Bulletin 16

Bulletin 16

Nos adhérents ont publié

L’arme des faibles

L’Algérie en mai 1958 par Jean-Paul Angelelli

Biographie / Le Général Pierre-Marie Bigot

Nos amis ont publié

Cette rubrique est entièrement consacrée, pour le présent numéro, à l’ouvrage-événement de notre ami, le professeur Jacques Valette, qui a dépouillé et analysé les archives, passionnantes et inédites, du général Salan relatives aux événements du 13 mai 1958

L’arme des faibles

« Tout désespoir en politique est une sottise absolue » (Charles Maurras)

Nous ne nous plaçons pas, dans l’Association des Amis de Raoul Salan, au plan de la politique mais à celui de l’Histoire et nous pouvons reprendre la citation de Maurras en la modifiant légèrement :

« Tout désespoir sur l’émergence de la vérité en Histoire est une sottise absolue »

Exemple : la chronique de Philippe Val, directeur de Charlie Hebdo, du 12 décembre 2007 sur France-Inter :

« Philippe Val, vous revenez ce matin sur les deux attentats survenus mercredi (12 décembre 2007) à

Alger : l’arme des faibles a encore frappé. »

« Eh oui, notre nouvel ami, le colonel Khadafi a rappelé à Lisbonne, la semaine dernière, qu’il légitimait le terrorisme parce que c’est l’arme des faibles face aux superpuissances. Il semble qu’il ait été entendu par les terroristes d’Al Qaïda du Maghreb qui, le mercredi suivant, ont perpétré les attentats d’Alger. 

Comme s’il s’agissait d’une de ces minables et rituelles bagarres entre les syndicats et la préfecture sur le nombre des manifestants à l’issue d’une manif, le gouvernement algérien a cherché à minimiser le nombre de morts civils.  On comprend pourquoi. 

Il ne veut pas voir se dégrader l’image d’efficacité de sa lutte antiterroriste On a donc assisté à une comptabilité pornographique à l’issue de la tragédie ; il y aurait eu 30 morts selon le gouvernement

Mohamed Khadafi algérien, soixante selon les hôpitaux, soixante-trois selon le quotidien. 

El Watan. 

Ainsi, l’arme des faibles a encore frappé.

Petit rappel historique : les généraux au pouvoir à Alger sont les héritiers et les continuateurs du F.L.N.. Pendant la guerre d’indépendance, le F.L.N. a justifié le terrorisme aveugle avec cet argument. C’est au lendemain de l’attentat du Milk Bar[1], le 30 septembre 1956, que certains intellectuels ont alors fait l’erreur historique de théoriser en faveur de cet argument de l’arme du faible.

Yacef Saadi Zohra Driff

Notamment Sartre qui, en 61, dans la préface aux « Damnés de la terre de Frantz Fanon, écrit : « En le premier temps de la révolte, il faut tuer. Abattre un Européen c’est faire d’une pierre deux coups : supprimer un oppresseur et un opprimé. Il reste un homme mort et un homme libre ».

Pour actualiser la citation, il suffit de remplacer ‘’Européen’’ par ‘’ n’importe qui’’. Il s’est ensuivi la prospérité du terrorisme moderne qui passe entre autres par les attentats du 11 septembre 2001. Cette aberration éthique et politique autorise à se transformer en monstres criminels tous ceux qui se pensent victimes d’une force supérieure à eux. Ce n’est même plus l’enfance de l’humanité, c’est la logique du stade anal du nourrisson qui enveloppe tout l’univers dans sa rage dès qu’il ressent une frustration.

Cette arme des faibles, revendiquée par le F.L.N. pendant la guerre d’Algérie, a changé de camp. Le F.L.N. en est désormais la cible après en avoir été l’inventeur.

Quand Bouteflika a demandé à la France de faire un bilan de la colonisation et de la guerre d’Algérie, il a raison mais, de son côté, il serait temps qu’il accepte, lui aussi, de faire un bilan de la façon dont la lutte d’indépendance s’est déroulée. Il faudra bien, un jour, faire la part des choses entre ce qui était légitime et ce qu’il faut désavouer officiellement, faute de quoi le terrorisme continuera à semer l’horreur en arborant fièrement sa justification historique : défendre l’humanité tout en la massacrant aveuglément.

Rappelons que les terroristes ont visé, entre autres, le Haut

Commissariat aux réfugiés et le Programme de développement des

Abelaziz Bouteflika

Nations Unies, deux organismes qui, eux, précisément défendent les faibles, mais d’une autre manière.

On comprend pourquoi maintenant le dictateur algérien cherche à minimiser le nombre des morts. Quand l’arroseur est arrosé, pour ne pas perdre la face, il est toujours tenté de dire que l’eau ne mouille pas. »

En poussant plus loin l’analyse de Philippe Val, sans vouloir lui faire dire ce qu’il ne dit pas, la responsabilité de la légitimation, côté français, du terrorisme aveugle – celui qui tue le passant, la foule – ne se limite pas à celle, a priori, de Jean-Paul Sartre et de certains « intellectuels ». 

La livraison de l’Algérie aux mains du F.L.N. en juillet 1962 par le gouvernement français a été une formidable légitimation a posteriori de ce terrorisme aveugle. Elle a été livrée par ce gouvernement, en toute connaissance de cause [2], à la faction la plus féroce et la plus raciste du mouvement indépendantiste algérien qui, lui-même, ne représentait qu’une partie très minoritaire jusqu’en 1960 de la population vivant en Algérie. 

Cette faction a assassiné par dizaines de milliers les Arabes et Kabyles qui s’étaient engagés aux côtés de l’armée française, a enlevé et fait disparaître des milliers d’Européens et a planifié et réussi un « nettoyage ethnique » dont il y a peu d’exemples dans l’Histoire. 

Les misérables excuses invoquées par certains ministres français de l’époque – « Ce n’est pas moi qui ai commis ces massacres, c’est le F.L.N. » – ne sont que des pilateries honteuses : ils ont livré les innocents aux assassins.

L’Algérie en mai 1958

Jean-Paul Angelelli

1ère partie : A la veille du 13 mai

C’est une réunion qui se tient à Alger le 7 mai autour du général Ely, chef d’état major général des forces armées accompagné du général Challe. Il est venu pour « renseigner le nouveau gouvernement, celui (en préparation) de Pierre Pflimlin (après une longue crise) qui ne sera investi que dans la nuit du 13 au 14 mai. Mais préparé avant…

Le compte rendu mentionne les questions et réponses des divers intervenants. S’il est daté, il ne mentionne aucune autre indication et ne porte pas la mention « Secret ». Ce sont des notes classées en chapitres qui en facilitent la lecture.

De gauche à droite, au premier rang, les généraux Allard et Salan, les généraux Ely et Challe, Au centre, André Morice (remplacé le 5 novembre 1957 par Jacques Chaban-Delmas) lors d’une réunion de travail en  1957

Le général Ely annonce d’abord au général Salan qu’il va obtenir satisfaction. Le service militaire va être porté à 27 mois. Salan s’en réjouit mais précise que cela ne lui permettra pas de … « reconstituer

les réserves »…simplement de… « maintenir les unités à effectifs pleins et mieux encadrés » …Comme réserve, il a les régiments paras de l’Algérois et attend l’arrivée d’unités du

Maroc…

Ely mentionne une question de M. Pleven (futur ministre des Affaires étrangères)… « Pourquoi tant de militaires occupés à des tâches civiles ? » Salan lui répond que les Algériens « ont plus confiance dans l’armée »… mais que les civils (ingénieurs, instituteurs)… « pourraient mieux la relayer ». Il est question du problème des frontières. Préoccupant à l’Est (la frontière tunisienne). Salan mentionne les … « échecs rebelles »…sur le barrage »… « nous avons détruit 80% des passages »…Ely s’inquiète pour l’avenir et évoque des … « arrivées par air » ou des « parachutages ». Le général Jouhaud est rassurant… « il faut des techniciens »…mais il craint … « les petits avions difficilement décelables »…et demande … « des chasseurs de nuit ».. comme des Hellcat. Pour Salan, il y a des … « inquiétudes sous-marines »…

La situation est meilleure du côté du Maroc…Mais il y a des menaces sur Colomb-Béchar et les centres d’essais. Pour le chef de bataillon Bourdoncle (2ème bureau), on est mal renseigné sur le F.L.N. à l’intérieur du Maroc. Et il faut compter avec l’A.L.M. (Armée de Libération du Maroc), une formation armée qui apparaît dès 1954, avant l’indépendance (1956).

A la fin de la réunion, le général Salan revient sur … « le droit de suite. Il nous le faut »…et veut une…« autorisation d’effectuer des va-et-vient (sic) sur les bases tunisiennes »…Ely est d’accord.

Mais    … « Ce    n’est    pas    sûr    au    gouvernement »…   et… « il    faut    une    préparation

diplomatique »…Salan… « montre son dossier »…et évoque son … « plan d’action »… Sans plus. Il s’agit d’une grande opération militaire sur la Tunisie préparée depuis des mois. Elle devait être courte (quelques jours) avec blindés, aviation et participation de nos forces cantonnées sur place. Elle aurait détruit les bases F.L.N. cantonnées en Tunisie. La population européenne aurait été regroupée et protégée pour la soustraire à des représailles…

Retour à la situation militaire en Algérie. Sous deux aspects.

Le premier… « les bandes de l’intérieur »…Contre elles, il est question d’un … « plan d’opérations à venir »[3]… « Ouarsenis, Soummam, Grande Kabylie, Nord Constantinois, etc (sic) »…Ce n’est pas précis, mais il s’agit de régions montagnardes difficiles, bastions du F.L.N.

Le second concerne l’O.P.A. (Organisation Politico-Administrative), supplétive de F.L.N. lui fournissant des soutiens divers (ravitaillement, hébergement, renseignements).

Le général Ely demande une mise au point sur l’affaire Bellounis. Le général Salan fait part de ses craintes et établit… « un parallèle avec Kobus »…(dissident messaliste aidé par l’armée française, tué par le F.L.N. qui a récupéré une partie de ses effectifs). Ensuite… « il expose les mesures prises pour parer à toute surprise »… Ce point n’est pas développé. Mais confirme que devant les exactions locales de Bellounis (également dissident messaliste) et de ses hommes, et des soupçons sur sa fidélité, une opération est déjà envisagée.

Pour le général Salan… « la partie n’est pas complètement gagnée car nous n’avons pas été relayés par les civils »…Il entend par là l’Administration, sauf le préfet de Constantine M. Chapelle.

Bellounis

 Salan salue l’action des D.O.P. (Détachements Opérationnels de Protection)… « Ils nous servent beaucoup »…

Pour le commandant Bourdoncle, … « les bandes soutiennent l’O.P.A. défaillante »…Il faut donc combattre les bandes… « en priorité »… Signe positif… « Il y a une augmentation des engagements F.S.N.A ». (Français de Souche Nord Africaine), un sigle qui a remplacé le terme de musulman, trop religieux.

Challe signale dans la propagande F.L.N. l’argument que… « les Français ne font pas de prisonniers »…Ce qui ne pouvait qu’encourager les combattants F.L.N. à se battre jusqu’au bout. Salan répond que… « maintenant, nous faisons des prisonniers et nous les exploitons sur le plan psychologique »…

Pour le général Ely, notre propagande…« devrait porter sur l’aspect tranquille du pays ».Mais pour le général Jouhaud… « il ne faut pas minimiser le combat »…Ely demande aussi si, la nuit, le rebelle …« est roi comme en Indochine ?»…Salan est contre cette comparaison… « Nous sortons la nuit. Nous avons l’initiative »…Pour Bourdoncle… « la nuit, c’est le terrorisme mais pas l’action militaire »…

Sur le plan de la pacification (demande d’Ely)… « Il y a amélioration en Oranie, en Algérois et dans certaines régions (non précisées) »… mais une situation… « étale »…dans le Constantinois. L’autodéfense est efficace… « mais très différente suivant les régions »… Le général Salan ajoute que… « les nouvelles autodéfenses sont bonnes, les anciennes noyautées »…

Le bilan de cette réunion, plutôt rapide et qui n’approfondit pas tous les sujets traités, est plutôt optimiste. Mais il faudrait le comparer à d’autres bilans précédents de 1956 à 1958. Notamment sur la situation intérieure. C’est la Tunisie, base des rebelles, qui suscite le plus d’inquiétude. Tant que les bases F.L.N. y sont en sûreté. Au pouvoir politique de décider. Mais les participants ignorent que, la semaine suivante surviendra le 13 mai et l’insurrection d’Alger, l’effondrement de la Quatrième République, le retour au pouvoir du général de Gaulle. Comme l’a dit Raymond Aron : « Les hommes font l’histoire, ils ne savent pas l’histoire qu’ils font ».  

2ème partie : L’Algérie politique

Ce qui s’est passé en mai 1958 en Algérie a été étudié à partir de trois documents :

  • Le traditionnel Bulletin de Renseignements Mensuel (B.R.M.). Synthèse de tous les B.R.M. rédigés par tous les Officiers de Renseignements (O.R.) des quartiers et sous-quartiers d’Algérie. Qui sont remontés jusqu’au 2ème bureau de l’Etat Major d’Alger. A travers les secteurs, zones et corps d’armée. Celui-ci a été rédigé le 12 juin 1958 ; il porte le numéro 4170/EM/10/2/OPE et l’estampille SECRET. Il est signé du chef de bataillon Bourdoncle, provisoirement chef du 2ème bureau.
  • Un mémoire (du 13 juin 1958) sur la situation militaire en Algérie, du général Salan
  • La synthèse personnelle de Commandement signée du général Salan, « Délégué général du gouvernement et Commandant en chef des Forces en Algérie » et datée du 15 juillet 1958. Elle porte sur tout le 2ème trimestre. Avec des remarques sur les événements de mai. Etudiés dans les trois cas à travers le prisme militaire. Avec des interférences sur les événements civils.

Le climat politique de l’Algérie

Le B.R.M. consacre deux pages (sur quinze) à son évolution.

Il note « l’ampleur et la participation du mouvement de fraternisation franco-musulman ». Qui a gagné l’Algérie jusque « dans les zones les plus reculées ». Mais les plus importants ont eu lieu « dans des régions où l’O.P.A. avait été impitoyablement démantelée par les Forces de l’Ordre »…Et le B.R.M. cite… « l’Oranie et l’Algérois de façon générale, l’Est, le Nord, le Sud Constantinois »…ajoutant… « Seuls les Kabylies, l’Ouest, et le Centre Constantinois, l’Ouarsenis se sont montrés plus réservés ».

Le B.R.M. consacre un paragraphe aux réactions de la population européenne. Les Européens ont été « surpris » par l’adhésion des Musulmans…Ce qui explique leur « acceptation de l’égalité des droits ». Sont mis à part des éléments « peu nombreux mais agissants » qui « regrettent » l’évolution en cours ; et réalisent « mal que le passé puisse être définitivement révolu »… « et l’importance du pas franchi ».

Pour les Musulmans, le « choc psychologique » est « aussi net ». Et cette population est « prête à basculer en notre faveur ».

Deux causes : la lassitude et la « possibilité rapide d’un retour à la paix » et « la prise en mains par l’armée des pouvoirs civils et militaires ». Il faut y ajouter « le prestige du général de Gaulle ».

Mais le B.R.M. signale que l’on manque de « recul » pour juger « la profondeur du rapprochement » qui a été plus …« spontané dans les campagnes que dans les centres urbains et sociaux »…Et les « milieux évolués restent encore indécis ».

Cependant, dans les manifestations, la proportion des femmes (jeunes filles, mères de famille) a été croissante. Elles attendent… « du régime nouveau leur émancipation »…

Le B.R.M. se penche aussi sur l’état d’esprit des rebelles. Il faut attendre pour aboutir à des « conclusions définitives » ; les chefs rebelles (ils ne sont pas nommés et on ne sait si cela concerne l’intérieur ou l’extérieur) sont « inquiets » mais ne croient pas à la « spontanéité des manifestations ». Leurs hommes sont tenus dans l’ignorance des événements. Il n’y a pas eu « diminution de leur valeur combative », ni augmentation des ralliements. Un espoir subsiste car désormais…« les H.L.L. (Hors La Loi) ne peuvent plus douter de la résolution de la France en Algérie »….

Pour sa propagande, la rébellion, jusqu’au 13 mai, exploitait le succès du F.L.N. à la conférence de Tanger[4]. Il n’est pas précisé qu’elle s’est tenue fin avril 1958 et a vu la notoriété du F.L.N. renforcée par l’appui ouvert du Maroc et de la Tunisie. De plus le F.L.N. annonçait « une victoire prochaine » sur la France…Ce qui a eu un impact car il y a eu en mai « une tendance à l’accroissement des désertions ».

Contre l’impact du 13 mai, le F.L.N. dénonce le « putsch colonialiste » et surtout minimise.. « le rapprochement des communautés »..,.. « la spontanéité de la fraternisation ». Ses prises de position négatives « n’ont pas eu d’influence sur les Forces de l’Ordre ». Sans autre précision. Mais il s’agit certainement des soldats musulmans. Bref, l’audience du F.L.N. sur la population musulmane … « semble bien affaiblie ». Quant à la personne du général de Gaulle, au 31 mai, .. « elle a été très rarement évoquée et jamais critiquée »…

La Synthèse Salan

La synthèse du général Salan est plus courte (sept pages) que le B.R.M. Elle note que le F.L.N. a essayé de « contrecarrer le mouvement de fraternisation parti d’Alger » en relançant… « l’action des bandes rebelles et de l’O.P.A »….Mais cette lutte par les armes aboutit « à une position d’équilibre qui nous est certes favorable et peut être améliorée mais ne pourra à elle seule emporter la décision »…

Il faut donc faire « la conquête des populations »…et le général Salan esquisse un programme « d’organisation et d’éducation des masses ». A partir des Comités de Salut Public (C.S.P.). Qui devraient trouver leur place dans « un ensemble fortement hiérarchisé de la population »…, les C.S.P. feront la « liaison » entre la population civile et les autorités civiles et militaires. L’ensemble constituera « l’outil qui permettra de gagner la bataille du référendum ».

Les C.S.P. seront secondés par les responsables de douars dont le nombre est de 390, par les 56 équipes sortis d’Issoire[5] et par la mise en place dans les villages d’un nombre « croissant … d’équipes médico-sociales itinérantes et de cercles féminins »…

Les regroupements seront aussi efficaces. Un chiffre est donné à la date du 1er juin sur la population regroupée : 461.000. Mais leur augmentation est freinée par l’insuffisance des crédits. Les harkas se développent. Leur effectif est de 30.000 hommes. Un plan prévoit une augmentation mensuelle de 3000. Mais ceci nécessite « un nouvel effort financier ». 

Le général Salan conclut, en ce qui concerne le terrain civil, que la population musulmane … « sort lentement de son attentisme »…malgré l’accroissement du terrorisme et « manifeste de plus en plus sa confiance dans l’armée ». Il conclut sur… « une population qui n’a encore que timidement marqué sa volonté de rester française »…et demande… « l’accroissement des mesures qui lui permettraient de se sentir française à part entière »… 

Le document émanant du général Salan est daté du 31 juillet. On y sent déjà la bataille psychologique engagée pour le succès du référendum de septembre. C’est aussi avec le recul, un constat réaliste qui contraste avec le fort enthousiasme qui a marqué et suivi le 13 mai et ne se comprend que par l’analyse sans complaisance de la situation militaire.  

(A suivre dans le n° 17 de notre bulletin les 3ème partie – L’Algérie militaire – et 4ème partie – Un bilan – de cette étude)

Général Pierre-Marie Bigot

Pierre-Marie Bigot est né le 22 décembre 1909 à Alger où son père, Louis, natif de Saint Aignan sur Cher, servait comme lieutenant au 5ème régiment de chasseurs d’Afrique. Sa mère, née Louise Moisan, était d’une famille implantée en Algérie depuis 1847.

Après des études à Alger, Pierre-Marie Bigot quitte l’Algérie en 1928 et entre à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1929. Il est de la 116ème  promotion, 1929-1931, Général Mangin, et y a comme condisciples les futurs généraux Cantarel (chef de l’état-major de l’armée de terre de 1965 à 1971), Mentré (commandant interarmes au Sahara en avril 1961 et condamné à 5 ans de prison avec sursis le 4 juillet suivant) et Puget  (chef de l’état-major général de la défense nationale en septembre 1961), ainsi que les colonels Georges de Boissieu et Bertrand de Sèze (condamné le 4 avril 1963 à 10 ans de détention criminelle).  

Le général Bigot lors de son procès

Ayant choisi l’aviation (la première promotion de l’Ecole de l’Air, Georges Guynemer, n’est entrée à l’Ecole qu’en 1935), le capitaine Bigot est dans le Sud-tunisien au moment de l’armistice de juin 1940. Son escadrille doit se soumettre, à Bizerte, au contrôle des commissions d’armistice établies en Tunisie. Cette même année 1940, il est envoyé deux fois bombarder Gibraltar. 

En juin et juillet 1941, Pierre-Marie Bigot est en Syrie au moment des combats entre troupes françaises du général Dentz et troupes sous commandement anglais comprenant des unités des Forces Françaises Libres. 

De retour en Algérie, il participe aux combats de la Libération et termine la guerre comme commandant en second du groupe de bombardement 2/52 « Franche-Comté ». 

Après la guerre, il suit les cours de l’école de guerre, Lieutenant-colonel, il assure les fonctions de chef du 3ème bureau « Opérations » à l’état-major de l’armée de l’air puis commande l’école supérieure de guerre aérienne en 1950. En 1952, il est détaché à la commission de la défense nationale à l’Assemblée Nationale.

De 1954 à 1957, général de brigade aérienne, il commande l’Ecole de l’Air de Salon de Provence. Après un passage au SHAPE (Supreme Headquarters Allied Powers Europe) – situé à Rocquencourt jusqu’au retrait de la France de l’OTAN en 1966 – le général Bigot commande la 3ème région aérienne (Bordeaux) avant de prendre en mars 1960, comme général de division aérienne, le commandement de la 5ème région aérienne (Algérie) à Alger. Il y succède au général André Martin, au poste occupé par le général  Jouhaud appelé en octobre 1958 à la fonction de chef d’état-major de l’armée de l’air. 

Constatant la dérive de plus en plus marquée de la politique gouvernementale en faveur de l’indépendance de l’Algérie au profit du F.L.N., le général Bigot fait part de ses inquiétudes auprès de ses supérieurs et du ministre. Pierre Messmer lui répond qu’au mieux ce serait comme le Sénégal ; le général Olié ne lui parle que de la trêve unilatérale ; le général Gambiez ne peut lui préciser jusqu’où iraient les concessions faites au F.LN. à Evian et tombe d’accord avec lui sur le fait qu’il est impossible d’accueillir un jour  Fehrat Abbas sur un aérodrome et de lui présenter les armes; le général Stehlin n’est pas au courant et ne sait rien, ce qui est la vérité. Ce n’est pas fait pour dissiper ses inquiétudes.

Le 16 avril 1961, le général de corps aérien Pierre-Marie Bigot est sollicité par le général Jouhaud, revenu à Alger en 1960 après avoir quitté la 1ère section du corps des officiers généraux. Celui-ci lui annonce le coup qui se prépare à Alger et demande son soutien, entre autres pour assurer le transport du général Challe de métropole à Alger. Après avoir hésité et en accord avec le général Nicot, major général de l’armée de l’air, il envoie un Nord-Atlas 2500 à Creil qui, dans la nuit du 20 au 21 avril 1961, amène à  Maison- Blanche puis à Blida les généraux Challe et Zeller et le colonel Broizat. Le commandant Henri Schutz, chef de bord, lors de cette mission, sera condamné à trois ans de prison avec sursis le 7 septembre 1961. 

Lors des journées des 22, 23, 24 et 25 avril 1961, le général Bigot se met aux ordres du général Challe qui a pris le commandement à Alger. Il transmet au général Fourquet, commandant l’air dans l’Est Algérien, l’ordre, qui ne sera pas exécuté, d’intercepter la Caravelle du ministre des affaires algériennes, Louis Joxe, et du chef d’état-major général de la Défense Nationale, le général Olié, venus pour reprendre le contrôle des unités non ralliées au général Challe.

Destitué, incarcéré le 29 avril 1961, transféré à la prison de la Santé (dans la cellule précédemment occupée par Mohamed Boudiaf, l’un des chefs du F.L.N.), le général Bigot est inculpé d’infraction aux articles 90, 91 et 99 du code pénal (institués par ordonnance 60-529 du 4 juin 1960 signée en particulier d’Edmond Michelet, Garde des Sceaux). 

A son procès qui se tient le 6 juin 1961 devant le Haut Tribunal

Militaire, seul l’article 99 est retenu contre le général Bigot. Il risque la peine de mort. Plusieurs changements sont intervenus au Haut Tribunal depuis la condamnation, le 31 mai 1961 des généraux  Challe et Zeller à 15 ans de détention criminelle et, le 5 juin, du commandant Denoix de SaintMarc à 10 ans de cette même peine : le procureur général Besson a été rem –

placé par le procureur général Reliquet pour le procès de Saint-Marc, puis par le procureur général Gerthoffer pour celui du général Bigot ; les réquisitions relativement modérées des  deux premiers ont conduit le pouvoir politique à choisir Gerthoffer qui sera également retenu pour l’accusation (en remplacement de l’avocat général Sudaka) à la Cour Militaire de Justice qui, lors du procès    dit       du        Petit-Clamart,             verra    la condamnation à mort  et l’exécution de l’ingénieur en chef de l’Air Jean Bastien-

Thiry. La Cour Militaire de Justice a été créée après dissolution du Haut Tribunal Militaire qui n’avait pas condamné le général Salan à la peine capitale. Le général Bigot est défendu par Maître Jacques Isorni ; de nombreux officiers viennent témoigner pour la défense : les généraux Dorange (de la promotion de Saint-Cyr du général Bigot), les généraux de l’armée de l’air Deschaux,

Basset, de Maricourt, le général Héritier  et « L’Aurore » 7juin 1961 également des officiers supérieurs. 

Le procureur général Gerthoffer prononce un réquisitoire sévère fondé essentiellement sur l’ordre transmis par le général Bigot d’intercepter la Caravelle de Louis Joxe et du général Olié, qu’il interprète comme un ordre d’abattre si nécessaire cet avion. Il demande la détention criminelle à perpétuité. Le tribunal, après un délibéré d’une heure rend une sentence de 15 ans de cette peine, sentence égale à celle déjà rendue contre deux des chefs de la révolte, les généraux Challe et Zeller.

Extrait du journal de prison du général Zeller relatif au procès du général Bigot

Par la suite, le général Bigot sera transféré à la maison de détention de Clairvaux le 27 juin 1961, puis comme ses compagnons, sans aucun préavis, à celle de Tulle le 4 août 1961.

Dans la cour de la prison de Tulle en août 1961

Par décret du président de la République du 23 décembre 1965, le général Bigot voit le reste de sa peine remis et retrouve la liberté, sous réserve de non condamnation dans les cinq ans. Il est l’un des généraux survivants qui retrouvent leur grade en 2ème section lors de l’amnistie votée à la fin de 1982 sur l’instigation de François Mitterrand, président de la République (loi n° 82-1021 du 3 décembre 1982).

Après sa libération, il s’installe à Paris puis ultérieurement dans le Loir et Cher, non loin de Saint Aignan sur Cher, cher à son père.

Il décède le 11 janvier 2008. Les anciens de la promotion 1954 de l’Ecole de l’Air, en hommage à leur ancien commandant, déposent une gerbe sur sa tombe. 

Le général Bigot, commandeur de la Légion d’Honneur, était l’un des tous premiers membres de l’Association des Amis de Raoul Salan, avec la carte n°59, et d’une grande fidélité à l’association.


[1] qui fit avec celui de La Cafeteria 3 morts (des adolescents) et des dizaines de blessés dont 12 furent amputés. Au Milk Bar, la bombe avait été déposée par Zohra Drif  (aujourd’hui vice-présidente du Sénat algérien) sur ordre de Yacef Saadi (aujourd’hui sénateur algérien, tous deux désignés par Abdelaziz Bouteflika). 

[2] Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle déclare lors de son discours sur l’autodétermination : « La sécession entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, l’égorgement généralisé… » A Redjas, lors de la « tournée des popotes »,  le 3 mars 1960, le général de Gaulle déclare à propos de Fehrat Abbas : « Ce qu’il appelle l’indépendance, c’est la misère, la clochardisation, la catastrophe.. ». Le 4 mars, à Zafirete : « …l’indépendance, c’est-à-dire la sécession, c’est-à-dire la séparation d’avec la France, serait une épouvantable catastrophe… »

A Albertville, le 10 octobre 1960, il déclare encore : …« Alors, disent les autres, il n’y a qu’à passer l’Algérie à la rébellion. Ce serait une catastrophe chez nous et en Algérie »… etc.

[3] Ce sera, amendé, le plan Challe de 1959-60

[4] Cette conférence qui s’est tenue du 27 au 30 avril 1958 à Tanger réunissait le F.L.N. dont la délégation était menée par Fehrat Abbas, le Maroc par Allal el Fassi  (l’Istiqal par Ahmed Balafrej) et le Neo Destour tunisien  par Bahi Ladgham. Visant à la réalisation d’une fédération maghrébine, elle reconnaissait le F.L.N. comme le seul représentant légitime de l’Algérie.  

[5] Où était implanté un Centre d’Entraînement de Moniteurs de la Jeunesse Algérienne (C.E.M.J.A.) 

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