Outre-Mer du cabinet Pflimlin, le nomme chef de son cabinet. Le 7 juin, de Paris, Pierre Bolotte écrit une lettre au général Salan auquel a été confiée par le nouveau président du Conseil, Charles De Gaulle, la charge de Délégué général du Gouvernement en Algérie. Il  demande à rejoindre son poste à Alger. 

Le général Salan s’y refuse. Dans le dossier sur le comportement des préfets et sous-préfets d’Algérie envoyé le 9 juin 1958 par Raoul Salan au président du Conseil, Charles De Gaulle, il est indiqué que Pierre Bolotte, envoyé en mission à Paris, n’a cherché à rejoindre Alger qu’à partir du moment  où l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle devenait inéluctable.  

Extrait du dossier envoyé le 9 juin 1958 par le général Salan au général de Gaulle

De septembre 1958 à 1962, Pierre Bolotte est secrétaire général de la préfecture de La Réunion. En 1963, il est auprès du préfet Jacques Aubert, directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur Roger Frey. De 1965 à 1967, il est préfet de la Guadeloupe avant de passer deux ans, en service détaché, au poste de secrétaire général de la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (D.G.R.S.T.). De 1969 à 1974, il est le premier préfet de la Seine Saint Denis. De 1975 à 1977, il est directeur général des collectivités locales au ministère de l’Intérieur. Pierre Bolotte est préfet de la Région de la Haute Normandie de 1977 à 1982.

En juillet 1982, il est conseiller-maître à la Cour des comptes. En 1986, il prend sa retraite. Il est adjoint au maire du 16ème arrondissement de Paris de 1983 à 2001. 

Pierre Bolotte décède le 23 mai 2008.

Pierre Bolotte était titulaire de la croix de guerre 1939-1945       et         commandeur   de        la          Légion d’honneur.

L’Algérie en mai 1958

Jean-Paul Angelelli

(Suite et fin de l’article paru dans le bulletin n°16)

3ème partie : L’Algérie militaire

1) Vue par le BRM

La composante militaire constitue l’essentiel du Bulletin de Renseignement Mensuel (B.R.M.)  La « rébellion » y est étudiée dans une suite de paragraphes.

Physionomie générale : encore peu de « répercussions » des événements sur la rébellion. Son potentiel a peu varié, son activité est « sensiblement comparable » au mois précédent. Mais il s’amorce « une légère régression qualitative et quantitative du terrorisme ».

Potentiel de la rébellion : pas de problème d’effectifs. Les recrues sont versées dans les supplétifs. Ce qui permet « de recompléter les bandes ».

Les « zones refuges » sont « encombrées par les recrues refoulées de l’Est[1]» 

La rébellion « ne peut actuellement ni équiper, ni armer ce personnel ». Il y a des besoins « en armement », surtout en munitions dans les Wilayas IV et V. Certaines « armes lourdes » ne pouvant être utilisées sont conservées dans des caches.

Les bandes armées : elles ne sont pas encore touchées par le contrecoup psychologique du 13 mai. Mais leur organisation s’est poursuivie dans le Constantinois et en Kabylie…

A l’intérieur, les bandes locales ont subi de lourdes pertes et certaines ont été détruites. Leur recrutement reste très faible sauf à l’est du barrage. Mais elles témoignent lors des accrochages – surtout si elles sont forcées aux combats – d’une « ardeur combative ». Dans les bandes, il faut distinguer des « bandes aguerries et bien encadrées » (comme celles de l’Ouarsenis et des Aurès) manifestant une « réelle valeur » et celles formées d’éléments venus de Tunisie « qui paraissent manquer d’esprit combatif ». A l’intérieur, leur moral est influencé par des difficultés (ravitaillement, munitions, pertes humaines) depuis deux mois et le mauvais service de santé embryonnaire. Mais il y a des modifications dans leur tactique… Une certaine dispersion, par prudence. Et pas de « succès spectaculaire » pour « redonner au peuple la confiance dans l’A.L.N. ».

L’O.P.A. (Organisation Politico-Administrative) 

Des coups lui sont portés mais « elle tend à se reconstituer et se maintenir » grâce aux éléments locaux de l’A.L.N. et en faisant appel « de plus en plus au concours des femmes musulmanes ». Par des « cellules dans les agglomérations » chargées de « missions de liaison et de collectes de fonds ». Il y  a une réorganisation territoriale, notamment en Wilaya VI. Pour « reconquérir un territoire » qui avait échappé à la rébellion « en raison de la dissidence de Bellounis » et pour raccorder les « tronçons est et ouest de l’Atlas saharien ». D’où la nomination à la tête de cette wilaya de Si Haoués. Le failek (plusieurs katibas) de la mintaka 7 (l’une des zones de la Wilaya) souffre de « la destruction à 75% des katibas » qui la composaient, à la suite de la bataille d’avril-mai « sur le barrage de Soukh Arras ». S’il y eut un « flottement » dans les jours suivant le 13 mai, les directives du F.L.N. préconisent une reprise des activités.

A la frontière, depuis le 20 mai et à partir de la Tunisie « harcèlement des postes et des centres frontaliers ». Mais sans dépasser le stade de la guérilla. Même tactique de harcèlement des postes à l’intérieur de l’Algérie ; sans succès. Au contraire, des embuscades (six en Kabylie) suivies d’une « rupture rapide du contact ». Il y a eu à «l’initiative des F.O.[2] » des engagements sévères dans le sud-est de l’Oranie, de l’Ouarsenis et du Hodna[3]

Le terrorisme a été le fait des « fidaï », en fait les exécuteurs d’attentats.  Il s’est exercé « de manière aveugle » contre les manifestations qui ont suivi le 13 mai. Avec dans les victimes : « une proportion croissante de femmes, d’enfants ». Il s’est exercé aussi (mais moins qu’en avril) contre les notables musulmans et les délégués spéciaux. Le terrorisme, s’il a diminué dans le Constantinois, a augmenté en Oranie et s’est maintenu dans l’Algérois. Le terrorisme urbain a frappé Bône, Mostaganem, Oran, Sidi bel Abbès, Tlemcen. « L’effort rebelle » s’est traduit par des mines et explosifs dans l’ouest et le sud de l’Oranie, l’Atlas saharien, les Aurès, l’Est-Constantinois. La propagande F.L.N. vise les C.S.P. , les Français d’Algérie « divisés et menteurs », les ralliés « des renégats » et assure que le monde entier « soutient la cause rebelle et Dieu est avec le F.L.N. ».

Après ce tableau vaste et détaillé de la situation intérieure, il y a un paragraphe sur la logistique. Qu’il faut résumer. Et qui porte surtout sur la frontière avec la Tunisie. Moins sur le Maroc qui attend des armements. Le ravitaillement en armes est arrêté ; surtout par rapport au mois de mars 1958 où « 1500 armes ont pénétré en Algérie ». En mai 1958, la rébellion aurait perdu « environ 300 armes ». En Tunisie, il y aurait une réorganisation de l’infrastructure F.L.N. autour de Kairouan et autres centres intérieurs. Qui coïncide avec l’aide accrue en armements qui arrivent de Libye. Et le 22 mai à Philippeville, un cargo italien a été saisi avec ses neuf tonnes de matériels divers ; cargo qui devait arriver en Tunisie. On retrouve la Tunisie et le Maroc dans le paragraphe sur les « supports de la rébellion ». Les deux pays réclament « avec véhémence » le départ des troupes françaises. Mais si la Tunisie multiplie « les provocations », le Maroc s’est montré « attentiste » et même « conciliant ». On ne sait pas encore la réaction des deux pays après la constitution du gouvernement du général De Gaulle. 

Le C.C.E. (Comité de Coordination et d’Exécution) qui dirige le F.L.N. s’est beaucoup déplacé en mai 1958. Il est composé de huit membres « après la mort d’Abane Ramdane »[4]. Il tend à former un gouvernement mais la constitution d’un gouvernement algérien « n’a toujours pas été annoncée ».

Le F.L.N. avait remporté des succès au mois d’avril (conférence de Tanger[5]). Mais le 13 mai « l’initiative a changé de camp ». Conclusion : «  Le mois de mai a été défavorable aux rebelles ». Voir leurs difficultés énoncées plus haut. Et « les populations musulmanes tendent à basculer en notre faveur »…

Mais « le potentiel des bandes » n’a pas été « encore sérieusement entamé » ; l’O.P.A. « reste agissante dans certaines régions et dans les centres urbains, Alger excepté ». Le F.L.N. fera un « effort sérieux pour reprendre en main les populations ». Une action de force (avec bangalores et explosifs divers) est a envisager contre le barrage Est. Du côté de la Tunisie et du Maroc, il y a une interrogation. Soit des négociations avec la France, soit la reprise de la ligne de Tanger (solidarité et soutien total au F.L.N.).

Ce bilan du B.M.R. est optimiste mais avec des nuances. Il ne cache pas que, même si le F.L.N. est isolé par le bouclage des barrages, il dispose sur le sol algérien d’un héritage non négligeable (en hommes, armements, réseaux) des mois précédents. Et d’une certaine sécurité dans les zones montagneuses qu’il contrôle.

2) Le mémoire Salan

La situation militaire en Algérie est l’objet d’un mémoire (daté du 13 juin 1958) du cabinet militaire de la Délégation Générale du gouvernement, du Commandement en chef en Algérie et de la 10ème Région Militaire[6].

Classé « Très Secret », rédigé par le général Salan qui prend position directement, mais non signé dans l’exemplaire dont nous disposons (sans doute un double). 

Au début, le général annonce que «l’acte politique le plus important, dans un délai de trois mois» sera le référendum annoncé par le chef de l’Etat à Alger le 4 juin 1958.

Mais cet acte dépendra de l’évolution de la situation militaire et les populations ne pourront s’exprimer « librement, hors de toute contrainte » que si elles « ne sont pas soumises aux pressions politiques et militaires de la rébellion ».

D’où d’abord, dans le mémoire, une analyse des facteurs de la situation politico-militaire actuelle.

A savoir depuis quinze mois, malgré les pertes (armement, effectifs) de la rébellion et le démantèlement de l’O.P.A., « son potentiel se maintient à un niveau à peu près constant, …, les exactions terroristes sont à un niveau encore élevé dans les centres urbains et les campagnes ; et aucun ralliement important n’a eu lieu jusqu’ici ».

Le général Salan prend en compte « les manifestations spectaculaires » exprimant « l’instinct de conservation des populations autour de l’armée »  pour exprimer « leur volonté de survivre au sein de la Nation française » et leur confiance dans « le seul homme qui est en mesure de la réaliser ». Mais « le retour des masses rurales qui n’ont pu participer à cet élan unanime » ne pourra s’exprimer que « hors de toute contrainte corporelle ou morale du F.L.N. ».

Et le général va plus loin en dénonçant « une illusion dangereuse ». Celle du développement « rapide » de l’intégration ; car le F.L.N. se maintient encore « sur de larges zones du territoire ». Il faut gagner la « confiance de populations rurales » par notre « capacité à régler, à échéance rapprochée, le problème militaire de la rébellion, préalable inéluctable de tous les autres problèmes ».  

Mais, et c’est le début de la seconde partie de ce mémoire, le général souligne que l’action du F.L.N. est soutenue par l’extérieur ; « de l’étranger comme de la métropole ». Que le F.L.N. a profité de « l’absence de coordination de notre part ». Ce qui « a permis aux éléments de la rébellion intérieure de durer et de se renouveler » malgré leurs pertes sensibles.

« L’Extérieur », c’est le Maroc et surtout la Tunisie. Le Maroc paraît avoir « mis en veilleuse » l’application du programme de Tanger. Il est même devenu « attentiste après un certain durcissement » (consécutif au 13 mai). Cependant, le soutien au F.L.N. sur le plan militaire « subsiste ». Mais peut prendre « une extension importante » (par l’importation de matériel de guerre et son acheminement en Algérie à travers la frontière) « en cas d’opportunité » en rapport avec la politique française.

Pour la Tunisie, la situation est plus sérieuse. Car elle traduit « une évolution personnelle et délibérée du chef du gouvernement[7] dont les bases ont été jetées dès 1957 ». Le général Salan rappelle que dès juin 1957, il en avait prévenu le gouvernement et affirmé que « devant la cobelligérance de fait » du gouvernement tunisien, il préconisait « une intervention 

Mémoire du général Salan, Délégué général du gouvernement et Commandant en chef des Forces en Algérie

diplomatique ou militaire visant à mettre un terme au soutien que la Tunisie apporte à la rébellion ».

Or, depuis cette date « l’ingérence tunisienne s’est amplifiée ». Le général en donne des preuves. La Tunisie abrite « les arrières de la rébellion (commandement, centres d’instruction, bases alimentées essentiellement d’Egypte et de Syrie par la Libye) ».

De plus, au cours des six derniers mois, « 17000 armes » (surtout des armes automatiques et lourdes) sont parvenues en Tunisie. Et « 6000 ont passé la frontière ». Une frontière qui est « une vaste base de départ » pour les bandes « avec le concours des éléments de l’armée tunisienne ».

Certes, il y a le barrage « qui a permis d’endiguer dans une très large mesure l’afflux des effectifs et des armes ». Mais malgré des moyens techniques considérables et l’activité des unités de manœuvre, « l’étanchéité du barrage ne peut être garantie absolument ». Il y a en face de 6000 hommes armés, nos forces (les régiments sont détaillés), 25000 hommes « dotés de moyens particulièrement puissants ». La disproportion est « flagrante ». De plus, il faut assurer la défense « semi-statique » d’un obstacle linéaire (de la Méditerranée à Tozeur, plus de 400 kilomètres). Les bandes « dispersées et fluides ne peuvent être détruites massivement ». De notre côté, il y a « usure accélérée des personnels et matériels » et des « conditions climatiques sévères de jour et de nuit ». D’où, pour nous, un rendement « amoindri » dans une bataille « à caractère sporadique ». De plus, ces forces (« nos meilleures troupes ») font défaut pour détruire les bandes intérieures et l’O.P.A. Conséquence, notre action en Algérie s’est trouvée « finalement dans une impasse pour avoir laissé le F.L.N. prendre pied en Tunisie ».

Pour atteindre « le but fixé par le chef du gouvernement à échéance de quelques mois », le vrai problème dans l’immédiat, auquel tout doit être consacré pour le résoudre, est l’élimination du F.L.N. de Tunisie ».

Une « solution » qui ne peut être « retardée plus longtemps » Soit qu’elle prenne la forme de la « négociation diplomatique ou de l’action militaire en dernier ressort ». « Et entraînera un choc psychologique qui fera basculer la masse musulmane dans notre camp ».

Conclusion : « là est l’une des dominantes du règlement du problème politique algérien ».

Le général Salan est-il, à cette date, au courant de la signature imminente (elle intervient le 17 juin) d’un accord franco-tunisien ? Vraisemblablement. Et il faut se reporter au quatrième tome de ses mémoires (L’Algérie, De Gaulle et moi, Presse de la Cité, 1974) pour prendre connaissance d’une lettre du général De Gaulle au général Salan (p.293) où De Gaulle défend l’accord portant sur le regroupement de nos forces. Et le maintien de Bizerte, ce qui permettra à notre armée de sortir « d’une position moralement intenable » qui pouvait aboutir à la guerre. Le général De Gaulle estime que « la fin de cet état de choses déplorable »… pourra… « contribuer à distendre les rapports entre le gouvernement tunisien  et le F.L.N. ». Le général Salan lui répondra par une lettre, le 22 juin, où, s’exprimant au nom de ses forces et de la population, il fait état de son « inquiétude » et de son scepticisme devant « la contrepartie d’une cessation catégorique de l’aide apportée au F.L.N. par le gouvernement tunisien ». A la fin de sa lettre, le général Salan conserve un espoir que le général De Gaulle tiendra compte de la « réalité profonde et légitime » de son inquiétude.

La veille (21 juin 1958), il y  a eu un clash entre le chef de l’Etat et le Comité de Salut Public d’Algérie et du Sahara. Informé que celui-ci avait tenu une réunion « pour examiner l’accord récemment conclu avec la Tunisie », le chef du gouvernement s’adressant au général Salan, l’informe qu’il « désapprouve le fait lui-même et la publicité qui lui a été donnée ». Que « le Comité de Salut Public dit (souligné par De Gaulle) d’Algérie et du Sahara n’a aucune qualité pour se saisir des affaires qui relèvent de la responsabilité du gouvernement ». 

Télégramme du Président du Conseil (Charles De Gaulle)  au Délégué général du gouvernement en Algérie (Raoul Salan)

Et De Gaulle demande qu’il lui soit « rendu compte de ce qui s’est passé effectivement ». Le message du général de Gaulle a été envoyé de Paris le 21 juin à 13h35. Il était déchiffré à Alger à 14h ; Il était classé 2682 Secret/Urgent et réceptionné par le colonel Lacheroy (signature).

Le général Salan rencontrera le général De Gaulle à Matignon le 25 juin à 14h. D’après ce qu’il en dit (voir Mémoires p.34), il reprend en partie les avertissements de son texte du 17 juin et fait état de son « anxiété » sur cet accord « avec M. Bourguiba, notre grand ennemi ». Qui aura pour conséquence de rapatrier 7000 hommes. Le général De Gaulle maintient les côtés positifs de l’accord et sa contribution à «distendre les rapports entre le gouvernement tunisien et le F.L.N. ». « Je n’y crois malheureusement pas », lui répond Salan.

De Gaulle lui affirme qu’il « n’abandonnera jamais Bizerte », qu’il a lu « attentivement » la réponse du général Salan à sa lettre du 19 juin et conclut : « Nous en rediscuterons à Alger ».  

4ème partie : Bilan

Dans la synthèse personnelle de commandement (13 juillet), le général Salan revient sur la bataille de la frontière Est en donnant un bilan des combats qui s’y sont livrés du 1er avril au 15 mai. Les pertes rebelles (les nôtres ne sont pas mentionnées) ont été de 1116 tués, 265 prisonniers. Plus d’une centaine d’armes lourdes (L.R.A.C.[8], mortiers, mitrailleuses, fusils mitrailleurs) ont été récupérées et presque un millierde fusils de guerreet de pistolets mitrailleurs. Pour le général, la rébellion « est pratiquement isolée de l’extérieur par les barrages ».

Mais il donne des précisions sur le potentiel rebelle à l’intérieur. En personnel : 21000 combattants. Qui ont eu des pertes mais « compensées par l’intégration de moussebilines[9]  sommairement instruits sur place ». Pour l’armement, la rébellion dispose de 16000 armes de guerre « grâce à l’apport des déserteurs de la Force  K » (le faux maquis anti F.L.N. de Kobus). Le moral des combattants F.L.N. ? Il a pu « être ébranlé par les événements du 13 mai » mais « pas suffisamment atteint ». Sur le plan des « ralliements collectifs », le total des ralliés « a augmenté de 10% par rapport au trimestre précédent ». La stratégie des bandes est à la « dispersion » et au « terrorisme ». Qui a augmenté de 15% et s’est exercé sur les S.A.S.[10], les C.S.P. et les Délégations Spéciales. L’O.P.A. a vu sa « puissance amoindrie » mais « reste solidement implantée dans maintes régions ». Par contre, le F.L.N. connaît des « déceptions à l’extérieur » du côté de ses soutiens maghrébins. Et le C.C.E. s’est installé au Caire plutôt qu’à Tunis. Mais le général estime qu’il faut « un effort accru contre la collusion des états maghrébins avec le F.L.N. ». Un F.L.N. qui a connu « un affaiblissement tout relatif ».. « à l’extérieur comme à l’intérieur ». Sur notre action intérieure, le général Salan donne un bilan chiffré (pour avril-mai-juin 1958) : 8288 tués – 1784 prisonniers – 17804 arrestations (membres de l’O.P.A.). Pas de chiffres sur leur ventilation (centres d’hébergement ou de transit, libération pure et simple). Une centaine d’armes lourdes (dont 9 L.R.A.C.), presque 900 pistolets mitrailleurs et fusils de guerre, plus de 2000 armes de chasse et pistolets. Là encore, nos pertes ne sont pas signalées (voir complément en fin d’article).

Ce qui a sans doute provoqué des remarques. Il faut signaler qu’à partir d’août 1958, la situation militaire sera traitée plus en profondeur dans des B.R.M. considérablement étoffés (et désormais classés Secret) complétés par des rapports mensuels adressés au général De Gaulle, Président du Conseil, et par des rapports hebdomadaires émanant du cabinet civil et du cabinet militaire. Tous incluant les pertes des deux côtés et d’autres précisions. Le général se réjouit de nos succès militaires dont les causes sont le renforcement du barrage Est jusqu’à Negrine, un dispositif militaire renforcé en zone Est-Constantinois (ZEC), des transferts d’unités du Maroc (6000 hommes) et de Tunisie (1000 hommes), la prolongation du service (27 mois pour les hommes, 29 mois pour les cadres). En tout, une « augmentation d’effectifs de 35000 hommes ». Mais cet « apport n’a pu être consacré en totalité à la lutte intérieure ». Car il a fallu revaloriser les mesures de protection au Sahara, sécuriser les chantiers de pose du pipe-line dans le Constantinois, renforcer la protection de barrages hydro-électriques. De plus, « le comportement de Bellounis nécessitait de renforcer le secteur autonome de Djelfa ». C’est une rapide allusion au traitement de l’affaire Bellounis qui s’est produite en juillet 1958. Avec la mort de Bellounis et l’éclatement de son armée. Finalement la lutte continue contre les bandes et l’O.P.A. « mais avec des moyens relativement réduits et insuffisants ». En conclusion, le général Salan souligne que malgré des « pertes sensibles » les rebelles disposent d’un « potentiel important ». Qu’ils bénéficient de l’aide – plus que morale – de la Tunisie et du Maroc. Et qu’il faut craindre « une action de force » partant de leurs territoires « susceptible de trouver un écho favorable auprès d’une population qui n’a encore que timidement marqué sa volonté de rester française ».

La rébellion ne peut être   écrasée   qu’aux conditions suivantes, et nous retrouvons des conditions déjà évoquées dans d’autres documents, à savoir : que cesse « la collusion F.L.N.Etats maghrébins », que le volume des effectifs soit maintenu au niveau qu’il doit atteindre à l’expiration du plan de transfert en cours (NdR : le général est-il au courant qu’il y a, en métropole, des pressions diverses pour ramener le service à 24 mois ?) et que « soient accrues les mesures qui permettront à la population musulmane de se sentir française à part entière ».

Vaste programme, comme disait l’autre…

A propos des pertes       

Il y a un document établi par le 2ème Bureau classé « Secret », non daté, portant sur la période allant du 1er janvier au 30 septembre 1958, sous le titre « Bilans ».

Voici l’état de pertes classées « amies ».

Militaires tués : 2134 (répertoriées par corps d’armée, celui de Constantine en tête). Il faut y ajouter les civils des forces de l’ordre (sans doute harka, autodéfense, etc.) : 405 ; Le total est 2539.

Les civils tués sont 2221. Il est précisé 193 Européens et 2028 Musulmans. C’est probablement dans leur majorité des victimes du terrorisme. Il est élevé, comparé aux pertes militaires.

Pour les rebelles, il est de 25430. Sont comptés à part 138 tués CSA. C’est-à-dire les Commandos du Sud Algérois, les soldats de Bellounis ayant rejoint le F.L.N. Avec 10272, le Constantinois est en tête. Entrent dans ce bilan les pertes de l’A.L.N. sur le barrage Est. 

Autres indications, les désertions : 204 Européens et 786 Musulmans. En tout 1090. Le chiffre des Européens est élevé, mais d’où vient-il ? De la Légion ? Ce bilan est compensé par celui des ralliements : 1635, dont 360 CSA qui ont rejoint nos forces.

Il y a d’autres bilans sur les activités rebelles contre les forces de l’ordre, les personnes, les biens privés et autres manifestations. En tout 14719 (ici c’est le corps d’armée d’Alger qui est en tête). Et un bilan de l’armement (pertes et gains) par corps d’armée, par catégories (bazookas, mortiers, etc.) ; Ont été séparées les armes de guerre et les autres (fusils de chasse et pistolets automatiques). Bilan total. Pertes : 1847. Gains : 16399. Donc un positif de 14552, y compris 532 armes diverses provenant des CSA.

Le lieutenant-colonel Jeanpierre

L’Echo d’Oran 

30 mai 1958

Photographie du drapeau du 1er REP et de sa garde prise en avril 1958, le jour où le colonel Jeanpierre a été décoré de la cravate de commandeur de la Légion d’honneur par le général Vanuxem. Au centre, le lieutenant Bonelli, à sa

gauche le maréchal des logis chef Deckert, à sa droite, le sergent chef Augst, mort au champ d’honneur à Guelma.

(Information communiquée à l’association par le capitaine Bonelli)

Pierre Lagaillarde

 Pierre Lagaillarde est né le 15 mai 1931 à Courbevoie. Son père, Henry, y est alors chef du contentieux de la compagnie d’assurance « L’Abeille ». Ses parents arrivent en Algérie en 1932. Tous deux avocats, ils s’inscrivent au barreau de Blida dont ils seront successivement bâtonniers. En 1944, Henry Lagaillarde est au cabinet  d’Henri Queuille, membre du Gouvernement Provisoire de la République Française installé à Alger. 

Pierre a deux frères plus jeunes : Jean né en 1937 et Jacques né en 1942.

Pierre Lagaillarde fait toutes ses études au lycée Duveyrier de Blida qu’il quitte en 1948 avec un baccalauréat de Philosophie. Il s’inscrit à la faculté de droit d’Alger qu’il quitte en 1950 pour  celle de Paris où il obtient sa licence en 1951.

En novembre 1951, Pierre Lagaillarde s’inscrit au barreau de Blida. Il y exerce jusqu’en octobre 1955 et y assure la défense d’un  terroriste F.L.N. dont il estime que c’est un lampiste et que les vrais responsables, eux, ne sont pas jugés. Il résilie son sursis et est affecté au 66ème  Régiment d’Artillerie à Oran, au G.A.O.A. n°3 à Sétif, puis à l’école d’artillerie de Châlons sur Marne en avril 1956 dont il sort 34ème sur 226; il effectue un stage à la B.E.T.A.P. à Pau en septembreoctobre 1956, y obtient son brevet parachutiste et rejoint le 20ème Groupe d’Artillerie Parachutiste en Algérie. Pierre Lagaillarde est démobilisé avec deux citations et la Croix de la Valeur Militaire. Il rejoint le barreau de Blida et, parallèlement, s’inscrit en doctorat à la faculté de droit d’Alger, ce qui lui permet d’être élu à la présidence de l’Association Générale des Etudiants d’Algérie le 2 décembre 1957, à la suite de Jean Gautrot.

Pierre Lagaillarde s’est marié une première fois en mars 1953  avec Suzanne de Beaumont (née Durand) dont il a un fils Pierre-Jean et dont il divorce en novembre 1956. Il se remarie en mars 1957 avec Elizabeth (Babette) Meslet dont il a un fils, Marc, né en 1958.

Un comité de vigilance est créé à Alger, dont Pierre Lagaillarde fait partie en tant que président de l’association des étudiants d’Algérie; il rassemble de nombreuses associations : anciens combattants, étudiants royalistes, etc., et des personnalités comme Joseph Ortiz, Robert Martel, Roger Goutailler, le docteur Lefebvre. Léon Delbecque, de l’antenne à Alger du ministre gaulliste de la Défense Nationale Chaban-Delmas, manipule partiellement ce comité. 

Le comité de vigilance organise le 13 mai 1958 une grande manifestation à Alger pour protester contre l’assassinat en Tunisie de trois militaires français prisonniers du F.L.N.

Pierre Lagaillarde, en uniforme de lieutenant de parachutiste, après la cérémonie au monument aux morts présidée par le général Salan,  prend d’assaut le Gouvernement Général dont Robert Lacoste est absent. Il harangue la foule depuis la corniche du 5ème étage. Le général Massu, en accord avec le général Salan, crée sur place le 13 mai un Comité de Salut Public dont il prend la présidence et qui compte initialement sept civils (Lagaillarde, Paul Moreau, Gabriel Montigny, Joseph Jolivet, Baudier, Rodolphe Parachini, et Armand Perroud) auxquels sont adjoints quatre militaires (Massu et les colonels Ducasse, Thomazo et Trinquier).  Léon Delbecque, initialement pris de vitesse entrera au Comité de Salut Public avec quelques compagnons un peu plus tard et saura lui donner l’orientation correspondant à la mission qui lui a été assignée par l’entourage du général De Gaulle.

Le 22 mai 1958, Pierre Lagaillarde est de la mission « clandestine » envoyée en Métropole avec le commandant Vitasse. Il rencontre le général Miquel à Toulouse puis se rend à Paris, dans le contexte de l’opération « Résurrection » destinée à faire pression sur les parlementaires pour leur faire voter l’investiture de De Gaulle comme Président du Conseil.

Le 4 juin 1958, à Alger, il est, en temps que membre du Comité de Salut Public, de ceux qui accueillent le général de Gaulle à l’aéroport de Maison Blanche puis qui sont reçus par lui au Palais d’Eté.  

Le 23 novembre 1958, Pierre Lagaillarde est élu, tête d’une liste « Algérie Française », député d’Alger-Ville à l’assemblée nationale avec René Vinciguerra, Mourad Kaouah et Ahmed Djebbour.

Après le discours de De Gaulle du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination, il exprime publiquement sa très ferme opposition à ce processus qui ne peut que conduire à livrer l’Algérie au F.L.N. Il noue ou renoue des relations avec diverses personnalités dont le général Salan, le général Jouhaud et le général Zeller qui vient de quitter la tête de l’Etat-Major de l’Armée. A Alger, il participe à la création du Comité d’Entente des Mouvements Nationaux à la fin de novembre 1959. 

Après l’affaire de l’interview par le journaliste Kempski de la Süddeutsche Zeitung du général Massu et le renvoi  de celui-ci d’Alger, une grande manifestation est organisée le dimanche 24 janvier 1960. Pierre Lagaillarde décide d’occuper militairement la Faculté d’Alger et de contrôler ses entrées par des barricades. Ce deviendra « le camp retranché » ou le «réduit des facultés » pour la semaine. C’est là que, le dimanche, il entend la fusillade qui fait des victimes du côté des manifestants comme du côté des gendarmes. Il se rend sur place et a des contacts avec divers responsables militaires et du Comité d’Entente, dont Joseph Ortiz.

Le lundi 1er février 1960, Pierre Lagaillarde, en uniforme de lieutenant parachutiste, sort du camp retranché en défilant à la tête de ses troupes entre les parachutistes du 3ème R. P .C. et du 1er R.E.P. qui font la haie et présentent les armes. Emmené à Blida, il doit embarquer à bord d’un Nord-Atlas qui l’emmène à la base aérienne de Brétigny sur Orge. Il est incarcéré à la prison de la Santé. Edmond Michelet, Garde des Sceaux, enverra une lettre au président de l’assemblée nationale justifiant l’incarcération de Pierre Lagaillarde (ainsi que celles des députés Mourad Kaouah (Alger-Ville) et Biaggi (Seine-14ème)) bien que son immunité parlementaire n’ait pas été levée par un vote des députés (elle ne le sera que le 7 décembre 1960, après son départ pour l’Espagne).

Du 3 novembre 1960 au 2 mars 1961 se tient le « procès des barricades » devant le tribunal permanent des forces armées de Paris devant lequel comparaissent quinze personnes dont Pierre Lagaillarde, Jean-Jacques Susini, Serge Jourdes, Marcel Ronda, Alain de Sérigny et le colonel Gardes. Pierre Lagaillarde est accusé d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Les faits s’étant déroulés avant l’ordonnance 60-529 du 4 juin 1960 signée d’Edmond Michelet réformant le code pénal, fusionnant sûreté intérieure et sûreté extérieure de l’Etat et rétablissant la peine de mort pour crimes politiques, il ne risque pas la peine de mort. Il est défendu par Maître Gallot, Maître Macaigne et Maître Vignoles. Mis en liberté provisoire le 16 novembre, Pierre Lagaillarde se réfugie en Espagne au début de décembre 1960. Au terme d’un procès de 78 jours, le jeudi 2 mars 1961, il est condamné, in absentia, à 10 ans  de détention, le procureur ayant requis une peine de 20 ans.

Entre temps, à Madrid, le 30 décembre 1960, avec le général Salan, Marcel Ronda et JeanJacques Susini, Pierre Lagaillarde avait signé une adresse à tous leurs compatriotes d’Algérie leur signifiant leur solidarité et les pressant de voter « Non » au référendum du 8 janvier 1961. Fin janvier-début février 1961, avec Jean-Jacques Susini, il fonde l’OAS dont les premiers tracts sont distribués à Alger fin février-début mars.

Le 23 avril 1961, le général Salan s’envole clandestinement de Madrid pour Alger à bord d’un avion léger dans lequel ont également pris place le capitaine Ferrandi et Jean-Jacques Susini. Pierre Lagaillarde reste en Espagne et y est rejoint par les colonels Argoud et Lacheroy après l’échec du coup d’Alger. Ils forment « l’OAS d’Espagne » dont les positions divergent de l’OAS dirigée d’Alger par le général Salan.

Le 18 juillet 1961, le conseil constitutionnel déclare : « Est constatée de plein droit la déchéance , à compter du 5 mai 1961, du sieur Lagaillarde (Pierre) de sa qualité de membre de l’assemblée nationale », en raison de sa condamnation à 10 ans de détention criminelle. 

En octobre 1961, Pierre Lagaillarde, Joseph Ortiz et les colonels Argoud et Lacheroy sont arrêtés par ordre du gouvernement du général Franco et assignés à résidence aux Iles Canaries.   Amnistié en 1968, Pierre Lagaillarde gagnera la métropole, reprendra son métier d’avocat et ouvrira un cabinet à Auch où son fils Pierre-Jean lui succédera. 

Depuis la fin de l’Algérie française, Pierre Lagaillarde  a conservé le silence sur cette période et sur les événements auxquels il a pris part.

La déclaration et l’interrogatoire de Pierre Lagaillarde à son procès ont été publiés par les éditions « La Table Ronde » en décembre 1960 sous le titre : « On a triché avec l’honneur ».  zz

Le 24 novembre 1960, Pierre Lagaillarde « fait »  la couverture de L’Express. En page intérieure, la tonalité de l’article de Jean-Marie Domenach est celle-ci : Pierre Lagaillarde et les autres accusés du « Procès des barricades » sont les victimes du changement non dit de la politique algérienne  du gouvernement : ce n’est pas Lagaillarde qui a changé, ce sont les autres (NdR, De Gaulle et les gaullistes).  


Qui sans doute n’ont pu franchir le barrage

Forces de l’Ordre

Plateau du nord-est de l’Algérie

Dirigeant historique du F.L.N. dont l’assassinat le 27 décembre 1957 au Maroc par Boussouf et autres fut présenté par le F.L.N. comme une « mort au champ d’honneur »

voir page 11 du précédent bulletin

Le 9 juin, le général Salan est nommé par décret Délégué Général du gouvernement en Algérie tout en conservant le commandement militaire en Algérie

Habib Bourguiba

L.R.A.C. : Lance roquette antichar

Auxiliaires non armés de la rébellion

S.A.S. : Section Administrative Spécialisée

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